Les locataires
des Grands Pêchers interrogés dans le documentaire de Nils
et Bertrand Tavernier (De l’autre côté du périph’,
France 2, 14/12/97) ont vivement dénoncé le chauffage électrique
de leurs HLM comme fauteur d’inconfort et de charges exorbitantes (14 000
F pour un F3...). Et l’un d’eux répéta cette question avec
véhémence : pourquoi ne pas avoir installé le chauffage
central au gaz ?
Une enquête complémentaire auprès des responsables des HLM donne la réponse : c’est sous la pression d’EDF-GDF qui lançait sa campagne de promotion du "tout-électrique" qu’ils ont fait équiper tous ces logements du chauffage électrique par convecteurs. Ils s’en excusent aujourd’hui, et déclarent avoir compris que EDF visait simplement à faire consommer toujours plus d’électricité. Et que Gaz de France, qui était alors sous la même direction, allait même jusqu’à proposer des tarifs inabordables pour inciter les promoteurs à se rabattre sur l’électricité [1] . Horreur économique et horreur scientifique
La cogénération : le simple bon
sens éclairé par la thermodynamique
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une partie importante doit obligatoirement transiter vers la source froide pour que la machine tourne (figure 1). Cette partie est donc produite de toute façon, mais on ne peut l’utiliser que sous forme de chaleur. Dont on peut cependant tirer profit, puisque nos locaux à chauffer font naturellement partie de la source froide (extérieur de la machine). C’est ainsi qu’on chauffe l’habitacle de nos voitures tout en roulant, à partir de la chaleur dégagée par le moteur. On fait alors de la cogénération sans le savoir, parce que ça procède du simple bon sens, en même temps que du "deuxième principe" de la thermodynamique... De même, sous nos climats nous avons souvent besoin d’électricité et de nous chauffer en même temps. Pourquoi alors cette logique ne s’est-elle pas imposée ? A propos de la cogénération, on va bien sûr objecter la difficulté qu’il y a à transporter la chaleur aussi facilement et aussi loin que l’électricité. Des compagnies de distribution de chaleur existaient pourtant dans certaines grandes villes, et à Paris en particulier, ceci avant qu’on y ait généralisé le réseau électrique. Comment se fait-il alors qu’on ait cru devoir planifier et construire des sites de production d’électricité en ignorant ces réseaux de chaleur ? Et qu’on ait persisté dans l’augmentation de taille des centrales thermiques, dont la puissance a été multipliée par dix durant ces quarante dernières années [2] . Ce qui rend d’autant plus problématique l’utilisation conjointe de l’électricité et de la chaleur qui doit obligatoirement aller à la source froide. Car pour que ce soit intéressant, il faut que leur puissance n’excède pas trop les besoins en chauffage de proximité du secteur concerné. Ce qui implique un maillage du territoire analogue à celui des anciennes usines à gaz ou du réseau d’alimentation en eau aujourd’hui, par villes ou groupements de communes. Pourquoi pas ? Mais de plus en plus difficile à réaliser avec la multiplication des centrales nucléaires modèle américain Westinghouse. Ces monstres sont aussi des centrales thermiques, ce qu’on a bien su nous faire oublier. Que la source chaude vienne d’une matière à noyaux fissiles et non d’un combustible chimique ne change rien à l’affaire : nous sommes censés le savoir depuis Carnot (1824), le rendement ne dépend que des températures des sources chaude et froide. Et le rendement des centrales nucléaires, 33%, est inférieur à celui des centrales à gaz, qui dépasse parfois les 40%. Mais avec une seule tranche nucléaire de 1200 Mégawatts électriques, les besoins en chauffage de proximité sont dérisoires par rapport aux 2400 Mégawatts de chaleur qu’il faut écouler, de sorte qu’on a beau jeu de préférer les évacuer en pure perte dans l’atmosphère : cf. les énormes tours de refroidissement qui flanquent les centrales nucléaires. "Le nucléaire n’est pas pire que le reste..."
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Il y a une
belle diversité de petits générateurs nucléaires
embarqués à bord des engins spatiaux [4], et on dit
que des générateurs électronucléaires de quelques
centaines de Kilowatts ont fonctionné dans des endroits reculés
de l’ex-URSS. De tels systèmes, comme de nombreux autres plus classiques,
ne sont pas seulement valables pour les pays en développement [5]
, comme on cherche à nous le faire croire. Montés chez
nous en cogénérateurs, ils permettraient d’énormes
économies à la production et sans privations pour le public.
Pour une centrale thermique dont le rendement électrique est de
40%, on peut en plus tirer 40% en chaleur pour le chauffage, ce qui double
le rendement global. Et si la turbine est moins performante, donc moins
coûteuse, le rendement électrique baisse mais le rendement
thermique augmente d’autant...
Cette quantité de chaleur qui, dans une machine thermique, doit obligatoirement aller à la source froide, les industriels de l’énergie la considèrent toujours comme une perte inévitable. Pourtant, cette phase est aussi active que les autres dans le cycle de Carnot, qui affirme dès 1824 : il ne suffit pas, pour donner naissance à la puissance motrice, de produire de la chaleur, il faut encore se procurer du froid ; sans lui la chaleur serait inutile. A son époque, le rendement des machines à vapeur restait dérisoire, malgré les ingénieuses mais tâtonnantes améliorations de Watt. C’est pour remédier à cette situation de gaspillage brouillon que le jeune Sadi Carnot s’engagea dans une subtile et géniale méditation sur la "puissance motrice du feu" [6] qui, après que Thomson (futur Kelvin) et Clausius eurent résolu l’apparente contradiction de sa théorie avec les résultats de Joule, servit de fondements à la thermodynamique, nouvelle science montante du 19ème siècle, indépendante et rivale de la mécanique alors toute puissante. Dans la forme achevée de la thermodynamique classique, il apparaissait bien que l’énergie mécanique produite par machine thermique est indissociable de cette chaleur qui doit transiter de la source chaude à la source froide, et donc qu’il faut les utiliser conjointement si on veut tirer le meilleur profit du combustible dépensé. Une autre intuition de Carnot se trouva confirmée. La machine peut marcher en sens inverse: en lui fournissant de la puissance motrice, on peut faire revenir de la chaleur de la source froide à la source chaude (figure 2). C’est le principe des pompes à chaleur. Une perte massive, refusée seulement par
une minorité de professionnels avisés
La stratégie de l'écrémeuse...
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La métaphore de l'écrémeuse nous montre aussi que nous-mêmes en tant qu'utilisateurs de combustibles, nous ne faisons pas pour le mieux, même avec la meilleure des chaudières. Utiliser directement toute la chaleur produite pour se chauffer, c'est comme si un paysan versait de suite le lait de sa traite dans l'auge des cochons... Un meilleur usage se ferait en remplaçant les chaudières par des modules de cogénération, qui "écrémeraient" la partie qui peut être transformée en électricité, le reste (c'est-à-dire au moins les deux-tiers) étant utilisé pour le chauffage. L'électricité produite, auto-consommée ou envoyée sur le réseau, amènerait à réduire le nombre et la puissance des centrales, nucléaires ou autres. On aurait alors une gestion globale de nos énergies en accord avec la thermodynamique la plus élémentaire. On ne devrait pas pour autant se trouver "hors économie" puisque, malgré les manipulations de tarifs, le kilowatt-heure électrique est payé par EDF de l'ordre de 35 centimes, alors que le kilowatt-heure thermique ne dépasse guère les 10 centimes. Voilà donc des idées toutes simples, qui n'impliquent que les technologies banales et bien rodées du chauffage central et des moteurs thermiques. Pour ces derniers, les fabricants de cogénérateurs (ils sont quand même cinq ou six en France) ont trouvé un autre débouché que dans les automobiles, ce dont, soit dit en passant, le PDG de notre firme nationale s'est montré incapable... Face aux diktats de la pensée unique
Les pompes à chaleur
: une merveille offerte par la thermodynamique
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Qu’adviendrait-il si les lois de
la physique figuraient au code civil ?...
Il faut rappeler que le chauffage électrique (par radiateurs à effet Joule, le plus anti-thermodynamique qui soit) représente 47% de la puissance "appelée en pointe" dans l’habitat [12]. Et surtout que la campagne de publicité que nous assène régulièrement pour cela EDF depuis 20 ans lui (nous) coûte ces dernières années dix fois le budget de l’Agence de l’environnement et pour la maîtrise de l’énergie (ADEME) [13]. Comment alors comprendre que ce soient les responsables du marketing qui fassent la loi dans une entreprise publique où presque tous les cadres supérieurs sortent de Polytechnique (ou d’une autre prestigieuse et orgueilleuse grande école...) ? Et que la thermodynamique élémentaire soit bafouée par ceux-la même qui sont les mieux formés pour la faire appliquer ? Pourtant Sadi Carnot fut un de leurs plus brillants anciens à Polytechnique, et l’enseignement qu’on y reçoit aujourd’hui ne démérite pas : dans les applications qu’il donne de sa présentation unifiée de la thermodynamique, l’auteur d’un cours de physique statistique à cette école [14] prend soin de préciser : on pourrait économiser jusqu’à 90 % d’électricité en chauffant les maisons à l’aide de pompes à chaleur au lieu de radiateurs. Il est vrai que l’enseignement de la thermodynamique se décline invariablement selon un formalisme désincarné hérité de l’idéal mécaniste, aux antipodes de l’approche intuitive des "Réflexions"de Carnot qui ne contiennent aucune équation. De sorte qu’on peut être rompu à ce formalisme et avoir perdu de vue les principes fondateurs. Ceci au terme d’un cursus d’école, mais comment expliquer qu’en situation de hautes responsabilités, des individus bien doués et bien formés ne ressentent pas un tel principe fondamental comme ayant valeur "d’impératif catégorique" ? Au plan moral, en fonction de ses conséquences aux plans scientifique et technologique. Qu’adviendrait-il si une loi physique comme le deuxième principe de la thermodynamique figurait au code civil ? Et si les ressources naturelles épuisables étaient assimilées à des biens sociaux ?... On frémit à toutes ces questions, et on pense à celle qu’ont posée de nombreux physiciens à la fin de la deuxième guerre : peut-on continuer à faire de la physique nucléaire après Hiroshima ? En fonction des problèmes et des échéances qui s’annoncent, après les dérives massives que je viens d’évoquer et qui seront tôt ou tard jugées impardonnables, peut-on encore enseigner la thermodynamique sans s’inscrire dans une véritable "insurrection des savoirs", comme disait Foucault, face à l’arrogance des "savoirs mercantiles"? (suite)
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Le rendement idéal théorique d’une machine thermique fonctionnant suivant le cycle de Carnot est nettement inférieur à 1. Ceci veut dire que lors du transfert spontané de la chaleur de la source chaude vers la source froide, nous ne pouvons en détourner à notre profit qu’une fraction sous forme d’énergie mécanique et électrique W. Le rendement réel des centrales thermiques se situe en général entre 30 et 40 % d’où la nécessité de fonctionner en cogénération pour tirer parti aussi de la chaleur Q2 que la machine doit obligatoirement évacuer à l’extérieur (source froide, dont nos locaux à chauffer font naturellement partie). Le rendement global (électrique + thermique) peut alors être de 80 % pour une centrale à gaz ordinaire. L’ensemble du dispositif fonctionne aussi bien en sens inverse : cf. figure 2 Figure 1 En lui fournissant l’énergie
électrique (mécanique) W, la machine fait revenir
la chaleur de la source froide (air extérieur, ou mieux nappe phréatique)
vers la source chaude (locaux à chauffer).
Figure 2
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