Le moteur propre existe, et pas seulement dans l'imagination de quelques écologistes utopistes. Ce n'est pas un moteur électrique, il fonctionne à l'air comprimé. Un groupe de dix-huit ingénieurs et techniciens spécialisés travaillent depuis plus de cinq ans, à Brignoles (Var), sur ce procédé novateur dont a eu l'idée en 1991 un motoriste, Guy Nègre, auquel avaient fait appel pendant trente ans aussi bien de prestigieuses écuries de Formule 1 que l'industrie aéronautique.
A chaque régime son carburant
De son expérience en F 1, Guy Nègre a tiré un constat : les bolides de course démarrent - mais démarrent seulement - au moyen d'une turbine à air comprimé. Pourquoi ne pas utiliser de l'air comprimé comme carburant quand le véhicule n'a besoin que de peu d'énergie, en ville par exemple, où se posent précisément les problèmes de pollution ?
Pour plancher en toute sérénité sur ce concept de voiture propre, le motoriste a totalement abandonné ses activités chez les constructeurs et créé sa société, CQFD Air Solution, chapeautée par une maison mère, Motor Development International, implantée au Luxembourg.
Son premier contrat, MDI vient de le signer avec le gouvernement mexicain et des industriels venus spécialement de Mexico, la ville la plus irrespirable du monde. Ils fabriqueront chez eux, sous licence, l'enfant révolutionnaire de l'entreprise française.
Au début de l'aventure, l'équipe de Guy Nègre s'intéresse à un moteur bi-énergie : essence, gazole ou GPL (gaz de pétrole liquéfié) pour rouler en dehors des agglomérations et air comprimé en zone urbaine. Nom de baptême : MDI EV3. En mode thermique, pour la route, il a également été étudié pour rejeter le moins possible d'hydrocarbures. « Habituellement, tout le cycle thermodynamique se fait dans le même cylindre. Ici, nous avons séparé les fonctions - aspiration, compression, combustion, détente, échappement - dans des chambres distinctes pour optimiser les cycles du moteur, explique Guy Nègre. Avec des temps de combustion de trois à quatre fois plus longs que ce qui se fait classiquement, dans une chambre compacte de forme idéale, les émissions de gaz polluants sont très inférieures à celles qu'on enregistre sur les moteurs catalysés actuels. »
De l'air plus pur après utilisation qu'avant
Cette notable performance est néanmoins éclipsée par l'exploit technique que représente l'autre aspect de cette invention (brevetée mondialement, il va sans dire) : le fonctionnement urbain à air comprimé. A bas régime, suffisant pour circuler en ville, le MDI EV3 n'est plus alimenté en essence ; c'est l'air comprimé respirable qui prend le relais, stocké à plus de 200 bars de pression dans un réservoir en carbone, du type bouteille de plongée. Le principe, simple, est fondé sur la physique élémentaire.
Ce système présente un intérêt qui devrait ravir les défenseurs de l'environnement. Sous le capot du véhicule « zéro pollution » se trouve un mini-compresseur haute pression, entraîné par le moteur, qui va aspirer l'air extérieur lors des décélérations et des freinages. Cet air impur passe par des filtres à charbons et par une sorte de sas moléculaire. Après avoir joué son rôle de carburant, il sera rejeté infiniment plus propre dans l'atmosphère.
« Nous avons fait des propositions à la Ville de Paris pour remotoriser les 4 000 autobus et autres bennes à ordures. Cela représenterait 15 millions de mètres cubes d'air nettoyés par jour dans une ville où la pollution devient préoccupante », indique l'ingénieur en chef.
La RATP n'a, semble-t-il, pas été insensible à l'argument, mais il lui fallait du concret : un moteur pour véhicule lourd, dûment testé. « Notre entreprise n'avait pas les infrastructures nécessaires à cette réalisation, notamment pas de banc d'essais adapté. » L'équipe de CQFD a donc décidé de réduire les volumes et de construire un moteur mono-énergie - air comprimé seul - qu'accueillera un taxi new look, également concocté par la société de Brignoles, avec l'aide d'un designer italien de chez Bugatti. Son nom : T0P (taxi zéro pollution).
Ainsi est née une voiture du XXIe siècle, qui satisfait à des critères d'espace intérieur, de confort, de silence (grâce à une faible pression à l'ouverture de l'échappement) et bien sûr de totale innocuité pour le monde extérieur.
En outre, contrairement au catalyseur, l'échappement froid n'entraîne pas le redoutable effet de serre.
C'est une Citroën AX qui a servi de cobaye pour les essais du MDI «zéro pollution». Les énormes dossiers d'étude de ses « pères » brignolais débouchaient enfin sur une réussite impeccable. Carte de visite du moteur : de 60 à 80 CV à 7 000 tours/min, 34 kg, 15 litres d'air comprimé haute pression pour une heure de déplacement en ville. Vitesse maximale : 100 km/h ; contenance des réservoirs du taxi : 300 litres. Et un plein à 10 F en heures creuses.
Le remplissage des réservoirs (un principal et une « recharge ») peut se faire de deux manières. Soit le conducteur se rend à une station d'air haute pression - les garages et les stations-service devront s'équiper. L'opération s'effectue alors en trois minutes. Soit l'automobiliste branche dans son garage, sur une banale prise de courant, le compresseur intégré pendant quatre à cinq heures. Cette voiture propre, dont l'entretien est quasi inexistant, n'a pas le handicap de sa consoeur électrique aux batteries trop lourdes et trop chères...
87 000 taxis Mexicains peu à peu remplacés
Elle a donc séduit José Luis Tamargo, président de la commission parlementaire des transports et des routes du Mexique, Leonardo Lazo Margain, directeur général de cette commission, et Francisco Perez del Rincon, un industriel de l'automobile de Mexico, venus spécialement l'été dernier à Brignoles.
« Ayant eu connaissance de notre travail par des agents commerciaux français installés au Mexique, ils nous ont affirmé qu'ils avaient examiné plusieurs dizaines de propositions à travers le monde, mais qu'ils n'avaient jamais étudié un système aussi réaliste et économique que le nôtre. Et qui pouvait se révéler déterminant pour l'avenir de leur pays », précise le fils de Guy Nègre, également ingénieur, qui a fait ses classes chez Bugatti.
Après de multiples tests, l'accord de licence a donc été signé fin 1997, les brevets restant la propriété de MDI. Concrètement, cela devrait se traduire par le remplacement progressif des 87 000 taxis qui crachent leurs gaz polluants dans le ciel de Mexico. Et le gouvernement laisse entendre qu'une loi pourrait être votée pour obliger les taxis et les véhicules des services publics à se convertir à l'air comprimé ! L'essence étant assez peu taxée au Mexique, son remplacement par un «carburant» très peu onéreux n'engendrerait pas pour l'Etat un gros manque à gagner.
Le monospace, soit jaune, soit vert, dont le prototype est déjà au point, et le moteur propre seront construits dans la banlieue de Mexico dans les deux prochaines années. Les coûts de fabrication devraient être inférieurs à ceux d'un véhicule conventionnel, «notamment en raison du faible poids du moteur», selon les spécialistes... Et le produit fini pourrait revenir en Europe, où l'on ne cesse de chercher des remèdes au fléau de la pollution, sans pour autant cueillir une solution à portée de main.
Dans les ateliers de l'entreprise varoise, les techniciens étudient d'autres versions du taxi jaune : fourgonnettes et pick-up, destinés aux livraisons ou aux services municipaux. Ils n'en continuent pas moins d'améliorer leur véhicule vedette.
«Nous avons également recherché le confort du chauffeur et des passagers, explique l'un des »aménageurs« du monospace : trois ou quatre places en vis-à-vis à l'arrière et un vaste espace pour les jambes, un plancher plat, une seule porte largement coulissante du côté du trottoir. Et sa taille - 3,84 m de longueur et 1,72 m de largeur - ne pose pas de problème de stationnement». En fait, la carrosserie évoque celle des taxis anglais.
Les «petits plus» ne manquent pas d'attraits : climatisation intégrée, télévision, téléphone, minibar, guidage par satellite avec affichage de diverses informations sur le tableau de bord... Pensant aussi aux personnes handicapées, les ingénieurs ont prévu une rampe d'accès pour les fauteuils roulants. Le coffre à bagages se trouve à côté du conducteur, qui est seul à l'avant et qu'une vitre peut isoler du reste de l'habitacle.
Une vingtaine de brevets du moteur, du taxi et de leurs trouvailles annexes ont déjà été déposés. «Nous atteindrons peut-être la trentaine», estime Guy Nègre, qui a été contacté par des industriels asiatiques, britanniques et néerlandais, très intéressés. Des constructeurs français, à qui il avait soumis son projet, ont répondu par un vague « on en reparlera» ou n'ont pas répondu du tout...