GAZETTE NUCLEAIRE

Extraits de Médecine et Guerre Nucléaire
Journal de l'AMPPGN, volume 11 no 21996

L'augmentation des cancers près des sites nucléaires br'tanniques est confirmée
The Lancet vol 347, avril 1996

     Le quatrième rapport du Comité sur les aspects médical de l'Environnement publié le 27 mars 1996 confirme qu'il existe un surnombre de cancers et de leucémies chez les jeunes dans le voisinage du site nucléaire de Sellafield (Grande Bretagne). Le Comité a conclu que le surnombre avait très peu de chance d'être dû au hasard, mais insistait pour dire que ce n'était pas un facteur, tel une exposition professionnelle aux radiations, qui l'expliquerait. COMARE déclare que des intéractions entre différents facteurs n'étaient pas à exclure et qu'une meilleure compréhension du développement des leucémies aiderait à comprendre pourquoi le village le plus proche de Seascale avait un nombre plus élevé de cancer et de leucémies que celui prévisible.
     Le rapport émet plusieurs recommandations, notamment la poursuite des études de «Cancer de l'enfant britannique» et d'autres études épidémiologiques actuellement en cours et que le gouvernement a approuvé.

Tchernobyl, 10 ans après
Patrice Richard

     Où en sommes-nous aujourd'hui dans les républiques de l'ex-Union Soviétique atteintes par l'explosion du quatrième réacteur de la centrale, en recherche permanente d'une stabilité suffisante pour pouvoir mettre en place un programme décent de suivi des sujets irradiés?

Où en sommes nous dix ans après?
     Où en sommes nous dix ans après que les premières greffes de moelle réalisées en catastrophe par Bob Gale aient toutes faillies à cause de l'intensité des lésions provoquées par l'importance des radiations subies? Les patients n'ont même pas eu le temps de mourir de «Graft versus host deasese» ou maladie du greffon contre l'hôte. 28 sont morts les premiers jours et dix par la suite.
     La première difficulté vient de ce que les nouvelles républiques sont aujourd'hui indépendantes et que rien ou presque ne vient coordonner entre elles un quelconque programme global d'assistance. Chacune est face à ses problèmes et doit les résoudre.

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     La deuxième difficulté vient de ce que tous les pays «nucléarisés» sont venus voir l'étendue de la catastrophe, promettant aide et soutien, mais rien ou presque n'est venu. Ce n'est que dans le domaine médical que des programmes internationaux ont vu le jour, pour l'étude des populations sinistrées, avec des suivis médicaux plus ou moins poussés et cohérents, mais cependant rendant des services indispensables. Actuellement ce sont 50 projets de 29 pays qui oeuvrent en collaboration avec les équipes des hôpitaux locaux.

Pour mesurer l'étendue de la catastrophe
     Il est bon de revenir brièvement sur la quantité de radioactivité délivrée au moment de l'accident. Ce sont plus de 4 tonnes de combustible qui se sont volatilisées dans l'atmosphère, soit un total de 150 millions de curies qui se sont répandus dans l'atmosphère et autour de la centrale pendant 10 jours. 130.000 km2 ont reçu plus de 40 kBq au m2 (1Ci par km2 car 1 Ci =3,7 milliards de Bq).
     17 millions d'hectares contaminés concernent 80 millions d'habitants. L'eau potable de 30 millions de personnes a été contaminée. Pour une idée de l'importance des doses, rappelons que la radioactivité naturelle est de 2 mSv et qu'à Tchernobyl, la dose moyenne reçue varie entre 15 et 150 mSv. Les habitants sont soumis à la fois à une irradiation interne (alimentation) et externe. 3.000.000 vivent dans des zones dont le niveau de contamination moyen en césium 137 est supérieur à15 Ci/km2, ce qui représentera pour leur vie des valeurs entre 80 et 400 mSv.(1)
     La fourniture de comprimés d'iodure de potassium n'a pas été immédiate, les conditions de développement de cancers de la thyroïde étaient réunies: 700 cancers de la thyroïde ont été dénombrés chez les enfants nés avant l'accident au lieu des quelques dizaines attendues. Certains travaux n'observent pas d'augmentation des autres cancers alors que de nombreuses équipes y font référence, notamment lors d'un colloque organisé par l'UNESCO à Genève en octobre 1995. Mais beaucoup de résultats sont biaisés par l'absence de groupes témoins. L'Union soviétique avait ouvert des registres d'études génétiques des populations et disposait de structures très avancées en matière d'étude épidémiologique génétique. Certains résultats d'études pourraient servir d'échantillons témoins.
     Il faut mentionner une certaine tendance à la dramatisation, on espère en gonflant les chiffres obtenir plus de moyens, on exagère parfois beaucoup les chiffres, dont certains apparaissent assez fantaisistes.
     Parmi les maladies pour lesquelles existe un certain consensus quant à leur fréquence, il faut citer le diabète sucré. Selon le ministre de la santé de l'Ukraine, le Dr. Y. Korolenko, il y aurait une augmentation de 25 %. Des études sur les caryotypes et les formules sanguines montrent des anomalies qui sont bien dans la logique des dégâts causés par l'irradiation et que les spécialistes des caryotypes connaissaient déjà. Des preuves de déclenchement d'apoptose (mort programmée de la cellule) prématurée des chromosomes en anneau, des chromosomes dicentriques, de nombreuses ruptures de ceux-ci et toutes sortes de recombinaisons.

Ainsi l'irradiation a entraîné des dommages irréversibles aux cellules et continue d'en provoquer des années après.
     Des études de biologie moléculaires assez fiables bien que porteuses aussi de biais importants, réalisées sur des rongeurs, montrent grâce à deux chercheurs américains Ronald Chesser et Robert Baker (2) que de nombreuses anomalies graves, invisibles cliniquement, existent et montrent les importants remaniements moléculaires rencontrés, tels que l'inversion de position de l'oncogène Rt, de nombreuses mutations sur la séquence du gène du cytochrome b. Celui-ci avait été sélectionné comme modèle d'étude, car c'est un gène très constant dans l'histoire de l'évolution ayant un très petit nombre de mutations connues et de plus étant d'origine mitochondriale, c'est àdire transmis par la mère, la comparaison avec celle-ci permet de distinguer les mutations héréditaires des mutations liées àl'irradiation.

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De nombreuses personnes retournent actuellement dans les régions fortement contaminées
     De nombreuses personnes retournent actuellement dans les régions fortement contaminées pour retrouver leur maison, leurs terres, dans les zones interdites, pour y vivre et éventuellement y mourir, d'autres vivent dans des régions plus faiblement contaminées. Un grand nombre de personnes vivent ainsi sous une irradiation permanente qui même si elle est modérée peut expliquer la formidable liste d'anomalies citées. Il n'est pas certain que chaque individu chez qui une anomalie a été identifié fera un cancer, mais il est évident qu'à terme, peut-être dans plusieurs dizaines d'années, des cancers apparaîtront en plus grand nombre.

Et les monstres dont tout le monde parle?
     Si un certain nombre de grossesses ont engendrés des enfants porteurs de graves malformations, il est difficile de les attribuer directement à l'irradiation. L'ensemble du sol ayant été contaminé, les gens ont dû s'alimenter uniquement de conserves. Or on sait que la carence en acide folique est très tératogène et que les conserves n'en contiennent pratiquement pas. Comme il n'existe pas de population témoin dans le monde (population s'alimentant uniquement de conserves), là encore il est pratiquement impossible de distinguer ce qui serait directement lié à l'action de la radioactivité de ce qui serait induit par l'alimentation carencée. Mais c'est peut-être le sujet qui sans chiffre précis a été le plus développé par une presse avide de sensationnel.
     Ces considérations générales posées voici les résultats des équipes que l'on peut considérer comme fiables. En Biélorussie (3) selon A.E. Okeanov et G. Yakimovich qui ont réalisé une étude dans le temps de la morbidité des cancers avant et après la catastrophe, il ressort que pour 100.000 habitants, le cancer du sein qui était de 38 en 1986 passe à 59 en 1994. Les cancers de la vessie passent de 5,5 à 10,7 dans la même période. Par ailleurs des signes précoces de cataractes sont observés, un doublement de l'arriération mentale, des atteintes des systèmes cardio-vasculaires et gastro-intestinal dont les chiffres ne sont pas fournis semblent d'une étendue plus difficile à évaluer quoique certaine. Des souffrances psychiques sont évoquées. Une souffrance générale est évidente touchant tous les systèmes pour l'ensemble de la population contaminée et vivant dans la zone.

A propos des liquidateurs
     Les liquidateurs sont les soldats volontaires, ingénieurs, techniciens et autres personnes ayant eu une intervention directe sur le site lors de l'accident. Ils sont environ 700.000 et l'on constate chez eux des effets de doses bien supérieurs à ceux des populations exposées. La plupart ne portaient pas de dosimètre, ce qui rend impossible toute évaluation, mais on cite chez eux des taux de leucémies trois fois supérieurs à la normale. Ils sont retoumés chez eux, loin des zones sinistrées, échappant ainsi à toute statistique, toute surveillance médicale. Davantage que les autres ils subissent semble-t-il les conséquences psychologiques très fortes de la catastrophe.

Conclusion

     Il est probable que la catastrophe n'a pas encore donnée toute sa dimension et que celle-ci apparaîtra au fil des années. On connaît l'augmentation de certaines pathologies telles les cancers de la thyroïde, les troubles psychologiques. Qu'en sera-t-il dans quelques dizaines d'années, temps après lequel sont apparus les cancers à Hiroshima et Nagasaki? Les coûts humains et en santé publique iront en augmentant. Quels seront les moyens pour y faire face?
     Tout ceci doit nous inciter à la réflexion. Le confort électrique obtenu par l'énergie nucléaire n'est-il pas dérisoire par rapport au risque encouru en vivant à l'ombre de la plus forte concentration mondiale de centrales nucléaires qui nous permettent même l'exportation d'énergie électrique? Qu'en sera-t-il lors de la privatisation vers laquelle on s'oriente ? Quelles sécurité assureront les societes privées à la recherche des meilleurs profits?



(1) P. Verger et D. Bard, La Recherche, 286, avril1996.
(2) R. Chesser et R. Baker, id p. 30
(3) Colloque UNESCO, Genève, octobre 1995.
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