G@ZETTE NUCLEAIRE
No 73/74, nov.déc 1986
DE TCHERNOBYL A SANDOZ (1)
Editorial


     Tchernobyl, Tohernobâle, même combat ! Notre civilisation de profits, de progrès techniques destinés à «donner le bonheur à l'homme» aurait-elle des ratés?
     Il y avait bien eu Seveso et Three Mile lsland (TMI); mais après un moment de panique, les officiels se sont repris.
     Pour Séveso, si vous les interrogez, aujourd'hui ils vous expliquent qu'il n'y a eu aucun effet, que les chloroses devaient relever de la psychopathologie.
     Pour TMI, l'affaire fut plus chaude. En effet, il s'agissait cette fois du nucléaire et les populations le craignent bien plus que la chimie - peut-être à tort - mais sûrement par habitude de l'industrie chimique qui a plus de 100 ans de mauvais et bons services (!)
     Cependant, nos oracles ont pu se répandre en messages rassurants: «Il n'est rien sorti, il n 'y a pas eu d'effets». Ils avaient beau jeu puisqu'à défaut de mesures incontestables, les détecteurs de routine ayant non ou mal fonctionné, ils s'appuyaient sur leurs propres modélisations des rejets. Gageons que comme pour le Nevada, à la suite des tirs nucléaires de 1957, où 20 ans après on a vu se développer des cancers, TMI nous fera peut-être des surprises pour l'an 2000.
     Par contre, TMI a touché un point sensible: le fric. Une tranche nucléaire hors service pour on ne sait combien d'années, voire même définitivement, de toute façon des frais de décontamination gigantesques, cela fait réfléchir. Et tous nos technocrates de gamberger sur les enseignements que pouvait apporter un accident, au cours duquel le coeur d'un réacteur à eau légère (REP) avait en grande partie fondu, s'était effondré (80 % du coeur grossièrement). Pour la mise en oeuvre de ces enseignements, c'était bien sûr sans compter avec l'inertie d'EDF et son génie pour trainer les pieds.
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     Ainsi que la Gazette vous l'a déjà rapporté 6 ans après l'accident américain, le SCSIN en était encore à pleurer auprès d'EDF pour avoir la nomenclature des vannes du même type responsable de cet accident.
     Puis survint Bhopal avec ses milliers de morts. La réaction fut caricaturale. D'abord c'était le Tiers Monde (en fait l'Inde n'est pas le Tiers Monde mais on peut se le raconter) et puis surtout c'était la chimie. Ah comme le nucléaire est sûr (pas de morts identifiés à TMI) et pour s'en persuader un peu plus on a même demandé à l'IPSN de faire l'analyse de sûreté de l'usine de la Littorale près de Béziers où nous avons notre petit Bhopal potentiel.
     Dans ce contexte euphorique, EDF en profita en 1986 pour diminuer l'effort dit «post TMI».
     Horreur ! Tchernobyl survint. Dans un premier temps nos cow-boys eurent beau jeu de se répandre en commentaires condescendants: c'est du matériel primitif, de mauvaise qualité, mal construit, sous étudié, exploité par du personnel sous qualifié.
     Cependant, les premiers réacteurs russes ont marché en 1954. Ils ont eu un problème avec un surgénérateur mais les américains ont fondu 2 coeurs du même type. Alors finalement, c'était difficile de continuer à snober les russes. Bien sûr, ils ont d'autres techniques mais à trop taper sur eux, le nucléaire perdait son image de propreté. D'ailleurs déjà EDF avait expliqué qu'elle allait faire un effort pour accélérer la prise en charge des mesures post TMI, qu'elle suivrait avec soin les études russes et elle a donc augmenté le budget de 1987. Après des vérifications indiscrètes on se rendit compte que ce budget 87 était en fait ramené au niveau 85. Auraient-ils eu peur !?
      Le matériel français est impeccable, puisqu'on vous le dit.
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     Mais, vous auriez posé la même question aux Russes le 24 avril, ils vous auraient répondu la même chose. Ils en étaient convaincus, et en plus on peut leur concéder qu'ils avaient absolument besoin de ces réacteurs pour alimenter Kiev. Ils les font actuellement tourner du moins les 1,2 avec des équipes qui ne peuvent pas rester plus de 5 h continues sur le site et qui tournent toutes les 3 semaines. On murmure même qu'ils emploient leurs fameux contestataires (!) (A la place de la Sibérie, ce n'est pas sûr qu'ils y gagnent grand chose).
     L'opinion publique finissait tout juste de digérer Tchernobyl, son image, ses morts que la chimie reprend le relais.
     Cette fois à Bâle: comment les Suisses, ces modèles de technologie, de propreté, de protection de l'environnement, eux aussi auraient-ils des installations désuettes, à la sûreté défaillante, capables d'intoxiquer toute une région? Ça fait désordre.
     Le comble, ils se sont comportés comme les russes, en cachotiers. Les douaniers suisses avaient des masques alors que les villages alsaciens n'avaient pas même été alertés.
     La suite de Bâle ne fut pas triste car faisant des contrôles (enfin les stations marchaient) on a d'une part découvert que d'autres usines chimiques en avaient profité pour «dégazer» et d'autre part que des pollutions il y en avait souvent.
     Parions que si on contrôle ailleurs que sur le Rhin, on constatera la même chose.
     Est-ce pour cette raison que notre ami le Professeur Pellerin (eh oui, c'est ce qu'il nous a assuré être) ne souhaite en aucun cas voir fleurir des stations de contrôle indépendantes car on pourrait déceler les «dégazages» des nombreuses installations nucléaires françaises civiles et militaires. Par exemple il serait intéressant de mesurer la pollution en tritium du centre de Valduc, de suivre les rejets d'effluents radioactifs liquides de l'Arsenal de Cherbourg (travaux sur les sous-marins nucléaires), de connaître les rejets transuraniens de Bruyère le Chatel. On pourrait aussi faire un suivi des rejets des hôpitaux et des laboratoires de recherches (Où sont incinérés les animaux d'expérience marqués par des traceurs radioactifs). On pourrait aussi se rappeler que l'usine SOMANU à Maubeuge, usine de maintenance de matériel nucléaire, usine qui, au niveau de l'enquête publique, ne rejetait rien dans l'environnement, a finalement été dotée d'un arrêté interministériel de rejets radioactifs.
     Heureusement que les habitants de Bâle ont réagi vivement parce qu'en France on a réagi d'abord comme d'habitude: ne vous en faites pas, on a bien la situation en main. L'ennui était qu'on ne savait même pas ce que Sandoz avait envoyé.
     En RFA, on Hollande, on a arrêté les captages d'eau. En France, on a tout de même protesté. C'était plus facile qu'avec nos propres industries.
     La Gazette vous souhaite bonne lecture de ce numéro de 1986 et vous adresse tous ses voeux pour 1987.
     N'oubliez pas de vous réabonner pour 1987. N'oubliez pas de nous envoyer vos informations.
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L'HISTOIRE BÉGAIE À EDF

     Le 12 janvier 1987 nous sommes passés très près de la grande panne d'alimentation électrique du pays, et ce non pas en raison des grèves mais on raison de l'incurie des dirigeants d'EDF.
     La grande panne de déc. 1978 qui avait mis hors tension la France pendant une dizaine d'heures a bien failli avoir une répétition. La cause initiale: le froid. Le cheminement vers la panne, une succession d'incidents différents de ceux de 78 (fort bien décrits dans le rapport Herbin-Laurent sur lequel nos officiels furent d'une rare discrétion), mais qui presque tous avaient déjà eu lieu.
     Des problèmes de givrage au refroidissement des condenseurs, des problèmes de prise d'eau gelée sur la Loire, des problèmes de fuel gelé rendant inutilisables les diesels de secours...
     Tout cela est déjà arrivé, a déjà été dénoncé par nous, analysé par les services techniques compétents (?) et... et tout l'Ouest de la France a été délesté par une température de - 10o.
     A ce niveau, ce ne sont pas les grévistes qui sont responsables, ce ne sont même pas les cheffaillons, ce sont les instances dirigeantes qui ont fait les choix budgétaires, ce sont les autorités de tutelle (SCSIN-
DIGEC) qui ont été incapables (ou coupables) d'imposer que les options de sûreté et les garanties de fonctionnement soient mises en oeuvre.
     Que d'incompétence chez tous ces beaux messieurs issus des prestigieux grands corps de l'état que le monde entier nous envie (et préfère voir rester chez nous !!).

Questions à nos chantres du libéralisme

     1. Etant donné qu'il est reconnu, même à EDF, qu'en dessous de 3000 heures de fonctionnement annuel, le KWe produit par les centrales à charbon est moins cher que le KWe nucléaire, doit-on continuer d'aggraver le déficit de l'établissement public en construisant des centrales nucléaires qui devront maintenant fonctionner en suivi de charge et en téléréglage et non plus en base??
     2. Dans ces conditions, si on ne passe plus de commandes à Framatome et ce pour de nombreuses années, peut-on lui imposer de maintenir en fonction, et même de créer de nouvelles cellules de recherche et développement pour assurer et améliorer la sûreté des tranches nucléaires en service ou en construction??

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SOMMAIRE
Approche française en matière d'accident
Cattenom; Superphénix: anomalies d'études, de calcul, de démarrage...
Bulletin AIEA (automne 1986), extraits: unités radiologiques, rapports autrichiens, allemand et français.
Un point actuel sur Tchernobyl, Brèves: conférence internationale sur les effets biologiques des rayonnements (Londres, 24-25 nov.); la contamination en Norvège dans les journaux

Année 1986
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REnews 1986: base de données environnementale internationale