GAZETTE NUCLEAIRE
No 4 novembre 1976

Où l'on verra, une fois de plus, les travailleurs se mettre en travers du Progrès et du Bonheur de la Société de Consommation

     C'est précisément contre cette évolution, qui ne fait qu'aggraver les conditions de travail propres à ces usines, que les travailleurs de La Hague sont en grève depuis maintenant plus d'un mois. En effet, la logique du programme électronucléaire français (surrégénérateur, donc production massive de plutonium) avec ses modalités industrielles (retraitement considéré comme source de profit) conduit à des situations dangereuses:

     1. Sur le plan des travailleurs, conditions de travail de plus en plus éprouvantes. A ce sujet, on se référera utilement au travail d'un collectif de militants C.F.D.T. de La Hague qui décrivent l'usine vue par ceux qui y travailent [3]. Il apparait que, pour le démarrage de H.A.O., on a voulu aller vite (il y avait déjà un retard d'un an), que des zones mal conçues étaient déjà tellement contaminées que le port du masque, voire du «shadock« était obligatoire. Ils ont révélé, ce que le C.E.A. tenait comme secret, l'augmentation progressive chaque année d'une part du taux moyen d'irradiation et d'autre part du nombre de personnes traitées pour contamination; voir tableau 2:
Tableau 2

     D'une manière évidente, le retraitement de combustibles très irradiés (filière à eau légère), en quantité industrielle et dans le cadre de la rentabilisation du retraitement et de sa finalité pressante (il faut extraire vite le plutonium pour le surrégénérateur) ne peut se faire qu'au détriment des travailleurs de ces usines. Aussi ceux-ci ont-ils bien l'intention de se défendre c'est ce qu'ils font actuellement à La Hague et à Marcoule.
 
Où l'on apprend ce qu'est une industrie propre

     2. Sur le plan de l'environnement, l'usine de retraitement, telle qu'elle est conçue actuellement, est de loin la plus polluante du cycle du combustible (voir Qu'est-ce qu'un combustible irradié?). En effet, le retraitement s'accompagne de rejets gazeux radioactifs (totalité du 85Kr, soit 9 millions de curies/an [4] lorsque La Hague traitera 800 tonnes/an), de rejets liquides (totalité du tritium, soit environ 500.000 curies/an pour 800 tonnes, des produits de fission (137Cs, 92Sr, 106Ru) émetteurs B, g et des transuraniens émetteurs a). Il s'accompagne également de stocks de déchets solides et liquides de volume important, mais de moyennes activités (mais pouvant être émetteurs a et enfin de déchets de forte activité (produits de fission).


3. Voir note 2. Voir aussi le film tourné par les travailleurs de La Hague avec l'aide du SPNPFA-CFDT : «Condamnés à réussir».
4. Le Curie: unité de désintégration: 30 milliards de

 désintégration par seconde (= 30 milliards de Bq),

 c'est-à-dire la radioactivité d'l g de 225Ra. Pour fixer les

 idées, signalons que la charge maximale admissible de

 plutonium pour l'homme varie entre 50 et 200 Bq, selon le

 tissu «critique» envisagé.
fin p.3

Les ordres de grandeur sont fournis au tableau 3:
Composition des combustibles irradiés
en volumes des déchets stockés
A. Les déchets annuels provenant d'un réacteur de 1.000 MW(e) fonctionnant à 100 % comportent:
     1. 100 à 300 m3 de déchets solides d'environ 1 Ci/m3 d'activité en moyenne.
     2. 32 tonnes de combustibles irradiés qui ont séjourné 5 mois en piscine et qui conduisent après séparation mécanique, chimique et conditionnement à:
          - 15 m3 de produits de fission concentrés stockés dans des cuves inoxydables, destinés à être vitrifiés après 5 ans de stockage (1,5 à 2,5 m3 de verre) (activité 130 x 106Curies après les 5 ans de stockage)
          - 9 tonnes de gaines
          - des produits de fission gazeux:
               85Kr (10 - 8 ans) 383.000 Ci
                    129I (l.7 107 ans) 1 Ci
               131I (8.05j) 60.1 Ci (après 5 mois de séjour en piscine au réacteur)
          - du Trîtium (24.100 Ci) qui sera rejeté sous forme liquide à près de 100%.

B. Volumes des déchets stockés: on distingue 3 types de déchets

     1. faible et moyenne activité (non émetteur a)
          1975: :5.000m3/an ; 1985: 13.000rn3/an; 2000: 40.000m3/ an
     2. faible et moyenne activité (émetteur a)
          1975: 400 m3/an; 1985: 1.100 m3/an; 2.000: 8.000 m3/an
     3. forte activité (produits de fission)
          1975: 200 m3/an; 1985: 550 m3 /an; 2.000: 2000 m3/an

     Avec l'augmentation de tonnage et le passage au combustible oxyde, on s'attend à ce que La Hague rejette bien plus de corps radioactifs qu'auparavant, notamment à la mer. Ainsi, rien que pour les transuraniens, émetteurs a, le rejet était de 27 Ci en 1974. A partir du retraitement de 300 tonnes, on estime cette quantité dépassera les 90 Ci [5], qui est la limite imposée actuellement par arrêté préfectoral.

     Aussi, dès 1976, les demandes officielles de rejets portent déjà sur des antités plus importantes, du moins ce qui concerne l'activité b (passage de 45.000 à 125.000 Ci tritium inclus). En ce qui concerne les rejets liquides et gazeux, les autorités «responsables»ppuient toujours sur les C.M.A. fixés par la C.I.P.R. voilà bientôt 25 ans et sur l'idée que les radioéléments se diluent parfaitement soit dans la mer, soit dans l'air. Or, à ce sujet, on peut faire les remarques suivantes:
suite:
     a) la notion de C.M.A. est un compromis entre les connaissances que l'on a à une époque sur la nocivité de tel ou tel radioélément et le bénéfice éventuel que l'on peut tirer de l'industrie nucléaire. Ceci est explicitement contenu dans le paragraphe 32 C des recommandations de la CIPR qui stipule : «La Commission a donc recommandé une dose génétique maximale admissible de 5 rems, en se fondant sur le principe que la charge qui en résulterait pour la société serait acceptable et justifiée si l'on considère les avantages probablement de plus en plus grands qui résulteront de l'extension des applications de l'énergie atomique». La C.M.A. est donc essentiellement changeante, et il est par principe dangereux de rejeter un radioélément de période longue (comme le 85Kr ou le tritium) sans se soucier qu'à une époque ultérieure, lorsque ce radioélément se sera accumulé, on puisse être amené à diminuer sa C.M.A.
     b) En ce qui concerne la dilution «parfaite», les phénomènes de reconcentration éventuelle dans les chaînes alimentaires ne sont pas pris en compte. On se rappelle ce qui s'est passé avec les Gallois qui retrouvèrent dans leur pain d'algue du 106Ru rejeté à la mer par l'usine de Windscale! On a aussi constaté (contrôles de radioactivité effectués par le Centre de La Hague) que si la radioactivité artificielle de l'eau, au large de La Hague, restait très inférieure à la radioactivité naturelle, il n'en était pas de même pour certaines algues, mollusques et crustacés qui présentent des phénomènes de concentration. A titre d'exemple, dans des algues corallines, l'activité naturelle est de 4 pCi/g ; l'activité artificielle est passée de 4 à 27 pCi/g entre 1972 et 1974. Dans les crabes, même phénomène: l'activité artificielle passe de 1 à 3 pCi/g, alors que l'activité naturelle est de 2 pCi/g. (1 pCi 10-12 curie).

     A part les rejets, il y a les stocks de déchets radioactifs formés tout le long de la chaîne du retraitement: déchets de gaines, effluents chimiques notamment du phosphate tributylique, boues, etc. Une partie faible (0,2 à 0,6 %) du plutonium reste mélangée à ces déchets. Le plus gros problème reste évidemment les déchets de haute activité, pour lesquels aucune solution satisfaisante n'a été vraiment trouvée. Ceux-ci sont formés de produits de fission, de la totalité de l'Americium et du Curium et d'une fraction faible (0,2 à 0,5 %) du plutonium. A part quelques-uns de très longue période (99Tc par exemple), les produits de fission disparaissent en gros au bout de 800 ans. En ce qui concerne les transuraniens, émetteurs a on distinguera généralement trois échelles de temps: celle du Curium qui s'étend environ sur 34 ans, celle de l'Americium qui va jusque vers 3.000 ans, et enfin celle du Plutonium (généré essentiellement à partir du 242Cm) qui s'étend au-delà de 100.000 ans. Divers scénarios peuvent être envisagés pour le confinement de ces produits, c'est ce que l'on apprendra dans le dossier page suivante...

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5. Selon M. Sousselier, Directeur adjoint à la production du Plutonium, 1/10.000 du Plutonium serait rejeté dans l'environnement au niveau des usines de retraitement.
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