GAZETTE NUCLEAIRE

TCHERNOBYL ET LA TECHNIQUE
3. POSITIONS GSIEN
 

Après Tchernobyl : petites manoeuvres et vrais enseignements
(signé en commun Greenpeace, Groupe Energie Développement, Amis de la Terre, GSIEN) (mai 86)

     Le temps est venu de faire le bilan de l'attitude de la FRANCE après la plus grande catastrophe nucléaire (connue...) et d'en tirer les conséquences pour l'avenir.

L'attitude face aux victimes: froide et peu solidaire
     On a peu parlé des victimes, peu proposé d'assistance médicale et technique, on n'a pas assisté à ces élans de solidarité qui se produisent toujours après les catastrophes:
     - Impuissance de la médecine du pays «au programme nucléaire le plus sûr du Monde»?
     - Antisoviétisme étendu au peuple Ukranien, déjà contaminé par le régime communiste ?
     - Volonté de rassurer notre propre opinion publique?

L'information : en régression
     Arrivé au pouvoir, un «ultra-libéral», comme Mr MADELIN, s'empresse de verrouiller l'information par la mise en place d'une commission AD HOC, de composition restreinte aux experts choisis par lui, suivant ainsi l'exemple du porte-parole du Gouvernement Polonais, Mr URBAN. .. Qu'il est loin le temps où cette tradition de désinformation officielle avait été rompue par Simone VEIL, à la tête d'un conseil d'information sur l'énergie nucléaire ouvert aux experts indépendants...
     Quant aux socialistes français, ils ont rejeté au Parlement européen une proposition de leurs «Camarades» du SPD allemand visant à engager une réflexion sur l'avenir des programmes nucléaires dans la CEE.
     L'Etat Français n'a toujours pas compris que l'information, comme la pollution sont transfrontières. Nous continuerons, et la presse avec nous, à être à l'écoute des informations de nos voisins, pays européens un peu plus démocratiques dans ce domaine, et des travailleurs des industries énergétiques, qui ont bien souvent dans le passé fourni des informations que les directeurs «responsables» tenaient à occulter.

Les réactions politiques : la médiocrité... tous azimuts!
     C. HERNU lorsqu'il était aux armées, a mobilisé la DGSE contre GREENPEACE au lieu de poursuivre les terroristes qui tuent sur notre sol. Il voudrait, aujourd'hui, voir les «écolos» manifester à son commandement. On doit rêver, quand on se croit présidentiable... Y. MONTAND, B. KOUCHNER, M. DEBRE assimilent les «écolos» aux «rouges» dévoilant ainsi qu'ils ont glissé d'un antisoviétisme raisonné à un maccarthysme ringard.
     Pour reprendre une expression d'un illustre Marseillais tout cela est petit... très petit!

L'énergie nucléaire en France: silence officiel
     Rassurons nos très émminentes personnalités politicomédiatiques: elles vont nous entendre. 

suite:
Tchernobyl marque en effet une rupture: il est fini le temps où la population française s'était rangée à l'avis des experts officiels pour qui l'accident maximal est impossible; chacun a pris conscience qu'il peut survenir et qu'il sera d'une extrême gravité.
     L'opposition d'un «Nucléaire Soviétique» mal géré à un nucléaire français «le plus sûr» ne convaincra pas plus que les discours gauchistes qui s'opposaient au «nucléaire capitaliste».
     Nous savons tous que nos dirigeants sont les seuls au monde à avoir conduit un développement nucléaire aussi massif, qu'à court terme nous ne pouvons pas nous passer de cette énergie et que leurs déclarations lénifiantes ne sont que le produit de cette situation.
     Pour dénoncer ces silences, une manifestation est organisée à PARIS, SAMEDI 24 MAI, et nous serons là pour présenter nos propositions sur l'avenir du programme nucléaire, les stratégies de protection civile et d'information au voisinage des sites et sur l'arrêt des réacteurs Graphite Gaz, dépourvus d'enceinte de confinement, exposant ainsi, comme à TCHERNOBYL les Français à un risque radiologique majeur.

Premier vrai problème : l'arrêt des quatre vieux réacteurs
     Les réacteurs Graphite Gaz du BUGEY, de CHINON et de SAINT-LAURENT-DES-EAUX ne fournissent que 2,3% de l'électricité et moins de 1% de l'énergie consommée. Les seuls nouveaux réacteurs mis en service cette année pourront en fournir 4 à 5 fois plus. L'arrêt des 4 vieux réacteurs sera sans conséquence pour le consommateur, EDF connaissant une période durable d'excédent de capacité de production, ce dont témoigne le déclassement accéléré des centrales à charbon. Le redéploiement des personnels sur d'autres activités se fera sans douleur: EDF utilisera l'excellente expérience acquise avec les arrêts de centrales à charbon, les réacteurs PWR présents sur les sites pourront accueillir une partie du personnel, les exigences nouvelles apparues avec TCHERNOBYL en matière de sûreté, de radioprotection et d'information locale nécessiteront qu'EDF dégage des ressources en personnel qualifié.

Deuxième vrai problème : l'information locale et l'organisation des secours
     Les Commissions locales d'information au voisinage des sites, actuellement mises en sommeil, doivent être réactivées, leur fonctionnement doit être budgétisé (les sommes nécessaires sont d'ailleurs faibles et très inférieures au budget publicitaire d'EDF), régulier et transparent. Ceci implique entre autres la levée du secret professionnel pour tous les événements touchant l'environnement et l'évaluation par des experts indépendants des Plans ORSEC-RAD, et en particulier l'analyse des moyens disponibles pour la protection sur place ou l'évacuation rapide (y compris des grandes villes) en cas d'accident majeur.

Troisième vrai problème : penser la diversification
     TCHERNOBYL est survenu dans un pays qui produit 14 % de ses besoins électriques par le nucléaire l'approvisionnement électrique du pays n'est donc pas menacé.

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     Un accident équivalent dans notre pays, densément peuplé et à vocation agricole forte (nous exportons plus de 100 Milliards de produits agricoles, contre 6 Milliards d'électricité) aurait, en sus de dégâts radiologiques irrémédiables, des conséquences économiques désastreuses, car nous sommes dans une situation unique de dépendance extrême: 65% de notre électricité est nucléaire aujourd'hui (80% le sera demain), contre 18 % en RFA, au JAPON et au ROYAUME-UNI et 13 % aux ETAT-UNIS.
     Les mesures conservatoires évoquées précédemment ne prendront tout leur sens que si notre société engage une réflexion de fond sur la nécessaire et urgente diversification des modes de satisfaction de nos besoins énergétiques.
     En examinant ces propositions, en prenant une initiative européenne pour que nos voisins adoptent des attitudes semblables sur les réacteurs sans enceinte de confinement, l'Etat français ne ferait que son devoir premier d'Etat, celui d'assurer la sécurité de ses citoyens. En outre, il positionnerait l'industrie énergétique française sur des créneaux d'avenir, renouerait avec la confiance des citoyens et l'image blessante d'une France bonne dernière en matière d'environnement s'estomperait.
(Article envoyé aux journaux et non publié !)
Tchernobyl et l'information
     Depuis plus de dix ans, le GSIEN réclame une information contradictoire sur les problèmes liés à l'énergie nucléaire. L'accident de TCHERNOBYL, de par sa possible implication du territoire national, a permis aux médias et au public de mesurer la carence des services officiels. Les scientifiques indépendants du lobby nucléaire que nous sommes, ont été abondamment sollicités par les journalistes de tous les horizons politiques, tant il leur paraissait que la ligne Maginot n'avait pas vertu d'arrêter un nuage radioactif. L'analyse et l'interprétation des résultats de mesures provenant des Pays voisins ainsi que leur extension à notre propre pays ne pouvant être facilitées par l'aide des services d'information officiels, d'un mutisme méprisant, ce furent encore les universitaires «contestataires» qui assurèrent cette tâche d'expertise indépendante.
     Que de fois avons nous réclamé l'accès à la documentation, la pluralité des analyses afin d'obliger les services officiels à fournir une information sincère. Nos demandes réitérées ne rencontrent un écho qu'une fois l'incident survenu et surtout lorsque les médias et le public ont réalisé qu'on les prenait pour des demeurés.
     Quelle erreur grossière ont commis nos politiques et nos technocrates.
suite:
     En cette occasion, ils pouvaient tester, dans un contexte de danger limité à la fois en importance et en localisation, mais quand même en vraie grandeur, la capacité de mobilisation des cellules de crise, des cellules d'information et de leurs relais décentralisés, les mirifiques (sur le papier) réseaux de transmission. Haroun Tazieff dénonçait récemment la non-opérabilité du système de protection civile. Cette fois nous avons une démonstration de la totale inexistence de l'échelon décisionnel.
     Depuis des années, le GSIEN essaye d'informer, et nous avons mesuré les difficultés de cette tâche. Depuis des années nous rappelons que toute la structure française est biaisée car on ne peut être en même temps le promoteur et le garant de la sûreté, ni confier aux mêmes services l'étude de la sûreté des systèmes et les conséquences de l'échec de ces mêmes systèmes.
     C'est pourquoi nous saluons toutes les initiatives en faveur de la mise en place de structures d'évaluation indépendantes, telles celles proposées par Le Monde du mardi 13 mai.
     Nous appelons tous les Français à se joindre à ce genre de démarche car il faut bien être conscient que seul un important rapport de force peut les faire aboutir. Sinon la tentation sera grande d'oublier Tchernobyl et son nuage... jusqu'à la prochaine dernière fois.
Monique Sené
Présidente du GSIEN
Le 13 mai 1986
(Article envoyé au Monde et non publié)
A propos de l'incident du Bugey
     Nous avons déjà publié une relation de l'incident de Bugey 5 dans la Gazette 64/65. Nous vous donnons donc les conclusions du rapport d'analyse. Il nous semble significatif à plus d'un titre.
     D'une part, c'est la preuve que 5 ans après TMI, les mesures que devait prendre EDF de toute urgence n'ont pas été prises: en effet, il y a encore regroupement d'alarme sur une même vérine et ces alarmes sont différentes (défaut isolation, défaut alimentation) et surtout non hiérarchisées. Ceci conduit donc l'opérateur à négliger le signal ou même à l'interpréter dans le mauvais sens. Il y a également encore un problème avec les vannes, leur position physique n'est toujours pas signalée, on ne signale que l'ordre envoyé!!
     D'autre part, la réaction d'EDF a été sans commune mesure avec l'incident. Certes le Canard Enchaîné a créé un choc psychologique en le rappelant au moment où tout le monde se gargarisait sur la bonne conduite de nos réacteurs mais tout de même il est particulièrement instructif de prendre nos officiels en flagrant délit de mensonge car ils ont menti: les procédures accidentelles n'étaient pas opérationnelles en avril 84. Qu'elles le soient maintenant ne change rien. Il a fallu 5 incidents précurseurs et 1 incident grave pour changer. C'est un peu long tout de même.
     La question qui se pose avec acuité c'est: qu'a-t-on réellement fait à la suite de Bugey 5 ?
 
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"INCIDENT" de  BUGEY 5
RAPPORT SASR No 45
(Extraits)
Conclusions
     L'incident survenu sur la tranche 5 du centre de production nucléaire de Bugey le 14.04.1984 est sans aucun doute celui pour lequel on a approché le plus près d'un accident grave depuis le démarrage de la première tranche du parc REP français. Une défaillance unique supplémentaire sur l'autre voie électrique aurait en effet conduit à une perte complète des alimentations électriques, situation hors dimensionnement pour laquelle les dispositions palliatives prévues (procédure H3) n'étaient pas encore opérationnelles sur le site.
     La présente analyse n'a porté que sur les causes de l'incident et ses aspects liés aux systèmes électriques; elle devra se poursuivre par un examen du comportement des autres parties de l'installation notamment au cours de la phase de récupération du contrôle de la tranche.
     Cette analyse permet cependant de mettre en lumière trois éléments principaux de réflexion:
     1) l'importance d'une bonne organisation des alarmes tant en matière de regroupement que de codification de leurs couleurs: il s'agit là du premier élément de l'interface homme-machine au cours d'un transitoire incidentel ou accidentel qui n'a sans doute pas été suffisamment analysé dans le cadre des actions post-TMI. Quoique le plus spectaculaire, l'incident de Bugey est loin d'être le seul à souligner cet aspect,
     2) la possibilité de défaillance non franche jusqu'à présent, toutes les analyses de sûreté, qu'elles soient déterministes ou probabilistes, ne prennent en compte que des défaillances complètes des équipements (il marche ou ne marche pas) à l'exclusion de mode de fonctionnement dégradé ou aléatoire. La prise en considération de ces défaillances non franches laisse l'analyste de sûreté désarmé devant l'infinité du nombre de configurations qu'il faudrait envisager. Tout doit donc être mis en oeuvre pour éviter ce type de défaillance et limiter le domaine dans lequel elle peuvent survenir,
     3) la complexité des systèmes de distribution électriques: l'incident de Bugey met en évidence à la fois les interdépendances entre source de contrôle-commande et source de puissance et le fait qu'une défaillancé de source électrique peut affecter simultanément les moyens d'actions et les informations fournies aux opérateurs ce qui rend le contrôle de telles situations particulièrement délicat. Malgré le développement récent par EDF des procédures «perte de source» l'incident de Bugey montre que les opérateurs sont insuffisamment armés pour faire face à certains types de défaillance des sources électriques. L'effort entrepris après TMI pour améliorer les procédures accidentelles destinées à parer à toute sorte de défaillance «de type mécanique» - avec notamment l'approche par état et la procédure UI - mériterait d'être poursuivi pour parer à toute sorte de défaillance «de type électrique» compte tenu de leur impact spécifique sur les informations fournies aux opérateurs.
     Au-delà de ces réflexions générales, les principales mesures correctives destinées à éviter le renouvellement de cet incident ou d'incidents analogues paraissent devoir être les suivantes:

Mesures préventives
     Les actions déjà entreprises ou prévues par EDF en matière de séparation d'alarmes des tableaux  LCA sont satisfaisantes. Le problème de fond ne sera toutefois réglé que par la mise en application des conclusions issues du groupe de travail sur les alarmes mis en place par EDF et auxquelles il conviendra d'attacher une attention toute particulière.

suite:
     Le basculement automatique des redresseurs (remplacement du redresseur en service tombant en panne, par le redresseur en réserve) de la source LCA mis à l'étude par EDF paraît également une modification nécessaire et satisfaisante.
     Cet automatisme devrait être élaboré à partir des informations «niveau de la tension régnant sur le jeu de barres de distribution» et «sens du courant circulant dans la batterie». Il conviendra d'examiner l'extension éventuelle de cette mesure à d'autres sources de contrôle-commande.

Mesures palliatives
     Compte tenu de l'impossibilité d'analyser le comportement de l'installation avec une tension dégradée du contrôle-commande, en application du principe de défense en profondeur, les mesures palliatives doivent s'orienter dans deux directions:
     a) Eviter les pannes non franches.
     Si la coupure automatique d'une source sur seuil de tension basse paraît une solution peu recommandable compte tenu des risques de déclenchement intempestif, la coupure manuelle proposée par EDF, à un seuil où le fonctionnement correct du relayage est garanti, est acceptable. Il convient toutefois d'examiner attentivement l'intérêt d'anticiper un passage à l'état de repli de façon à ne pas superposer la perte de la source à un transitoire d'arrêt d'urgence en puissance.
     b) Réduire le domaine de fonctionnement aléatoire de certains équipements.
     L'analyse a mis en évidence certaines anomalies de conception (utilisation de relais électromagnétiques instantanés «tout ou rien» à la place de relais voltmétriques par exemple) et des possibilités d'améliorations techniques ponctuelles qui permettraient de garantir le bon fonctionnement de matériels importants, même dans des situations de tension dégradée des sources de contrôle-commande.

Mesures ultimes
     Devant l'impossibilité de définir autant de procédures que de combinaisons envisageables de perte de source, il paraît nécessaire d'examiner la faisabilité d'une procédure U «perte de source» selon une démarche analogue à celle utilisée pour le développement de SPI et U1.

Commentaire
     La publication par le Canard Enchaîné d'extraits du rapport SASR no 45 a entraîné EDF dans des grandes manoeuvres médiatiques:
     - conférence de presse avec distribution de documents complémentaires
     - voyage à Bugey avec Madelin et une sélection de «bons» journalistes (comme par hasard Louis-Marie Horeau du Canard Enchaîné n'était pas du voyage)
     - petit déjeuner avec les journalistes, distribution de fiches techniques, en fait de notes de propagande maniant avec élégance le mensonge par omission.
     A chaque fois, des articles furent publiés par les journaux et Le Monde sous la plume de MM Augereau et/ou Arvony se fit l'écho des informations d'EDF.
     A la suite de l'article du 4 juin, n'y tenant plus, nous avons envoyé une lettre ouverte à la direction du Monde pour lui signaler le comportement surprenant de leurs journalistes scientifiques. En voici le texte:

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Lettre ouverte au Monde à propos du retour d'expérience post-TMI ou quand Le Monde fait de la publicité gratuite à EDF

     Le lecture de l'article de Maurice Arvonny dans Le Monde daté de mercredi 11 juin est fort édifiante à plus d'un titre.
     Il s'agit sous la signature d'Arvonny de la reprise intégrale de fiches EDF. Le moins qui aurait pu être fait eût été de le signaler. Mais il eût été tout de même plus correct de signaler aussi qu'il reste beaucoup à faire pour que les enseignements de TMI (Three Mile Island) soient effectivement mis en oeuvre. L'incident du Bugey d'avril 1984 en est d'ailleurs un exemple frappant:
     - les incidents précurseurs au nombre d'au moins 5 (Dampierre 1, Dampierre 3, Tricastin 2 (2 fois !), Blayais 4), n'ont pas été pris en compte.
     - le regroupement intempestif d'alarmes en salle de contrôle ne permettant pas aux opérateurs de porter un diagnostic correct est à la base du développement de cet incident.
     Ceci est clairement dû au fait que si l'analyse de TMI est bien en fiche, son application concrète n'est pas encore réellement dans les faits.
     De même si les vannes de décharge des pressuriseurs ont bien été protégées en série par des vannes d'isolement motorisées, le rapport signale qu'en cas de blocage en position ouverte, la sécurité était inopérante en raison de la perte d'alimentation du tableau LCA (rapport SASR no 46 page 7).
     Quant au report en salle commande de la position physique des vannes, il semble aléatoire. Le rapport SPT - DAF -D 546, page 29 signale : «exemple d'incohérence, RCV 46 VP: en salle de commande, indication d'ordre de commande (RCM) donné, et, vanne ouverte en grand (état réel) pas de compte rendu de position».
     Pour autre exemple de ces incohérences, on peut citer une demande du service central de sûreté des installations nucléaires (SCSIN) datant du 12 juin 1985 (lettre SIN no3001/85, annexe II page 2): «ouverture intempestive des vannes de réglage de débit du RRA. Je vous prie de bien vouloir me préciser, sous six mois, les dispositions qui seront prises afin que la position exacte de ces vannes puisse être connue à tout moment, au moins en local».
     Or, en 1979, ce fut justement l'une des causes de l'accident. Le voyant en salle machine signalait que l'ordre de fermeture avait été envoyé mais il ne donnait pas la position physique. Six ans après, la lettre du SCSIN permet de comprendre que nous en sommes toujours au même point en France.
     Alors cessons de nous gargariser, la sûreté est le garant de notre sécurité. Il ne peut y avoir d'à peu près dans un tel domaine. L'accident résulte toujours de l'enchaînement de petites causes a priori sans liens et surtout sans conséquence, prises isolément.
     Nous avions déjà constaté lors de la relation de l'incident du Bugey que, ni Monsieur Arvonny, ni Monsieur Augereau n'avaient lu les dossiers qui leur ont été remis. 

suite:
Sinon, il n'eut pas été affirmé dans l'article du Monde que les mesures H3 permettaient de faire face à un accident. En effet, dans le rapport il est explicitement écrit page 7 (rapport SASR no 45): «... il faut noter que les matériels nécessaires à l'application de la procédure H3 destinée à faire face à cette situation, n'étaient pas encore opérationnels sur le site. Même s'ils l'avaient été, comme on le verra dans la suite de l'analyse, l'application de la procédure H3 telle qu'elle est prévue aujourd'hui aurait été difficile».
     Il est clair qu'EDF peut affirmer certaines choses, la moindre des honnêtetés pour un journaliste scientifique est au moins de les vérifier.
     Il est fort regrettable de constater que ce n'est pas du tout ce qui est fait dans Le Monde. Tchernobyl est déjà suffisamment révélateur des carences au plan de l'information officielle, si en plus les journalistes ne lisent même pas les dossiers que leur remettent les services officiels, mais se contentent des communiqués, le pire reste à venir.
Monique Sené
Présidente du GSIEN
4. UN ACCIDENT SEMBLABLE
A CELUI DE TCHERNOBYL
EST-IL POSSIBLE EN FRANCE?

     Pendant de nombreuses années - depuis toujours pourrait-on dire - les officiels du nucléaire (les «nucléocrates») nous ont proclamé que notre technologie nucléaire était tellement bonne, que notre personnel EDF était tellement bien formé, etc... qu'un accident était tout à fait impossible, ou du moins hautement improbable. Et puis de toutes façons, à supposer que..., notre système des 3 barrières successives devrait empêcher tout rejet à l'extérieur du bâtiment réacteur.
     Or, on peut faire plusieurs remarques
     - Les Américains à TMI, sur des réacteurs BWR( donc différents des nôtres, bien sûr, mais ça ne change rien pour notre propos), avaient des craintes de confinement aussi, ce qui ne les a pas empêchés, dans une situation beaucoup moins catastrophique qu'à TCHERNOBYL, de laisser fuir des effluents, notamment dans l'atmosphère.
     - Les Soviétiques, quant à eux, n'avaient pas d'enceinte de confinement: non pas parce qu'ils seraient moins intelligents que d'autres, ou plus pingres, mais parce que, «théoriquement», leur conception de réacteur ne devait pas poser le genre de problème qui s'est produit. D'ailleurs, avez-vous vu une enceinte de confinement sur nos centrales de la filière Uranium-Graphite-Gaz, de conception assez semblable à celle de la filière d'URSS ?... Or, contre toute attente, il s'est produit ce qui ne devait «théoriquement» pas arriver et, 3 semaines après (comme les Américains à TMI), les spécialistes soviétiques en sont encore à se demander comment cela a bien pu se produire ! Toujours est-tl que la «fuite» à l'atmosphère a été ce que l'on sait !...

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     - Est-on bien sûr qu'en cas «d'accident hors dimensionnement» comme on dit en FRANCE pour qualifier un éventuel accident majeur, il ne pourrait pas y avoir d'explosion mécanique d'origine quelconque et imprévue, à l'intérieur du bâtiment réacteur, qui serait susceptible dans ce cas d'endommager l'enceinte du bâtiment, donc la dernière «barrière»? A propos de cette fameuse enceinte de confinement, on aimerait savoir pendant combien de temps elle serait capable de contenir les produits libérés par un accident majeur, déjà en absence de détérioration initiale par une explosion! Toutes ces hypothèses sur le confinement pèsent d'un poids très lourd, comme on le verra, sur la validité et l'efficacité des plans d'urgence puisque c'est ce problème de la tenue du confinement qui conditionne directement le temps dont on dispose pour agir au niveau des populations.
     - Pour ceux qui seraient très convaincus qu'on est à l'abri d'un accident en FRANCE, nous vous invitons à lire avec attention le récit que vous trouverez ci-après de l'incident survenu sur la tranche no 5 du BUGEY le 14 avril 84, pour lequel le rapport officiel explique que «c'est sans aucun doute celui pour lequel on a approché le plus près d'un accident grave depuis le démarrage de la lère tranche du parc REP français...».
     Une certaine évolution semble tout de même se faire jour depuis TCHERNOBYL dans l'état d'esprit de nos nucléocrates: cet accident se produisant après celui de TMI aux USA il y a quelques années, il leur apparaît de plus en plus difficile de soutenir qu'on est toujours plus intelligents que les autres - au maximum, on peut encore dire qu'on est peut-être les plus chanceux ! Aussi c'est avec un certain «soulagement» qu'on commence à entendre un langage plus réaliste et plus modeste puisqu'on ne nie plus, à présent, qu'un accident puisse arriver chez nous, même si dans le même temps, on nous affirme toujours que les conséquences en seraient tout à fait minimes... C'est à voir ! En tous cas, nous disons «soulagement» face à cette évolution car on va peut-être - enfin !. - cesser de prendre les gens pour des imbéciles en leur cachant les informations, et on va peut-être prendre les mesures sérieuses qui s'imposent pour accroître la prévention dans tous les domaines, depuis les études techniques de sûreté jusqu'à la mise en place de «plans d'urgence» dignes de ce nom.

Que valent les plans d'urgence en matière d'évaluation du transfert de la radioactivité ?
     Un problème très préoccupant est celui de la dispersion atmosphérique de la radioactivité et donc de ses conséquences radiologiques. En novembre 85, au Colloque international de l'AIEA (Agence Internationale de l'Energie Atomique) sur «la planification et l'état de préparation, les représentants officiels français (M. SCHERRER, du SCSIN, et MM. EVRARD et NEY, de l'IPSN du CEA) disaient ceci (extrait du texte de leur communication «organisation technique des autorités de sûreté en cas d'accident dans une installation nucléaire»):

suite:
[...] «Un effort est actuellement en cours a l'IPSN, afin de fournir aux équipes de crise des moyens spécifiques et adaptés, leur permettant de remplir leur mission, aussi bien en ce qui concerne l'évaluation du transfert de la radioactivité, que la prévision d'éventuels rejets lors d'un accident sur une installation nucléaire.

Dispersion atmosphérique de la radioactivité et conséquences radiologiques
     Ce problème a fait l'objet, depuis de nombreuses années, du développement de moyens assez complets. Des abaques opérationnels de transfert atmosphérique, basés sur un modèle panache gaussien, ont été établis et ont fait l'objet d'un consensus entre les différents organismes publics concernés. D'autre part sont en cours de réalisation, des moyens informatisés utilisant un modèle type bouffées gaussiennes et permettant de prendre en compte les variations de débit d'émission et les conditions de dispersion (vitesse et direction du vent, stabilité atmosphérique) et ultérieurement l'orographie du site." [...]

     On appréciera déjà de la manière qui convient, le fait qu'après plus de 10 ans de programme nucléaire, et alors qu'une quarantaine de tranches sont en fonctionnement, «un effort est actuellement en cours à l'IPSN afin de fournir...» ! Mais nous allons examiner la situation réelle en la matière et voir ainsi l'état actuel de la question.

Les abaques de diffusion atmosphérique pour la courte distance
     Les centrales nûcléaires sont dotées de graphiques et tableaux spéciaux (appelés «abaques») destinés à estimer, en cas de rejet accidentel, la localisation des retombées du nuage émis. Les documents ont été établis à partir d'expérimentations sur des sites particuliers, essentiellement plats, et ils ont été standardisés pour tous les sites de centrales. Ils fonctionnent à partir de données d'émission et des conditions météorologiques locales mesurées au niveau 80 m.
     Plusieurs remarques s'imposent:
     - Le domaine de validité de ces abaques couvre une distance d'une dizaine de kms seulement autour de la source, ce qui est fort peu: avec un vent de 5 m/s par exemple (très courant), les effluents gazeux parcourent cette distance en moins de 3/4 d'heure ! On voit mal comment prendre une quelconque décision.. (et l'appliquer!) en un temps si court...
     - Compte4enu de leur caractère «standard», ces abaques sont à peu près valables pour les sites de configuration voisine de ceux où les expérimentations ont été faites, c'est-à-dire des sites pratiquement plats. Or, chacun sait, en examinant la liste des sites de centrales françaises, qu'il en est bien peu qui sont dans une région plate. Et il se trouve que sur un terrain à topographie un peu compliquée, les conditions de propagation de l'air peuvent présenter quelques aspects surprenants ! Les Américains par exemple ont fait des expérimentations précises sur certains de leurs sites et ils ont établi qu'en présence de relief, et par vents faibles (donc peu organisés en direction), on pouvait retrouver des retombées un peu n'importe où, et pendant des durées plus longues que prévues. En France, il semble que des expérimentations de ce genre n'aient commencé que récemment, sur certains sites.

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     - Selon certaines informations, il semblerait qu'il y ait de sombres histoires de «chasse gardée» entre CEA-EDF d'une part, qui ont mis au point les «abaques opérationnels» disponibles dans les centrales, et le SCPRI d'autre part, qui a les siens et ne voudrait pas entendre parler des autres...

Propagation des effluents à échelle régionale
     Les remarques précédentes montrent la fragilité et l'insuffisance des moyens prévus de façon opérationnelle pour estimer la trajectoire d'un éventuel rejet radioactif au voisinage immédiat des centrales. Mais au-delà de cette distance d'une dizaine de km, c'est encore pire si on cherche à estimer ce qui va se passer entre 10 et 200 km environ de la centrale (échelle «régionale»). Cette zone est pourtant capitale puisque c'est celle qui serait concernée par des évacuations de population, et, si l'on accepte l'idée que les rejets puissent être contenus pendant quelque temps dans l'enceinte de confinement, il est indispensable de pouvoir décider des «meilleurs» moments (ou plutôt des moins mauvais...) pour effectuer des rejets en différé. Or, que constate-t-on ?
     - Ce n'est qu'assez récemment que les Services de Recherche d'EDF ont commencé à développer des modèles de calcul à échelle régionale avec prise en compte du relief. Bien évidemment, ces études sont encore assez loin de déboucher sur des procédures concrètes opérationnelles du même style que la procédure existant pour la «courte distance».
     - Ces modèles nécessitent, pour leur validation et pour leur mise en oeuvre sur ordinateur, en différé ou en direct, des informations météorologiques très diversifiées et d'une densité sur le terrain relativement importante. Or, les moyens ainsi nécessaires sont limités volontairement, non seulement pour des questions de coût, mais également pour des questions «diplomatico - psychologiques»: comment peut-on envisager par exemple de faire installer quelques petites stations de mesures supplémentaires dans nos régions - voire même, ce qui est pis, de l'autre côté de la frontière Suisse pour CREYS-MALVILLE - lorsqu'on affirme bien fort que nos enceintes de confinement sont à toute épreuve et donc qu'il n'y a aucun risque...
     - Les seules mesures météorologiques effectuées sur les sites (vent à 80 m, caractéristiques de basses couches de l'atmosphère par sondeur acoustique appelé SODAR, pression atmosphérique d'une utilité d'ailleurs douteuse) le sont à la demande des organismes de sûreté et du SCPRI (le fameux Professeur PELLERIN), qui imposent à EDF d'envoyer automatiquement en direct toutes ces informations aux centres météorologiques régionaux: or ceux-ci se contentent de les engranger (elles augmentent tout de même le potentiel du réseau météo) car ils n'ont jusqu'à présent ni la mission ni les moyens de les exploiter utilement dans le cadre de modèles régionaux opérationnels en temps réel. Et EDF est ainsi bien contente de se désaisir du bébé...

Transfert des effluents à grande distance
     L'accident de TCHERNOBYL a mis en lumière l'importance de la météorologie à échelle régionale, nous venons d'en parler, mais également à l'échelle continentale ! 

suite:
Chacun a pu s'en rendre compte: le nuage radioactif ignorant naturellement les frontières, les pays européens ont été pris complètement au dépourvu et n'ont pu que... constater les dégâts sur leurs propres territoires. En cas d'accident sérieux, suivi de rejet, dans l'une de nos 40 et quelques tranches, serions-nous mieux armés pour informer - et rapidement - nos voisins de l'éventuel survol de leur territoire par un nuage indésirable ? Eh bien non, nos outils pour cette échelle trans-frontière sont encore plus pauvres qu'à échelle régionale. On peut même se demander si c'est considéré comme un vrai problème à EDF: celle-ci, certes, vient de passer récemment un marché avec la Météorologie Nationale pour la fourniture d'un ensemble de données régulières couvrant la FRANCE mais uniquement la FRANCE. Mais il est également nécessaire de disposer de données à l'échelle européenne... et qui sont d'ailleurs disponibles auprès des centres météorologiques spécialisés.

En conclusion
     Cette question du transfert dans l'atmosphère d'un éventuel rejet radioactif important appelle en fin de compte plusieurs remarques:
     - Aucun travail n'est fait actuellement en vue de mettre au point une procédure homogène et complète permettant de traiter le problème de l'estimation du devenir d'un nuage émis par une centrale.
     - D'une façon générale, la météorologie a toujours été quelque peu négligée dans les plans d'urgence (or l'exemple de TCHERNOBYL nous montre l'importance capitale de ce facteur) : tout au plus est-il prévu d'adjoindre un spécialiste météo à l'équipe du rejet dans le cadre du plan ORSEC-RAD.
     - La division du travail est, pour des raisons diverses, savamment entretenue, tant à l'intérieur d'EDF entre les différentes directions, opérationnelles, recherche, etc... qu'entre EDF et d'autres organismes CEA, Météo Nationale, SCPRI etc... Cette situation nous paraît très préjudiciable, tant sur le plan des recherches pour améliorer les conditions de sûreté ou de sécurité dans tous les domaines, que sur le plan de l'efficacité des plans d'urgence.
     - La question de la centralisation des informations techniques en tous genres (dont la météorologie, les modèles de calcul opérationnels, etc...) sur un centre de décision reste toujours posée, et en un lieu différent de la centrale ellemême (on voit mal un PC de crise fonctionner sérieusement sur le lieu même d'une centrale gravement accidentée...).

Nouvelle fuite de pyralène à Villeurbanne.

Le Monde 04/07/86

p.22

5. QUESTIONS SUR TCHERNOBYL
 

     Vous venez de lire les dossiers IPSN (enfin des extraits). Mais on peut se poser quelques questions supplémentaires.

I. Que s'est-il passé à Tchernobyl ?
     A vrai dire, à part les hypothèses, on ne sait pas encore ce qui s'est passé. Une seule chose de sûre, le bâtiment réacteur a été partiellement détruit, un nuage s'est échappé. On ne sait même pas si c'est 10% ou 20 % du coeur qui se sont vaporisés. On ne sait pas à quelle altitude, car d'une part cela dépend de la température atteinte par le combustible, d'autre part cela dépend de la météo.
     Une seule chose semble confirmée: le réacteur était à l'arrêt depuis déjà un certain temps et il n'y aurait plus que 7% de la puissance thermique à évacuer soit 210 MWth au lieu et place de 3'000 MWth pour un réacteur pleine puissance) et surtout cela veut dire que tous les produits à vie courte auraient disparu.
     Mais manifestement, une série de fausses manoeuvres ont dû conduire à cet accident.
     Pour analyser Three Mile Island, il a fallu des mois et attendre des années pour savoir que 80% du coeur avait fondu (5 ans pour pouvoir entrer une caméra dans la cuve). Alors là comme il est enfoui dans le sable, l'argile, le béton, peut-être n'ira-t-on jamais voir. Quant au redémarrage des autres unités, gageons que ce ne sera pas aussi apide que veulent bien le dire aujourd'hui les autorités soviétiques.

2. Tchernobyl est-il terminé ?
c     En ce qui concerne l'accident lui-même, il semble circonscrit même si l'état du coeur est mal connu, même si les conséquences sur la deuxième unité sont difficiles à préciser.
     Quant au reste: contamination des terrains, des eaux de surface, recyclage des dépôts, dimension de la zone interdite, il est encore bien tôt pour émettre une idée. On apprend qu'à 150, 200 km, il a fallu évacuer encore des populations. On sait qu'à Kiev en 20 jours la population a absorbé 0,5 Rem (soit la dose maximale admissible en une année). Comme il s'agit de Césium, cela signifie qu'en un an on absorbe 9 Rem. Bien sûr, on est toujours en faible dose mais n'oublions pas qu'il y a plus de 2 millions de personnes concernées, donc gare aux effets collectifs statistiques.

3. La technique russe est-elle peu sûre ?
     Eh bien non. Il est difficile d'affirmer une telle chose. Certes, ils ont été bien légers en laissant les populations si longtemps sous le nuage mais comme ils ont les mêmes réactions que nos officiels, on ne peut guère les en blamer plus. En ce qui concerne le personnel de la centrale,  il a réagi comme tous les personnels en situation accidentelle: on essaie de faire le maximum. Bien sûr, compte tenu de la gravité de l'accident, cela se traduit par de sévères irradiations et des morts. Combien ? Il est trop tôt pour le dire.

suite:
     La technique nucléaire exige que l'on soit rigoureux. Il ne peut y avoir d'à-peu-près, or, à force de répéter, d'affirmer que c'est une technique absolument sûre, on arrive à des non-sens et ceci explique les nombreux incidents aussi bien en France qu'ailleurs. En URSS aussi d'ailleurs puisqu'en 1976 il y avait un cercle d'exclusion de 30 km autour des sites. Malheureusement, estimant que l'expérience permettait d'affirmer l'accident impossible, les autorités ont permis des constructions plus rapprochées. On voit le résultat aujourd'hui: il a fallu évacuer 45'000 personnes, puis 100'000, puis... on ne sait pas.

4. Y a-t-il eu d'autres accidents ?
     Il y a eu sur des réacteurs expérimentaux beaucoup de problèmes. L'un est du même type incendie dans le graphite. Il s'est passé à Windscale en 1957 en Angleterre.
     Les effets ont alors été minimisés, il a fallu attendre 20 ans pour que des rapports paraissent: on a vraiment donné le bilan des produits sortis du coeur et on étudie les conséquences à long terme.
     En ce qui concerne les accidents sur les grosses unités, en 79, on a eu TMI, en 86 Tchernobyl. Pour le reste, eh bien l'avenir nous dira.
     Par contre, Tchernobyl a remis en mémoire les retombées des explosions aériennes des années 60. On a pu constater que, en France, le nuage nous a envoyé le 1er mai 1000 fois plus de Césium que les retombées dues à ces explosions. Bien sûr, étalé sur toute l'année, cela fera peu mais c'est de toute façon trop.

5. Y a-t-il en France des réacteurs sans enceinte de confinement ?
     Evidemment, il y a les graphite gaz: il nous en reste 4: 1 à Chinon, en cours de réparation (Chinon A3), 2 à St Laurent des Eaux (St Laurent A1 et A2), 1 à Bugey (Bugey 1).
     Le premier n'est pas du type intégré ce qui signifie que le caisson ne contient pas les échangeurs de chaleur. Par contre, les 3 derniers ont un circuit de refroidissement tel que le gaz carbonique sous pression ne sort pas de ce caisson qui contient le coeur et les échangeurs.
     Ces réacteurs sont certes enfermés dans un caisson mais il n'y a pas d'enceinte de confinement supplémentaire autour du réacteur. Or, la dalle supérieure est percée de trous pour permettre chargement et déchargement du réacteur sans l'arrêter. C'est la filière qui permet d'obtenir du Plutonium de qualité militaire, comme on peut le faire aussi avec le réacteur russe.

6. Pour une chronologie des événements, procurez-vous Wise, à commander 4, rue Dunois 75013 Paris, 25 F le dossier port non compris (Dossier rédigé en grande partie par un membre du GSIEN, malheureusement non signalé).

p.23

Annexe
Les actions engagées en France suite à TMI


     A la suite de la publication de l'incident du Bugey qui typiquement est le reflet de la non prise en compte des leçons de TMI, EDF s'est fendue d'un magnifique dossier sur le sujet.
     Il y a quelques perles pas tristes:
     - Dès le début du mois d'avnl 1979, un groupe de travail a été créé pour identifier les actions...
     ...Il convient de relever que l'analyse de sûreté effectuée n'a mis en évidence aucune anomalie susceptible d'interrompre ou de retarder la mise en service des tranches 900 MWe qui se trouvaient à cette époque en construction, ni d'arrêter les tranches en fonctionnement (Fessenheim, Bugey).
     ...A ce jour, le bilan détaillé des actions est le suivant:
     - pour les tranches 900 MWe, les études sont toutes achevées et les modifications sont réalisées à 90 %. Le solde sera achevé dans sa quasi totalité fin 86. Leur mise en oeuvre aura représenté un coût de l'ordre de 1 milliard de francs.
     - pour les tranches 1300MW, toutes les actions sont achevées (car les premières tranches étaient juste en début de construction en 1979 et les études ont pu immédiatement prendre en compte l'effet TMI)
     - pour les paliers ultérieurs, le plan d'action est intégralement pris en compte dès la conception. Fin 1985 les Autorités de sûreté ont approuvé l'ensemble des résultats du plan d'action français et l'on peut considérer que ce dernier est totalement achevé.

Commentaire
     Bel exemple de la publicité EDF à l'intention des médias et du public.
     La réalité est, bien sûr, bien différente.
     Lors de la séance de juin 1985, le CSSN a examiné ces fameux retours d'expérience. Et que constate-t-on ?
1. Problème d'alimentation électrique de secours
     Divers incidents ont eu lieu
     - 11.01.1983: Graveline 4, grippage d'un piston
     - 10.02.1983 : Bugey 3, rupture de 2 tiges de culbuteur
     - 21.04.1983 : Dampierre 4, grippage d'un piston
     - 15.08.1983: Cruas 1, rupture d'une bielle
     - 28.11.1983 : Blayais 3, rupture d'une tuyauterie d'injection du fuel
     Or, Si on prend l'incident de Bugey 5 d'avril 1984, l'importance de l'alimentation de secours est évidente. EDF, à la demande des autorités de sûreté, doit ajouter un équipement complémentaire des turbines à gaz. L'état d'avancement de la mise en place, décrit par le SCSIN en juin 1985 était «... Il y a une turbine à gaz sur chaque site de tranches 90 MWe. Pour les sites de tranches de 1300 MWe, Electricité de France s'interroge sur la stratégie à retenir: une turbine par site ou une par région qui pourrait dans un délai rapide être amenée sur place.»

suite:
     ... et si cela ne suffit pas, on fera pédaler le personnel du centre sur des gégènes!!!

2. Mise en oeuvre des mesures de sûreté
«...de me transmettre un certain nombre de dossiers portant sur 9 pointsprécis: huit de ces dossiers ne me sont pas parvenus»
     Or, il s'agit d'une demande de 1984 et la lettre date de 1985. Comme on demande la transmission sous 3 mois, on aimerait en 86 savoir si les fameux dossiers sont enfin arrivés.

3. Délais de réalisation
     Le SCSIN écrit à EDF
     «S'agissant des délais de réalisation, j'ai noté que votre établissement rencontre des difficultes à mettre rapidement en oeuvre certaines modifications sur les tranches»...
     Pas mal, qui choisit ? EDF ou les autorités de sûreté ? De mieux en mieux, le SCSIN écrit encore:
     «Enfin, j'ai  noté que votre établissement rencontre des difficultés pour prendre en considération mes demandes; ces difficultés se traduisent par des retards dans leur prise en compte, voire par l'absence de leur prise en compte. »
     Force est de constater que EDF peut toujours affirmer que post TMI leur a servi. A faire des papiers sûrement, à améliorer, la question se pose encore.
     Une série d'incidents
     * sont dûs à des alarmes non hiérarchisées : les agents ne savent donc pas ce qui est, en fait, en panne.
     * sont dûs à des confusions de tranches : le regroupement des équipements est tellement bien étudié que les agent se trompent de tranche en voulant faire une manoeuvre
     * sont dûs au fait qu'on n'a pas tenu compte d'incidents précurseurs.

Dernière citation
     «Ouverture intempestive des vannes de réglage de débit du RRA. Je vous prie de bien vouloir me préciser, sous six mois, les dispositions qui seront prises afin que la position exacte de ces vannes puisse être connue à tout moment, au moins en local. »
     Eh bien bravo, en juin 85, en être encore à demander à connaître la position exacte de vannes.
     En 1979, à TMI, ce fut justement l'une des causes de l'accident le voyant en salle machine signalait que l'ordre avait été envoyé mais ne donnait pas la position.
     6 ans après, cette lettre nous permet de comprendre qu'on en est toujours au même point

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