I. - La recevabilité de la proposition de résolution
Les conditions de recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sont fixées par l'article 6 de l'ordonnance no 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et par les articles 140 et 141 du Règlement de l'Assemblée nationale.
L'article 6 de l'ordonnance précitée exige que deux conditions
soient réunies pour permettre la création d'une commission
d'enquête:
- la proposition de résolution doit déterminer avec précision
les faits donnant lieu à enquête;
- les faits ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires;
dès qu'une information judiciaire s'ouvre sur ces mêmes faits,
la mission de la commission d'enquête doit prendre fin.
La présente proposition de résolution satisfait à ces deux condilions.
En application des dispositions de l'article 141 du règlement, le Président de l'Assemblée nationale a notifié le dépôt de la proposition de résolution de M. Jean-Pierre Brard au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, afin que celui-ci indique si des poursuites judiciaires étaient en cours sur les faits ayant motivé le dépôt. Le Garde des Sceaux n'a pas signalé de procédure judiciaire encours sur de tels faits.
11. - L'opportunité de la création d'une commission d'enquête.
La proposition de résolution de M. Jean-Pierre Brard me paraît répondre à un réel besoin. En effet, depuis trente ans, aucune expertise, aucun document ou étude épidémiologique n'ont pu être rendus publics en France sur les répercussions des essais nucléaires effectués à Moruroa à l'égard des êtres humains et de l'environnement, en dépit des quatre missions scientifiques envoyées sur le site.
Une polémique s'est récemment développée suite à des informations faisant état, du fait de fissures importantes dans l'atoll de Moruroa, des risques d'une catastrophe écologique due aux essais nucléaires, passés ou présents, menés par notre pays. Selon une grande partie de la communauté scientifique internationale, le danger existerait bel et bien, ce que dément le ministère de la Défense.
Compte tenu des divergences de vues entre spécialistes et de la très grande émotion soulevée dans le monde par ces questions, la plus grande transparence devrait être recherchée; si les tirs ne représentent véritablement aucun danger comme l'affrrme le ministère de la Défense, pourquoi les experts de l'Union européenne se sont-ils vus interdire l'accès au site de Fangataufa, alors qu'il serait au contraire essentiel que des commissions d'enquête indépendantes puissent se rendre sur les lieux?
Le Parlement ne peut se satisfaire d'une telle situation, préjudiciable aux intérêts de la France. Dans le cadre de ses attributions concernant le contrôle de la sécurité nucléaire et la protection de l'environnement, il est proposé à l'Assemblée nationale de créer une commission d'enquête qui s'attacherait à faire la clarté sur ce sujet. La mise en place de cette commission démontrerait d'ailleurs utilement que la France n'ignore ni ne méprise le point de vue des autres pays et de l'opinion internationale dans une affaire aussi sérieuse.
A. - Les essais nucléaires à Moruroa vingt-cinq ans d'expériences françaises
1. - Les essais nucléaires à Moruroa de 1968 à 1992
Celte période est marquée par deux phases successives:
a) De 1968 à 1974
Après avoir réalisé des essais aériens puis souterrains en Algérie, la France a, entre 1968 et 1974, effectué à Moruroa une quarantaine d'essais aériens, ce qui lui a été reproché par les autres grandes puissances nucléaires qui avaient mis en place un moratoire sur les essais atmosphériques.
L'argument avancé par les États-Unis, à l'époque, s'appuyait sur les conséquences des essais atmosphériques américains sur la santé de la population des îles Marshall. Parallèlement, les mauvaises conditions géologiques nécessitaient un changement de site. Au cours de la même période, la Grande-Bretagne abandonna les îles Christmas pour s'associer avec les États-Unis afin de réaliser ses essais dans le désert du Nevada.
S'appuyant sur le fait que les conditions géologiques du site de Moruroa étaient comparables à celles qui les avaient conduit à abandonner leurs sites d'expérimentation, les États-Unis et la Grande-Bretagne cherchèrent à dénoncer conjointement la persistance des essais français dans l'atmosphère.
Cette démarche sera reprise par la Commission de l'environnement, de la santé publique et de la protection des consommateurs du Parlement européen en 1988, alors qu'elle manifestait l'intention envoyer en Polynésie française une commission d'experts indépendante et internationale.
Il faut par ailleurs rappeler que, jusqu'en 1966, la France avait )ursuivi ses essais en secret dans le désert algérien du Hoggar, ne ifusant, à l'époque, aucune information quant à leur nombre et àur nature. Nous savons aujourd'hui que dix-sept essais, dont treize mterrains, ont été effectués en Algérie. Pourtant, la sécurité des res humains n'y était pas suffisamment assurée, comme l'a 'ailleurs révélé M. Pierre Messmer, Ministre de la Défense à l'époque, dans ses mémoires (1).
b) De 1975 à 1992
En 1975, la France abandonne les essais atmosphériques au profit
d'essais souterrains à Moruroa et à Fangataufa.
Au cours de cette période, les autres puissances nucléaires
reprochent à la France de ne pas respecter l'accord de 1986 établissant
une zone dénucléarisée dans le Pacifique sud, ainsi
que le traité signé à Rarotonga que toutes les puissances
nucléaires ont été invitées à ratifier.
Ces prises de position allaient au devant des voeux du Parlement Européen
qui voulait envoyer une commission d'experts à Moruroa au nom de
la santé publique.
Pendant cette période, on assiste à une certaine diversification
des lieux d'essais dans la mesure où sur une trentaine d'essais
effectués, six l'ont été à Fangataufa, au sud-est
de Moruroa.
La décision de réaliser des essais à Fangataufa
fut prise après que on eut constaté que les tirs de forte
puissance entraînaient des affaissements de la couronne corallienne
de Moruroa.
On peut noter que les essais nucléaires français ont
représenté 9,6% du total des essais effectués depuis
1945. Ces 9,6% représentent 172 essais nucléaires qui eux
mêmes ont permis la production d'environ 800 têtes nucléaires
et continuent de soutenir l'actuel stock d'environ 500 têtes nucléaires
déployées.
Dans un rapport du «Natural Ressources Défense council»
en date du 24 février 1989, il est insisté également
sur le fait que les essais nucléaires souterrains français
ont fracturé l'atoll de Moruroa, contaminé le site et les
eaux avoisinantes. Mais il n'est précisé nulle part la source
de ces informations.
2 - Le moratoire sur les essais nucléaires du 8 avril 1992
La suspension des essais nucléaires français a été
décidée pour respecter le moratoire approuvé par l'ensemble
des grandes puissances nucléaires mondiales, l'objectif final étant
la signature puis la ratification à l'orée de 1996, d'un
traité interdisant les essais nucléaires.
L'enjeu de cette suspension était double : il s'agissait non
seulement de mettre en place un système de simulation qui soit performant,
mais aussi d'assurer le respect et l'extension du moratoire par toutes
les puissances concernées.
En effet, un moratoire sur les essais nucléaires exige que toutes
les puissances nucléaires mondiales y participent. Or, dès
le 5 octobre 993, la Chine a procédé à un essai au
centre de Lop Nor, dans la région autonome de Kinjiang. D'autres
ont été réalisés depuis. Quant aux États-Unis,
la suspension totale des essais américains annoncée par le
Président Bill Clinton le 2 juillet 1993 a été prolongée.
Les Russes et les Britanniques respectent également ce moratoire.
3 - La reprise des essais nucléaires
C'est le 13 juin dernier que le Président de la République
a annoncé que la France reprenait ses essais nucléaires pour
une dernière série de sept à huit tirs. A ce jour,
cinq essais ont été réalisés; il semble que
M. Jacques Chirac ait décidé de ne plus procéder qu'à
deux essais d'ici à la fin du mois de février, ce qui portera
à sept le nombre d'esais de cette supposée dernière
campagne.
Cette décision a provoqué, en France et à l'étranger,
un mouvement de réprobation générale; elle a gravement
nuit à l'image et aux intérêts économiques de
notre pays dans le monde.
Presque toutes les nations ont protesté et la France a été
condamnée dans nombre d'instances internationales, y compris à
l'O.N.U.
Pire encore, nos propres alliés de l'Union européenne
nous ont critiqué à la quasi-unanimité; ils ont, par
ailleurs, traité avec mépris l'offre de «dissuasion
concertée» que leur faisait le Gouvernement.
La moindre des choses eut été, de la part du Président
de la République, de prendre l'avis de nos partenaires avant cette
reprise des tirs. Au contraire, la procédure suivie a marqué
un grand mépris aux autres nations de la part de la France.
Cette décision était une mauvaise décision, prise
et annoncée à la légère, et sans que des explications
réellement convaincantes n'aient été données;
il faut, en particulier, craindre que, sous couvert de simulation, il ne
s'agisse en réalité que de mettre au point de nouvelles armes
miniaturisées dont la France n'a aucunement besoin.
B. - Les répercussions des essais nucléaires français
sur les êtres humains et l'environnement en Polynésie
Les répercussions des essais nucléaires français
sur les êtres humains et l'environnement ont été étudiées
par le Gouvernement français, mais ces études n'ont jamais
été rendues publiques.
Ainsi, quatre missions scientifiques ont été envoyées
sur place: la mission Tazieff en 1982, la mission Atkinson en 1984, la
mission Cousteau en 1987 et la mission A.I.E.A. (Agence Internationale
de l'Énergie Atomique) en 1991. Bien que toutes ces missions aient
été considérées uniquement comme exploratoires
- le rapport Greenpeace de mars 1992 souligne cet aspect - elles n'ont
pu apporter la preuve scientifique d'une quelconque situation alarmante.
Cependant, les répercussions des essais nucléaires français
sur les êtres humains et l'environnement restent un sujet controversé
puisque, depuis 1988, la Commission de l'environnement, de la santé
publique et de la protection des consommateurs du Parlement européen
désire envoyer en Polynésie française une commission
d'experts indépendante et internationale sans avoir, jusqu'à
ce jour, obtenu gain de cause.
1. - Les répercussions sur les être humains
a) Les répercussions des essais nucléaires sur les
êtres humains dans le Pacifique sud en général : une
responsabilité partagée États.Unis / Grande-Bretagne
/ France
La commission internationale de protection contre les radiations ionisantes
a présenté un rapport, publié par l'O.N.U., en 1980,
estimant que 15'000 personnes pourraient à terme décéder
dans l'hémisphère sud par suite des essais nucléaires
effectués jusqu'en 1980 par les Américains, les Britanniques
et les Français.
De plus, une étude a montré que les essais atmosphériques
dans le Pacifique sud ont entraîné, entre 1970 et 1975, une
augmentation de la radioactivité dans le milieu océanique
à proximité du Pérou, du Chili et de l'Équateur.
Divers isotopes ont été isolés dans des crustacés,
le lait, l'herbe, les eaux de pluies; les isotopes les plus fréquemment
trouvés étant le césium 137 et le strontium 90, éléments
dont la période radioactive est de vingt-huit à trente ans.
b) Les répercussions des essais nucléaires sur les
êtres humains à Moruroa
En 1966, en annonçant le premier essai atmosphérique,
le Centre d'Essais du Pacifique (C.E.P.) lançait un avertissement
aux aéronefs et aux navires, leur demandant d'éviter une
zone dangereuse de 400 kilomètres autour de Moruroa; cependant,
comme sept îles peuplées se trouvaient encore dans ce périmètre,
il a été ramené à 222 kilomètres, englobant
l'île de Turéia. De même, le 24 juillet 1963, lors du
premier essai thermonucléaire à Fangataufa, la population
de Turéia a été évacuée vers Tahiti
peu avant le tir expérimental.
Ces faits laissent supposer que les essais nucléaires, et notamment
les essais atmosphériques, qui avaient eu lieu de 1966 à
1975, auraient pu avoir des effets particulièrement néfastes
sur les êtres humains de l'atoll de Moruroa et de ses alentours.
Par ailleurs, certains témoignages figurant dans le rapport
du Parlement européen sur la volonté d'envoyer en Polynésie
française une commission d'experts indépendante et internationale
font état de maladies qui recouvrent nombre de points communs :
chute des cheveux, lésions cutanées purulentes et décollement
de lambeaux de peau. Ces maladies auraient touché certaines personnes
après qu'elles aient mangé du poisson pêché
dans l'atoll de Moruroa.
Selon le Gouvernement français, ces maladies ne sont pas dues
à l'activité nucléaire française et à
la radioactivité, mais à la ciguatera, maladie provoquée
par la destruction des coraux et qui atteint l'ensemble de la chaîne
alimentaire. Cependant, la fréquence des cas d'intoxication par
la ciguatera n'a atteint un niveau vraiment préoccupant à
Moruroa qu'après le début des essais nucléaires. Il
est difficile de réunir les preuves scientifiques d'une véritable
corrélation entre l'expérimentation nucléaire et le
développement de cette maladie, mais les témoignages des
populations devraient être pris en compte avec un peu plus de sérieux
et tout au moins nous alerter sur les conséquences possibles des
expériences françaises. Enfin, de nombreux cas de leucémie
ont été relevés, à tel point que le sénateur
de la Polynésie, M. Daniel Millaud parle lui-même de «leucémie
polynésienne».
Il convient enfin de mettre en cause le contrôle
militaire de l'information qui apris, depuis la loi du 17 juillet
1986, une forme légale. En effet, cette loi prévoit que les
fonctions d'inspecteur du travail seront exercées pour les personnels
civils et militaires de tous les sites nucléaires de Polynésie
par des agents relevant exclusivement de l'autorité du ministère
de la Défense...
2. - Les répercussions sur l'environnement
a) Les effets géologiques et écologiques à
craindre des essais souterrains
En 1981, l'ensemble des essais nucléaires souterrains pratiqués
jusqu'alors avaient creusé 46 puits le long des 23 kilomètres
de corail.
Selon le rapport du Parlement européen, ces cavités sont
de l'ordre de 50 à 150 mètres de diamètre. D'après
la direction des centres d'expérimentations nucléaires, ces
mêmes cavités sont de l'ordre de 20 à 110 mètres
de diamètre.
Quoi qu'il en soit, on peut s'interroger sur l'impact de ces cavités
sur l'écosystème. D'après un rapport Greenpeace de
mars 1992 portant sur ce sujet, elles seraient la raison de l'augmentation
du nombre des essais nucléaires français à Fangataufa
au lieu de Moruroa.
Le rapport de la mission Cousteau de 1987 précise que «
la cheminée dans laquelle les éléments radioactifs
se retrouvent après l'explosion constitue un véritable boulevard
vers la surface. Quant au socle corallien (dans lequel ont été
effectués des essais avant qu'ils soient transférés
sous le lagon), il est traversé par des flux ascensionnels capables
de transporter ces éléments en surface en cinq à dix
ans.»
Par ailleurs, en 1987-1988, le biologiste Abraham Behar a montré
que les essais nucléaires effectués depuis vingt-deux ans
à Moruroa avaient sérieusement endommagé la base volcanique
du site et qu'il était devenu techniquement impossible d'effectuer
beaucoup d'autres tirs compte tenu de la nécessité d'opérer
à de plus grandes profondeurs dans la roche détériorée.
Enfin, les professeurs Rochstein et O'Sullivan, experts en mécanique
des fluides géothermiques de l'université d'Auckland, fondant
leurs estimations sur un modèle informatisé utilisant les
profils de température et les données hydrologiques de Moruroa,
ont affirmé que des atomes radioactifs, très dangereux et
à longue période radioactive, remonteront vers le lagon de
Moruroa dans un délai de dix à cent ans et non de mille ans,
comme l'avait indiqué la mission Atkinson de 1984.
Plus récemment, le journal Le Monde a porté à
la connaissance du grand public l'existence de failles dans le sous-sol
de Moruroa. Malgré les explications embarrassées du Gouvernement,
nul n'a été convaincu de l'innocuité de ces failles.
Celles-ci existent bel et bien et il semble que les militaires eux-mêmes
reconnaissent leur existence.
Ces failles prouvent que les explosions nucléaires sont une
réelle menace pour l'existence, à long terme, de l'atoll,
mais il y a plus grave. En effet, si ces failles dans le basalte s'aggravaient,
elles pourraient atteindre les cavités dans lesquelles sont confinées
les matières radioactives qui pourraient ainsi s'échapper
dans l'océan Pacifique. Le risque pour l'environnement serait alors
très préoccupant et malgré le manque de volonté
de transparence du Gouvernement, nous devons affirmer qu'il y a bien là
un risque majeur pour les générations futures vis-à-vis
desquelles nous sommes redevables.
b) La pollution radioactive directe
Un rapport rédigé par d'anciens ingénieurs et
techniciens C.F.D.T. travaillant à Murnroa, et publié par
le quotidien Libération le 6 novembre 1981, comporte des
informations quant à l'existence d'une décharge de 30'000
m2 et de 20kg de plutonium à proximité. En mars
1981, cette décharge aurait été aménagée
au nord de l'atoll pour y déposer divers déchets radioactifs
scellés dans des sacs plastique étanches et des cylindres
en acier (conformément à loi). Déjà, au début
des années 1970, près de 20kg de plutonium auraient été
déversés sur le récif dans cette même zone et
fixés par une couche de bitume.
Le danger tiendrait en particulier aux cyclones qui ont affecté
l'atoll en 1980 et 1981, la violence des vagues arrachant une grande
partie de la couche de bitume et dispersant dans l'océan du
plutonium et d'autres déchets. Si ces faits s'avéraient vérifiés,
les conséquences nuisibles des essais nucléaires français
sur l'écosystème de l'atoll seraient réelles.
Enfin, M. Bruno Barrillot, chercheur et directeur du Centre de documentation
et de recherches sur la paix et les conflits, indique dans un article paru
dans la revue Alternatives non violentes de 1992 que l'atoll de
Fangataufa est si contaminé qu'il est interdit de mettre les pieds
sur sa couronne corallienne. Ainsi, les puits de tirs creusés sous
le lagon à partir de la plate-forme «Super-Tila» seraient
effectués par des personnels qui viennent directement de Moruroa
en hélicoptère sans mettre pied à terre sur l'atoll.
CONCLUSION
Au terme de cette rapide présentation, on ne peut que constater
l'absolue nécessité de la création d'une commission
d'enquête parlementaire sur les éventuels risques pour l'environnement
des essais nucléaires.
En juin 1993, l'Australie réclamait 75 millions de dollars de
dommages et intérêts à la Grande-Bretagne pour nettoyer
Maralinga, site nucléaire anglais vieux de trente ans, ainsi que
45 millions de dollars pour avoir privé une tribu aborigène
de son territoire contaminé au plutonium. En décembre 1993,
on apprenait que les États-Unis avaient procédé à
des expériences sur des sujets humains dans les années 1950,
concernant les effets des radiations nucléaires: adolescents handicapés
mentaux, prisonniers ou malades incurables ont été leurs
cobayes. Il en va de même des récentes révélations
faites à propos de l'ex-U.R.S.S. Tout cela ne fait que rendre plus
forte l'exigence de transparence
Or, la France s'inscrit dans une démarche contraire à
celle des autres grandes puissances nucléaires puisque, malgré
les engagements internationaux auxquels elle a souscrit, elle refuse obstinément
de se soumettre aux exigences de la transparence.
L'attitude américaine en ce domaine peut constituer, une fois
n'est pas coutume, un exemple pour la France dans la mesure où sont
enfin publiées des informations tangibles quant aux répercussions
des essais nucléaires sur les êtres humains ou les écosystèmes.
La part nécessaire de responsabilité de chacune des puissances
nucléaires doit permettre à notre pays d'aller au-delà
de sa pesante tradition de secret adrninistratif. C'est pourquoi, même
dans le domaine de la défense, la France ne peut se soustraire aux
efforts déjà réalisés par les administrations
civiles dans le domaine de la transparence et de l'accès aux documents
administratifs, et sur ce plan, le Commissariat à l'Énergie
Atomique a un rôle déterminant à jouer.
Cette transparence est d'autant plus nécessaire si nous voulons
que le traité en cours de négociation sur l'interdiction
des essais nuclléaires soit élaboré dans de bonnes
conditions et ratifié par toutes les parties.
En créant une commission d'enquête, il ne s'agit pas,
quelle que soit l'opinion des uns et des autres sur ce sujet, d'engager
une polémique sur la politique de la France en matière d'expérimentations
nucléaires. Même si nous nous opposons vigoureusement à
la décision du Président de la République, c'est un
autre sujet. Il s'agit simplement de rendre l'information plus accessible,
par la transparence, aux responsables politiques et aux citoyens, et de
répondre enfin aux doutes qui subsistent dans l'opinion publique
sur l'effet de ces essais.
Telles sont les raisons qui conduisent votre Rapporteur à vous
proposer d'adopter la présente proposition de résolution.
EXAMEN EN COMMISSION
Lors d'une réunion le 23 janvier 1996, la Commission a examiné
la proposition de résolution (no 2316) de M. Jean-Pierre
Brard tendant à la création d'une commission d'enquête
sur les éventuels risques pour l'environnement des essais nucléaires
en Polynésie française, sur le rapport de M. Michel Grandpierre.
Le Président Jacques Boyon a tout d'abord rappelé les
conditions réglementaires dans lesquelles la Commission de la Défense
était saisie de cette proposition de résolution en indiquant
que celle-ci s'était prononcée en avril 1994 sur une proposition
de résolution proche.
M. Michel Grandpierre a regretté qu'aucun document n'ait été
jusqu'`à présent rendu public sur les conséquences
des essais nucléaires réalisés à Moruroa sur
l'environnement, en dépit des quatre missions scientifiques envoyées
sur le site. Une polémique s'est récemment développée
à la suite des révélations du journal Le Monde
concernant des fissures dans le sol de l'atoll. Les risques de catastrophe
écologique existent comme l'ont reconnu un certain nombre de scientifiques.
En tout état de cause, la transparence est plus que jamais nécessaire
et le Parlement ne peut se satisfaire de la situation d'opacité
actuelle. C'est dans le but de parvenir à cette transparence qu'est
proposée la création de cette commission d'enquête.
Un rapport publié par l'O.N.U. en l980 estrmait, enparticulier,
que 15'000 personnes pourraient, à terme, décéder
par suite des essais effectués par les Américains, les Britanniques
et les Français.
Les répercussions des essais nucléaires sur les êtres
humains à Moruroa pourraient être très graves. A l'époque
des essais atmosphériques, des populations entières étaient
déplacées vers Tahiti immédiatement avant les tirs,
ce qui montre leur caractère dangereux. Certains témoignages
font état de maladies qui recouvrent de nombreux symptômes
communs (chute des cheveux, lésions cutanées purulentes,
décollement de lambeaux de peau) touchant des personnes ayant mangé
du poisson péché à Moruroa.
Les effets géologiques des explosions peuvent être redoutables
dans l'avenir. En particulier, nul ne sait comment évolueront les
cavités provoquées dans le socle basaltique de l'atoll par
les explosions. Des cas de pollution radioactive directe ont été
relevés comme l'a indiqué le journal Libération
qui faisait état d'une décharge radioactive aménagée
au nord de l'atoll et qui pourrait gravement polluer le site en cas de
cyclone.
L'ensemble de ces éléments ne peut qu'engager l'Assemblée
nationale à créer une commission d'enquête sur les
éventuels risques pour l'environnement des essais nucléaires.
La transparence est aujourd'hui nécessaire si nous voulons que le
futur traité sur l'interdiction des essais soit ratifié par
l'ensemble des parties. Il ne s'agit pas là d'engager une polémique
sur la reprise des essais nucléaires mais simplement informer les
responsables politiques et les citoyens.
Un débat a suivi l'exposé de M. Michel Grandpierre.
M. Jean-Pierre Brard a souhaité qu'une commission d'enquête
puisse réaliser une travail objectif et rigoureux pour que l'Assemblée
nationale dispose de tous les éléments de jugement. Il a
souligné qu'un article paru aujourd'hui même dans le journal
Le
Monde faisait état de fuites radioactives à Moruroa.
M. Daniel Colin, après avoir jugé recevable la
proposition de résolution, a rappelé qu'une délégation
de la Commission de la Défense s'était récemment rendue
à Moruroa et à Fangataufa. Cette mission a effectué
sérieusement son travail d'enquête et n'a rien relevé
d'anormal sur l'un ou l'autre des atolls où la faune et la flore
se développent parfaitement normalement. La France est le pays qui
a le plus fait pour la transparence en matière d'essais nucléaires.
La prétendue augmentation du nombre des cancers de la thyroïde
en Polynésie n'est fondée sur aucune statistique médicale
sérieuse. De nombreuses missions scientifiques comprenant notamment
des experts néo-zélandais et australiens ont été
organisées et aucune n'a relevé de risque spécifique.
Certaines critiques s'apparentent à des fantasmes; il faut aujourd'hui
cesser de confondre la barrière de corail qui présente, comme
c'est normal, des fissures et le socle basaltique dans lequel sont piégées
les matières radioactives qui, même en cas de tremblement
de terre improbable dans cette zone, ne pourraient s'échapper.
M. Charles Cova a souligné qu'il avait pu constater l'excellence
de la situation écologique tant à Moruroa qu'à Fangataufa.
Il a par ailleurs rappelé que les essais français avaient
lieu à 1'200km de Tahiti alors que le champ de tirs de Névada
n'est situé qu'à 150 km de Las Vegas.
M. Paul Merceria s'étonnant qu'une mission de la Commission
de la Défense ait été envoyée à Moruroa
sans que le groupe communiste n'en ait été informé,
a souhaité savoir pourquoi la pluralité n'avait pas été
respectée.
Le Président Jacques Boyon a indiqué que la composition
de cette mission avait été fixée dans les conditions
prévues par le bureau de l'Assemblée nationale, c'est-à-dire
à la proportionnelle des groupes.
M. Jean-Pierre Brard, regrettant les réactions idéologiques
de MM. Charles Cova et Daniel Colin, a rappelé que des expériences
sur les êtres humains avaient été organisées
lors de certains tirs nucléaires aux États-Unis.
M. Daniel Colin a indiqué que l'on mesurait plus de radioactivité
dans certaines régions de métropole qu'à Moruroa et
qu'il constatait beaucoup de mauvaise foi dans les arguments du groupe
communiste.
M. Gaston Flosse a considéré qu'il était
absolument faux de prétendre que les essais nucléaires étaient
dangereux pour la santé. Il a rappelé les différentes
missions comprenant des scientifiques de différentes nationalités
qui avaient été envoyés à Moruroa: chacune
de ces missions a rendu un rapport qui conclut à l'innocuité
des essais pour l'environnement. Il a, par ailleurs, indiqué que
le Président de la République souhaitait qu'une nouvelle
mission soit organisée après la dernière de nos expérimentations.
Il a fait part de son expérience personnelle qui l'avait conduit
à assister à des tirs aériens il y a plusieurs années
et souligné que ces tirs n'avaient eu aucune conséquence
sur la santé de ceux qui y avait assisté. Il a regretté
le déchaînement médiatique qui avait accompagné
la reprise des essais, ce qui avait permis aux indépendantistes
de proférer des déclarations irresponsables. Les Australiens
se sont opposés à la France pour des raisons purement politiques
car ils souhaitent faire du Pacifique sud une zone de laquelle notre pays
serait exclu.
M. Gaston Rosse a ensuite rappelé qu'il était
père de famille nombreuse et qu'en tant que Président du
Gouvernement du Territoire de la Polynésie française il avait
la responsabilité de la santé de 200'000 Polynésiens
: nul ne pouvait croire qu'il pourrait laisser cette population en danger.
La Commission a ensuite repoussé la proposition
de résolution (no 2316) de M. Jean-Pierre Brard tendant
à la création d'une commission d'enquête sur les éventuels
risques pour l'environnement des essais nucléaires en Polynésie
française.
Notes:
1. Pierre Messmer «Après tant de batailles -
Mémoires» Albin Michel.