Le directeur de la sûreté des installations nucléaires a décidé de reclasser au niveau 2 de l'échelle internationale des événements nucléaires (INÈS) un incident générique, ayant conduit à une fuite sur le circuit primaire de Dampierre 1 le 21 décembre 1996.
Localisées sur le circuit primaire, les fissures proviennent d'un phénomène de fatigue thermique - déjà rencontré en France (Dampierre 2) et à l'étranger (Farley aux États-Unis, Tihange en Belgique...) - provoqué par le manque d'étanchéité de vannes situées en amont de la tuyauterie. C'est la première fois qu'une telle fissure est observée, non sur les coudes ou les soudures, mais sur la partie courante de la tuyauterie.
Des études communiquées par l'exploitant à l'Autorité de Sûreté le 16 avril 1997 ont conclu à la possibilité que de telles fissures traversent la tuyauterie en moins d'un cycle, c'est-à-dire avant que les contrôles aient permis de détecter les fissures et que les tuyauteries potentiellement affectées par ce défaut soient remplacées.
Depuis la découverte de l'incident, l'exploitant a réalisé des contrôles complémentaires sur le parc des réacteurs de 900 MWé - les seuls concernés en raison de la configuration des circuits d'injection de sécurité. Les contrôles, réalisés à ce jour sur 12 réacteurs, ont mis en évidence des fissures sur le réacteur 3 de Dampierre et le réacteur 2 de Fesseaheim. Tous les tronçons concernés par ce défaut ont été remplacés ou sont en cours de remplacement. Les contrôles se poursuivent sur le reste du parc (22 réacteurs).
EDF et l'Autorité de sûreté se sont accordées sur la mise en oeuvre d'un programme de traitement à court terme de l'anomalie, incluant notamment un contrôle annuel des tuyauteries potentiellement concernées. Par ailleurs, l'Autorité de Sûreté a demandé à l'exploitant de proposer un traitement à moyen terme de l'anomalie qui nécessitera vraisemblablement une modification des circuits concernés.
Communiqué MAGNUC
Le 21 décembre 1996, l'exploitant du réacteur 1 de Dampierre a localisé une fuite d'eau primaire non isolable sur une tuyauterie auxiliaire du circuit primaire située à l'arrivée du circuit d'injection de sécurité.
Le réacteur a été arrêté avant que cette fuite n'atteigne les seuils de sûreté et le tronçon concerné a été remplacé, l'opération a duré au total un mois.
Les expertises du tronçon déposé ont montré que la fuite était due à une fissure ayant traversé la tuyauterie dans sa partie courante et non pas, comme on aurait pu s'y attendre, compte tenu du retour d'expérience, à un coude ou une soudure.
L'hypothèse la plus probable est que cette fissuration a été engendrée par des fluctuations de température causées par des arrivées d'eau froide en provenance de vannes situées en amont de la tuyauterie concernée et qui présenteraient des manques d'étanchéité. De tels incidents s'étaient déjà produits, mais jamais sur une partie courante de tuyauterie, sur les réacteurs de Farley 2 aux États-Unis et Genkaï au Japon en 1987, sur le réacteur de Tihange 1 en Belgique en 1988 et sur le réacteur 2 de Dampierre en 1992. Ce dernier incident avait conduit EDF à contrôler sur l'ensemble des réacteurs des réacteurs 900 MWé l'étanchéité des vannes et l'état des tuyauteries au niveau des coudes et soudures.
Le 27 janvier 1997, l'exploitant a donc décidé la réalisation de contrôles étendus aux parties courantes des tuyauteries lors des arrêts programmés des réacteurs ayant présenté des manques d'étanchéité depuis 1993 (Dampierre 3, Cruas 3, Saint-Laurent B1, Tricastin 1 et 4, Bugey 3 et Gravelines 4).
Les contrôles étendus réalisés sur Cruas 3, Saint-Laurent B1, Tricastin 1 et 4, Bugey 3, Gravelines 4 n'ont pas mis en évidence d'indication de défaut. En revanche les contrôles réalisés sur le réacteur 3 de Dampierre, du 10 au 22 mars ont mis en évidence des défauts dans deux tuyauteries qui en conséquence ont été remplacées. Les tronçons déposés feront l'objet d'expertises.
Devant cette situation l'exploitant a annoncé le 21 mars la réalisation de contrôles anticipés sur les réacteurs 1 de Fessenheim, 4 de Dampierre et 5 de Gravelines qui devaient normalement s'arrêter au deuxième semestre 1997 et ont présenté dans le passé des manques d'étanchéité importants de vannes ou de non-respect de programme de contrôle. Compte tenu des incertitudes sur l'évolution du phénomène, l'Autorité de Sûreté a demandé le 25 mars d'inclure dans cette liste le réacteur 2 de Chinon B puis de contrôler systématiquement lors de chaque arrêt normal tous les réacteurs de 900 MWé en l'attente d'explications complémentaires.
Les contrôles anticipés réalisés à Gravelines 5 et Fessenheim 1 et les contrôles en arrêt normal effectués à Chinon B 1 et Dampierre 2 n'ont pas mis en évidence d'indication de défaut. En revanche, les contrôles réalisés sur le réacteur 2 de Fessenheim le 18/04/97 ont mis en évidence des défauts dans deux tuyauteries qui en conséquence sont en cours de remplacement. Les résultats sur le réacteur 4 de Bugey sont actuellement en cours d'examen. Le remplacement d'un tronçon est en cours.
Les contrôles sur Dampierre 4 et Chinon B2 restent à effectuer.
EDF a transmis le 16 avril une étude concernant l'évolution de ce type de défaut. Il ressort de cette étude que, sur l'une des tuyauteries concernées, des petits défauts non décelables lors de contrôles sont susceptibles de traverser la tuyauterie en moins d'un cycle en cas de manque d'étanchéité même faible de la vanne située en amont.
L'examen détaillé de cette étude a conduit l'Autorité de Sûreté à reclasser au niveau 2 de l'échelle INÈS cet incident générique, qui était classé provisoirement au niveau 1.
EDF s'est engagée à définir sa stratégie de traitement définitif de ce problème pour le mois de juin 1997.
Complément du 24 juin
Sur 34 réacteurs, 21 ont été contrôlés, 6 (Dampierre 1,3 et 4, Fessenheim 2, Chinon B3, Bugey 4) présentent des défauts. Pour 3 réacteurs (Dampierre 3, Fessenheim2 et Bugey 4) il s'agit vraisemblablement d'un défaut de fabrication. Ce qui repose la qualité des contrôles. S'il s'agit seulement de mettre des feuilles dans un classeur, c'est un peu léger... Actuellement il y a reprise des fiches et les tronçons défectueuz ou potentiellement défectueux sont remplacés. Reste l'interrogation, cette réparation va-t-elle fragiliser ? De toute façon il faudra faire une surveillance de plus.
Un incendie et une explosion se sont produits le mardi 11 mars 1997 dans l'atelier de conditionnement par bitumage de déchets de faible activité provenant de l'usine de retraitement de combustibles nucléaires de Tokai-Mura au Japon. Cette usine est exploitée par la compagnie PNC (Power Reactor and Nuclear fuel development Corporation), qui est en quelque sorte l'équivalent japonais du C.E.A., spécialisée dans l'ensemble des activités du cycle du combustible et les réacteurs à neutrons rapides. Elle a été mise en service en 1977 et comporte plus d'une dizaine d'ateliers. Dans l'atelier concerné, les concentrats résultant de l'évaporation d'effluents liquides de faible activité sont conditionnés par enrobage dans du bitume.
Un fût encours de refroidissement dans la cellule de coulée de bitume a pris feu à 10h 06. Une fois l'incendie détecté, l'exploitant a déclenché le système d'extinction manuel (arrosage à l'eau) et a jugé l'incendie maîtrisé une minute plus tard. Ce n'était pas le cas.
Les ventilateurs d'extraction d'air de la cellule, se sont rapidement arrêtés, probablement à la suite du colmatage des filtres par les suies dégagées par l'incendie. L'exploitant a dû, par la suite, arrêter manuellement le soufflage. L'extraction de l'air de la cellule, qui nécessitait un changement de filtres, n'a pas pu être rétablie malgré des tentatives répétées de l'exploitant. La cellule n'était donc plus ventilée.
Une dizaine d'heures après l'incendie, à 20 h 04, et alors que des opérateurs s'apprêtaient à pénétrer dans l'installation pour tenter de nouveau de changer les filtres, une violente explosion s'est produite dans le même bâtiment. Cette explosion a provoqué d'importants dégâts dans la cellule, des bris de vitres aux quatre niveaux du bâtiment et l'ouverture des portes donnant sur l'extérieur.
Cette explosion a entraîné des rejets de fumée contenant des matières radioactives (césium, rnthénium et iode). Le rejet d'iode 129 mesuré à la cheminée est estimé à environ 40 % de l'autorisation annuelle de rejet pour l'usine; cette valeur sous-estime sans doute le rejet réel du fait des ouvertures de l'installation résultant de l'accident.
Les conséquences radiologiques sur l'environnement et sur le personnel ont été limitées. Sur 112 personnes évacuées et contrôlées, 37 ont été légèrement contaminées. L'exploitant a mis en place une zone d'exclusion de 10'000 m2. Cet accident a été classé au niveau 3 de l'échelle INÈS qui comprend 7 niveaux.
Les causes de cet accident sont encore en cours d'analyse. Néanmoins, certaines hypothèses peuvent être avancées.
Ainsi, pour l'incendie, il convient de noter que le procédé utilisé implique une température de coulée de bitume élevée (environ 200oC). Le refroidissement des fûts contenant les déchets bituminés était peut-être insuffisant pour empêcher une réaction exothermique entre la charge saline des concentrats et le bitume, et donc un phénomène de pyrolyse entraînant l'émission de gaz inflammables. Il semble par ailleurs que les opérateurs de l'atelier avaient modifié les paramètres de production afin d'accroître la quantité d'effluent par fût de bitume.
En ce qui concerne l'explosion, l'arrosage des fûts a certainement été trop bref (1 minute) pour permettre leur refroidissement et l'arrêt des réactions exothermiques. Les gaz inflammables ont pu s'accumuler pendant 10 heures dans la cellule non ventilée et atteindre leur domaine d'inflammation.
Ces hypothèses ne pourront être confirmées qu'après une analyse plus détaillée des compléments qui seront transmis par les autorités japonaises.
Un certain nombre de leçons peuvent d'ores et déjà être tirées en France, d'autant que ce risque d'accident n'est pas spécifique aux installations de retraitement de combustibles irradiés. Le procédé de bitumage est parfois employé dans d'autres types d'installations ayant à traiter des effluent radioactifs (centre de recherche, laboratoire, usines).
Plusieurs accidents de ce type se sont déjà produits, tant en France qu'à l'étranger, sans toutefois entraîner de conséquences radiologiques graves pour l'homme ou l'environnement. Ainsi, en France, on recense 3 accidents survenus dans la zone de gestion des effluents liquides (INB 35) du centre d'Études du C.E.A. à Saclay (91). Le plus récent a eu lieu le 21 octobre 1992 : une inflammation de bitume s'est produite dans l'appareil d'enrobage, sans entraîner de rejets radioactifs dans l'environnement.
L'utilisation du bitumage est en régression dans les installations françaises. En effet, outre le risque d'inflammation lors des opérations d'enrobage que le bitume présente, des anomalies ont pu être constatées dans le comportement à moyen terme des fûts créés (entre autres, dans les casemates d'entreposage des installations secrètes de Marcoule). Le C.E.A. avait déjà indiqué à la DSIN en janvier 1997 qu'il remplacerait à Saclay d'ici 5 ans ce procédé par celui de la cimentation. De même, COGEMA a mis en place à la Hague une nouvelle gestion des effluents qui lui a permis de diminuer considérablement le nombre de fûts de bitume créés. La question reste toutefois ouverte de l'utilisation de ce procédé pour conditionner des boues anciennes entreposées sur place. En tout état de cause, même si ce procédé est appelé à court terme à être remplacé, la vigilance reste de rigueur vis-à-vis des installations actuellement en service qui continuent à l'utiliser.
La DSIN, après l'accident de Tokai-Mura, a demandé aux exploitants français qui utilisent un procédé de bitumage de même nature (C.E.A. et COGEMA) d'analyser les enseignements et les éventuelles améliorations que leur suggère cet événement en ce qui concerne leurs propres installations. Par ailleurs, des inspections ont été programmées par la DSIN.
Lors de l'inspection du 7 avril à l'installation de traitement des effluents liquide du Centre de Saclay du C.E.A., les inspecteurs ont constaté un nombre important d'écarts concernant le risque incendie. En outre, aucune réflexion n'avait été engagée à partir de l'événement de Tokai-Mura. Bien que les procédés, la conception des installations et les risques soient différents, la DSIN a considéré que cette situation n'était pas acceptable et a suspendu l'autorisation d'exploitation de cette unité d'enrobage bitume le 10 avril1997.
En vue d'obtenir l'autorisation de redémarrage, le C.E.A. a transmis à l'Autorité de sûreté un nouveau dossier qui est actuellement en cours d'examen.
Du point de vue de la communication, la très forte couverture médiatique donnée à cet accident au Japon est en grande partie due à la mauvaise qualité de l'information donnée au public par l'exploitant et les pouvoirs publics : cette information a été lente, souvent approximative et largement contradictoire.
PNC n'a pas retenu sur ce sujet la leçon de l'accident de MONJU. Il semble même que PNC serait responsable d'une fausse déclaration concernant l'extinction de l'incendie. Une enquête est en cours sur cette déclaration. Il faut par ailleurs être conscient que la volonté de coordination et de recherche de consensus du système bureaucratique japonais tend à être un frein à une bonne gestion de l'information en situation de crise.
Cette affaire est porteuse de leçons. Il serait illusoire de croire que la France serait exempte de risques de retard et de confusion dans l'information donnée au public en cas de crise nucléaire. Les exercices de crise que la DSIN organise en France ont déjà fait apparaitre l'importance considérable que prendraient les problèmes de communications. C'est pourquoi la DSIN a souhaité qu'une pression médiatique soit systématiquement simulée dans ces exercices afin de rendre plus réalistes les conditions auxquelles sont soumises les différentes équipes de crise. Cet effort doit être maintenu et prendre en compte le cas d'accidents à cinétique rapide.
En conclusion, l'accident survenu le 11 mars 1997 dans les installations de Tokai-Mura apparaît porteur d'enseignements importants pour la France.
D'un point de vue technique, il doit amener à maintenir la vigilance vis-à-vis d'installations utilisant le procédé de bitumage et à renforcer les efforts actuellement menés pour la mise en oeuvre de procédés alternatifs.
Du point de vue de la communication, il met en évidence la nécessité d'anticiper la coordination des différents acteurs impliqués en situation de crise nucléaire pour éviter des retards préjudiciables et obtenir une bonne gestion de l'information.
Une curiosité à ne pas manquer si vous visitez une centrale nucléaire
Dans le livre d'un sociologue fort sérieux, Denis Duclos, «La
peur et le savoir» (Éd. de la Découverte 1989)
nous avons relevé le passage suivant:
«L'apparition multiforme de comportements proprement aberrants
au sein des collectifs ayant à contrôler des risques très
élevés (danse initiatique des opérateurs sur les
pupitres des salles de commandes de centrales nucléaires, [souligné
par nous], "bizutages" cruels de jeunes laborantins, overdoses de communications-radio
chez les pilotes de chasse, destruction massive des combinés téléphoniques
dans les usines dangereuses, auto-infection de chercheurs en bactériologie
etc.) indique, à l'évidence cette fois, que les raisons des
acteurs de la technologie ne sont pas celles qui relèveraient d'une
plate objectivité».
Ainsi, lorsque vous visitez une centrale nucléaire, exigez une présentation de ce show assez étonnant d'opérateurs dansant sur leur pupitre de commande!
Denis Duclos analyse ces comportement apparemment «aberrants»:
«Mais avant d'invoquer la déraison, il faudra cependant
bien saisir quelles logiques symboliques (éthiques) sont à
l'oeuvre pour entraîner ces comportements. Car on peut y voir les
signes d'une souffrance liée à 1' enfermement dans la pure
opérationnalité, et par lesquels on cherche à témoigner
d'une dimension plus humaine de la techno-science».
Le propos ne manque pas de pertinence mais nous laissons à ce sociologue la responsabilité concernant la véracité de ses informations.
EDF interdit l'alcool dans les centrales nucléaires à la suite de l'incident de Paluel
C'est le titre d'un article de Ann Mac Lachlan, dans le journal de la profession nucléaire, Nucleonics Week du 4 février 1993.
L'article commence par cette information qui n'a guère eu de
place dans les médias français:
«Electricité de France (EDF) a interdit l'alcool dans
les cafétérias de "certaines" de ses centrales nucléaires
et a prohibé les boissons alcoolisées dans les "pots" du
personnel sur les postes de travail des réacteurs, c'est ce qu'a
déclaré la semaine dernière le chien de garde en chef
["watchdog"
est le terme utilisé par la journaliste] de la sûreté
nucléaire des centrales nucléaires».
«Pierre Tanguy, Inspecteur général pour la sûreté
nucléaire à EDF, a indiqué que ces mesures ont été
prises à la suite de l'incident, survenu l'automne dernier, au cours
duquel un technicien mécontent déclencha de la salle de contrôle,
l'arrêt, en 30 minutes, des 3 unités en opération à
la centrale de Paluel (Nucleonics Week, 22 octobre 1992). Tanguy ajoute
que le technicien expliqua son comportement par le fait qu'il y avait eu
un pot ce jour-là et qu'il ne savait plus ce qu'il faisait».
La journaliste fait quelques commentaires:
«Jusqu'à présent il n'était pas insolite
de voir des bouteilles de champagne et des verres dans les salles de contrôle
des réacteurs, en attente d'une occasion spéciale comme la
fin d'un programme ou la promotion d'un membre du personnel».
«En général l'environnement du travail est plus
relaxe que dans les centrales américaines ; il était permis
de fumer dans les salles de contrôle jusqu'il y a peu de temps et
il y a quelques années des journalistes en visite à Chinon
entendirent de la musique populaire dans une salle de contrôle au
moment où, aux USA, la NRC [les Autorités de sûreté
américaines] bataillait contre l'usage des postes de radio dans
les salles de contrôle».
Ann Mac Lachian mentionnait que d'après un responsable EDF on est mieux protégé contre l'usage des drogues en France parce que l'utilisation de drogues est moins répandue qu'aux États-Unis mais que néanmoins son usage augmente. [Depuis la parution de cet article il a été trouvé des seringues dans la centrale de Belleville-sur-Loire).
Signalons que Ann Mac Lachian est membre du Conseil Supérieur de la Sûreté et de l'information Nucléaire et que Nucleonics Week rapporte beaucoup plus de renseignements sur le nucléaire français que nos journaux (et pourtant il y a 5 journalistes français).
Une curieuse conception de la toxicité
Le 30 décembre 1993 le journal Libération avait un encart publicitaire pour une marque de vodka sous la forme d'une pochette transparente contenant un liquide et des morceaux de plastique en suspension. Il s'agissait d'un mélange de «monopropylène-glycol et de micro-particules de PVC». Libération du lendemain présentait ses excuses et précisait: «ce liquide n' est pas toxique, mais il ne peut être considéré comme totalement inoffensif» puis ajoutait à propos de l'encart qu'il fallait «veiller à ne pas le laisser à la portée des enfants, de ne pas le percer et de ne pas goûter ni ingérer le liquide qu'il contient».
Ainsi, un produit peut être non toxique et dangereux. C'est dans la lignée du fameux «responsable mais pas coupable».
Comment le gouvernement français envisageait la gestion des déchets nucléaires en 1979
Patrick Lagadec dans son livre «Le risque technologique majeur»
Collection Futuribles, Pergamon Press, 1981, page 439) rapporte, sous le
titre «Three Mile Island vu de France» [1979]:
«Le Premier Ministre (Monsieur Raymond Barre) aura la tâche
difficile de faire entendre aux Français qu'ils ne doivent pas se
laisser aller à des états d'âme : c'était au
Club de la Presse, quelques jours après l'accident.
Flora Lewis: il se pose en Allemagne un problème qui
est au fond plus grave et beaucoup plus difficile à résoudre
que celui de la technique des centrales, c' est celui des déchets.
On n'en a jamais parlé en France. Qu'allez-vous faire de vos déchets?
Où allez-vous les mettre? En effet, plus on produit de l'électricité
atomique, et plus il y a de déchets.
M. Barre - Eh bien, Madame, jusqu' ici nous avons résolu
le problème des déchets sans que cela provoque de drames,
et nous continiuerons à le faire.
Flora Lewis - Où les mettez-vous?
M. Barre - On les met en divers endroits.»
Que serait-il advenu si on avait mis ces déchets nulle part?
Comment un ministre de l'industrie voyait les déchets nucléaires
C'était le 25 juin 1991 à l'Assemblée Nationale
pendant la discussion du projet de loi sur «l'élimination
des déchets radioactifs».
M. Dominique Strauss-Kahn, alors ministre délégué
à l'industrie et au commerce extérieur, déclare au
cours de la discussion du projet de loi:
«Le volume n'est pas considérable. Je me suis permis
de vous amener, dans une petite boite tout à fait étanche
(M. le ministre présente à l'Assemblée un petit objet
cylindrique qui tient dans le creux d'une seule main), quelque chose qui
représente, en vitrifié, l'équivalent des déchets
correspondant à la quantité d'uranium...
M. Jean-Claude Lefort: C'est dangereux!
M. le ministre délégué à l'industrie
et au commerce extérieu:... nécessaire pour fournir une
famille moyenne française en électricité, de 1956
à 2000 (...)».
Monsieur Strauss-Kann avec sa petite boîte a bien appris la leçon
de Pierre Pellerin, alors Directeur du Service Central de Protection contre
les Rayonnements Ionisants. Celui-ci déclarait quelque temps après
l'accident de Three Mile Island à propos de «La querelle nucléaire
vue par la Santé publique»:
«L'un des arguments les plus fréquemment avancés
contre l'énergie nucléaire est celui de ses déchets
radioactifs qui «engageraient notre responsabilité morale
vis-à-vis des générations jutures. Voici la réalité,
si toute I' énergie produite en l'an 2000 était d'origine
nucléaire, le retraitement des combustibles nucléaires ne
produirait pas un volume de déchets de haute activité supérieur,
par habitant et par an, à celui d'un cachet d'aspirine. En dix ans,
plus de 99% de leur radioactivité disparaît du fait de la
décroissance».
Qui pourrait s'effrayer de ce centième de cachet d'aspirine?
P. Pellerin concluait: «L'opposition à l'énergie nucléaire ne peut être le fait que d'ignorants et d'imposteurs».
Nos réacteurs, les séismes et P. Pellerin
Vous avez lu dans la dernière Gazette que les protections antisismîques de 24 réacteurs 900 MWé n'étaient pas conformes aux normes de sûreté par desserrage des barres de précontrainte des butées latérales de puits de cuve.
On a oublié comment M. Pellerin, le dompteur de nuages radioactifs,
vantait nos réacteurs en 1989 quand il prêchait en Biélorussie
et en Ukaine la soumission aux impératifs de Moscou concernant la
dose-vie pour que ne soient pas évacués les habitants des
zones contaminées. Au journaliste du journal «Kiev-Soir»
(du 19 juin 1989) qui disait: «Mais nous ne sommes pas protégés
contre les catastrophes naturelles. En effet, la centrale atomique d'Arménie
a été construite dans une zone sismiquement dangereuse et
c'est la raison pour laquelle il a été décidé
de la démonter» il répondait:
«Chez nous aussi, il y a des centrales nucléaires dans
des régions sismiquement instables, mais elles sont construites
sur des patins en caoutchouc et ne craignent pas les chocs même extraordinaires.
Et aux personnes qui craignent les séismes, nous conseillon: dès
que les secousses commencent, courez vers la centrale atomique !».
[A relire absolument, l'interview complète parue dans la Gazette
no 100, page 24 à 28]
Comment l'ordre des médecins présentait l'énergie nucléaire en 1978
Un article du Dr Paut, «Les maladies de civilisation, le nucléaire»
dans le Bulletin de l'Ordre des Médecins d'octobre 1978, analysait
d'une façon rassurante les risques nucléaires. Curieusement
le mot «cancer» n'apparaît nulle part lorsqu'il aborde
les problèmes sanitaires du rayonnement. Sa conclusion:
«Il nous semble indispensable que la population soit correctement
et régulièrement informée. Il est légitime
qu'elle exige des précautions et des contrôles. JI est cependant
rassurant de penser que l'utilisation industrielle de l'énergie
nucléaire ne présente ni pour le présent ni pour l'avenir
à plus ou moins long terme, de risques inacceptables. Le fardeau
génétique transmis à nos descendants peut être
léger».
C'était en octobre 1978, quelques mois plus tard c'était le «mishap» (la catastrophe ratée) de Three Mile Island, puis ce risque non «inacceptable» produisait Tchemobyl et maintenant tous les pays nucléarisés élaborent des plans de gestion accidentelle et post-accidentelle. Quant aux déchets nucléaires il serait absurde de les déclarer «inacceptables» car ils sont là et il faudra bien les accepter et nos descendants n'auront pas le choix.
C'est ainsi que l'Ordre des Médecins a contribué à «correctement» informer la population sur l'avenir de notre industrie nucléaire.
Un portrait de Staline hautement radioactif
Nous avons trouvé dans le Figaro du 29 novembre 1993 cette information: «Un portrait de Staline, gravé sur une plaque métallique de radium a dû être retiré du musée russe où il était exposé, et enterré dans un site nucléaire en raison de la forte radioactivité qu'il dégageait, 200'000 microroentgen par heure d'après le journal (soit plus de 1500 rem par an).
L'expert c'est moi
C'était en 1990. Le Monde du 24 février rapportait la visite de F. Mitterrand au Bengladesh et au Pakistan. Au Pakistan il tentait de négocier la vente d'un réacteur nucléaire. Au cours d'une conférence de presse à Dacca des journalistes lui firent «remarquer que certains experts français continuent à avoir des doutes sur la livraison d'une centrale nucléaire au Pakistan» . D'après le Monde il rétorqua «S'ils ont des doutes pourquoi sont-ils là ? L'expert c'est moi». Quant aux protestations américaines «S'ils ont envie de protester, qu'ils protestent».
Il s'agit là de paroles d'une «force tranquille» d'un expert vraiment indépendant... des conséquences de ses décisions!
C'était en 1966...
«Tous les arguments que l'on peut opposer sur le plan philosophique,
sur le plan budgétaire ou sur le plan de l'efficacité ne
valent rien auprès de cet argument essentiel qui consiste à
affirmer que le premier devoir d'un Etat est de lutter avant toute chose
contre la prolifération d'armes nucléaires.
On ne peut reconnaître un progranime politique ou un programme
d'action, qui ne comporte en clause préalable (...) l'anéantissement
de la force de frappe».
C'était un discours de François Mitterrand le 25 juin 1966 à la salle de la Mutualité lors d'un meeting organisé par le Mouvement contre l'armement atomique (MCAA).
Le 30 septembre 1982 le ministre de la défense choisi par F. Mitterrand déclarait aux membres de la Commission de la Défense de l'Assemblée Nationale : «L'effort continu de la France en faveur de ses forces nucléaires représente le minimum nécessaire pour demeurer durablement au dessus du seuil de crédibilité». (D'après Le Monde du 1er octobre1982).
C. Hernu s'est-il fait copieusement engueuler par F. Mitterrand ou bien s'agissait-il d'un mauvais clone?
Les autorités de sûreté n'ont qu'une confiance limitée dans les chefs de centrale
André-Claude Lacoste directeur de la DSIN (Direction de la Sûreté
des Installations Nucléaires) interviewé par une journaliste
du Parisien (30 mars 1995) à la question:
«Pour ne pas être mal classé, un chef de centrale
peut avoir tendance à masquer des incidents. Quels moyens avez-vous
pour contrôler sa sincérité ? il répond:
«Notre inspection sur le site est lourde. Nous rencontrons
aussi bien le chef de la centrale que les techniciens et nous faisons une
vraie analyse de la situation. Mais il est fondamental de tout savoir.
Nous
sommes prêts à recueillir tous les renseignements que le personnel
peut nous donner sur le fonctionnement ou le dysfonctionnement d'une centrale.
Je lui garantis l'anonymat » [souligné par nous].
Ainsi les autorités de sûreté reconnaissent qu'il pourrait être néfaste pour la carrière des techniciens de révéler ce qui se passe dans les centrales. De plus ces autorités n'ont guère confiance dans les chefs de centrales et lancent un appel à la délation couvert par l'anonymat. Belle ambiance autour des réacteurs nucléaires!
«Super Phénix II dès 1986»
C'est le titre d'un article pêché dans ICC-Info de février 1985, le journal des Ingénieurs cadres et chercheurs de l'UNSEA -CGT [union nationale syndicale de l'énergie atomique].
La C.G.T. précisait sa position sur l'avenir de la surgénération «La C.G.T. n'apprécie pas, mais alors pas du tout, l'intention exprimée par les pouvoirs publics de différer à 1987 au plus tôt, la mise en chantier de Super-Phénix II».
«Rapsodie, Phénix, Super-Phénix II : trois étapes, trois succès [c'était en 1985] qui confortent la position de leader mondial acquise par la France dans le domaine des surgénérateurs. Cet effort doit être poursuivi jusqu' à son terme. La filière des réacteurs à neutrons rapides est la réponse d'avenir au développement nécessaire, au plan mondial, des sources d'énergie». Et la C.G.T. s'inquiétait de la «mollesse des pouvoirs publics».
C'était il y a une dizaine d'années. Quelques dates pour fixer les idées sur cette source énergétique de l'avenir.
Superphénix a été commandé en 1976. Les travaux ont commencé en 1977. La divergence du réacteur a eu lieu en septembre 1985 (l'article de février de la C.G.T. demandait un deuxième réacteur avant que le premier ait démarré). Le couplage au réseau a eu lieu le 14 janvier 1986. Le décret du 12 mai1977 autorisant la création de la centrale de Creys-Maiville stipulait dans son article 15 que la mise en service industriel devait être faite avant le 12 mai 1987. Mais un décret n'a guère de vaieur absolue, ça se modifie à la demande suivant les circonstances... ainsi un décret du 25 juillet1986 repoussait ce délai jusqu'au 25 juillet 1998.
Dans les mémentos du C.E.A. : «Les centrales nucléaires
dans le monde» on peut suivre l'évolution de la date de
mise en service industriel:
En 1989 la mise en service industriel était prévue pour
juillet 1990, en 1990 pour décembre 1991, en 1991 pour juin 1992.
Les éditions 1992 et 1993 indiquaient une mise en service industriel
pour 2100. L'édition 1995 apportait une précision : décembre
2100. Authentique. Est-ce une marque d'optimisme? Superphénix I
sera encore valide dans plus d'un siècle, ou de pessimisme, même
dans un siècle ce ne sera pas un équipement industriel? La
publication du C.E.A. qui fournit l'information n'est pas explicite sur
l'interprétation qu'elle souhaite donner.