L'EUPHORIE DE LA DIRECTION D'EDF
certains (courts) paragraphes - notés (...) - de cette version web sont raccourcis: par suite de problèmes de mise en page de la seule version papier disponible de cette Gazette (les heureux posseseurs sont priés de se faire connaître!)...

     M. A. Robin. Directeur Général Adjoint de l'EDF n'affirmait-il pas, au Congrès de Vittel de la Société Française des électriciens, en 1973:
     «L 'autre point, manifestement également renforcé depuis la rédaction de ce rapport, c'est l'évolution des coûts de l'énergie nucléaire, qu'il s'agisse de la confirmation de la réduction des coûts, avec la progression des puissances unitaires au niveau des centrales, ou qu'il s'agisse également du phénomène de la réduction des coûts au niveau des combustibles nucléaires.
     Autrement dit, les électriciens peuvent maintenant s'appuyer solidement sur une réserve considérable qui est l'uranium, réserve largement multipliée, je n'y reviens pas, par la venue progressive des surrégénérateurs et ils n'auront pas de raison de refuser à traduire dans les prix de vente du kWh la baisse des prix de revient constatée à monnaie constante au niveau de la production, du transport et de la distribution de 1'énergie électrique.
     Autrement dit, le nucléaire apparait comme un nouveau relais de taille spectaculaire dans l'histoire de l'énergie électrique. 
(...)
     on pouvait pronostiquer une hausse des prix, une nouvelle technique apparaissait qui permettait de poursuivre la ta tendance à la baisse et donc la progression de l'expansion du marché de l'énergie électrique».
     Cette rassurante euphorie devait être de courte durée. Dès 1976, les prémisses d'une crise de l'uranium annoncée de longue date ont balayé la «tendance à la baisse» au profit d'rine hausse certaine D'ailleurs tout ceci ne rappelle-t-il pas les déclarations euplioriques de M. Boiteux, directeur général de l'EDF, en janvier 1972, quand il imposait sa politique du «Tout-Pétrole»:
     «Les années 1970-J 971 apparaîtront cependant comme un point d'inflexion dans les tendances d'évolution des prix, sinon de l'électricité, du moins des combustibles [1]. Non seulement, après la flambée récente, les prix de ceux-ci ne retrouvent pas tout-à-fait leur niveau 69, mais la baisse continue en monnaie constante paraît désormais sérieusement freinée, et la hausse possible, très modérée d'ici 1980 pourrait s'accélérer progressivement ensuite».
(Revue Française de I'Energie, No 238, janvier 1971)
[1] Le combustible dorit parle M. Boiteux en 1972 est le Pétrole (NDLR)
suite:
DE L'EUPHORIE A L'ANGOISSE

     «Et il faut bien voir que les capacités d'extraction de cet uranium sont actuellement loin de pouvoir fournir la demande.
     Telles qu'elles existent actuellement, les capacités de production dans le monde seront déficitaires dès 1977. Certes, compte tenu des stocks de pré-production des usines américaines, les besoins pourront être couverts jusque vers 1981, mais, à cette date, de nouvelles capacités sont nécessaires. »

M.P. TARANGER
Délégué à la Mission Nucléaire
Directeur des Productions au
Commissariat à 1'Energie Atomique
(Article paru dans la Revue Française de l'Energie)

     Et que l'on ne nous parle plus de l'Uranium contenu dans l'eau de mer:

     «En ce qui concerne la production d'uranium à partir d'eau de mer, son coût estimé varie de 60 à 300 dollar/livre;

(...)
     de telles quantités impliquent immédiatement l'élimination de toute mer sans renouvellement, à fortiori de mer fermée, donc un nombre restreint de sites possibles; de plus, la taille des installations devrait être gigantesque et conduirait à de graves problèmes de production d'énergie sur place, etc. De l'avis général, la question n'est pas mûre, même au niveau du procédé, et l'on ne peut compter sur cette solution dans les études actuelles de prospective».
(...)
les immenses capitaux nécessaires à la découverte et à l'exploitation de quantités pouvant arriver aux 200.000 t/an, objectif en soi techniquement difficile à réaliser.
M. M. ZALESKI
Directeur de Technicatome
CHERMANE GBRA
Bruxelles
Revue Générale du Nucléaire, Décembre 75.

     Commentaire Gazette:
     65.000 milliards de tonnes d'eau de mer par an égalent 10.000 fois le débit de la Seine. En fait, un calcul rapide montre que l'énergie nécessaire au brassage de l'eau de mer serait supérieure à celle qu'on pourrait retirer de l'uranium récupéré. L'étonnant, c'est que les apôtres du nucléaire, ceux qui ont lancé les programmes en France, n'hésitaient pas, il y a encore peu de temps à parler de cette possibilité.
     Quant à la conclusion de MM. Zaleski et Chermane, experts fort connus, ne place-t~lle pas la charrue avant les boeufs en demandant d'établir d'abord la confiance pour un système énergétique alimenté de façon si incertaine, justement pour pouvoir espérer l'alimenter ? On est loin en tout cas des «béatitudes» officielles.

p.2

RESSOURCES MONDIALES D'URANIUM NATUREL

     Il faut ici parler de quantité disponible en fonction du prix d'extraction. Un article de la Revue Générale du Nucléaire de mars-avril 1976 fournit les chiffres suivants sous le titre «Ressources en Uranium: des problèmes dès la fin des années 1980?».

Tableau I. - Uranium: Ressources raisonnablement assurées (en milliers de tonnes d'uranium).
Données disponibles au 1er janvier 1975.

(1ère colonne: le prix actuel de ces réserves est doublé; 2ème colonne: le prix actuel de ces réserves est plus du double)

     (a) Il n'a pas été procédé à des estimations des ressources entrant dans cette tranche qui ne Sont par conséquent pas connues. Les travaux de prospection menés à ce tour ont été axés sur la confirmation de l'existence de ressources à teneur élevée.
     (b) Les données indiquées se repportent à des catégories de prix.
     (c) Les estimations indiquées dans cette trenche de prix ont un caractère très provisoire, se limitant aux seuls gisements principaux et sont donc très prudentes.
     (d) Ces chiffres ne comprennent pas 54.000 t d'uranium obtenues comme sous-produit des phosphates, ni 15.000 t d'uranium obtenues comme sous-produit de la production de cuivre, qui pourraient être récupérées d'ici à l'an 2000.
     (e) Chiffres comprenant des «Ressources raisonnablement assurées» représentent quelque 80.000 t d'uranium contenues dans des lignites entrant dans la tranche de coûts comprise entre 15 et 30 dollars par livre d'U3O8,  dont la disponibilité n'est pas encore certaine.
     (f) Le total des ressources de l'Atrique du Sud, s'élevant comme cela est indiqué à la Partie II s'élève à 350.000t d'uranium, a également été fourni en meilleure approximation, ventilé selon les diverses catégories de ressources, encore que des réserves aient été émises quant à
l'exactitude des chiffres décomposés.

     Il ressort que, pour les pays cités, le total des ressources raisonnablement assurées à un prix, au 1er janvier 1975, de 30 dollars la livre d'oxyde d'uranium avoisine 1.800.000 tonnes.

     Or, dans ces mêmes pays, les besoins cumulés pour 1990 ont été évalués par l'OCDE [1] en 1973, donc avant la grande course au nucléaire, à 1.700.000 tonnes.

[1] OCDE et Agence Internationale pour 1'Energie Atomique - Uranium Ressources, Production et Demande - Août 1973.

suite:
ET L'EUROPE?
90 % des besoins proviendront des pays tiers

     Au niveau des ressources d'uranium, l'Europe n'est pas très bien lotie
comme le montre le rapport annuel 1975 de l'Agence d'Approvisionnement d'Euratom:
     «Dans ce rapport, le Comité arrive à la conclusion qu'à partir de 1979/1980 environ, les besoins croîtront constamment jusqu'en 1985; la plus grande partie de ces besoins ne sont actuellement couverts ni par des contrats de fourniture à long terme, ni par des réserves d'uranium connues dont peuvent encore disposer les producteurs de la Communauté. Le groupe de travail estime qu'il est possible de pallier les difficultés d'approvisionnement en intensifiant les programmes tant publics que privés d'exploration et d'exploitation des gisements d'uranium et que la Communauté se doit de soutenir et de promouvoir ces programmes».

     Etant donné qu'environ 90 % des besoins en uranium de la Communauté seront couverts par les pays tiers, le rapport prévoit qu'une des tâches essentielles sera de protéger les entreprises communautaires opérant dans ces pays tiers contre les risques politiques et de les aider à prospecter et à extraire l'uranium, seules, ou en coopération avec les entreprises du pays intéressé, le cas échéant en concluant des accords avec les pays tiers.

Il est souligné dans le rapport que la co,istitution de réserves de sécurité et le maintien de stocks dans la Communauté sont des mesures souhaitables pour la sécurité de l'approvisionnement ~ qu'il soit précisé Si ces stocks doi-v~nt être constitués par les utilisateurs, au niveau national ou au niveau commu'a'.utaire. Cette question est laissée en ç7< 'pens étant donné que, de l'avis unani,ne, des achats supplémentaires d'ura~~iiim aggraveraient encore la situation act'<elie du marché. »

(Enerpresse, no 1633)

     L'allusion à un nouveau «colonialisme de l'uranium» n'est même pas masquée. N'est-il pas démentiel de l'envisager? Et faut-il que la situation des ressources européennes soit grave pour que l'on écrive des choses pareilles !

Voilà qui nous rappelle le Sahara!
 

p.3

LA SITUATION FRANÇAISE

     «Officiellement», elle est très bonne:

     «A 100 F/kg (soit environ 10 dollar/lb NDLR), la France contrôle environ 150.000 t d'uranium, en métropole et à l'étranger. Ceci représente pour la filière à eau légère, à raison de 25 t par milliard de kWh, le combustible exigé pendant 6.500 h par an et pendant trente ans par le parc de 30.000MW qui sera en service dans notre pays vers 1985. La situation est sensiblement la même pour les Etats- Unis, la couverture certaine étant de l'ordre d'une vingtaine d'années

Extrait des discussions d'une table ronde organisée par la
Société Française d'énergie nucléaire,
le 31janvier 1975
Président : M. CARLE (CEA)
Animateur : M. DEJOU (EDF)
Participants : MM. LENY (Directeur Frarnatome)
VENDRYES (CEA)
TROCHERIS (CEA)

     Mais la réalité est différente:
     Ces Messieurs de la Table Ronde annoncent le «contrôle » de 150.000 t d'uranium à 10 dollars la livre, alors que (cf. tableau OCDE) la France n'a sur son territoire que 37.000 t d'uranium à extraire à 15 dollars la livre, soit le quart !
     En fait, il n'y en a donc en France que pour 7 ans 1/2 à ces prix.
     Le C.E.A. a obtenu un permis d'exploitation pour le gisement d'uranium situé sur les communes de Chiddes Suin et Sivignon (71). La concession fait 780 hectares. Les relevés détaillés montrent que le gisement - en fait quelques nodules - représente 3.000 tonnes de minerais, contenant 15 tonnes d'uranium, 12 heures d'électricité d'origine nucléaire pour le parc français de 1985.
     Son exploitation, prévue pour 1977 ou 78, réclame la destruction d'un site classé, une route d'accès à travers un bois pour camions de 50 tonnes et un renforcement, sinon la destruction, des routes permettant le transport du minerais à l'usine de concentration de St Pirest la Prugne (Loire) située à environ 150 km du gisement.

La France ne manque donc pas d'uranium !

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