GAZETTE NUCLEAIRE
LE NUCLÉAIRE QU’IL AURAIT FALLU NE PAS CHOISIR

Jean Pignero
41 rue de Seine 77240 Seine-Port
juillet 1997
     Je lis dans "Le Monde" du 26 juin 1997 l’article intitulé "Le nucléaire à l’heure des choix" par Jean Paul Dufour.
     Je suis un vieux militant anti-nucléaire, ou plutôt un militant pour la protection contre les rayonnements ionisants, ce qui inclut la dénonciation du nucléaire. Cet article du Monde m’inspire une réplique que je considère comme un testament dédié à tous ceux qui le liront.
     Je note plusieurs passages :
     -"Le choix du nucléaire fait par le gouvernement en 1974, en pleine crise pétrolière, permit à la France de garder son indépendance énergétique."
     En réalité, le choix du nucléaire a été bien antérieur à 1974: il a été consacré par une décision dictatoriale de Charles De Gaulle, signant le 30 octobre 1945 un décret - non soumis à la discussion et à l’approbation des parlementaires - créant le Commissariat à l’énergie atomique ( C.E.A.), source initiale unique de tout le développement nucléaire industriel en France depuis cette date (à aucun moment il ne fut question d’une proposition soumise au referundum des peuples). De plus, la France, en 1974 n’était pas indépendante puisqu’elle importait la presque totalité de son pétrole et une partie non négligeable de son charbon. Le nucléaire ne l’a pas rendu indépendante car elle importait aussi l’uranium, trouvé en quantité insuffisante dans le sol national. Enfin, il faut bien reconnaître que la crise pétrolière a été supportée par les pays non nucléarisés sans qu’ils en périssent; comme eux, la France aurait su supporter les difficultés de cette crise, bienvenue (et bien relayée par les médias) pour lancer un important programme nucléaire industriel.
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     -"Encore faudrait-il éviter de se fourrer dans des culs de sac technologiques et porter les efforts de recherche sur des énergies nouvelles susceptibles de représenter une véritable solution alternative au nucléaire."
     L’inversion du raisonnement, involontaire ou voulue, est ici démontrée : car c’est bien la solution nucléaire qui a été présentée au public, à partir de son choix en 1945, comme la seule alternative au manque, déclaré prochain, de pétrole et de charbon dans le monde. L’alternative au nucléaire n’aurait pu être alors que le retour aux solutions anciennes, que de rouvrir des puits de mines de charbon, que de patienter jusqu’à ce que les producteurs de pétrole soient bien obligés de l’écouler - au mieux de leurs intérêts pécuniaires - et de se lancer en effet vers des énergies nouvelles et même vers des énergies anciennes pas ou peu utilisés jusqu’alors industriellement, l’énergie éolienne en particulier, dont le développement en France a été étouffé par EDF pour privilégier celui du nucléaire.
     J.P. Dufour écrit au début de son article : "Réunis récemment pour une conférence organisée par l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA), les industriels de la filière ont reconnu avec candeur que, sur ce point, leurs intérêts rejoignent tout à fait ceux.... des écologistes, qui ont évidemment d’autres idées en tête."
 
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     Notons d’abord que l’AIEA, pour internationale qu’elle soit qualifiée, n’est pas pour cela populaire, c’est à dire pas représentative des populations. Ce sont les industriels du nucléaire qui ont été conviés à cette conférence, pas les parlementaires et surtout pas des écologistes. La candeur signalée ici ne pouvait être que fourberie, cette fourberie relayée ces temps-ci par des publicités mensongères dans les journaux, vantant l’innocuité du nucléaire sous le prétexte qu’il évite l’effet de serre mais qui ignore ses effets radioactifs.
     Je cite encore : "Dans le droit fil de ce genre de raisonnement, Gérald Clark, secrétaire général de l’Uranium Institute (organisation patronale regroupant les principales grandes firmes mondiales du nucléaire) confie à l’hebdomadaire britannique, New Scientist, du 14 juin, que les normes de contrôle des émissions radioactives sont peut-être trop sévères et que leur assouplissement pourrait être un bon moyen de favoriser le nucléaire et donc -dans son esprit- de défendre l’environnement !"
     Assouplir les normes, proposées en 1985 par la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR), pas encore reconnues par le Gouvernement français en 1997 ! c’est donc pouvoir irradier plus amplement les travailleurs du nucléaire sans risquer des poursuites pour dépassement des normes, entraînant des maladies radiologiques d’origine professionnelle.
     "On pourrait donc aussi décider de fermer le centre de la Hague, comme le souhaite Greenpeace. A condition, évidemment de bien peser le coût financier et social de ces mesures : au moins 2000 emplois et plus de 20 milliards de francs pour Superphénix, sans doute beaucoup plus pour la Hague."
     Non, la seule approche juste et humanitaire, est la décision de fermeture, quel que soit le prétendu coût financier (jusqu’ici, les financiers ont su jongler discrètement avec les milliards du nucléaire sans se plaindre qu’ils en gagnaient trop), et les pertes d’emplois (combien y a-t-il sur les 2000 emplois, d’intérimaires que l’on jettera sans vergogne par dessus bord ? 
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Quant aux autres, on pourra les employer à construire et à installer des éoliennes, sans attendre qu’ils aient fini le démantèlement de ces sites contaminés.)
     De toute façon, comme pour Superphénix, la fermeture du Centre de la Hague ne signifie pas arrêt des activités. Il faudra de 20 ans à plusieurs siècles pour décontaminer et le rendre moins dangereux (probablement il sera toujours un site surveillé pour les 10000 ans à venir). Par contre il faut fermer la Hague car l’arrêt du nucléaire et du retraitement en particulier est la seule voie raisonnable. En effet le nucléaire menace l’humanité qui s’est fourvoyée dans une voie sans issue. Il s’agit d’un impératif moral pour tous les humains que nul ne peut remettre.
     L’auteur écrit ; "Mais la crise est passée, les combustibles fossiles redeviennent attractifs et le tout-nucléaire semble passé de mode."
     Une confusion existe et est entretenue au sujet du tout-nucléaire, expression qui sauvegarde un nucléaire modeste, minimal, acceptable. Ce n’est pas le tout-nucléaire qu’il faut refuser mais tout le nucléaire, par obligation de conscience, quel qu’en soit le prix financier et social.
     Ce refus suppose qu’il soit accepté et appliqué partout dans le monde. Les chefs d’états nucléaires, les industriels du nucléaire accepteront-ils tous cette dépossession de leur privilège jusqu’ici absolu ? L’alternative devient flagrante : ou refuser la facilité mortelle du nucléaire, ou l’accepter avec ses possibles Tchernobyl et en tout cas l’empoisonnement radioactif irréversible et progressif de tout l’environnement terrestre.

C’est tout le nucléaire qu’il aurait fallu ne pas choisir;

C’est tout le nucléaire que nous devons tous immédiatement refuser.

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