GAZETTE NUCLEAIRE
No 4 novembre 1976

Où l'on apprendra comment les déchets nous sauveront de la disette uranifêre
et comment les états civilisés veulent s'y prendre
     En effet, actuellement la filière la plus répandue sur le plan commercial est la filière à eau légère, qui consomme mal l'uranium. Chacun sait que ceci conduira, dans les années à venir, à une raréfaction de l'uranium sur le marché mondial (voir Gazette Nucléaire no 3). A partir de là, diverses voies sont possibles, à l'intérieur de l'option nucléaire:
     - payer l'uranium de plus en plus cher, et continuer de stocker les combustibles irradiés sans les retraiter,
     - retraiter un peu, pour récupérer du plutonium que l'on recycle (1% environ) dans les combustibles oxydes,
     - enfin retraiter sur une grande échelle pour récupérer le maximum de plutonium afin d'alimenter la filière surrégénératrice (le coeur de Super-Phénix contiendra 4 tonnes de plutonium).
     La première hypothèse de travail conduira dans les dix prochaines années à une impasse. En effet, contrairement à ce qui est souvent répandu dans les milieux officiels, l'uranium n'est pas un minerai en quantité inépuisable, car son extraction de l'eau de mer représente un problème considérable du point de vue financier, pollution et même faisabilité en ce qui concerne le rendement énergétique de l'opération (voir Gazette Nucléaire no 3 ).
Aussi devra-t-on se rabattre assez vite sur des minerais à haute et moyenne teneur que l'on n'a pas encore trouvés, si l'on veut arriver à produire les 200.000 tonnes/an vers 1985. C'est pourquoi la voie surrégénératrice, de ce point de vue, apparaît comme «la solution» à la raréfaction de l'uranium.
     La France, pour sa part, veut s'engager dans cette voie, alors que les États-Unis hésitent devant la commercialisation des surrégénérateurs. Il y a plusieurs raisons à ces différences de stratégie énergétique:
     D'abord les États-Unis disposent de ressources énergétiques considérables sur leur propre territoire (schistes bitumineux, pétrole, giz, charbon...). Ils s'approvisionnent très largement dans de
nombreux pays qui se trouvent sous leur domination, notamment en Amérique Latine. Ensuite, ces dernières années, sous la pression des groupes de défense de l'environnement et de consommateurs (Ralph Nader), le N.R.C. (Nuclear Regulation Committee) a renforcé les règles de sécurité, a rendu plus longs, plus difficiles, les procédures administratives d'autorisation. Cette situation a par exemple eu pour effet de décourager la General Electric, qui semble sur le point d'abandonner son nouveau projet d'usine de retraitement de 500 t/an vers 1983 (rappelons que c'est la même firme qui a échoué en 1973 dans la mise en route d'une usine à Morris, utilisant un procédé d'extraction de l'uranium et du plutonium des déchets hautement radioactifs par voie sèche). 
fin p.2

Mais c'est la position politique par rapport au problème de la dissémination des armes atomiques, conçue comme conséquence de la dissémination du plutonium, qui a récemment amené le gouvernement américain à renoncer sur son propre territoire au retraitement, suivant en cela les recommandations du rapport Fri (voir Le Monde du 2.11.76).
     Sur le plan international, Kissinger a récemment lancé l'idée de centres mondiaux de stockage (peut-être même de retraitement) sous contrôle «international», c'est-à-dire sous contrôle américain. Tout ceci laisse penser qu'aux U.S.A., le retraitement sera très limité et sous contrôle gouvernemental, voire même complètement pris en charge par l'Etat. En somme, le passage du privé au secteur public!
     La situation est tout à fait différente en Europe. Dès 1971, la France, la Grande-Bretagne et la R.F.A. ont mis leurs efforts en commun en créant UNIREP (United Reprocessors) pour la commercialisation du retraitement, car il y a là un véritable marché à saisir, d'autant plus intéressant que les Américains n'apparaissent pas çomme des concurrents. Le client «sérieux» serait d'abord le Japon, grand producteur de déchets dans les années à venir, et qui ne souhaite pas les garder sur son territoire en raison des risques liés aux tremblements de terre.
Un contrat de retraitement à long terme (au moins jusqu'en 1985) vient d'être signé, aux termes duquel la France et la Grande­Bretagne se partageront fifty fifty le marché japonais (plusieurs centaines de tonnes, et 1.000 tonnes/an vers 1984). Evidemment, UNIREIP ne désespère pas d'obtenir aussi les déchets américains. Aussi, le gouvernement français considère le retraitement sous deux angles: récupération du plutonium pour la filière surrégénératrice, rentabilisation commerciale.
     Cette dernière, à son tour, revêt deux aspects complémentaires. D'abord le retraitement en France de déchets de provenance étrangère (ça fait rentrer des devises), pour lequel il a été créé une filiale privatisée du Ç.E.A., la COGEMA, chargée de tous les aspects industriels et commerciaux du combustible nucléaire (depuis la mine au retraitement inclus). Ensuite, encouragement à l'industrie privée (Framatome. P.U.K., par ex.) qui est invitée à exporter la technologie nucléaire, et notamment des usines de retraitement (par ex. vers le Pakistan, et la Corée du Sud - pour cette dernière sans succès).
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1. J. Couture, «Y a-t-il une crise mondiale dans le retraitement des combustibles?», Revue Générale Nucléaire, tome 1, no1, (1975), 31.
2. L'usine de La Hague» situation industrielle, conditions de travail, sécurité, SNPEA­CFDT, CEN- Saclay BP 2, 91190 Gif-sur­Yvette, juillet 1976.
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