Bélarus
L'inflammation chronique de la muqueuse gastrique (par la bactérie H. pylori) trouvée chez de nombreux enfants des zones contaminées est considérée comme très préoccupante car elle serait le signe d'un état précancéreux. Les médecins craignent l'émergence d'une épidémie de cancer dans les années à venir.
Les mécanismes de régulation neuro-hormonaux sont atteints avec une surexcitation du système nerveux sympathique qui augmente avec la charge incorporée par les enfants examinés âgés de 10 à 12 ans. Quant à la tension artérielle, si elle est normale pour 64% des enfants ayant une charge de 50 Bq/kg, la proportion tombe à 43,7% pour ceux qui dépassent 150 Bq/kg.
Dans le rapport 1998 sur la radioprotection de la population [3] le Pr. Nestérenko en conclut qu'il faut absolument que les enfants aient une nourriture "propre" afin que leur dose efficace annuelle ne dépasse pas 0,3 millisievert (30 millirem) qui est la limite annuelle actuellement en vigueur autour des sites nucléaires au Royaume-Uni, en Allemagne, aux États-Unis [4]. Il recommande l'utilisation de pectine pour aider à l'élimination du césium 137 et qui serait plus efficace que le bleu de prusse qui a été employé après l'accident de Goiânia (Brésil).
Dans ce rapport sont aussi décrits les problèmes de cataracte ou de turbidité du cristallin chez les enfants des zones contaminées, en particulier dans le district de Vietka, au nord-est de Gomel, de problèmes d'asthme et d'affections respiratoires, de malformations congénitales.
La modification des indicateurs dépend du district de résidence avant l'évacuation et la dose à la thyroïde des enfants semble jouer un rôle important. Lorsque la dose due à l'iode 131 augmente, la teneur en lymphocytes B a tendance à diminuer, celle des lymphocytes T a tendance à augmenter entraînant un déséquilibre des processus immunorégulateurs de l'organisme.
Morbidité pour 1000 enfants
Types de maladies
Enfants du Bélarus Rapport
registre (R) (B)
R/B
Néoplasmes
4.08
1.75 2,3
Dont: cancers
1.84
0.35 5,3
cancers thyroïde
0,82
0,05 16,0
Désordres endocriniens,
du métabolisme,
du système Immunitaire 133,78
33,66 4,0
Maladies du sang et des
tissus hématopolétiques
56,46 12,00
4,7
Circulation du sang
39,58 12,92
3,1
Otolaryngologie
95,89 19,47
4,9
Organes digestifs
162,91 125,84
1,3
Maladies psychiques
27,64 24,49
1,1
Entre 1987 et 1992 la santé des enfants s'est dégradée, le taux d'enfants en bonne santé est passé de 61.3% en 1987 à 18.6% en 1992. Le tableau ci-dessus présenté par T. Imanaka [7] reprend les chiffres d'Okeanov qui comparait en 1992 la morbidité des enfants répertoriés dans le registre spécial (R) par rapport à celle observée pour les enfants de l'ensemble du Bélarus (B). Il montre clairement cette dégradation de la santé des enfants du registre comparés à ceux du Bélarus par le rapport R/B observé.
D'après les données de l'hôpital central de Louguiny la dépression de l'état immunitaire de la population se manifeste par une augmentation tant du nombre que de la durée des maladies infectieuses, par l'augmentation de formes agressives de tuberculose, par un accroissement du nombre de maladies et de personnes fréquemment malades. par l'augmentation de la virulence des agents infectieux et des allergies.
En ce qui conceme les cancers on observe une réduction drastique de la durée de survie des patients entre le moment du diagnostic (cancer au stade III-1V) et la mort, comme l'indique le tableau de l'évolution en fonction de l'année de dépistage, de ce temps en mois pour les cancers de l'estomac et du poumon. avant et après Tchernobyl (1986). En 1996 2 mois de survie après détection d'un cancer du poumon ou de l'estomac...
Évolution de la durée de la survie
(cancers du poumon et de l'estomac)
Année
Durée de la survie (mois)
estomac Poumon
1984
62
38
1985
57
42
-
-
-
1992
15,5
8
1993
11
5,6
1994
7,5
7,6
1995
7,2
5,2
1996
2,3
2,0
Donnons quelques valeurs numériques sur la situation en Ukraine, extraites d'un rapport de D. Grodzinsky [10]. (généticien connu pour ses travaux sur les effets des radiations sur les plantes).
Si l'on compare l'évolution du taux de naissance et du taux de mortalité pour 1000 habitants entre 1990 et 1995 on constate un déficit qui s'accentue d'année en année comme le montre le tableau suivant:
Taux de naissance et de mortalité en Ukraine pour 1000 habitants
Taux
Taux
Année de naissance de mortalité Déficit
1990 12,7
12,1 0,6
1991 12,1
12,9 -0,8
1992 11,4
13,4 -2,0
1993 10,7
14,2 -3,5
1994 10,0
14,7 -4,7
1995 9,6
15,4 -5,8
Le taux de mortalité infantile a considérablement augmenté
entre 1990 et 1993 et plafonne depuis à une valeur élevée.
Pour 1000 enfants nés vivants, la dynamique de mortalité
infantile est la suivante (enfants de moins d'1 an)
1990: l2,84 %
1991: l3,90 %
1992: l3,98 %
1993:14,93 %
1994:14.54 %
1995:14.68 %
Les principales causes de mortalité infantile sont dues à l'existence (l'un état pathologique durant la grossesse (33% des cas), à des malformations (29%), des maladies du système respiratoire (9,9%), à des maladies infectieuses et parasitaires (7,6%), à des malformations (29%).
Nota: En 1990 les données de l'INSFRM indiquaient pour la France une mortalité infentile de 839,2 pour 100 000 bébés de sexe masculin et 623,8 pour les bébés de sexe féminin ce qui correspond en moyenne à un taux de 7,3 %. La mortalité infantile en Ukraine était donc 1,8 fois celle de la France en 1990 et double de celle de la France en 1995.
Une dégradation nette de la santé se dégage du rapport présenté par Grodzinsky avec une morbidité supérieure à celle de la population ukrainienne prise dans son ensemble pour les personnes considérées légalement comme des victimes de Tchernobyl : les liquidateurs, les évacués de 1986, les habitants de zones contaminées et les enfants de ces différentes catégories. La morbidité s'accentue au fil du temps comme le montre le tableau suivant relatif au pourcentage de personnes en bonne santé pour 3 groupes différents de victimes:
Taux de personnes en bonne santé (en %)
Différents groupes de victimes
Liquidateurs Evacués de la Enfants
nés de
zone des 30km parents irradiés
Année
1987 82
59
86
1988 73
48
78
1989 66
38
72
1990 58
29
82
1991 43
25
53
1992 34
20
45
1993 25
16
38
1994 19
18
26
Dans la ville de Briansk (485 000 habitants environ) on a observé
37 cas de leucémie lymphoïde aiguë entre 1986 et 1990
ce qui
correspond annuellement à une fréquence de 1.59 +- 0.27
pour 100 000 personnes. Pour la période 1991-1993 elle est passée
à
1,86 +- 0,36. (C'est dans la marge d'erreur).
Dans les 6 districts les plus contaminés (environ 250 000 habitants) la fréquence a diminué pour cette même période passant de 1,55+- 0,34 à 1,33 +- 0,42 (c'est dans la marge d'erreur).
Par contre pour le reste de la région administrative (environ 730000 habitants) la fréquence est passée de 1.14 +- 0.18 à 2.56 +- 0,34 ce qui est plus qu'un doublement, avec 56 cas observés en 3 ans. On ne connaît pas la fréquence antérieurement à Tchernobyl faute de registre. D'après le Pr. T. Imanaka [11] une analyse rétrospective indique une fréquence annuelle de 0.70 +- 0.11 entre 1979 et 1985 ce qui donnerait une fréquence multipliée par 3.6 pour les années 1991-1993. Sans être aussi spectaculaire que cette augmentation de leucémie on a aussi observé une augmentation des hémoblastoses, avec une fréquence 13,17 +- 0.60 (485 cas sur 5 ans) entre 1986 et 1990 qui passe à 19,23 +- 0,94 (421 cas sur 3 ans) entre 1991 et 1993.
L'augmentation des maladies du sang est donc nette dans cette région administrative de Briansk et est un bioindicateur précoce des effets biologiques du rayonnement dont la totalité ne s'est pas encore "exprimée".
Cette région est très industrialisée et cumule donc polluants chimiques et contamination radioactive. Les statistiques indiquent que globalement la morbidité des enfants a doublé entre 1985 et 1996. On note une grande disparité entre districts. Dans le district d'Ouzlovaï, la morbidité des enfants par anémie est passée de 5 %o en 1985 à 18 en 1994 et est restée à cette valeur en 1995 et 1996. Le nombre de malformations congénitales a été multiplié par 5 entre 1988 et 1996 (dans ce district résident plus de 84 000 habitants sur des sols contaminés entre 5 et 15 Ci/km2 et plus de 18 000 entre 1 et 5 Ci/km2. Le nombre d'enfants n'est pas précisé).
Conclusion
Etant donné le grand nombre d'habitants en Russie (145 millions
d'habitants dans l'ancienne RSFSR), la dose collective russe représente
une composante essentielle de la dose collective globale de l'ex-URSS pour
estimer l'impact sanitaire à long terme dce la catastrophe de Tehernobyl.
Non seulement directement par la contamination de territoires sur lesquels
ont vécu ou vivent les habitants mais aussi indirectement par la
nourriture contaminée en provenance des républiques les plus
touchées par Tchernobyl. Souvenons-nous que des milliers de tonnes
de viande contaminée sont sortis de Biélorussie, que toute
la production de thé (géorgien ou autre) contaminé
jusqu'à des teneurs en Cs 137 de 185 000 Bq/kg a été
complètement" dispatchée "dans toute l'URSS. Il en a été
de même de la quasi-totalité de la production agricole contaminée.
Le lait contaminé a été consommé en dehors
des territoires très touchés par la pollution radioactive,
après transformation en beurre, lorsqu'il n'a pas été
bu directement. Cette " démocratisation" des doses d'irradiation
est désormais complètement négligée alors qu'elle
faisait encore partie des préoccupations des experts il y a quelques
années. Par exemple, lors du colloque tenu au Luxembourg en octobre
1990, sur l'Évaluation de l'impact des rejes de radianueléides
lors des accidents nucléaires majeurs de Kychtym, Windscale (Sellafield),
Tchernobyl, le Pr. A. Aarkrog (Danemark) alors qu'il présidait
une séance avait fait remarquer que le bilan global serait aussi
lourd si la production de nourriture contaminée était disséminée
dans les populations au lieu d'être consommée sur place.
Références
[1] A. N. Arichin et al, (Institut de recherches en médecine
radiologique, Minsk), The role of peripheral blood circulation in the
pathgenesis of chronic gastritis in children affected by combined radiation-chemical
influence. Actes du symposium Belarus-Japan, Minsk, 3-5 oct. 1994 Acute
and Late Consequences of Nuclear Catastrophes: Hiroshima-Nagasaki and Chernobyl.
Ce symposium était organisé conjointement par l'académie
des sciences de Belarus et les scientifiques Japonais du Centre d'information
des citoyens sur le nucléaire (Citizens' Nuclear Information Center
qui édite Nuke-info,. e-mail cnic-jp@po.iijnet.orjp)
[2] Tribunal Permanent des Peuples, Vienne 12-15 avril 1996:
Tchernobyl,
Conséquences sur l'environnement, la santé et les droits
de la personne (Ed. Ecodif, 107 av. Parmentier, 75011 Paris), Témoignage
de Nika Gres, co-auteur de la référence 1.
[3] Pr. Yu Bandazhevsky, A. I. Kienya et al (1997) Structural-fonctional
effects of radionuclides incorporated in the organisasm. Cité
dans le rapport Radioprotection de la population publié par
le Pr. Nestérenko, Institut de sûreté des radiations"
Bel-rad", (Pravo i economica, Minsk, 1998) qui résume les recherches
effectuées sur les conséquences de l'accident de Tchernobyl
en Bélarus. Il indique aussi les résultats des mesures de
contrôle radiologique de la nourriture et du suivi de la population
et donne des recommandations pour tenter d'améliorer la situation.
[4] Aux USA selon l'EPA, agence de protection de l'environnement,
ce serait 0,25 mSv.
[5] Pr Leonid Titov, Dr du Département d'immunologie
et bactériologie de l'Institut de médecine de Minsk. Conférence
donnée le 13/5/1994 au Centre Oscar Lambret, Lille (données
communiquées au GSIEN par le Dr. Marie-Hélène Montaigne,
association Avicenne, Ronchain, France). Témoignage du Pr.Titov
au Tribunal permanent des peuples. Vienne 12-15 avril 1996.
[6] Okeanov et al, Actes du symposium Belarus-Japon.
1994, ibid. p. 345-350
[7] T. Imanaka, KURRI-KR-21, Research Reactor Institute, Kyoto
University, March 1998. Research Activities about the Radiological Consequences
of the Chernobyl NPS Accident and Social Activities to Assist the Sufferers
by the Accident. Collection of intresting data published in various
documents, p. 276.
Le Pr. T. Imanaka de l'Université de Kyoto coordonne les recherches,
dans le cadre d'une collaboration internationale, sur les conséquences
radiologiques de l'accident du réacteur de Tchernobyl et sur les
actions sociales d'assistance aux victimes de l'accident. Ces recherches
sont effectuées grâce à une bourse de la Fondation
Toyota.
Le rapport publié en mars 1998 comprend 32 articles de chercheurs
Japonais, bélarusses, ukrainiens, russes. C'est un ensemble de données
scientifiques et d'analyses juridiques, politiques.
Pr. Tetsuji IMANAKA Research Reactor Institute, Kyoto University
Kumatori-cho, Sennan-gun, Osaka 590-0494, Japan
imanaka@rri.kyoto_u.ac.jp
[8] Akira Sugenoya, Yuri Demidchik, Evgeny P. Demidchik. Present
Status of Childhood Thyroid Carcinoma in Relarus folIowing the Chernobyl
Accident, KURRI-KR-21, ibid. p. 165
[9] Ivan Gadlevsky, Oleg Nasvit, Dynamics af Health Status of
Residents in the Lugyny District after the Accident at the ChNPS, KURRI-KR-21,
ibid. p. 149.
[10] Dmytro Grodzinsky, General Situation of the Radiological
Consequences of the Chernobyl Accident in Ukraine, KURRI-KR-21, ibid.
E-mail phyto@rbio.isf.kiev.ua
[11] T. Imanaka, ibid. p. 275
[12] J. Socorro Delgado Andia Radiation Situation and Health
Statistics of the People in the Tula Region of Russia after the Chernobyl
Catastrophe. KURRI-KR-21, ibid. p. 157