Les énergies renouvelables font
depuis la première crise pétrolière en 1973 l’objet
des discours les plus divers. Leurs zélateurs [1
] en font parfois la panacée universelle en leur prêtant
la capacité à satisfaire largement à bon marché
l’ensemble des besoins de l’humanité sans risques de pénurie
et sans problème d’environnement. D’autres, se fondant uniquement
sur l’analyse des marchés à court terme, ne voient dans les
renouvelables qu’un appoint marginal au bilan énergétique
dans un avenir prévisible et reportent chaque année plus
loin la date d’une émergence significative de ces solutions. Depuis
le début des années 90, les préoccupations, d’abord
de réchauffement du climat et plus récemment de développement
durable ont relancé l’intérêt autour de ces sources
renouvelables, mais toujours dans la même ambiguïté sur
les enjeux réels qu’on peut leur assigner raisonnablement dans les
différents pays du monde à plus ou moins long terme. Le consensus
affiché au travers des discours politiques des uns et des autres
sur les enjeux attachés à leur développement n’a pourtant
pas conduit dans l’immédiat la plupart des pays développés
à un effort public continu, qui puisse se comparer à ceux
consentis pour les énergies fossiles ou l’énergie nucléaire.
Comment rendre la discussion possible sur des bases tant soit peu objectives et quantifier peu ou prou les enjeux des différentes énergies renouvelables raisonnablement utilisables à chaque époque et dans chaque région du monde? Comment juger de la pertinence des politiques proposées par les uns et les autres au nom du développement de l’environnement, du développement durable pour développer l’usage de ces ressources ? (suite)
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Et d’abord de quoi parle-t-on? On range sous le terme d’énergies renouvelables un ensemble d’énergies inépuisables à l’échelle humaine, la plupart issues de l’activité solaire mais qui se manifestent à travers des phénomènes physiques très divers. · Une énergie photonique: l’énergie solaire, qui provient du flux de photons solaires sur la surface terrestre. · Des énergies mécaniques: - l’énergie éolienne qu’on peut tirer de la force du vent qui circule des hautes vers les basses pressions dans l’atmosphère terrestre, - l’énergie hydraulique gravitaire, qu’on peut tirer de la force mécanique des chutes d’eau, - l’énergie marémotrice qui tire parti des courants associés aux marées des océans, - l’énergie des vagues qui tire profit de l’énergie mécanique des vagues, elles-mêmes produites par le vent. · Des énergie thermiques: - la géothermie qui exploite le flux de chaleur qui provient des couches profondes de la terre, - l’énergie thermique des mers qui exploite les différences de température entre la surface et les couches profondes des mers tropicales ; · Des énergies de combustion: - d’un combustible ou d’un carburant renouvelable, qu’on appelle biomasse, tiré de la matière organique (les plantes, les arbres, les déchets animaux, etc.), elle-même fabriquée grâce au soleil par la photosynthèse du carbone. p.5
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Toutes ces sources d’énergie
peuvent être transformées par des moyens plus ou moins sophistiqués
en énergie directement utile à l’homme. C’est ce qu’on appelle
des “filières énergétiques”. Chaque filière
tire parti d’un des phénomènes cités plus haut (photonique,
gravité, gradient de pression, chaleur, etc.) à travers des
processus de transformation physique pour aboutir à une forme d’énergie
directement utilisable par l’homme pour satisfaire ses besoins de chaleur,
de force motrice fixe, d’électricité (pour faire tourner
des machines, s’éclairer, alimenter électroménager
et ordinateurs), de force motrice mobile pour assurer les transports. La
notion de filière recouvre donc à la fois l’origine de l’énergie
mais aussi le besoin final qu’il s’agit de satisfaire.
Cette notion n’est évidemment pas spécifique aux renouvelables et s’applique aussi bien aux énergies renouvelables et s’applique aussi bien aux énergies fossiles. Quand on dispose par exemple de pétrole, un concentré d’énergie aisément transportable et stockable, on peut à partir de plusieurs filières, fournir de la chaleur (à travers une chaudière ou un four), de l’électricité (avec une centrale thermique ou un diesel) ou du carburant pour faire tourner le moteur de sa voiture. En fait, à partir d’une source d’énergie primaire comme le pétrole, on peut sans grande difficulté [2 ] décliner l’ensemble des applications répondant aux besoins d’énergie utile des hommes. Dans le cas des énergies renouvelables au contraire, des spécificités s’introduisent, des applications privilégiées à des besoins déterminés apparaissent, des impossibilités pratiques aussi, qui viennent restreindre la possibilité pratique d’usage de ces énergies. Pourquoi ? Principalement pour deux raisons: (suite)
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- D’abord parce que ces énergies ne sont pas toutes constamment à notre disposition “ à l’état naturel ” : le soleil ne brille pas la nuit et s’affaiblit fortement avec les passages nuageux, le vent souffle quand il veut, les barrages ne stockent l’eau que pour quelques mois, les déchets de l’agriculture finissent par pourrir. Comme on ne sait généralement pas ou mal stocker ces sources d’énergie dans leur état naturel (à l’exception du bois), on n’est pas sûr d’en disposer au moment où l’on en a besoin; - Ensuite parce que ces énergies sont dispersées et généralement peu transportables sous leur forme originelle, à l’exception notable du bois qui se transporte bien. Dans la plupart des cas, il faut utiliser les énergies renouvelables à l’endroit même où elles se manifestent alors que les concentrations de population peuvent s’en trouver éloignées : c’est le cas du Groenland très peu peuplé et disposant d’un potentiel considérable d’énergie éolienne ou du Sahara disposant d’un énorme potentiel d’énergie photonique solaire. Tout le monde connaît les filières les plus courantes, le feu de bois pour se chauffer ou faire la cuisine, le chauffage de l’eau dans un capteur peint en noir placé derrière une vitre pour réaliser un chauffe-eau solaire, les moulins à vent ou les turbines hydrauliques. D’autres filières font appel à des phénomènes plus complexes comme par exemple le photovoltaïque ou la thermodynamique pour produire directement de l’électricité à partir du soleil ou la fermentation alcoolique pour obtenir des carburants. Il existe une dizaine de filières d’énergies renouvelables qui méritent une attention toute particulière parce qu’elles représentent dès maintenant ou à court ou moyen terme un potentiel important au niveau mondial. Certaines d’entre elles ont atteint le stade du marché ou de la démonstration technique et économique, au moins dans des zones et des circonstances favorables et sont capables de répondre à des besoins importants de nombreuses régions du monde. D’autres encore en développement présentent des potentiels importants à moyen et long terme. p.6
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Le tableau 1 qui les regroupe est établi
en croisant les principaux besoins énergétiques et les sources
d’énergie renouvelable. On a indiqué
par des étoiles les cases qui correspondent pour chaque source renouvelable
aux applications les plus significatives (de cinq étoiles pour les
principales à une pour celles qui restent marginales) [3
]. L’observation rapide de ce tableau confirme les propos précédents.
En dehors de la biomasse dont les applications peuvent couvrir pratiquement
tout le spectre des usages, y compris celui de carburant (pour deux de
ses filières), la plupart des sources renouvelables se voient cantonnées
à une ou deux applications significatives et ne sont pas naturellement
adaptées à certains usages, en particulier celui des transports
non électriques. Bien entendu, comme nombre
de ces filières conduisent à l’électricité,
on peut au prix d’un complexité accrue, de rendements décroissants
et de coûts croissants, obtenir les autres services énergétiques
à partir de cette électricité (cuisine, chauffage,
au besoin carburant) [4 ].
Le tableau 1 fait ressortir les points suivants : Le solaire thermique (les capteurs solaires), la géothermie et la biomasse sous ses différentes formes sont bien adaptés pour répondre aux besoins de chaleur basse température qu’on rencontre dans l’habitat, le tertiaire et l’industrie. La biomasse et beaucoup plus marginalement le solaire sous concentration sont bien adaptés aux applications de cuisson domestique. Seule pratiquement la biomasse et bien adaptée aux applications haute température dans l’industrie où elle peut se substituer au charbon. En ce qui concerne l’électricité hors réseau, on trouve une bonne adéquation entre les besoins et le photovoltaïque pour les applications de petite puissance inférieure à 1 kW), l’éolien, de quelques kW à une cinquantaine de kW, la biomasse et la petite hydraulique de quelques dizaines de kW à quelques MW. Seules ces deux dernières filières permettent d’éviter un stockage d’énergie sous forme d’électricité puisqu’on peut dans ces deux cas opérer un minimum de stockage de l’eau ou du combustible biomasse. Pour l’électricité écoulée sur le réseau, la grande hydraulique, les marémotrices, le photovoltaïque, l’éolien, la géothermie haute température et les diverses filières biomasse sont bien placées. En dehors des problèmes économiques, les limites à cette adéquation résultent de l’aspect fluctuant de la ressource (en particulier pour le solaire et l’éolien) qui pose des problèmes de compatibilité avec le réseau électrique. Enfin seules pratiquement, tout au moins dans un futur proche, les filières biomasse méthane et les filières cultures énergétiques (biocarburants à base d’alcool ou d’huiles) sont des candidats sérieux pour l’obtention de carburants automobiles. Il est important de garder en tête ces diverses caractéristiques des filières renouvelables quand on se pose la question de leur participation potentielle aux bilans nationaux, régionaux et mondiaux. Alors que les énergies fossiles, et en particulier le pétrole, nous avaient habitués à raisonner uniquement en besoins d’énergie primaire (le nombre de tonnes de pétrole nécessaire à boucler le bilan énergétique tous usages d’un pays comme la France), il faut pour quantifier l’apport éventuel des renouvelables dans le bilan énergétique entrer dans le détail et partir de la description des besoins [5] locaux. (suite)
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Si l’on s’intéresse par exemple aux applications du photovoltaïque aujourd’hui dans deux régions aussi différentes que l’Afrique et l’Europe on se rend vite compte : · qu’en Europe les applications hors réseau qui atteignent la compétitivité économique sont tout à fait marginales dans le bilan électrique car le taux de raccordement aux réseaux est très élevé : quant aux applications sur réseau elles restent encore plus largement hors de portée pour des raisons économiques (coût au kWh>0,3 euros contre 0,03 pour leurs concurrents fossiles ou nucléaires) ; · qu’en Afrique par contre le photovoltaïque, dont les applications sur le réseau sont également pratiquement exclues pour des raisons économiques, il existe un potentiel important de pré-électrification rurale photovoltaïque compétitif avec d’autres solutions (même si les bénéficiaires potentiels ne sont pas solvables). Si maintenant on s’intéresse au bois énergie dans ces deux régions, on constate que la mise en valeur de la ressource accessible en Europe (de l’ordre de 50 à 70 Mtep) suppose de poursuivre une politique volontariste dans le domaine du chauffage des locaux, de la chaleur industrielle voire de la production d’électricité à partir du bois en substitution aux combustibles fossiles actuellement mis en œuvre. En effet, si aujourd’hui une quarantaine de Mtep de ce potentiel sont déjà mobilisés, c’est souvent dans des conditions de rendement très mauvaises (mauvaise isolation des locaux et rendement très faible des transformateurs de chaleur). Les technologies à haut rendement sont aujourd’hui disponibles. La simple substitution des foyers anciens par ces nouveaux outils permettrait des économies de bois importantes de l’ordre de 15 à 20 Mtep. L’enjeu porte donc en Europe sur 30 à 40 Mtep supplémentaires ce qui suppose une politique volontariste vu la concurrence des énergies de réseau. En Afrique, la ressource de bois accessible (>250 Mtep) est aujourd’hui en partie utilisée (170 Mtep) sous forme de bois de feu pour des applications principalement domestiques (cuisson) avec un rendement de 0,3 à 0,4 tep par habitant pour ces applications contre 0,05 tep en Europe par exemple. Si des progrès techniques sont apportés aux méthodes de cuisson, une partie importante de ces ressources sera dégagée pour d’autres usages et viendra s’ajouter aux ressources actuellement non mobilisées et disponibles pour d’autres usages. Mais pour mobiliser ces ressources importantes, encore faut-il développer et diffuser les technologies nécessaires à la satisfaction de ces nouveaux usages, qu’il s’agisse de production de chaleur industrielle ou d’électricité. À défaut d’un tel développement local, le potentiel de bois raisonnablement mobilisable restera improductif. À travers ces deux exemples on prend conscience de la nécessité de dépasser un discours global sur les énergies renouvelables et le développement (durable ou non) pour entrer dans une description plus proche de la réalité des enjeux de chacune des filières dans chaque région du globe en tenant compte à la fois des ressources physiques en place, de leurs caractéristiques propres, de l’état des technologies de transformation, et des besoins associés à la phase de développement des société susceptibles de les mettre en œuvre. p.7
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Les différents usages de
l’électricité (l’éclairage, l’électroménager,
le froid, l’eau chaude sanitaire le chauffage des locaux, les moteurs ou
les fours industriels) présentent des caractéristiques temporelles
très diverses dans la journée (pointe d’éclairage
du soir), la semaine (arrêt des machines industrielles le week-end),
ou l’année (chauffage des locaux, vacances d’été des
entreprises). Les besoins de puissance électrique varient donc constamment
et dans de grandes proportions au cours de la journée, de la semaine
et des saisons.
Dans le cas d’une production d’électricité fossile, on peut répondre aux fluctuations des besoins en installant les capacités de puissance suffisantes (le maximum de puissance probable) en stockant à proximité les combustibles nécessaires, en amont de la production d’électricité. On module alors le régime de production électrique en fonction des besoins instantanés (soit en faisant marcher à régime variable un outil unique de production, soit en démarrant successivement des tranches de production au rythme de l’évolution des besoins). On peut aussi tenter, en raccordant sur un même réseau de nombreux clients qui présentent des caractéristiques très diverses d’utilisation dans le temps d e l’électricité de “ lisser la courbe de charge ”. Si l’usine untel qui appelle au cours de la journée une puissance constante de 300 kW ferme le soir à 18 heures, elle libérera cette puissance pour d’autres usages, par exemple ceux d’une centaine de clients domestiques dont les besoins d’électricité se situent justement en fin d’après-midi. C’est sur ce principe qu’une société comme EDF établit une tarification variable dans le temps pour inciter ses clients à décaler les usages de pointe vers des usages d’heures creuses. Qu’en est-il quand une part de cette électricité est produite à partir d’énergies renouvelables ? Du point de vue de la production d’électricité, la caractéristique principale n’est pas le caractère renouvelable de la ressource mais son degré d’intermittence et le caractère plus ou moins aléatoire de sa disponibilité. - l’intermittence : elle peut être journalière comme le rayonnement solaire, ou les marées. Elle est alors connue, inéluctable, mais totalement prévisible. Elle peut être saisonnière (les précipitations par exemple). - L’aspect aléatoire. On sait que le climat moyen d’une région déterminée s’accompagne de fluctuations importantes : les années de sécheresse exceptionnelle et d’hydraulicité maximale se succèdent, les journées ensoleillées et pluvieuses, etc. Ces deux caractéristiques aux conséquences diverses viennent compliquer ou limiter, plus ou moins, selon les filières et l’organisation adoptée (réseau ou hors réseau), l’usage des sources renouvelables pour satisfaire les besoins d’électricité d’une société donnée. C’est particulièrement vrai pour le soleil et le vent, énergies intermittentes et aléatoires. De plus dans ces deux cas, on ne connaît pas de moyen pratique (au contraire de l’hydraulique ou du bois par exemple) de stocker la ressource en amont de la production d’électricité ; seules restent des possibilités de stockage de l’électricité (soit par pompage d’eau, soit par batteries, soit sous forme de chaleur, soit par fabrication d’un composé chimique capable lui-même de fournir de l’énergie, par exemple de l’hydrogène). De ce point de vue par contre, la biomasse et l’hydraulique de barrage présentent des caractéristiques bien plus proches des fossiles. (suite)
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La question se pose donc principalement pour le soleil et le vent. Il faut en utiliser les flux d’énergie quand ils se présentent et là où ils sont, les transformer en électricité sur place et les insérer au mieux (éventuellement avec un stockage d’électricité) pour répondre aux fluctuations de la demande des utilisateurs. Deux exemples concernant le photovoltaïque. Celui-ci produit une puissance électrique directement proportionnelle aux flux solaire incident sur les photopiles. Il est donc particulièrement bien adapté aux besoins électriques qui se situent au milieu des journées à fort ensoleillement. C’est le cas de la climatisation. Il est par contre beaucoup moins bien adapté aux besoins d’éclairage domestique qui se situent par principe après le coucher du soleil et qui sont d‘autant plus importants que la période journalière d’ensoleillement est courte. Il existe une variété de solutions pour pallier tout au moins partiellement ces difficultés: · Pour les applications hors réseau, où la mutualisation de besoins très divers n’est pas possible, plusieurs solutions peuvent être envisagées : - la première, trop souvent négligée, consiste à faire tous les efforts de maîtrise de la demande d’électricité, en quantité par l’utilisation d’appareil économes, et dans le temps, en décalant les uns par rapport aux autres le démarrage d’appareils dont l’utilisation peut être décalée sans inconvénient majeur, - la seconde consiste à stocker l’énergie électrique produite généralement grâce à des batteries, - la dernière consiste à installer un second système de production utilisant une ressource stockable qui viendra secourir la première en cas où elle fait défaut. Dans ces deux derniers cas, on s’expose à des frais conséquents d’investissement et de fonctionnement supplémentaires. · Pour les applications sur le réseau, on dispose de deux marges de manœuvre supplémentaires : mutualisation de besoins divers et de moyens de production diversifiés et géographiquement disséminés. Si la part des énergies renouvelables aléatoires et intermittentes reste modeste, on pourra compter sur la puissance déjà installée sur le réseau et déjà plus ou moins modulable pour assurer la sécurité d’approvisionnement. De même la mise en réseau de centres de production disséminés et utilisant des ressources renouvelables diversifiées provoque un effet de complémentarité qui permet d’assurer une meilleure disponibilité moyenne d’électricité. On pourra alors considérer que la mise en service de la ressource renouvelable s’apparente à une économie d’énergie stockable (en particulier fossile). Mais cette complémentarité géographique suppose un renforcement des réseaux de transport et de distribution qui va a priori à l’encontre de l’avantage généralement attribué au caractère d’autonomie locale des énergies renouvelables. Si la part des ressources renouvelables intermittentes et/ou aléatoires sort de la marginalité (par exemple au-dessus de 10% en énergie annuelle), on sera amené à installer des capacités de production supplémentaires utilisant des combustibles stockables pour assurer dans tous les cas la fourniture. Cette sécurité s’obtient au prix d’un surcoût pour assurer la continuité des approvisionnements. La discussion actuelle sur le degré de participation de parcs importants d’éoliennes aux pointes journalières et saisonnières de la France métropolitaine est le reflet de cette préoccupation économique. p.8
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“ Global Chance est une association
de scientifiques qui s’est donné pour objectif de tirer parti de
la prise de conscience des menaces qui pèsent sur l’environnement
global (“Global Chance”) pour promouvoir les chances d’un développement
mondial équilibré”. Tels sont les premiers mots de la
charte de notre association, telle qu’elle fut présentée
en juin 1993 à la dernière page du numéro 2 de ses
cahiers, numéro en tête duquel se trouvait un dossier intitulé
“ Global Chance et le nucléaire : débattre de l’avenir
de l’énergie nucléaire ”. Le présent article s’inscrit
dans cette problématique.
Le nucléaire est-il nécessaire
?
(suite)
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Cependant une possibilité n’est jamais qu’une possibilité et l’évolution de la conjoncture due à la prise de conscience des conséquences climatiques probables de l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Nombreux sont cependant ceux qui croient pouvoir montrer que cette conjoncture ne suffira pas à rendre le nucléaire nécessaire. Autrement dit : ceux qui pensent que l’on pourrait encore très probablement, malgré la menace climatique, se passer de l’énergie nucléaire et que, en tout état de cause, moins il y en aura mieux – toutes choses égales d’ailleurs – cela vaudra. Il n’est peut-être pas impossible que – à condition de le vouloir vraiment et d’agir en conséquence – l’on puisse se passer de l’énergie nucléaire et cela malgré la menace climatique due à l’accroissement de l’effet de serre. Cependant il me paraîtrait téméraire d’affirmer catégoriquement que tel sera effectivement le cas. Je considère donc que l’application du principe de précaution fait obligation de ne récuser a priori dans l’avenir aucune sorte d’énergie et qu’il convient très concrètement de mettre tout en œuvre pour que toute catégorie d’énergie puisse éventuellement intervenir s’il advient que son usage s’avère concrètement nécessaire à un moment donnée. Cela me paraît valoir pour l’énergie nucléaire, mais pas pour n’importe quelle énergie nucléaire : pour un nucléaire à la fois sûr et propre. Du point de vue de la sûreté, il nous a longtemps été dit que le nucléaire français était extrêmement sûr, ce qui n’empêche pas les officiels du nucléaire de fonder en la matière la stratégie à venir sur l’amélioration de la sûreté. Tel est en particulier le cas du projet franco-allemand EPR, sur lequel je reviendrai. Or, quoi qu’il en soit de sa sûreté améliorée, il doit être au moins clair que ce projet ne constitue pas un projet de nucléaire “ propre ” dans la mesure où non seulement il ne résout pas le problème – toujours non résolu – des déchets à vie longue, mais où, par son recours généralisé au combustible MOX, il le complique. Sûr ou non, le projet EPR n’est pas un projet “propre”. La question des déchets nucléaires
p.9
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· La deuxième problématique
reposait sur la conviction qu’il ne peut y avoir d’avenir pour l’énergie
nucléaire que si tout le cycle du combustible est pris en compte.
Pour les tenants de cette position, il est assez vain, sinon stratégiquement
dangereux, de considérer la seule sûreté des réacteurs
eux-mêmes, quel que soit par ailleurs l’intérêt évident
de rendre celle-ci la meilleure possible. C’est la position qui fut exposée
par le représentant du Ministère de l’Environnement et il
m’a semblé que la Direction de la Sûreté des Installations
Nucléaires, tout en soutenant vigoureusement le projet EPR, y était
assez favorable. J’ai par ailleurs cru comprendre dans le débat
que c’était la position de Claude Birraux lui-même. C’est
d’ailleurs ce qui ressortait déjà de son rapport de mars
1997 sur le contrôle de la sûreté et de la sécurité
des installations nucléaires où il déclarait à
propos du projet Rubbia : “J’ai désormais acquis la conviction
que (souligné dans le texte) la véritable
maîtrise des déchets radioactifs ne pourra provenir que de
ruptures scientifiques et technologiques profondes. En ce sens je rejoins
parfaitement les perspectives tracées par l’équipe Rubbia
: la filière doit former un tout, dont l’utilité n’est réelle
que si elle est pleinement optimisée à chaque stade : réacteur
et cycle du combustible. Il me paraît illusoire de prétendre,
même à long terme, maîtriser la production et l’élimination
des déchets dans le cadre des filières existantes” (pp.
285-286).
· La troisième position adoptée au cours du débat du 4 mars 1998 était celle qui prend en considération la nécessité de placer l’énergie nucléaire dans une politique énergétique globale à long terme en prenant en particulier en compte le problème de l’effet de serre. Il me semble évident qu’il faut mener de front ces trois problématiques, mais en les articulant avec lucidité, ce qui me conduit à formuler les propositions suivantes : 1. La raison primordiale qui pousse à lancer rapidement le projet EPR réside manifestement dans cette forme de “ précaution ” qui consiste à entretenir la compétence nucléaire en Europe, en particulier en France : chez Framatome et dans l’ensemble du tissu industriel concerné par les réacteurs (qu’il s’agisse de l’entretien du parc actuel ou de la fabrication effective des réacteurs). C’est une considération à court terme, mais susceptible d’être très importante, y compris pour le long terme. 2. La nécessité de résoudre durablement le problème des déchets est évidente. Faute d’y parvenir ou d’afficher fortement la volonté d’y parvenir , il est à craindre que le nucléaire devienne socialement inacceptable, ce qui risque de constituer une conséquence désastreuse et supprimerait d’ailleurs tout intérêt au projet EPR. La question qui se pose est donc de savoir – quoi qu’il en soit par ailleurs du projet EPR qui s’inscrit résolument dans le cadre des filières existantes – s’il ne convient pas d’adopter en matière nucléaire une attitude “révolutionnaire” afin d’aboutir, selon les termes de Claude Birraux à “une véritable maîtrise des déchets radioactifs ” qui, précisément, ne saurait selon lui être obtenue en s’inscrivant dans le cadre des filière existantes (dont l’EPR). Reste à savoir si une telle “véritable maîtrise des déchets radioactifs" est possible... (suite)
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L’exigence d’un “nucléaire propre”. Que faut-il entendre par “ un nucléaire propre ” et jusqu’à quel point l’exigence de propreté constitue-t-elle un impératif ? Plus encore que la notion de nécessité, celle de propreté ne prend sens que référée à un certain contexte écologique et culturel. Appliquée à une industrie, il y a “ propreté ” lorsque les effluents et déchets de cette industrie sont écologiquement, sanitairement et culturellement acceptables. Or la notion d’acceptabilité est manifestement une notion relative. La question est donc : est-il envisageables que la question des déchets nucléaires à vie longue soit un jour résolue d’une façon qui soit socialement acceptée et définitivement acceptable ? Il me semblerait indispensable de faire ici un bilan de la situation de l’ensemble des déchets, dans l’ensemble des pays de la planète : en particulier des déchets de l’industrie chimique . Est-il si évident que les déchets radioactifs de l’industrie nucléaire soient considérablement plus menaçants que certains déchets des usines chimiques ? Est-il évident que les sommes allouées à la protection des populations soient rationnellement répartie entre ces deux types de déchets ? Ne conviendrait-il pas que soit sérieusement ouvert ce dossier comparatif ? Il y a gros à parier qu’une telle enquête montrerait à quel point, indépendamment de la nocivité “ objective ” (si tant est que cette notion ait un sens), la pollution radioactive pose partout dans le monde une question “ socialement spécifiques ” et ceci d’autant plus que les sociétés sont davantage “ développées ”. Une question stratégiquement majeure sera ici la comparaison entre la nocivité (réelle et/ou ressentie) des déchets nucléaires et celle résultant des modifications climatiques imputables à l’accroissement de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. C’est ici que j’introduirai la notion de “ répit climatique ”. Que penser de l’urgence qu’il y aurait à lancer la filière EPR? Je prendrai ici pour première hypothèse que le nucléaire ne saurait être socialement accepté sans véritable maîtrise de ses déchets et comme seconde hypothèse que, comme le dit Claude Birraux, il est illusoire de s’attendre à ce qu’une véritable maîtrise des déchets nucléaires soit possible dans le cadre du nucléaire actuel (étant entendu que, du point de vue des déchets, l’EPR s’inscrit dans le cadre de ce nucléaire actuel puisque – selon les déclarations explicites de ses promoteurs – il n’en dérive que par une “ évolution ” fondée sur l’accumulation des retours d’expérience). Sous réserve de la véracité de ces hypothèses, il en résulte que, si excellent que puissent être l’EPR, son utilité ne peut être que provisoire. En effet il ne remplit pas l’une des conditions nécessaires pour être socialement accepté, du moins accepté d’une façon significative, c’est-à-dire dans des proportions susceptibles d’être prises en considérations en matière d’évolution climatique sur une longue durée (un ou plusieurs siècles). Il est donc dangereux – pour ne pas dire suicidaire – d’en appeler à ce type de réacteur pour bâtir un avenir énergétique à long terme. Si nucléaire il doit y avoir, ce doit être un autre nucléaire et il est essentiel que les investissements en EPR – si tant est qu’il est jamais lieu – n’imposent aucune irréversibilité en ce domaine. Donc qu’ils soient réduits au strict minimum. Telle est précisément la thèse que je voudrais ici soumettre à discussion et à laquelle je puis m’attendre à plusieurs objections. p.10
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Première objection.
Du point de vue des industriels, le maintien des compétences est évidemment une question majeure et l’on peut à son sujet évoquer le principe de précaution : ce serait en effet courir un risque considérable que de perdre – faute d’activité productrice suffisante – la capacité de répondre à des commandes dont l’exécution s’avérerait urgente : on ne saurait bloquer ainsi l’avenir par imprévoyance. Certes ! Mais on ne saurait non plus bloquer l’avenir en négligeant de mettre au point des procédés de production d’énergie qui puissent politiquement donner lieu à commandes. À quoi bon le maintien des compétences ? De toute façon il faudra multiplier les sources d’énergies et pallier le risque énorme de voir un nouveau Tchernobyl bloquer la quasi intégralité de la production d’électricité en France. Deuxième objection. Le vieillissement du parc nucléaire et la nécessité de prévoir le remplacement des centrales existantes. À quoi je me risquerai de suggérer la réponse suivante : il n’est nullement évident qu’il faille remplacer les centrales nucléaires actuelles par d’autres centrales nucléaires. Il apparaît même qu’EDF envisage d’un œil favorable de les remplacer – au moins partiellement – par des centrales au gaz. Il semble que ce soit plus économique et qu’il ne doive y avoir aucune difficulté d’approvisionnement en gaz pendant au moins une cinquantaine d’années. Troisième objection. La menace climatique interdirait de recourir au gaz, ce recours dût-il être provisoire. Il convient ici de distinguer deux aspects de cet argument : · Tout d’abord l’aspect physico-chimique de la question : quelle serait l’incidence qu’aurait sur le climat le fait que la France (seule) passerait progressivement et provisoirement au gaz, toutes choses restant égales par ailleurs ? A quoi il ne semble pas téméraire de répondre que – du strict point de vue de la physico-chimie de l’atmosphère et de ses conséquences climatiques – cette incidence serait négligeable. · Deuxième aspect : quoi qu’il en soit de la physico-chimie de l’atmosphère, un tel recours au gaz serait contraire aux engagements pris. Pas nécessairement, du moins si la stratégie des permis négociables est adoptée et si la France achète de tels permis. Bien entendu cela accroîtrait le coût de l’opération. Cela peut sembler absurde, mais tel n’est pas le cas dans la problématique où, à longue échéance, le recours à l’énergie nucléaire deviendrait “ climatiquement nécessaire ”. En ce cas il serait alors encore bien plus absurde de la part d’un pays nucléairement aussi avancé que la France de ne pas avoir préparé le nucléaire de l’avenir et il serait tragique que, faute d’avoir réalisé ce nucléaire de l’avenir, le monde en soit réduit à persévérer dans un nucléaire “ du passé ” politiquement inacceptable. Là est, me semble-t-il, le vrai débat. Non pas franco-français, mais mondial. Oui ou non, faudra-t-il dans cinquante ans que, pour des motifs climatiques, l’énergie nucléaire soit utilisée à grande échelle dans le monde [2 ] ? Il me paraîtrait téméraire de répondre de façon catégorique par la négative. Mais il n’en est que plus indispensable de mettre au point l’énergie nucléaire susceptible d’être ainsi utilisée à grande échelle. Ce serait alors une énorme responsabilité que de ne pas avoir engagé les recherches nécessaires pour y être parvenu en temps voulu. Conclusion.
Le répit climatique, le recours au
gaz.
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S’il en est ainsi, ceux qui croient à la nécessité d’un recours ultérieur massif au nucléaire ne doivent-ils pas envisager ces quelques dizaines d’années comme un répit et considérer qu’il est par conséquent urgent d’engager un puissant programme de recherche en vue de parvenir à un nucléaire qui soit véritablement un “ nucléaire du futur ”. Sur ce point, un bref article du Courrier International du 14 janvier (p. 34) déclarait à propos de rubbiatron : “ Il reste à concrétiser cette belle idée. Carlo Rubbia se dit “ tout à fait confiant ” mais les experts s’accordent à penser qu’un tel système a peu de chance de voir le jour avant une vingtaine d’années ”. Et alors ? J’ignore si le projet Rubbia est ou non le projet de l’avenir, mais si vraiment tel était le cas, qu’est-ce que vingt ans quand il s’agit, purement et simplement, de l’avenir ? Ceci dit je reste convaincu que, quelle que soit la filière envisagée, l’énergie nucléaire est une énergie à très haut risque et que, en tant que telle, ce serait un malheur que de se trouver dans la nécessité d’y avoir massivement recours. Si cette nécessité s’imposait, encore faudrait-il ne pas se contenter d’imposer au monde un moteur de sous-marin des années 50…même si c’est la seule chose que les industriels actuels se déclarent capables de réaliser. Ce dernier point a explicitement été envisagé au cours de l’audition publique consacrée à l’EPR, lorsque Claude Birraux qui présidait la séance a posé avec insistance, en se tournant du côté de l’IPSN, du CEA et de Framatome, la question suivante : “ Est-ce qu’un scénario de cœur entièrement nouveau qui prendrait en charge notre préoccupation première, la réduction des déchet, a été prévu ? Comment peut-on minimiser la production de plutonium ou de produits de fission ou avoir des produits différents ? Est-ce qu’un cœur complètement nouveau a été examiné, envisagé, étudié ? Sinon, pour quelle raison ? ” Or, à cette question, il obtint deux réponses. Première réponse, de la part du représentant du CEA: ”… si c’est le plutonium qui est visé, les voies à long terme sont dans les combustibles sans uranium 238. A l’échéance dont nous parlons, d’un déploiement possible des EPR, il ne me paraît pas réaliste d’envisager au début de leur vie autre chose que les combustibles qu’on connaît aujourd’hui… ”. (..) Du moins est-il important de souligner à quel point c’est la logique industrielle qui prévaut en cette affaire. Cela nous est d’ailleurs explicitement affirmé par le même représentant du CEA : “ Le CEA n’est pas leader, nous intervenons seulement en soutien des industriels ”. La deuxième réponse manifeste encore davantage ce poids de la logique conservatrice des industriels. Il n’est que d’écouter le Directeur Général de Siemens : “ L’idée était de créer un produit commun qui serait évolutionnaire, qui puisse représenter un développement ultérieur approfondi des solutions adoptées jusque là[3 ] … ”. De même le représentant des électriciens allemands : “ Nous voulions pour nos ingénieurs et les ingénieurs de nos producteurs, c’est-à-dire des centrales nucléaires, sauvegarder le know how permettant de maintenir en fonctionnement les centrales allemandes et d’en construire de nouvelles si cela s’avérait nécessaire. ” Il me semble qu’on ne saurait laisser l’avenir du nucléaire coincé à tel point par une problématique à court terme résultant de la conception purement “ incrémentale ” de l’innovation imposée par les industriels pour des raisons – d ‘ailleurs fort compréhensibles – de survie de leurs entreprises. Abandonner le nucléaire aux mains de ses promoteurs semble – du moins est-ce la conclusion des analyses ici proposées – conduire à une impasse. Si paradoxal que cela puisse paraître, il n’est pas impossible que les “ opposants ” à ce type de nucléaire doivent demeurer vigilants et actifs. En effet comme l’écrit Alexandre Adler dans l’éditorial du Courrier International déjà cité “ Une industrie comme le nucléaire a besoin d’une forte opposition permanente pour être contrainte à développer des mesures de sécurité : elle prospérera paradoxalement dans le stress de son imminente disparition, en inventant sans cesse des technologies nouvelles qui répondent mieux aux inquiétudes légitimes du public. Cette dialectique se trouve au cœur même de toute démocratie industrielle : le pouvoir technique a besoin d’une contestation institutionnelle pour progresser“. p.11
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