GAZETTE NUCLEAIRE
DOSSIER LEUCÉMIES HAGUE

I - EXTRAITS DE L'ÉTUDE CAS-TÉMOIN DES LEUCÉMIES CHEZ LES JEUNES
AUPRÈS DE L'USINE DE RETRAITEMENT DES COMBUSTIBLES
NUCLÉAIRES DE LA HAGUE : L'HYPOTHÈSE ENVIRONNEMENTALE REVISITÉE
Traduction CSPI - 10 janvier 1997


- Dominique POBEL épidémiologiste chercheur
- Jean-François VIEL professeur de biostatistiques et d'épidémiologie

RÉSUMÉ
Objectif : Tester l'association statistique entre la leucémie chez l'enfant et des facteurs de risque connus ou non en liaison avec l'usine de retraitement des combustibles nucléaires de La Hague.

Type d'enquête : Étude cas-témoins.

Champs géographique : Aire de 35 km de rayon autour du site de La Hague, Normandie France.

Sujets inclus : 27 cas de leucémies diagnostiquées pendant la période 1978-93 chez les moins de 25 ans.

192 témoins appariés selon le sexe, l'âge, le lieu de naissance et le lieu de domicile au moment du diagnostic.

Principaux facteurs d'exposition recherchés :
- Exposition ante et postnatale aux rayons X et aux infections virales.
- Exposition professionnelle des parents (en particulier aux rayonnements ionisants).
- Conditions de vie.
- Habitudes de vie des parents et des enfants.

Résultats :
- Tendance à une fréquence plus élevée de fréquentation des plages locales par les enfants atteints et leurs mères (p<0,01); risque relatif égal à 2,87 (IC à 95% compris entre 1,05 et 8,72) et 4,49 (1,52 à 15,23) quand les catégories sont regroupées en 2 niveaux (plus d'une fois par mois ou moins d'une fois par mois).
- La consommation de poissons et de fruits de mer pêchés localement a tendance également à être plus fréquente chez les cas (p=0,01) avec un risque relatif égal à 2,66 (0,91 à 9,51) quand les catégories sont regroupées en 2 niveaux (plus d'une fois par semaine ou moins d'une fois par semaine).
- Un risque relatif de 1,18 (1,03 à 1,42) par an a été observé avec la durée de résidence dans une maison construite en granit ou sur un terrain granitique.
- Aucune association n'a été trouvée avec l'exposition professionnelle des parents aux rayonnements.

Conclusions :
Il existe certaines preuves convaincantes du rôle causal sur la leucémie infantile de l'exposition aux radiations lors d'activités récréatives sur les plages.

Il est justifié de mettre en oeuvre de nouvelles méthodes d'identification des voies de transfert dans l'environnement, en particulier dans les écosystèmes marins.

p.14

INTRODUCTION

La Hague (France) est l'un des 3 site mondiaux ou s'opère le retraitement des combustibles nucléaires à une échelle industrielle (les 2 autres sont Sellafield en Angleterre et Dounreay en Écosse). Ces dernières années un considérable intérêt des scientifiques et du public s'est manifesté au sujet de concentrations de cas de leucémies chez des enfants vivant à proximité des installations britanniques; ces clusters sont encore considérés comme un sujet de préoccupation. En conséquence, Gardner et collaborateurs ont rapporté que l'exposition professionnelle des pères aux radiations ionisantes avant la conception de l'enfant augmentait le risque de leucémie de l'enfant d'un facteur 8 et pourrait expliquer le cluster observé autour de Seascale . Cependant ces résultats ont été beaucoup débattu et plus récemment Doll et collaborateurs ont conclu que cette association est "largement ou totalement un effet du hasard".

En conséquence, les raisons de l'augmentation de l'incidence de la leucémie infantile autour des sites de retraitement des combustibles nucléaires sont encore largement inconnues.

A cet égard La Hague, dont les procédés industriels et la nature des rejets sont plus proches de ceux de Sellafield et de Dounreay que de ceux des autres sites nucléaires, offre une opportunité indépendante d'apporter un éclairage complémentaire sur ce résultat. Deux études préliminaires se sont révélées peu concluantes, mais dans un article récent nous avons mis en évidence un faible excès de risque de leucémie chez l'enfant dans le canton où est situé l'Établissement. Le but de notre enquête cas-témoins, qui est la 1ère à être réalisée en France bien que l'Énergie nucléaire y occupe une grande place, est de chercher à savoir si les leucémies chez les enfants résidant à proximité de l'usine de La Hague sont associées à des facteurs de risque connus ou à des facteurs liés à l'usine.

DISCUSSION

Notre principal résultat est que certaines habitudes de vie sont associées au développement de leucémies chez les jeunes, suggérant une contamination radioactive à partir de l'environnement.

Les limites potentielles de notre enquête, communes à toute études cas-témoins, peuvent être examinées.

La possibilité qu'un biais de sélection dans le recrutement prospectif des témoins ait fortement influencé les résultats ne paraît pas vraisemblable pour plusieurs raison. Premièrement une procédure de contrôle qualité en 2 étapes (interne et externe) a été utilisée. 

suite:
Deuxièmement, les parents (et non les enfants) ont été recrutés lors des consultations de médecins généralistes, ceci afin d'éviter la sélection d'une population susceptible de se porter volontaire en raison de motifs de plainte et recherchant une consultation médicale en rapport avec le sujet de l'enquête. Troisièmement, la grande motivation des médecins généralistes s'est traduite par un taux de participation élevé (96%) des familles potentiellement éligibles comme témoins. Quatrièmement, les cas et les témoins étaient comparables quant à leurs caractéristiques et situation périnatales. Bien que nous ayons choisi nos méthodes pour contourner les contraintes légales et pour satisfaire aux critères restrictifs d'appariement, des contrôles d'appariement ont été effectué dans les zones d'attraction des médecins généralistes pour apparier sur la catégorie socioprofessionnelle et le voisinage, diminuant ainsi les tiers facteurs potentiels .

Le biais de mémorisation peut être écarté, selon nous, en ce qui concerne au moins nos principales conclusions. Primo, contrairement à la Grande Bretagne, aucun débat public ou couverture médiatique relatifs aux clusters de leucémie autour des sites nucléaires n'ont eu lieu en France avant décembre 1995 du fait des résultats auparavant négatifs Un cluster autour de La Hague a été suggéré à ce moment mais la contamination marine n'avait pas été retenue alors que la voie atmosphérique était suggérée en tant qu'hypothèse. Secundo, la base de données des cas a été complétée en mars 1995. En conséquence les parents des enfants leucémiques n'ont probablement pas pensé qu'une telle exposition puisse être une cause possible de la maladie de leur enfant. Tertio, les résultats relatifs au risque professionnel en milieu nucléaire ne sont pas susceptibles de biais de mémorisation parce qu'ils proviennent des dossiers dosimétriques. Quater, le public français ne semble pas encore s'intéresser à l'exposition au radon. Par précaution, nous n'avons pas utilisé le mot "radon" dans notre enquête.

Les résultats non significatifs sont difficiles à interpréter en raison des larges intervalles de confiance dus au faible nombre de cas inclus. Cependant par la mise en oeuvre d'analyses statistiques conditionnelles exactes, nous avons utilisé l'outil statistique le plus puissant à notre disposition. Lorsque des données sont manquantes, les estimateurs du maximum de vraisemblance n'existent pas tandis que la méthode exacte peut produire des estimateurs non biaisés, des intervalles de confiance exacts, et des valeurs exactes de "p". Cependant quelques résultats dus au hasard sont probables en raison du grand nombre de variables étudiées.
 

 début p.15


II Liliane Patte le 3 Février 1997
Conseiller Régional
Les écologistes Indépendants
La Croix des Landes
Le rapport Viel a eu au moins l'intérêt de sensibiliser l'ensemble des populations, et bien entendu les tenants du nucléaire tentent de la discréditer.

Ce type de démarche est inquiétant et anti-scientifique, il est dommage que des gens ayant une telle responsabilité se comportent ainsi.

En tant qu'élus régionale, je suis mandatée au sein de la CSPI pour rapporter l'information.

Encore faut il que celle ci existe et qu'elle soit compréhensible par tout le monde.

C'est en ce sens que j'entends me comporter au sein de cette commission.

Le rapport Viel souligne que les causes des leucémies semblent être dues à l'exposition aux rayonnements lors des jeux de plages. Nous pensons qu'effectivement les plages de La Hague peuvent être soumises à une présence radioactive importante.

Par exemple, 1681 tonnes de combustibles ont été retraités en 1996 ce qui représente plus de 18 millions de curies de krypton rejetés dans l'atmosphère, je vous rappelle qu'en septembre 1992 au sein même de cette commission le docteur Robillard s'inquiétait devant nous des 500 curies de krypton rejetés journellement par la centrale de Tchernobyl.

Lors de la construction de l'usine, la décision de ne pas piéger le krypton a été prise au mépris des risques liés à sa diffusion dans l'atmosphère. 

La seule technique retenue a été de créer une cheminée de 150 mètres qui doit permettre au panache de gaz de retomber moins rapidement au sol.

Il apparaît nécessaire aujourd'hui de piéger et stocker ce gaz, d'autant plus que les essais effectués sur le retraitement de combustible MOX accentuent la pollution.

La configuration topographique de la presqu'île joue certainement un rôle dans la concentration au sol de ce krypton. Il serait intéressant de faire une recherche sur le comportement de ce gaz une fois libéré dans l'atmosphère.

Les nombreux autres radioéléments rejetés par l'usine de La Hague, dont je vous joint une liste non exhaustive doivent être eux aussi recherchés ainsi que l'incidence sur la santé des salariés et de la population.

Une fois pour toute les doutes doivent être levés sur l'impact réel de cette usine. C'est l'avenir de la région qui est en jeu, personne ne peut craindre la vérité.

Une enquête épidémiologique sur les salariés ayant travaillés sur le site, à partir des numéros de sécurité sociale archivés à La Hague, peut être diligentée rapidement.

Les cancers liés au nucléaire apparaissent en majorité après un temps de latence de 10 à 30 ans, aujourd'hui une population de salariés déjà nombreuse peut être répertoriée.

Pour notre part nous travaillons sur ce sujet depuis longtemps et nous tenons une première liste de malade à la disposition de l'organisme qui sera chargé de cette enquête.

fin  p.15
ANNEXE

PRINCIPAUX RADIOÉLÉMENTS PRÉSENTS SUR LE SITE DE LA HAGUE
ORGANES CRITIQUES


Forme soluble                  
RADIOÉLÉMENTS Abr ISOTOPES OE TGI OS REIN FOIE MUSCLES AUTRES
PRODUITS DE FISSION                  
Tritium H3  
*
          Tissus
Krypton Kr 85              
Iode I 129.130.131             Thyroïde
Stontium Sr 89.90.91    
*
       
Yttrium Y 90.91    
*
       
Zirconium Zr 95
*
*
         
Niobium Nb  
*
*
         
Ruthénium Ru 103.106  
*
         
Rhodium Rh 103.106  
*
         
Tellure Te 127.129  
*
 
*
    Testicule
Césium Cs 134.137
*
     
*
*
Rate
Baryum Ba 137
*
     
*
*
Rate
Cérium Ce 141.144  
*
*
 
*
   
Prosédyme Pr 144  
*
         
Prométhéum Pm 147  
*
         
Samarium Sm 151  
*
*
       
Europium Eu 154.155  
*
*
*
     
URANIENS                  
Uranium U 235.236.238  
*
*
*
     
TRANSURANIENS                  
Neptunium Np 237  
*
*
       
Plutonium Pu 238.239.240.241242    
*
       
Américium Am 241.243    
*
*
     
Curium Cm 244    
*
       
Pour la forme insoluble : TGI et POUMON (tous radioéléments)
En immersion : Krypton OE, Tritium Peau
OE : Organisme Entier
TGI : Tractus Gastro Intestinal (estomac, intestins)
III CRITIQUE IPSN DE L'ARTICLE D. POBEL et F. VIEL
11-01-1997
INTRODUCTION

Cette étude entre dans le cadre des études de la fréquence des leucémies autour des sites nucléaires. Plus d'une quinzaine d'études ont été effectuées à ce jour. Les seuls clusters significatifs ont été mis en évidence en Angleterre (Sellafield, Dounreay, Aldermaston, Hinkley Point).

Cette étude est la troisième étude cas-témoins effectuée autour d'un site de retraitement de déchets nucléaires, après Sellafield (Gardner, BMJ 1990) et Dounreay (Urquhart, BMJ 1991). Ces deux études antérieures cherchaient à expliquer des excès confirmés de cas de leucémies avec l'exposition paternelle aux rayons ionisants, hypothèse abandonnée depuis. L'étude de Urquhart (14 cas, 55 témoins) suggérait une relation avec la fréquentation des plages autour de Dounreay par les enfants, relation que les auteurs attribuaient au hasard.

Le présent article fait suite à deux articles des mêmes auteurs (Viel, Cancer Causes and Control 1993; Viel, Stat Med 1995, voir note SEGR/DL-CRFT n°95-122), qui étaient des études descriptives de la distribution géographique des taux d'incidence de leucémie autour du site de La Hague. Dans l'article précédent, les auteurs suggéraient l'existence d'un excès de cas de leucémies (risque multiplié par 2.8) dans le canton de Beaumont-La Hague ( le plus proche du site ) et avait déclenché une importante polémique dans la presse début 1996. Néanmoins, cet excès ne reposait que sur 4 cas observés, et aucune tendance avec la distance n'apparaissait (excès isolé).

Une étude cas-témoins a été mise en place afin de vérifier les hypothèses avancées dans les articles précédents. Le présent article présente les résultats de cette étude. 

Elle porte sur les mêmes enfants leucémiques (plus 2) que dans l'article précédent, mais le protocole est entièrement différent. Les auteurs étudient ici les facteurs de risque associés à l'incidence de leucémies de l'enfant, sans plus parler d'un excès de risque.

PROTOCOLE

Le protocole de l'étude est celui d'une étude cas-témoins (on estime le risque de maladie associé à chaque facteur en comparant la fréquence de ce facteur entre un groupe de malades (cas) et un groupe de non malades (témoins).

L'étude porte sur 27 cas de leucémies diagnostiqués entre 1978 et 1993, parmi des jeunes de 0 à 24 ans domiciliés dans un rayon de 35 km autour de l'usine de La Hague. Pour chaque cas, 9 ou 10 témoins de mêmes caractéristiques (même sexe, âge, lieu de naissance - dans ou hors de la zone - , lieu de résidence à la date du diagnostic des cas) étaient appariés (192 témoins au total). Les sujets ont été recrutés par des médecins généralistes. Le recueil des données a été effectué par 2 enquêteurs, par entretien avec les parents. 173 facteurs sont étudiés. La dosimétrie professionnelle des parents a été recherchée.

Le protocole est classique en épidémiologie, et la méthodologie d'analyse est adaptée. Néanmoins, certains biais inhérents aux études cas-témoins ne peuvent être écartés (choix des témoins, biais de mémoire, biais d'interview). Contrairement à ce qu'avancent les auteurs, il existe une inquiétude dans la région quant aux risques éventuels de leucémies radio-induites, qui peut avoir biaisé les réponses. De plus, étant donné l'effectif réduit et le grand nombre de facteurs étudiés, les résultats obtenus doivent être considéré avec précaution, comme l'indication possible de facteurs de risque environnementaux.

p.16

RÉSULTATS :

Les auteurs ne montrent aucune association avec l'exposition parentale aux radiations (aucun des pères des cas n'a reçu de dose décelable). Ces résultats sont tout à fait concordants avec la littérature, cette hypothèse étant désormais abandonnée par l'ensemble de la communauté scientifique.

Les auteurs observent une relation significative avec la fréquentation des plages locales par les mères durant leur grossesse (risque multiplié par 4.5, Intervalle de Confiance à C95%=[1.5 - 15.2]), ou les enfants eux-mêmes durant leur enfance (risque multiplié par 2.9, IC95%=[1.05 - 8.7]). Dans l'étude de Gardner sur le cluster de Seascale (Gardner, BMJ 1990), le risque relatif avec la fréquentation des plages était de 0.6 , (Non Significatif, IC95%=[0.2 - 1.6]). Dans l'étude de Urquhart (Urquhart, BMJ 1991) autour de Dounreay, un risque significatif (p=0.04) était observé avec la fréquentation des plages locales par les enfants, mais reposant sur 5 cas seulement, et considéré comme non concluante par les auteurs.

Les auteurs observent une relation à la limite de la significativité avec la fréquence de consommation de poissons et de fruits de mer locaux (risque multiplié par 3.7, IC95%=[0.9 - 9.5]). Ce résultat n'est pas corroboré par les études antérieures : dans l'étude de Gardner sur le cluster de Seascale (Gardner, BMJ 1990), le risque relatif était de 1.2 (NS, IC95%=[0.5 - 3.0]) avec la consommation de poisson, et de 1.1 (NS, IC95%=[0.1 - 7.9]) avec la consommation de fruits de mer. Dans l'étude de Urquhart (Urquhart, BMJ 1991) autour de Dounreay, les risques relatifs associés à ces deux facteurs étaient largement inférieurs à 1 et non significatifs.

Les auteurs observent un risque relatif significatif avec la durée de résidence des enfants dans une maison granitique (risque relatif de 1.2 par an, IC95%=[1.1 - 1.4]), suggérant une relation entre l'exposition au radon domestique et le risque de leucémie. Connaissant les difficultés que rencontrent les études cas-témoins de grande taille actuellement en cours pour mettre en évidence un risque associé au radon domestique, ce résultat semble être un effet du hasard.

Pour ce qui est des infections virales, un risque relatif très élevé mais non significatif est observé par les auteurs avec l'occurrence de mononucléose infectieuse durant l'enfance (risque relatif de 18.0, IC95%=[0.9 - 1960.5]) mais basé seulement sur 2 cas et un témoin.

DISCUSSION, CONCLUSION :

Les auteurs concluent que leurs résultats "mettent en évidence l'existence d'un rôle causal de l'exposition environnementale aux radiations dans l'incidence de la leucémie chez l'enfant". Cette conclusion n'est pas soutenue par leur résultats. Les auteurs observent en effet une relation significative avec la fréquentation de la plage, mais le lien entre cette fréquentation et une exposition environnementale aux radioéléments par voie marine n'est qu'une hypothèse, d'autres facteurs pouvant être envisagés (toxines, pesticides…). 

Les mesures de contamination effectuées régulièrement sur les plages et les produits de la mer par différents organismes (COGEMA, IPSN, OPRI, groupes écologistes) n'ont jamais fait ressortir de valeurs correspondant à des doses élevées. 

suite:
D'autre part, les travaux effectués dans le cadre de l'étude de Seascale ont abouti au rejet de l'hypothèse d'une lien entre une exposition environnementale aux radioéléments et les leucémies (COMARE 1996).

L'article précédent (Viel, Stat Med 1995),suggérait une relation entre le risque de leucémie et la distance par rapport au site de La Hague. L'étude cas-témoins donnait l'opportunité de vérifier cette hypothèse, mais ce point n'est pas du tout abordé par les auteurs (pas de calcul de risque relatif avec la distance ou la durée de résidence). Un suivi plus rigoureux des hypothèses avancées dans les études successives serait souhaitable (pas d'excès en 1993, excès dans les 5 km et suggestion d'une exposition aérienne "sous le vent" en 1995, "évidence d'une exposition marine" en 1997).

Dans l'article de 1995 (Viel, Stat Med 1995), les auteurs suggéraient un excès (risque multiplié par 2.8) dans la zone la plus proche du site de La Hague. Il est regrettable que l'existence de cet excès ne soit pas rediscuté par les auteurs dans le présent article. En effet, deux cas supplémentaires sont présentés ici par rapport à l'article de 1995. Les auteurs ne disent ni quand ni où ces deux cas ont été diagnostiqués. Il aurait été intéressant de savoir si ces deux cas confortaient ou annulaient les résultats de l'analyse précédente.

Le but des auteurs n'est donc pas dans le présent article d'expliquer la présence d'un excès de cas, mais de rechercher des facteurs de risque de leucémie dans une région hautement nucléarisée. Dans ce domaine, une étude cas-témoins des facteurs de risque de leucémies de l'enfant de grande ampleur est en cours en France (INSERM U170). Cette étude devrait donner à terme des résultats présentant une meilleure validité statistique que la présente étude.



RÉFÉRENCES :

-Committee on Medical Aspects of Radiation in the Environment (COMARE). The incidence of cancer and leukaemia in young people in the vicinity of the Sellafield site, West Cumbria : Further studies ans an update of the situation since the publication of the report of the Black Advisory Group in 1984 : Fourth report. Department of Health 1996.Gardner MJ, Snee MP, Hall AJ, Powell CA, Downes S, Terell JD. Results of case-control study of leukaemia and lymphoma among young people near Sellafield nuclear plant in West Cumbria. BMJ 1990; 300: 423-429.

-Urquhart JD, Black RJ, Muirhead MJ, Sharp L, Maxwell M, Eden OB, Jones DA. Case-control study of leukemia and non-Hodgkin's lymphoma in children in Caithness near the Dounreay nuclear installation. Br Med J 1991; 302: 687-692.

-Viel JF, Richardson S, Danel P, et al. Childhood leukaemia incidence in the vicinity of La Hague nuclear-waste reprocessing facility (France). Cancer Causes and Control 1993; 4: 341-343.

-Viel JF, Pobel D, Carré A. Incidence of leukaemia in young people around the La Hague nuclear waste reprocessing plant: a sensitivity analysis. Stat Med 1995; 14: 2459-2472.

p.17
IV COMMENTAIRE GAZETTE

En janvier 1997 éclate une polémique à propos d'un article sur les risques de leucémies autour des installations nucléaires du Cotentin et plus particulièrement de la Hague.

D'une part le Pr Viel est un spécialiste en épidémiologie et il est reconnu comme tel. Il s'est intéressé aux problèmes liés au radon et depuis plusieurs années aux leucémies chez l'enfant.

D'autre part sa publication en collaboration avec D. Pobel s'est faite normalement dans le cadre d'un article scientifique soumis à un journal avec "referee" c'est à dire que le comité de lecture vérifie le sérieux de la publication

La lecture de son article dont vous avez des extraits ne permet pas de comprendre le tollé de protestations et de déclarations outrées qui a suivi et se continuent. Les attaques sur le sérieux du journal anglais et sur les méthodes ont été le fait d'un autre épidémiologiste ( Jacqueline Clavel) qui a fait publier une mise au point où elle reconnaît que la revue anglaise est une revue scientifique sans tache particulière et qu'elle a formulé ses critiques un peu vite. Que des études donnent lieu à des polémiques scientifiques, d'accord. Que les critiques soient celles qui ont été formulées, pas d'accord.

Comme le souligne L'ACRO dans son bulletin de nombreuses études ont déjà été menées où on a décelé un excès de leucémies.
- près de l'usine de retraitement de Sellafield,
- près de l'usine de retraitement de Dounray,
- près des usines atomiques militaires d'Aldermaston et de Burghfield et du centre de recherche nucléaire de Harwell
- près de la centrale de Hinkley Point.

D'autres études menées autour de sites nucléaires dans plusieurs pays n'ont pas donné lieu à l'observation de situation anormale. De plus la recherche des facteurs de risques, là où un excès est observé ne conduit pas toujours au même résultat. Les résultats de J.F. Viel rejoignent ceux de J.D. Urquhart obtenus à Dounray mais diffèrent de ceux de M.J. Gardner (risque lié à l’exposition des pères) à Sellafield.

Pour conclure il faut
1) Renforcer la poursuite des enquêtes épidémiologiques. Un groupe d’experts a été créé pour la Hague mais ce sont surtout les résultats du registre qui seront intéressants dans...au minimum 7 à 8 ans. Dommage d’avoir tant attendu.
2) Faire un bilan du fonctionnement de la Hague comme il vient d’être fait pour le site ANDRA. Il ne sert à rien d’affirmer à l’innocuité des rejets. Il faut le vérifier et pour cela il faut connaître ces fameux rejets.

L’enquête menée à la Hague est dérangeante mais elle doit être examinée sereinement. Les derniers résultats de l’enquête sur les survivants d’Hiroshima-Nagasaki permet de mettre en évidence l’effet des faibles doses. Il faut donc être très vigilant et tenir compte aussi bien de Tchernobyl, que de toutes les études. Le principe de précaution est la meilleure prévention pour la santé des populations.


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