Dans le texte de l'intervention de l'expert
soviétique A. MOÏSSEEV à une conférence tenue
à Copenhague les 13 et 14 mai 1987, nous relevons quelques points
intéressants. Toute son intervention tend à prouver que les
niveaux de dose engagée fournis dans le rapport soviétiqûe
à la conférence de Vienne de l'AIEA (Agence Internationale
de l'Energie Atomique) en août 1986 (voir Gazette Nucléaire
No 73/74) étaient surestimés et donc qu'il fallait les réduire
(ce qui avait d'ailleurs été fait par les experts occidentaux
peu de temps après la conférence de Vienne); son texte est
donc une justification a postenori donnant toute satisfaction aux experts
occidentaux.
On n'a pas lésiné sur les facteurs de réduction : pour le rayonnement externe, la dose collective qui était estimée pour l'année 1986 à 8,6.106 homme x rem (h x r) passe maintenant à 5.106h x r soit une diminution de 58%. Or la dose reçue par les 135'000 évacués est incompressible car les débits de dose dans divers points de la zone évacuée ont été publiés dans l'Annexe no 7 du rapport soviétique d'août 1986. |
Il s'agit là de mesures difficiles à contester sans mettre
en doute la compétence même du système de surveillance
radioécologique soviétique. Cette dose compte déjà
pour 1,6.106 h x r ! Les 75 millions d'habitants de la partie
européenne de l'URSS auraient donc reçu en 1986 la dose collective
de 3,4.106 h x r alors que 15 jours après l'accident
les débits de dose des 10 régions les plus exposées
étaient de 8 à 80 fois supérieurs à la normale
(8 à 10 mR/h) avec entre autres:
0,88 mR/h dansia région de Gomel (Biélorussie) 0,44 mR/h dans la région de Kiev (Ukraine) 0,30 mR/h dans la région de Bryanskaya (RSFR) La dose collective due au rayonnement externe pour les 50 ans à venir passe aussi miraculeusement de 29.106 à 20.106 h x r. La réduction est encore plus grande pour la dose due à la contamination interne puisqu'elle est carrément divisée par 10 en ce qui concerne le Césium et passe de 210.106 h x r à 20 à 30.106 h x r. p.9
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Le rapport de 1986 (Annexe 7) comportait quelques renseignements concernant
les niveaux très élevés de contamination par l'iode
131: il y a eu des laits à 370'000 Bq/l en Ukraine centrale et en
Biélorussie du Sud-Est et du Nord-Ouest et dans cette dernière
région des laits ont dépassé le million de Bq/l.
Il
y avait par contre peu de données au sujet des césium 134
et 137 dans ce rapport.
A. Moisseev est bien obligé de reconnaître que la contamination en Césium a été très élevée mais il est avare de chiffres. Il indique que les laits contaminés au-delà des niveaux admissibles (pas d'indication numérique pour ces niveaux). furent retirés de la consommation non pas pour être détruits mais pour être «retraités». C'est peut-être là l'origine des laits en poudre très fortement contaminés que la CRII-Rad a mesurés en provenance d'Arménie (13'000 Bq/kg) ! Le «retraitement» de Moïsseev ne serait-il pas simplement une dissémination des aliments contaminés sur l'ensemble de l'Union soviétique ? Il est étonnant que les Soviétiques aient pu se tromper d'un facteur 10 sur l'évaluation de la dose collective à la contamination par le césium alors que, d'après le biologiste Jaurès Medvedev, l'expérimentation en radioécologie n'a pas manqué depuis le désastre nucléaire de Kyshtym (Oural) en 1957-1958. Enfin A. Moïsseev donne une information curieuse «un suivi détaillé de dizaines de milliers de personnes vivant dans les républiques de Biélorussie, d'Ukraine et de Russie munies de dosimètres individuels, a montré que les niveaux de césium 134 et 137 étaient 10 à 20 fois plus faibles que ceux attendus d'après les modèles mathématiques». Ainsi il nous apprend que des dizaines de milliers de personnes ont été munies de dosimètres individuels à césium. Malheureusement, il ne donne pas de détails sur ces dosimètres miraculeux. La Sécurité Civile française pourrait peut-être passer commande de tels ddsimètres ! Signalons que Moïsseev est membre de la CIPR. Ce doit être un compagnon agréable pour nos représentants Jammet et Pellerin. Commentaire Gazette
De retour de Tchernobyl, Roger Cans, dans le Monde du 25 mai 1988, rapporte des propos tenus à la conférence sur les conséquences de Tchernobyl qui s'est tenue à Kiev du 11 au 13 mai et à laquelle assistaient le Dr Jammet et le Pr Pellerin. (suite)
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suite:
On y lit «Les Soviétiques... ont réfuté avec vigueur les allégations du chirurgien américain Robert Gale... selon lequel on pouvait s'attendre à 30'000 cas de cancers supplémentaires, au cours des 50 prochaines années». Ceci est contesté par le docteur Angelina Gouskova qui déclare : «Comment peut-on annoncer un chiffre de morts par cancer alors que l'augmentation prévisible du taux de cancer due à Tchernobyl est estimée au maximum à 0,3 %, ce qui est imperceptible comparé à une fourchette de morts naturelles par cancer évoluant entre 15 et 20% ?». Dans le premier rapport fourni par les Soviétiques à l'Agence Internationale de l'Energie Atomique en août 1986 (voir la Gazette Nucléaire no 73/74) était indiqué le nombre escompté de morts naturelles par cancer dans les 70 ans à venir pour les 75 millions d'Ukrainiens et de Biélorusses. Les morts naturelles par cancer étaient évaluées à 9,5 millions. Si on prend 0,3% de 9,5 millions on obtient 28'500, chiffre voisin de 30'000 ! (l'Annexe no 7 du rapport soviétique d'août 1986 indiquait à la page 65 une augmentation de morts par cancer due à Tchernobyl qui ne dépasserait pas 0,4 % soit 40'000 morts pour l'Ukraine et la Biélorussie). Ainsi la spécialiste soviétique qui conteste l'évaluation de l'américain R. Gale, 30'000 morts par cancer dus à Tchernobyl, avance sa propre estimation qui conduit au même résultat ! A qui doit-on payer une calculette ? Rappelons que ces chiffres sont obtenus à partir du facteur de risque officiel qui est de 125 morts par cancer pour 1 million d'homme x rem (ou 10'000 homme x Sievert). D'après les dernières estimations du suivi des survivants d'Hiroshima et Nagasaki, il pourrait être sous-estimé d'un facteur 5 à 15, ce qui, peu à peu, rejoint les estimations tant décriées faites il y a 10 ans de Mancuso, Stewart et Kneale, à partir de l'étude des travailleurs US de l'usine nucléaire de Hanford. Le nombre de morts dû à Tchernobyl doit être corrigé de ce facteur. Dans le même article, Roger Cans indique la position du Dr Jammet qui est assez surprenante: «Le Dr Jammet confirme ce scepticisme à l'égard de statistiques fondées sur une arithmétique élémentaire où l'on se contente d'additionner les doses individuelles pour en déduire une dose collective qui ne correspond pas à la réalité». Ainsi le Dr Jammet, membre de la CIPR conteste la validité d'un concept fondamental développé par cette Commission, le concept d'équivalent de dose collectif (articles 22 et 23 de la publication 26 de la CIPR, 1977). Ce qui revient à dire que le Dr Jammet n'accepte pas le principe d'additivité des probabilités indépendantes ! En fait, on retrouve là, sous-jacent, le vieux mythe du seuil cher à nos responsables, seuil en dessous duquel il n'y aurait pas d'effet, bien que les derniers résultats de l'étude des survivants de Hiroshima et Nagasaki ne laissent plus de doute à ce sujet [1] (voir par exemple l'article d'E. Radford, Gazette Nucléaire no 84/85 ou «Santé et Rayonnement», ouvrage coédité par le GSIEN et la CRII-RAD). [1]. Dale L. Preston, Donald A. Pierce, The effects of changes in dosimetry on cancer mortality risk estimates in the atomic bomb survivors, RERF TR 9-87. p.10
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