G@ZETTE NUCLEAIRE
88/89 juin 1988

TCHERNOBYL ENCORE...
Editorial

 
     Voici la Gazette de l'été.
     Après Tchernobyl,  l'actualité nucléaire s'est calmée, du rnoins sous son aspect médiatique. En fait, la lecture de Nuclear Engeenering International est plutôt réjouissante. Dans le numéro de juin 1988, on peut lire un article où Richard Matsers explique que «les retombées sont finalement beaucoup plus importantes que ce que laissait présager l'année 1987». En particulier, il signale «dans 10 pays, la plupart en Europe, les réacteurs programmés ont été repoussés ou tout simplement annulés, la raison en étant la montée d'une méfiance vis-à-vis de la sûreté nucléaire, cette montée étant le fait du public et des hommes politiques». Ce qui est le plus préoccupant c'est que «ces changements sont survenus même dans des pays comme la Finlande et la Belgique où le bon fonctionnement des installations avait donné une cote favorable au nucléaire». Quant à la France, il remarque que le niveau de commandes est situé au plus bas (1 réacteur tous les 2 ans) afin, semble-t-il, d'assurer la survie de l'industrie nucléaire. L'italie a totalement arrêté son programme de construction, déplore-t-il.
     Le coup d'arrêt est assez rude pour que le titre de l'article «Tchernobyl est responsable du retard des programmes nucléaires du bloc de l'Ouest» ne laisse aucun doute sur les coupables. C'est encore un coup du KGB... à défaut des pétroliers!
     Si l'on épluche les publications françaises sur le même sujet, on constate cette fois que ce sont les financiers qui sont montés au créneau. Le résultat, deux articles: un de Capron (CEA) et un du directeur général d'EDF. Ces articles expliquent sur la base d'argumentaires économiques qu'il est urgent d'attendre pour la filière surgénératrice (?), en particulier d'attendre des jours meilleurs, la réparation de Superphénix, et en ce qui concerne les réacteurs à eau légère, qu'il vaut mieux essayer de prolonger leur fonctionnement jusqu'à 40 ans (au lieu de 25/30) plutôt qu'en construire de nouveauX. 
suite:
Ceci implique des changements de générateurs de vapeurs et autres gadgets mineurs...
     Pour essayer de regagner sa crédibilité perdue en matière de sûreté nucléaire, EDF a lancé une opération de charme et de transparence. Par le canal de Tanguy, inspecteur général de la sûreté à EDF, l'établissement a réussi à faire passer au niveau du Conseil Supérieur de Sûreté et d'Information Nucléaire, l'idée d'une échelle de classification des incidents et accidents nucléairés du style des échelles sismiques. Cette échelle est destinée aux médias, en l'occurrence pour évitér les interprétations non contrôlées et pourtant souvent pertinentes. Elle sera rnise en oeuvre par les chefs de centrale et dans un prernier temps sera... ce que ces chefs de centrale voudront bien en faire.
     Bien sûr, pour un gros accident, il est difficile de ne rien dire au public. Un «Tchernobyl» (comme un A320 qui s écrase) ne passe pas inapperçu, même survenant dans un pays de l'Est. Par contre, pour les problèmes de tous les jours, à condition qu'ils ne soient ni bruyants, ni puants, pour les problèmes de l'ordre de gravité de ceux qui parfois sont signalés avec retard et réticence aux autorités de sûreté (voir Tricastin et SPX), on ne voit pas ce qui rendrait la communication plus facile. Il suffira de classer en catégorie 0.
     Et pourtant il faut bien reconnaître que grâce à la pression des populations locales, des écolos, renseignés par des «fuites» sur les fuites, l'industrie nucléaire a été forcée de pratiquer une certaine politique de transparence. Cette transparence est bien supérieure à celle des industries chimiques ou des transports. Pour un avion qui s'écrase, pour deux trains qui sé télescopent, combien d'incidents ne sont jamais signalés au public? Là aussi, la pression de l'opinion publique serait salutaire.
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     Car enfin, il est impensable que des centaines de vies soient à la merci d'un système où une seule erreur humaine est fatale, sans qu'il n'y ait le moindre recours.
     Lorsque nous analysons la collision ferroviaire sur voie unique de l'été 1986 et que nous réalisons qu'à l'époque du TGV il n'y avait ni radiotéléphone, ni fusée d'alarme, aucun moyen de rattraper un coup de sifflet malheureux, nous pouvons nous poser la question du pourquoi de la solitude du chef de gare dans son box du tribunal.
     En URSS, après Tchernobyl, au moins un homme a voulu montrer que les erreurs humaines au niveau de l'exécution étaient souvent le résultat d'erreurs de conception aux niveaux les plus élevés. Et faute d'avoir pu se faire entendre, l'académicien Legasov, un des responsables des programmes nucléaires russes s'est suicidé, laissant derrière lui un réquisitoire féroce sur les problèmes de la sûreté nucléaire. (Nous ne suggérerons tout de même pas le même geste aux responsables technocratiques qui ont pris la décision, pour raisons d'économies budgétaires, de ne pas équiper les lignes SCNF à voie unique du bloc signal-automatique !)
     Un autre aspect des retombées de Tchernobyl se fait jour dans la relance du débat sur les effet des faiblesdoses. Nous vous en avons largement entretenu dans les Gazettes précédentes. Voici une péripétie supplémentaire.
     Comme nous vous l'avons expliqué, au niveau de la CIPR et de l'UNSCAR, il y a une demande de révision à la baisse des normes de radioprotection. Cette menace est gravissime pour un pays aussi nucléarisé que la France car cela pénaliserait une industrie qui coûte déjà fort cher. L'ironie du sort a voulu que la présidence des sessions où devaient être prises ces décisions revenait à la France, en la personne d'un de nos farouches pronucléaire, le Dr Jammet. La menace est apparue si sévère que notre lobby a monté à l'Académie des sciences, sous la présidence du Pr Latarjet, une journée d'étude sur les effets des faibles doses. Il s'agissait de se conforter dans l'idée qu'il fallait surtout ne rien changer (à la baisse) et montrer que cette idée émanait d'une institution aussi sérieuse que l'Académie.
     Le buffet y était de qualité, entièrement payé par EDF.
     Bonne lecture.
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SOMMAIRE
Dernière nouvelle
TCHERNOBYL ENCORE ET TOUJOURS:
A) Contamination du bassin du Var par les rejets de Tchernobyl
B) Quelques indications fournies par A.Moïsseev sur les conséquences de Tchernobyl
C) Les normes de l'évolution du facteur de risque cancérigène des rayonnemets ionisants D) Les menteurs (Le nuage!)
NOUVELLES DU CONSEIL SUPERIEUR DE SURETE ET D'INFORMATION NUCLEAIRE (CSSIN):
A) Stockage de déchets B) Centrale nucléaire de Creys-Malville C) Réunion du 19/4: accident routier de Pierrelatte du 6/4/88, risques liés à l'hydrogène et aux chutes d'avion
EN DIRECT DES SITES:
1) I.N.B.-Melox 2) Réunion de coordination des cinq sites
3) Effets de Tchernobyl en Lorraine (Transmis par l'A.S.V.P.P.)
4) Coordination anti-déchets pour la sauvegarde de l'Anjou
LETTRE DU GSIEN
LA SURETE NUCLEAIRE, DES PRINCIPES A LA REALITE

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