G@ZETTE NUCLEAIRE
No 141/142, avril 1995
LE RAPPORT SOUVIRON

Editorial


     En 1974, au démarrage du programme civil de construction de réacteurs, des scientifiques lancèrent un appel connu sous le nom «Appel des 400», appel dont la conclusion était
 
 
«Il faut qu'un vrai débat s'instaure et non ce semblant de consultation tait dans la précipitation. Nous appelons la population à refuser l'installation de ces centrales tant qu'elle n'aura pas une claire conscience des risques et des conséquences. Nous appelons les scientifiques (chercheurs, ingénieurs, médecins, professeurs, techniciens...) à soutenir cet appel et à contribuer, par tous les moyens, à éclairer l'opinion.
     Nous avions lancé cet appel, après avoir constaté que le gouvernement français passait du «tout pétrole» au «tout nucléaire». Avec l'expérience des 20 ans écoulés c'est en fait «tout pétrole et tout nucléaire».
    Si je reprends les arguments de 74, j'en constate la pertinence que les faits ont démontrée.
     Risques
     - sûreté des réacteurs
    «Les accidents sont peu probables, ils peuvent être effroyables», avions-nous écrits. Three Mile Island a ouvert la voie à Tchernobyl et prouvé que nos craintes étaient plus que fondées.
    Nous avons suivi l'évolution des REP (réacteurs à eau pressurisée) qui forment l'essentiel du parc français. Nous avons participé à l'analyse de la visite décennale de Fessenheim et nous avons pu constater la difficulté d'une telle entreprise. 
La direction de la centrale attendait les questions, y répondait avec réticence et ne fournissait pas les dossiers demandés. Il a fallu une intervention des autorités de sûreté pour pouvoir accéder à quelques analyses. Un exemple parmi d'autres: lors d'une visite les experts indépendants ont tourné autour du bâtiment réacteur sans pouvoir y accéder car on ne leur avait pas donné les badges permettant cet accès. Facile le dialogue...
    Nous avons également étudié les générateurs de vapeur, les couvercles de cuve, les problèmes de conduite et de maintenance, etc.
    Superphénix, notre réacteur à neutrons rapides nous a fourni matière à de nombreuses études et analyses. Les dernières portaient sur le faux scientifique (mais où est la science dans de tels rapports ?) qui consiste à transformer cet oiseau miracle en incinérateur de déchets. Outre qu'incinérateur n'est pas le mot adéquat car il s'agit de transmutation par bombardement neutronique. C'est en plus une façon inélégante de faire
croire qu'on a trouvé une solution au problème des déchets. Cette formule, si un jour elle porte quelques fruits, ne solutionnera pas les déchets miniers, ni les démantèlements d'usines, ni tous les tas abandonnés deci-delà.
    Nous sommes intervenus sur le site de la Hague, retraitement, stockage et entreposage de déchets. C'est pour ce site qu'existe une commission d'information qui a auditionné les travailleurs, forcé (avec difficulté car l'accès aux vrais dossiers est loin d'être une partie de plaisir) l'analyse des rejets, de l'impact du site, etc..
 p.1

    Quant à la tendance à se cacher derrière son doigt au lieu d'affronter le risque, elle est toujours le moteur des déclarations des officiels du nucléaire. Nous y perdons tous et nos pollueurs continuent en toute impunité puisque ce n'est pas dangereux.

     Politique alternative
 
 
    «Par ailleurs, quoiqu'on en dise, peu de recherches sérieuses sont entreprises pour trouver de nouvelles sources d'énergie, pour diversifier celles existantes et pour diminuer le gaspillage».

    Et qu'en est-il en 1995 ? Guère de progrès, des intentions : une AFME devenue ADEME (Agence pour la Maîtrise de l'Energie devenue pour le Développement et la Maîtrise). Mais les intentions ne masquent pas une réalité affligeante, le budget de publicité d'EdF est du même ordre que celui de l'Agence. Que faire dans ces conditions et, en l'absence d'une politique clairement affichée, RIEN?
    20 ans ont passé. Le nucléaire s'est installé et si on continue, on repart pour le nucléaire en 2007 (date programmée des premiers arrêts/démantèlements de réacteurs). Est-ce bien raisonnable ? Où est l'analyse des risques, des coûts ?
    Notre conclusion «Il faut qu'un vrai débat s'instaure et non ce semblant de consultation fait dans la précipitation» est toujours d'actualité. Quand aura lieu un débat sur la politique énergétique de la France? Tous les rapports de Schloessing (1977) en passant par Rouvillois (1990) pour finir par Souviron (1994) ont dénoncé l'ingérence des industriels et des grands corps d'état. Mais on ne peut pas dire que cela a changé la marche du nucléaire.

     En guise de conclusion
    Depuis 20 ans nous avons essayé d'informer, étudier des dossiers, faire participer. Nous sommes obligés de constater que l'expertise indépendante, reconnue indispensable, a du mal à survivre. Par contre, la naissance au sein du C.E.A. d'un groupe de chercheurs voulant communiquer la bonne parole nous a ravi. Ceci signifie que ce travail de participation, d'écoute et d'études a tout de même un impact.

suite:
    Evidemment on essaie de le contrer, d'où ce groupe; mais notre engagement personnel et notre refus de compromissions nous rendent difficile à éliminer. Le GSIEN est un groupe ouvert, admettant toutes opinions. Notre lien est une analyse critique, une attitude de doute permanent, un souci des populations. Nous ne sommes ni contre ni pour une technique, nous demandons une prise en charge des risques et une transparence des dossiers.     Nous regrettons que «les scientifiques lorrains» dixit le Républicain Lorrain «jugent l'implantation du laboratoire souterrain, une impérieuse nécessité» sur la base entre autre, d'«un atout pour la communauté scientifique. Quelques 76,5 millions d'écus ont été dépensés à travers 115 contrats... Or un laboratoire dans un site argileux en Meuse, pendant de celui de Hadés à Mol où 7 programmes in situ sont en cours compléterait ceux de la mine d'Amélie».
    En 1974, nous avions déjà fustigé ces choix qui se parent de scientifiques mais qui sont politiques et financiers.
    L'information est un art difficile. Les instances officielles, malgré leurs affirmations de rigueur et de transparence, ne participent pas à cet effort. Il n'en reste pas moins que le nucléaire ne peut pas, avec son cortège de problèmes sans solution, être la voie la meilleure et surtout la seule pour la Nation. Il nous faut diversifier nos sources d'énergie, économiser et surtout entamer un dialogue avec les populations.
    On ne fera pas l'économie de cette procédure. Le GSIEN le demande depuis 20 ans et même si des progrès ont été réalisés, il y a encore du chemin pour une prise en compte des questionnements extérieurs, seuls garant d'un fonctionnement aux risques minimisés.

     Voici l'essentiel d'une intervention faite au colloque de Nice sur les énergies renouvelables. La Gazette vous présente le rapport Souviron et une annexe.
     Roger nous a fait un point sur les déchets au plan réglementaire et a étudié le dossier d'entreposage de Bessines. Bonne lecture
    Bonne lecture de tous les dossiers et surtout diffusez-les.

     Les réabonnements rentrent mais ne nous oubliez pas sinon on aura du mal à boucler l'année.

p.3
ADIEU A UN AMI
Louis Fauconnier, qui avait régulièrement écrit dans la Gazette nous a quitté.
Que sa compagne et ses proches sachent que nous ne l'oublierons pas et reçoivent toutes nos amitiés

SOMMAIRE

Rapport Souviron: constat; mesures découlant de règles générales; mesures d'efficacité sectorielle; conclusion
Annexes:
Un groupe de scientifiques pour l'information sur l'énergie nucléaire: connaissez-vous le G.S.I.E.N.?
Energies renouvelables : faits et chiffres (inclu: une exclusivité web sur la cogénération)
Gestion des déchets nucléaires
Commentaires sur le dossier COGEMA d'entreposage à Bessines

Année 1995
G@zette précédente numériséeG@zette suivante numérisée
REnews 1995: base de données environnementale internationale