GAZETTE NUCLEAIRE
COGEMA-HAGUE

1) - LE TRITIUM DES COMBUSTIBLES IRRADIÉS
Zerbib Jean-Claude
avril 1997


     Le tritium, 3H, est un isotope de l’hydrogène. Il a été découvert par RUTHERFORD, OLIPHANT et ARTECK en 1934. Sa radioactivité bêta a été mise en évidence en 1939 par ALVAREZ et CORNOG. Le tritium se transforme par émission b en hélium (3He) avec une période radioactive T= (12,34 ± 0,02) ans. Son énergie bêta maximale est très faible (18,62 keV).
     Le tritium est un radionucléide naturel créé par interaction du rayonnement cosmique avec l’oxygène et l’azote de l’air. Le taux de production est de l’ordre de 0,25 atome de tritium par cm2 de surface terrestre et par seconde. Il se produit, ainsi, dans chaque hémisphère, 3,6.1016Bq de tritium par an.
     L’équilibre terrestre global est évalué à 1,3.1018Bq de tritium.
     A cette production naturelle du tritium s’ajoute celles dues aux explosions nucléaires aériennes, des réacteurs nucléaires et des usines de retraitement du combustible irradié [PH 81], [NC 87] :
- Plus que les bombes à fission (2,6.1013 Bq de tritium par mégatonne) ce sont les bombes thermonucléaires qui produisent les plus fortes pollutions (7,4.1017 Bq/Mt).
- Du tritium est produit par fission dans le combustible nucléaire, mais également par réactions nucléaires dans un matériau utilisé dans le réacteur (bore sous forme d’acide borique[1]) et par captures neutroniques multiples avec l’hydrogène et le deutérium[2] de l’eau du circuit primaire.

1. LA FORMATION DU TRITIUM DANS LE COMBUSTIBLE IRRADIÉ
     Lors de la fission, l’uranium et le plutonium formé ou préexistant, se scindent en deux morceaux de masses inégales. Cette fission s’accompagne de l’émission d’un ou plusieurs neutrons. Dans certains cas, l’uranium et le plutonium se partagent en trois morceaux inégaux: le plus petit est un atome de tritium. Cet événement, relativement rare (environ 1 fois pour 10 000 fissions), est appelé fission "ternaire". Il a été découvert en 1959 par ALBENESIUS.

suite:
     Les mesures du rendement de fission ternaire, qui varie avec la nature de l’élément "cible" et l’énergie des neutrons incidents, donnent les résultats suivants :
     · pour l’uranium 235 @ 0,8 à 1,44;10-4 atome de 3H par fission thermique ou rapide [PH 81],
@ 0,85 à 2,2.10-4 d’après [GO 86]
     · pour le plutonium 239 @ 1,34 à 1,74.10-4 atome de 3H par fission thermique ou rapide [PH 81],
@ 1,85 à 2,2.10-4 d’après [GO86]
     · pour le plutonium 241 @ 2,6.10-4 atome de 3H par fission thermique [GO 86]
     L’activité du tritium produit dans le combustible à uranium enrichi ne va donc pas varier linéairement avec le taux de combustion, car la fission du plutonium 239 (produit, par capture neutronique, à partir de l’uranium 238 présent majoritairement dans le combustible) donne environ 1,4 fois plus de tritium que celle de l’uranium 235. Les combustibles à oxyde mixte d’uranium et de plutonium (MOX) auront également, à taux de combustion égal, une charge en tritium supérieure à celle des combustibles UO2.

2 . LES QUANTITÉS DE TRITIUM PRODUITES DANS LE COMBUSTIBLE IRRADIÉ
     La littérature technique donne une grande variété de chiffres qui se présentent sous deux formes :
     · le nombre de curies par tonne de combustible (ou de TBq/t) pour un taux de combustion de 33 000 MWéj/t
     · le nombre de curies (ou de TBq) de tritium pour une énergie délivrée égale à un MWé.a.
     La première valeur peut être ramenée dans les mêmes unités que celles de la seconde expression (TBq par MWé.a).
     Les valeurs publiées dans la littérature technique et scientifique sont assez dispersées :
     · 0,6 à 0,9 TBq pour 1MWé.a [NC 78] ;
     · 0,422 à 921 TBq/MWé.a pour le tritium produit dans les réacteurs à eau légère [PH 81] ;
     · 0,74 TBq/MWé.a (20CI/MWé.a) [JE 82] et [GO 86] ;

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     · 0,245 TBq/MWé.a après 3 ans de refroidissement (déduit de: 598 curies dans une tonne de combustible pour un taux de combustion de 33 000 MWé.j/t) [CA 82] ;
     · 0,181 TBq/MWé.a après 3 ans de refroidissement (déduit de : 430 Ci/t pour un taux de combustion de 32 000 MWé.j/t). C’est cette valeur qui a été adoptée dans le livre de procédé de l’usine UP3 [CL 86] ;

3. LE DEVENIR DU TRITIUM PRODUIT PAR FISSION TERNAIRE
     Du fait de son faible rayon atomique, du gradient thermique important qui existe entre le coeur du crayon combustible et la gaine, et des fissurations des pastilles d’UO2, le tritium produit va migrer vers la gaine (environ 60%) pour des températures de 1100°C.

3.1 Répartition du tritium entre la gaine et le combustible irradié
     Une fraction importante du tritium produit dans le combustible se fixe sous forme d’hydrures dans la gaine du crayon combustible réalisé en alliage de zirconium (zircaloy). Ces composés d’insertion sont stables.
     Pour cette fraction du tritium produit fixé dans la gaine, nous disposons également de chiffres variables avec les publications :
     · 5 à 10% du tritium produit dans le combustible [PH 81];
     · 58,5% d’après une mesure expérimentale sur des crayons de combustible de réacteur à eau pressurisée (REP) décrite par M. GOUMONDI [GO 86];
     · 50% environ selon d’autres expérimentations réalisées à Saclay;
     · 62%, valeur moyenne déduite des bilans effectués lors de campagnes de retraitement, à l’usine UP2 de La Hague, en mars 1978 et mai 1980, portant sur du combustible présentant un taux de combustion de 30 et 32,7 GWé.j/t [CL 86].
     La fraction du tritium (produit par fission ternaire) qui diffuse au travers de la gaine en zircaloy varie entre 0,013% et 1% [PH 81].
Nous pouvons donc considérer qu’environ 60% du tritium produit dans le combustible est fixé dans la gaine de zircaloy tandis que les 40% restant passent en solution, sous forme d’eau[3] tritiée, pendant la phase de dissolution du combustible irradié.

suite:
3.2 Répartition du tritium entre effluents liquides et gazeux
     Les bilans expérimentaux réalisés sur des crayons combustibles REP montrent, qu’au moment du cisaillage et lors de la dissolution, une quantité très faible de tritium gaz se dégage. La quasi totalité du tritium (99,5%) est sous forme aqueuse [GO 86].
     Les résultats de campagnes de retraitement des combustibles UNGG (1973 à 1980) et REP (1978) décrites par MM. CLECH et TRAVERT [CL 86] indiquent les répartitions suivantes entre les rejets liquides et gazeux exprimés en fraction de l’activité totales du tritium présent dans les crayons combustibles :
     · 0,2 à 0,5% du tritium est rejeté avec les effluents gazeux,
     · 33,6% du tritium est rejeté à la mer.
     Ces données moyennes nous permettent d’évaluer les activités rejetées au cours des différentes années de fonctionnement des usines UP2 et UP3 dans l’hypothèse d’un retraitement du combustible irradié après trois ans de refroidissement.

4. ÉVALUATION DE L’ACTIVITÉ DU TRITIUM REJETÉ EN MER
     Le tableau 1 fournit le tonnage des combustibles "métal" et "oxyde" retraités dans les usines UP2 et UP3 (à partir de 1990).
     Ne disposant pas de toutes les caractéristiques utiles pour effectuer un calcul précis, nous ferons les hypothèses simplificatrices suivantes :
     - l’activité du tritium produit dans les combustibles "uranium métal" ou "oxyde", varie linéairement avec le taux de combustion;
     - tous les combustibles sont retraités après trois ans de refroidissement;
     - les gaines de combustible en uranium "métal" piègent une fraction du tritium produit égale à celle du zircaloy (valeur par excès);
     - la quantité rejetée par MWé.a est égale à 33,6% des 0,181 TBq par MWé.a produits dans le combustible présentant un taux de combustion de 32 000 MWé.j/t;
     - pour les taux de combustion inconnus, nous adoptons la moyenne des taux connus depuis 1990.
     Le tableau 2 compare les activités évaluées avec les mesures des activités effectuées par la COGEMA.

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Tableau 1 : CARACTÉRISTIQUES DES TONNAGES DE COMBUSTIBLES IRRADIÉS
RETRAITÉS DANS LES USINES UP2 ET UP3 DE LA HAGUE

Tableau 2 : REJETS DE TRITIUM DANS LES EFFLUENTS LIQUIDES PAR L’USINE DE LA HAGUE

La figure 1 illustre les écarts observés entre l’activité calculée et l’activité mesurée (seulement disponible en version papier...)

On observe que l’activité mesurée est presque toujours supérieure à l’activité calculée (notamment entre 1985 et 1991). Cette différence peut s’expliquer notamment par l’imprécision des paramètres utilisés pour le calcul, par un temps de "refroidissement" des combustibles inférieur à trois ans ou une surestimation de la fraction de tritium piégée dans la gaine (sans cependant exclure une imprécision dans la mesure de l’activité rejetée). Il serait utile de disposer de tous les paramètres connus par la COGEMA, afin d’affiner la comparaison et de voir si les écarts observés entre les activités calculées et mesurées persistent, et dans ce cas : pourquoi ?
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Tableau 3 : Comparaison entre l’activité calculée de krypton 85 et l’activité déclarée
comme étant rejetée à UP2 et UP3

La figure 2 illustre les rejets gazeux en 85Kr des usines UP2 et UP3 (seulement disponible en version papier...)


     Le rapport "activité déclarée/activité calculée" montre que pour 10 années sur 15 les activités sont 2 à 3 fois plus faibles qu’attendues.

CONCLUSION

     Les écarts importants observés entre les rejets calculés et ceux déclarés officiellement par l’exploitant, invitent à examiner de plus près l’évaluation de l’activité du krypton produit dans le combustible, mais aussi les modalités de la mesure du krypton 85 ainsi que l’évaluation de l’activité rejetée par les usines UP2 et UP3.
     En pratique, la mesure de l’activité volumique d’un rejet de gaz radioactifs se fait au moyen de la mesure en continu (après une double filtration pour piéger les aérosols et iodes résiduels) d’une très petite fraction du débit rejeté par la cheminée (le débit nominal de l’usine UP2 était de 700 000 m3/h).
     L’activité rejetée se calcule à partir de la variation en fonction du temps de l’activité volumique moyenne et du débit d’air évacué (lequel peut varier également).
     C’est la mesure de ce dernier paramètre qui peut induire les erreurs les plus importantes dans l’évaluation de l’activité rejetée.

Notes :

[1] La réaction (n,a) sur le bore 10 (10B) donne du lithium 7 (7Li) tandis que la réaction (n,na) sur le 7Li produit du tritium.
[2] Dans l’eau "ordinaire", le deutérium (2H) a une teneur de 0,015%.
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[3] Cette eau est produite par réaction chimique entre le combustible (UO2) et l’acide nitrique (HNO3).
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suite:
BIBLIOGRAPHIE

[CA 82] Commission CASTAING
"Rapport du groupe de travail sur la gestion des combustibles irradiés" - annexe 11 - Conseil Supérieur de la Sûreté Nucléaire, décembre 1981 - novembre 1982;
[CL 86] CLECH A. et TRAVERT J.
"Comportement du tritium dans l’usine UP2 " in "Journées tritium", SFRP, pp (71-76), 23 au 25 avril 1986, DIJON.
[GO 86] GOUMONDI J.P
"Maîtrise du tritium dans les usines de retraitement du combustible REP " in Journées tritium" SFRP, (pp 51-70); 23 au 25 avril 1986, DIJON
[JE 82] JEANMAIRE L.
" Métabolisme et toxicité du tritium " in "Toxiques nucléaires" sous la direction du Pr GALLE, pp (138-144) - MASSON, Paris (1982)
[NC 87] National Council on Radiation Protection and Measurements (NCRP)
" Exposure of the population in the United States and Canada from natural background radiation ". NCRP Report N°94 - december 1987.
[PH 81] PHILLIPS J.E., EASTERLY C.E.
"Sources of tritium" Nuclear Safety, Vol.22, N°5, pp (612-626), september-october 1981.
[WH 83] World Health Organization (WHO)
"Selected radionuclides : tritium, carbon 14, krypton 85, strontium 90, iodine, caesium 137, radon, plutonium".
WHO - Geneva (237 pages) - 1983.  


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