GAZETTE NUCLÉAIRE

L’impact en France des retombées de l’accident de Tchernobyl
Chapitre 4 du dossier IPSN (IRSN maintenant) : Tchernobyl, 16 ans après - avril 2002


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  Ces différents travaux ont permis de disposer d'une bonne connaissance d'ensemble du niveau de contamination du territoire français dû aux retombées radioactives de l’accident de Tchernobyl, ainsi que de l’impact dosimétrique sur la population, 
     Toutefois, deux aspects particuliers ont donné lieu à des études plus approfondies, dont les résultats ont été obtenus au cours de l’année 2000 : 
  - l’évaluation des conséquences sanitaires de l’accident de Tchernobyl en France: en janvier 2000, la DGS a demandé à l’IPSN et à l’Institut national de Veille Sanitaire (InVS), de lui fournir un état des connaissances sur les conséquences sanitaires de l’accident de Tchernobyl ainsi qu'une analyse sur les investigations qu'il conviendrait de mener en France pour mettre en évidence d’éventuels effets de cet accident sur la santé, notamment concernant les cancers de la thyroïde. Ce travail a donné lieu à un rapport (3) remis a la DGS et publié en décembre 2000 ; 
   - l’amélioration de la connaissance de la contamination des territoires français les plus fortement touchés par les retombées de l'accident de Tchernobyl.
   I- Évaluation des conséquences sanitaires de l’accident de Tchernobyl en France 
   1.1. Rappel des principaux résultats de l’évaluation des conséquences radioécologiques et dosimétriques 
   L’étude menée par I'IPSN en 1997 fournit une estimation par département des dépôts radioactifs sur les sols agricoles, établie à partir des mesures effectuées dans les sols, le lait et les légumes -feuilles en 1986.
   Les résultats montrent qu'il existe un gradient des dépôts d'est en ouest, selon quatre zones. 
   - La zone la plus contaminée (zone I, cf. figure 16) s’étend à l’est d'une ligne Gard/Moselle. Dans cette zone, les dépôts moyens de 137Cs, exprimés sous forme d’activité surfacique des surfaces agricoles, allaient de 3.000 à 60.00 Bq/m 2 et ceux d'iode 131 de 20.000 à 50.000 Bq/m2. Les valeurs de dépôts corrigées de la décroissance radioactive, sont ramenées à leur valeur de 1986. 
   - Dans la zone la moins contaminée de France (zone IV), à l'ouest d'une ligne Haute-Garonne/Seine-Maritime, les ASR étaient inférieures à 750 Bq/m2 pour le 137 Cs et 5.000 Bq/m2 pour l’iode-131 
carte de la contamination en césium 137 sur les surfaces agricoles françaises en 1986
Figure 16 : carte de la contamination en césium 137 sur les surfaces agricoles en 1986 (valeurs moyennes départementales calculées par le logiciel ASTRAL à partir des mesures de contamination des productions agricoles)

     Les concentrations en césium et en iode radioactifs dans les produits agricoles ont atteint leurs maximums immédiatement après les dépôts, puis ont décru avec des dynamiques variables
   Pour le lait et la viande, début mai 1986, les activités massiques moyennes en 137 Cs étaient de l’ordre de la centaine de Bq/kg dans tout l’Est du pays. Les valeurs maximales observées pour la viande pendant l’été 1986 ont été d'environ 1000 Bq/kg. A l’entrée de l’hiver, elles étaient redescendues à une dizaine de Bq/kg pour la viande comme pour le lait. Pour l’iode 131, dans la même zone, les concentrations moyennes ont pu atteindre plusieurs centaines de Bq/kg mais la décroissance a été bien plus rapide, avec une période effective d'environ 5 jours (diminution d'un facteur 2 tous les 5 jours). 
    Les légumes-feuilles ont été les végétaux les plus contaminés. Les concentrations en 137 Cs ont atteint quelques centaines de Bq/kg dans les jours qui ont suivi les dépôts, notamment dans le nord-est ; pour l'iode-131, les valeurs aux mêmes endroits ont atteint quelques milliers de Bq/kg. Dans les deux cas, la décroissance a été très rapide (quelques Bq/kg en 137Cs et disparition de l'iode-131 dès juillet 1986). Pour les autres végétaux, les concentrations ont été plus faibles, mais la dynamique de décroissance plus lente, notamment pour les fruits, en raison du stockage du césium dans le bois des arbres. Actuellement, toutes les concentrations se trouvent en dessous de celles mesurées avant l’accident.
suite:
     Les produits forestiers, tels que le gibier et les champignons, présentent des niveaux de contamination plus élevés que les produits agricoles. En 1986, l’activité mesurée dans les champignons était 5 à 10 fois plus forte que celle enregistrée dans le lait ou les céréales, mais surtout, la décroissance dans le temps est beaucoup plus lente.
     Les teneurs en 137 Cs des champignons et du gibier ont peu varié depuis 1986. Ponctuellement, elles peuvent encore dépasser la limite de commercialisation de 600 Bq/kg, fixée par le règlement du Conseil des Communautés Européennes du 30 mai 1986, pour gérer les conséquences de l’accident de Tchernobyl.   A partir de ces valeurs de contamination, des évaluations dosimétriques ont été faites en 1997 pour l’année 1986, la décennie 1987-1996 et les années suivantes, N'ont été considérées que les doses efficaces engagées à l'organisme entier, sauf pour l’année 1986 sur laquelle la dose à la thyroïde a également été évaluée. 
     Pour 1986, la dose moyenne engagée à l’organisme entier pour un individu résidant dans l'Est de la France a été estimée entre 0,1 et 0,4 mSv, L'ingestion y contribue pour 60% à 70% et l’exposition externe pour 20% à 35%. Le reste, moins de 10 %, provient de l’exposition au rayonnement du nuage radioactif et à l’inhalation des aérosols qu'il contenait. La dose interne résulte à 50 % de l’ingestion de lait et de viande. Parmi les radionucléides en cause, l’iode-131 compte pour 20% à 25% du total, le reste étant essentiellement imputable aux 137Cs et 134Cs. Toujours sur la base du mode de vie le plus répandu, la dose à la thyroïde des personnes qui résidaient dans l’Est de la France en 1986 a été estimée comprise entre 0,8 et 2 mSv pour un adulte et entre 6,5 et 16 mSv pour un enfant de 5 ans (une dose de 20 mSv engagée à la thyroïde correspond à une dose efficace au corps entier de 1 mSv). Le cas de personnes vivant sur les zones les plus touchées par les dépôts et se nourrissant principalement de leurs productions ou de produits locaux a été étudié. La dose efficace engagée en 1986 pour ces personnes pourrait atteindre 1,5 mSv. La consommation d'eau n'a jamais pu conduire à une dose significative au regard de celle due aux autres aliments. 
     L’étude des quelque 60.000 mesures faites au cours des trois ans qui ont suivi l’accident de Tchernobyl sur les personnels travaillant sur les sites du CEA, de COGEMA et d'EDF, confirment globalement les estimations de l’IPSN relatives à l’incorporation de césium 137 qui constitue l’essentiel de la dose en 1986. Toutefois, en raison de la circulation des denrées, certains habitants de l'Ouest de la France ont pu recevoir des doses proches de celles reçues par les habitants de l’Est du pays, plus touchés par les retombées directes du nuage. Une telle vérification n'a pas été possible pour l’iode 131, car les mesures de la charge thyroïdienne en iode 131 sont rares et peu exploitables en raison d'un important bruit de fond durant les premiers jours de mai 1986 et de la décroissance radioactive rapide de ce radionucléide. 
     Pour les années 1987 à 1996, la dose efficace engagée cumulée pour l'Est de la France peut être estimée entre 0,2 et 0,7 mSv. L'irradiation externe compte pour 65% à 80% de ce total, le reste étant imputable à l’ingestion. Le 137 Cs est responsable de près de 80% des doses, le complément étant dû au 134Cs. 
     La dose efficace engagée individuelle de mai 1986 à aujourd'hui est estimée comprise entre 0,3 et 1,2 mSv dans l’Est de la France. Actuellement, la dose efficace engagée chaque année est d'environ 0,010 à 0,015 mSv. Sa diminution au cours des années à venir sera très lente. 
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     2.3. Cartographie de la contamination des sols de Corse 
     Avec les Alpes-Maritimes, la Drôme et le Jura, les deux départements de Corse font partie des départements français les plus touchés par les retombées de l’accident de Tchernobyl. Des pluies importantes durant la première semaine de mai 1986 ont conduit dans certaines parties de l’île, à des dépôts de césium 137 supérieurs à 20.000 Bq.m-2 et des dépôts d'iode 131 supérieurs à 100.000 Bq.m-2

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     Compte tenu de leurs caractéristiques de drainage, les sols corses n'ont retenu qu'une faible partie du césium 137 déposé. Cependant ceux des environs de Solenzara qui ont reçu de très fortes précipitations et ceux de certains sites d'altitude témoignent de dépôts de césium 137 ayant initialement dépassé 50.000 Bq.m-2 , soit des dépôts d'iode 131 de plus de 250.000 Bq.m-2
     L’évolution de la contamination par l’iode 131 des denrées produites en Corse en 1986 a pu être estimée à partir des mesures effectuées dans du lait de chèvre, de brebis et de vache, ainsi que dans du fromage, au cours des trois mois qui ont suivi les dépôts, mais aussi à partir des mesures de césium 137 faites à cette époque. En effet, le rapport entre les activités de ces radionucléides a été assez constant: début mai 1986, les activités d'iode 131 mesurées dans l’environnement étaient 5 à 10 fois plus élevées que celles de césium 137. 
     Seuls les produits agricoles ou d’élevage consommés entre mai et juillet 1986 ont pu contribuer à l’incorporation d'iode 131. Compte tenu de la date des dépôts, il s'agit principalement des légumes, du lait de vache, de chèvre ou de brebis et de leurs dérivés consommés frais, notamment le Brocciu (fromage de brebis). 
     Les activités élevées du lait résultent d'une consommation exclusive d'herbe ou d'autres végétaux par les animaux d’élevage. La diminution très rapide des activités est due, d'une part à la décroissance radioactive de l’iode 131, d'autre part à des mécanismes biologiques de dilution et d’épuration, notamment la repousse des végétaux et l’élimination métabolique de l’animal. Si les animaux sont en partie nourris avec des fourrages ou des compléments pas ou moins contamines, l’activité du lait en est d'autant réduite. A l’extrême, le lait d'une vache nourrie avec des fourrages récoltes avant les dépôts peut être considéré comme exempt de contamination. L’activité des légumes-feuilles est plus élevée que celle des autres légumes car ce sont les feuilles qui ont reçu l’essentiel des dépôts; les fruits, racines ou tubercules sont plus protégés. La diminution des activités massiques des légumes récoltés dans les jours suivants est également due à la décroissance radioactive, au stade de développement du végétal au moment des dépôts, et à sa croissance depuis lors. 
     Les céréales et leurs dérivés, la plupart des fruits, dont le raisin, ont été récoltés après disparition de l’iode 131. Dans le cas de la viande d’élevage ou du gibier, le délai de quelques jours nécessaire à la contamination de l’animal puis le délai de quelques semaines entre son abattage et la consommation de la viande sont suffisants pour assurer une diminution significative de l’activité de l’iode 131.

     2.3.1. Les mesures effectuées dans la chaîne alimentaire
     Dans le cadre de ses contrôles départementaux mensuels le SCPRI a effectué des prélèvements de lait de vache dans la région d'Ajaccio et de Propriano. Les analyses de ces prélèvements permettent de suivre l’évolution des activités de 137Cs et de l'iode 131 les semaines (pour l’iode 131) et les mois (pour 137Cs) qui ont suivi les dépôts radioactifs. Des mesures sur du lait et du fromage de chèvre et de brebis provenant de Balagne ont été effectuées par le SCPRI et l’IPSN. En juin et novembre 1986, différentes denrées ont été prélevées par l’IPSN dans la région d'Aleria : orge, légumes, fruits et agrumes, châtaignes et champignons. 

suite:Enfin de 1986 à 1989 des poissons provenant du Tavignano, du réservoir de Teppe-Rosse et des lacs d'altitude ont été analysés par l’IPSN. D'autres organismes ont également effectué en 1986 des mesures ponctuelles, notamment la DDASS
     En 2001, à la demande de la Direction Générale de la santé, l’OPRI a effectué une vaste campagne de prélèvements et d'analyses d’échantillons de denrées de différentes natures provenant de la région de Belgodère en Balagne, de la région d'Ajaccio et de celle de Bastia. L'IPSN a également prélevé et analysé des échantillons de sols provenant de plus de 100 sites repartis sur l’ensemble de la Corse et plus particulièrement des environs de Solenzara.

     2.3.2. Estimation des dépôts d'iode 131 en Corse
     En l’absence de pluie, les dépôts radioactifs ont été faibles, de l’ordre de 5.000 à 10.000 Bq.m -2 d'iode 131. Avec les incertitudes associées, la relation présentée sur la figure 22 est applicable jusqu’à des hauteurs de pluie de l’ordre de 60 mm (surface grisée). Des hauteurs supérieures, atteignant 100 mm, ont été mesurées en Corse. L’étude faite par l’lPSN à partir des résultats des mesures de césium 137 dans les échantillons de sol de Corse prélevés en 2001 laisse à penser que cette relation est probablement vérifiée sur l’île pour des hauteurs de précipitations supérieures (surface hachurée de la figure 22). 

Relation théorique entre les dépôts d'iode 131 et les hauteurs de pluies en mai 1986
Figure 22: Relation théorique entre les dépôts d'iode 131 et les hauteurs de pluies au cours de la première semaine de mai 1986

     Cette relation appliquée aux hauteurs de pluie mesurées par Météo-France entre le 1er et le 5 mai 1986 a permis d’établir une carte théorique des dépôts d'iode 131 (Figure 23). Une limite importante quant à la validité de cette cartographie est liée à la couverture des mesures effectuées par Meteo France et au caractère sporadique des précipitations : certains endroits ont pu recevoir des précipitations plus ou moins importantes sans qu'aucune station de Météo-France n'ait pu en témoigner. Sous ces réserves, la carte fait apparaître trois grandes zones: la zone A sur laquelle les dépôts d'iode 131 ont été plus faibles ou du même ordre de grandeur que le dépôt moyen départemental sur les surfaces agricoles de l’Est de la France continentale, la zone B sur laquelle les dépôts ont pu être jusqu'à 3 fois supérieurs à ce dépôt moyen, et la zone C qui figure parmi les plus touchées de l’Est de la France.

     2.3.3. Interprétation des mesures disponibles 
     Parmi les mesures effectuées, certaines sont utilisables pour rendre compte des niveaux de dépôt et de contamination de la chaîne alimentaire ou pour vérifier la cohérence globale des mesures entre elles. C'est le cas des mesures d'iode 131 et de césium 137 effectuées par le SCPRI et I'IPSN sur de échantillons de lait de vache prélevés dans la région d'Ajaccio et de Propriano. C'est également le cas des mesures de césium 137 effectuées par le SCPRI dans des échantillons de sol, ainsi que de certaines mesures de césium 137 faites par I'IPSN dans des échantillons de légumes, d'orge et de maïs prélevés dans la région d'Aleria. Les autres, comme les mesures faites sur des fromages ou de foins, sont indicatives des niveaux d’activité atteints mais sont plus difficilement utilisables pour ce type d'expertise. 

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Répartition des stations de Météo-France en Corse: hauteurs de pluies en mai 1986
Figure 23 : Répartition des stations de Météo-France en Corse, hauteurs de pluies enregistrées entre le 1er et le 5 mai 1986 et carte des dépôts théoriques d'iode 131 sur l’île. 
     Le logiciel ASTRAL a permis de vérifier la cohérence des activités mesurées dans les différents échantillons de la chaîne alimentaire prélevés en Corse en 1986. Ces mesures sont alors comparées avec les estimations obtenues à partir de la carte des dépôts de mai 1986 (figure 23). 
     - Interprétation des mesures d'iode 131 
     La figure 24 montre que les activités d'iode 131 mesurées dans les 5 échantillons de lait de chèvre prélevés en Balagne sont cohérentes entre elles et témoignent d'un dépôt d'iode 131 de l’ordre de 30.000 à 70.000 Bq.m -2. Cette gamme de valeurs estimée par modélisation n'est qu'indicative car très dépendante de la nature et de la quantité de fourrages produits localement entrant dans l'alimentation des animaux. Elle concorde avec des dépôts estimés sur la Balagne à moins de 75.000 Bq.m-2
évolution des activités de l’iode 131 mesurées dans des échantillons de lait de brebis de Belagne
Figure 24 : évolution des activités de l’iode 131 mesurées dans des échantillons de lait de brebis de Belagne et dépôt théorique correspondant estimé par modélisation. 

     Les activités mesurées dans les échantillons de lait de vache prélevés dans la région d'Ajaccio et de Propriano, sont inférieures à celles attendues dans le lait de vaches nourries d'affouragements verts locaux. Les précipitations très variables dans cette région (22 mm à 34 mm) ont sans doute conduit à des dépôts et à une contamination des fourrages donnés aux bovins très variables. Les autres mesures d'iode 131 portant sur des fromages ou des foins, sont plus difficiles à interpréter sans informations complémentaires. Dans le cas d'un fromage, il est nécessaire de faire des hypothèses sur le procédé et le délai de fabrication. Toutefois, l’activité de 7 Bq.kg mesurée début juillet 1986 par l’IPSN dans un échantillon de fromage de brebis provenant de Balagne, semble assez cohérente avec une activité initiale du lait de l’ordre de 15.000 Bq.l-1 ce qui correspond aux activités mesurées dans le lait de Balagne.

Evolution des activités de l’iode 131 mesurées dans des échantillons de lait de vache de la région d’Ajaccio et de Propriano
Figure 25 : évolution des activités de l’iode 131 mesurées dans des échantillons de lait de vache de la région d’Ajaccio et de Propriano et dépôt théorique correspondant estimé par modélisation.

- Interprétation des mesures de césium 137
     La mesure de césium 137 dans un échantillon permet de recouper celle d'iode 131 par l’examen du rapport des activités d'iode131 et de césium137. 

suite:Compte tenu des fluctuations et des incertitudes, le rapport de ces activités ramenées au moment des dépôts est compris entre 3 et 12. Par ailleurs, de nombreuses mesures de césium 137 ont été faites après la disparition de l’iode 131. Lorsqu’elles sont jugées cohérentes, ces mesures, même tardives permettent de reconstituer les activités d'iode 131. Les activités de césium 137 mesurées dans les échantillons de lait de brebis provenant de Balagne et de lait de vache de la région d'Ajaccio sont cohérentes avec celles d'iode 131. Celles de Balagne pourraient témoigner de dépôts de l’ordre de 10.000 Bq.m -2 de césium 137. Celles de la région d'Ajaccio sont, à l'instar des mesures d'iode 131, inférieures à celles attendues. Dans les mois suivants, les mesures de césium faites par le SCPRI sur le lait de vache de la région d'Ajaccio permettent de suivre l’évolution des activités en distinguant plusieurs phases probablement liées à l’alimentation des animaux. La première phase de diminution rapide de l’activité du césium ([1] sur la figure 26) est similaire à celle observée partout en France à la suite de l’accident de Tchernobyl. Elle résulte des effets conjugués de la diminution de l’activité des herbages consommés verts et du métabolisme de l’animal. L'augmentation de l’activité observable ensuite ([2] sur la figure 26) traduit une modification de l'alimentation qui pourrait correspondre par exemple à l’utilisation de fourrages plus contaminés donnés en complément. Sur le continent, dans les régions laitières, une augmentation similaire a été observée en début de stabulation (début d'hiver) lorsque des foins de printemps, pour lesquels l’activité du césium n'avait pas diminué depuis, ont été donnés aux animaux. Enfin, la diminution progressive des activités du césium 137 mesurées ([3] sur la figure 26) témoigne de l’épuration générale de l’environnement. Cette diminution est comparable à celle observée dans le sud-est de la France.
     L'utilisation du logiciel ASTRAL montre que les mesures effectuées par l’IPSN sur des échantillons de salade, de chou, de persil, d'orge et de mais prélevés fin juin 1986 près d'Aleria (Domaine de Casabianda) sont cohérentes entre elles et témoignent d'un dépôt initial de césium 137 de l’ordre de 25.000 Bq.m-2. Cette valeur de dépôt ainsi reconstituée est cohérente avec le dépôt théorique de césium évalué entre 23.000 et 34.000 Bq.m-2 à partir de la hauteur de pluies mesurée en mai 1986 par Météo-France. Deux échantillons de sol ont également été prélevés dans la région. L'un, prélevé et mesuré à Ghisonaccia-Gare par la CRII-Rad présente une activité de 32.000 Bq.m-2 . Cette mesure confirme les estimations précédentes. Le second échantillon prélevé à Casabianda et mesuré par l’IPSN présente une activité de 16.000 Bq.m -2. Cette valeur plus faible peut résulter d'un lessivage du sol littoral très sableux, au moment des dépôts. 
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Evolution du césium 137 dans le lait de vache prélevé dans la région d’Ajaccio
Figure 26 : Evolution du césium 137 dans le lait de vache prélevé dans la région d’Ajaccio par le SCPRI au cours du mois qui a suivi les dépôts. 
Cet ensemble de mesures effectuées dans la région d'Aleria-Ghisonaccia permet d’évaluer l’activité de l’iode 131 déposé dans cette région entre 100.000 et 350.000 Bq.m-2, ce qui constitue un élément de validation de la carte des dépôts établie sur la base des précipitations.

      2.3.5. Contamination de la chaîne alimentaire des régions les plus touchées 
     Dans la région de Solenzara, les précipitations durant la première semaine de mai 1986 ont dépassé 100 mm. Il s'agit des valeurs les plus élevées enregistrées sur le territoire français. Sur cette zone, les dépôts radioactifs ont pu théoriquement dépasser 35000 Bq.m-2 de césium 137 et 400.000 Bq.m-2 d'iode 131. Les analyses effectuées par l’IPSN en 2001 montrent que les activités du césium 137 dans les sols de cette région figurent effectivement parmi les plus élevées de Corse 15 ans après les dépôts. Les activités théoriques estimées par modélisation (ASTRAL) pour le lait de vache, le lait de chèvre et les légumes-feuilles, correspondent à des dépôts de 100000 à 400.000 Bq d'iode 131 . 

      2.3.5. Évaluations dosimétriques 
     Cas des enfants ayant eu une alimentation proche du régime alimentaire standard 
Un enfant résidant en Corse qui aurait consommé exclusivement des légumes, du lait et des fromages de lait de vache en provenance du nord de la Corse (zone A) suivant un régime alimentaire standard, a pu recevoir une dose maximale à la thyroïde de 10 mSv. Cette valeur est égale à la dose moyenne estimée pour les enfants résidant dans le tiers Est de la France. 
     Dans le cas où l'enfant aurait consommé des produits frais provenant de régions où les dépôts radioactifs ont été plus importants (zones B et C), et selon un régime standard, les doses à la thyroïde seraient plus élevées, de l’ordre de quelques dizaines de mSv. Ainsi, si l’on se réfère toujours à une alimentation standard, en excluant notamment le lait et les fromages de chèvre, la dose à la thyroïde des enfants ayant régulièrement mangé des produits frais originaires de la région de Solenzara (zone C) entre mai et juillet 1986, a pu atteindre 50 mSv. 
-- Cas des enfants ayant consommé du lait et des fromages de chèvre frais 
Comme indiqué précédemment, le lait et les fromages sont les denrées qui présentaient les plus fortes teneurs en iode 131. Il en résulte que leur consommation, immédiatement après les dépôts, a augmente les doses à la thyroïde ; il fallait cependant une consommation importante et régulière de ces produits pour que cette augmentation soit significative.
     A la suite des mesures d'iode 131 effectuées par l'IPSN dans du lait et des fromages de chèvre provenant de la région de Vallica en Balagne, la charge thyroïdienne en iode 131 d'un enfant de 13 ans (en 1986) qui mangeait régulièrement de ces produits, a été mesurée. 

suite:
Une activité de 45 Bq d'iode 131 a ainsi été mesurée le 5 juillet 1986 dans la thyroïde de l’enfant. En faisant l’hypothèse que cette activité résultant d'une consommation continue et régulière de produits locaux incluant du lait et du fromage de chèvre, et ceci depuis début mai 1986, on peut estimer que l’activité totale d'iode 131 ingérée par cet enfant a été de l'ordre de 18.500 ± 8500 Bq, ce qui correspond à une dose à la thyroïde de 18,5 ± 8,5 mSv. 
     Il est important de noter que l’activité mesurée dans la thyroïde de ce garçon est tout à fait cohérente avec les mesures faites dans le lait et le fromage, par exemple pour une consommation quotidienne de 25 cl de lait de chèvre frais par jour ou de 50 g de fromage de chèvre et 200 g de légumes-feuilles frais par jour. La dose qui en résulte est donc elle-même cohérente avec les mesures dans la chaîne alimentaire et les estimations de dépôts faites pour la région de Vallica où résidait le garçon. De plus, la charge corporelle de 770 Bq de césium 137 mesurée chez ce jeune garçon est également cohérente avec sa charge thyroïdienne en iode 131, ainsi qu'avec les activités de césium 137 mesurées dans le lait et le fromage. Cette charge corporelle est du même ordre de grandeur que celles qui ont pu être mesurées dans les populations des départements de l'Est et du Sud de la France continentale. 
     Cette dose est supérieure à la dose maximale calculée pour un enfant ayant mangé des produits de cette région (zone A) sans consommer de lait ou de fromage de chèvre. Elle résulte d'une pratique alimentaire qui, bien que particulière, peut être considérée comme répandue dans les villages de montagne. Si l’on suppose que des enfants ont pu manger les mêmes quantités de ces produits mais originaires des zones les plus touchées par les dépôts radioactifs, notamment de la région de Solenzara (zone C), les doses à la thyroïde de ces enfants ont pu atteindre 150 mSv. Il est évidemment impossible de fournir une meilleure estimation sans une enquête approfondie sur les habitudes alimentaires d'une telle population au printemps 1986. 

     2.4. Dépôts de césium 137 dans la région de Sisteron 
     A la demande de la municipalité de Sisteron, l'IPSN a effectué une expertise de la contamination des sols de cette commune. Cette contamination est liée aux fortes précipitations qui ont eu lieu entre le 1er et le 5 mai 1986, au moment du passage des masses d'air contaminé. A cette époque, les stations Météo-France de Mison (10 km de Sisteron) et le Castellard-Melan (15 km) ont enregistré respectivement 38 et 41 mm de précipitations. Trois prélèvements de sols réalisés sur la commune de Sisteron et ses environs témoignent d’activités surfaciques de 137Cs comprises actuellement entre 13.400 et 24.200 Bq.m-2. Les dépôts initiaux des retombées de Tchernobyl étaient donc de l’ordre de 20.000 à 35.000 Bq.m-2. De telles valeurs sont en accord avec la relation entre pluie et dépôt radioactif établie par l'IPSN dans la basse vallée du Rhône.

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Elles sont représentatives des dépôts et des hétérogénéités associés aux zones du territoire national où les retombées consécutives à l’accident de Tchernobyl ont été les plus importantes (Comtat Venaissin, Jura, Alsace, Mercantour, Corse) et des autres pays de l'Arc Alpin. Ces valeurs sont cohérentes avec les estimations faites par l'IPSN sur les zones ayant reçu des précipitations voisine de 40 mm entre le 1er et le 5 mai 1986 et avec la carte des dépôts théoriques dans le quart sud-est de la France établie par l’Institut. 
     Par ailleurs, les mesures obtenues sur Sisteron mettent en évidence une forte variabilité des activités surfaciques entre les trois sites de prélèvement et une forte disparité des dépôts surfaciques sur le jardin public entre le prélèvement effectué sous les arbres (13.400 Bq.m-2 ) d'une part, le prélèvement effectué sur la pelouse à découvert d'autre part (24.200 Bq.m-2). De telles hétérogénéités ont été fréquemment constatées à l’échelle communale en raison de l’hétérogénéité même des précipitations. 
     Toutefois, une reconnaissance autour de la citadelle de Sisteron et dans les environs proches de la ville effectuée au moyen d'appareils de détection portables, n'a pas mis en évidence de points de reconcentration de la radioactivité comme on peut en observer, par exemple, dans le Massif du Mercantour.
 
REPRÉSENTATION CARTOGRAPHIQUE
DE LA CONTAMINATION DE LA FRANCE 


     Les mesures de contamination effectuées en 1986 ne couvrant pas la totalité du territoire, l'IRSN a développé, à partir des résultats de ses recherches, des modèles permettant de reconstituer et d’établir la contamination moyenne des sols et des produits agricoles récoltés en 1986. 
     Une campagne de mesures dans le Bas-Rhône a permis la mise au point d'un modèle fondé sur une relation entre les dépôts au sol de césium 137 et les hauteurs de précipitation. S'appuyant sur la pluviométrie de la France entre le 1er et le 5 mai 1986, une cartographie plus fine de la contamination des sols de l'Est de la France a ainsi pu être établie, notamment pour les régions du Bas-Rhône, du Mercantour et de la Corse. 
     Lorsqu'il s'agit d’évaluer les doses reçues et les risques pour les populations, l'IRSN estime que l'utilisation d'une carte des contaminations moyennes des surfaces agricoles, département par département, sur l’ensemble du territoire, est appropriée. En effet, l'exposition des personnes aux retombées de l’accident de Tchernobyl provient, pour l’essentiel, de l'ingestion d'aliments contaminés (fait et légumes feuilles principalement). Et à ce titre, une contamination au sol faible mais sur une surface fortement agricole peut avoir de plus grandes conséquences qu'une contamination plus élevée dans une zone faiblement peuplée. 
     Ce n'est toutefois pas la seule cartographie possible. Il existe même plusieurs représentations de la contamination de la France à la suite de l’accident de Tchernobyl, en fonction des objectifs recherchés. Ainsi, la cartographie de la radioactivité déposée sur les sols est la représentation qui rend le mieux compte des taches de contamination les plus élevées. 
     Quel que soit le type de cartographie choisi, la difficulté principale est celle de l’utilisation d'un nombre inévitablement limité de mesures afin de rendre compte de la contamination de zones plus ou moins étendues.

suite:
      Le 25 février dernier, les ministres de la Santé et de l'Environnement ont demandé au professeur Aurengo  de présider un groupe de travail chargé de réaliser la cartographie de la contamination du territoire français à la suite de l’accident de Tchernobyl. L’IRSN apportera son soutien au professeur Aurengo dans le but de contribuer à un dialogue contradictoire, objectif et transparent.
 
L’ATLAS EUROPÉEN 


     En 1998, la Commission Européenne publiait un ATLAS des dépôts de césium en Europe résultant de l'accident de Tchernobyl, élaboré au cours de la période 1992-1995 dans le cadre d'un programme de recherche coopérative avec les ministres des Affaires de Tchernobyl de Belarus, Russie et Ukraine. Les informations qui ont servi à l’établissement de l’Atlas ont été fournies par chacun des pays européens concernés. Dans le cas français, ce document ne rend pas compte de l’ensemble des mesures rendues publiques par ailleurs, notamment par l’IRSN. 
     Dans un ouvrage récemment publié et intitulé « Contaminations radioactives : Atlas France et Europe »(4), la CRII-RAD et André Paris ont présenté une carte de la contamination des sols par le césium 137 sur la base d'une étude menée entre 1987 et 1993 sur 165 communes, pour la plupart localisées dans l’Est de la France et en particulier en Alsace. Cette carte a été complétée par des mesures effectuées en 1999-2000 dans le Sud-Est de la France et la Corse. 
     Pour l’essentiel, l’ensemble des mesures présentées dans cet ouvrage sont cohérentes avec les différentes informations publiées au cours des dernières années par l’IRSN.
     A propos de l’Atlas européen, la CRll-RAD estime qu'« il est exclu de l’utiliser pour l’interprétation des études épidémiologiques, en tout cas, en ce qui concerne la France.. Ce serait le meilleur moyen de ne rien voir, de ne rien savoir, des conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl ». Effectivement, s'agissant des doses et des risques pour les populations, les estimations réalisées par l’lnVS et l’IRSN ne s'appuient pas sur les données de l’Atlas européen mais sur les études présentées au chapitre 4 du présent dossier de presse. L'IRSN considère cependant qu'il conviendrait d'actualiser l'Atlas européen et il a proposé à la Commission Européenne en janvier dernier, «dans la perspective de l’élaboration d'une nouvelle version de cet Atlas, de compléter les données concernant la France. En effet, les informations qui ont servi à cartographier le césium en France, ne rendent pas compte des informations disponibles à ce jour ». 
     Le 31 janvier 2002, le Directeur Général de la recherche à la Commission Européenne a pris acte de cette proposition, en acceptant la mise à jour des bases de données de la Commission, tout en précisant que celle-ci « n'envisage pas pour le moment de préparer une version révisée de l’Atlas ». 

notes 
3 « Évaluation des conséquences sanitaires de l’accident de Tchernobyl en France: dispositif de surveillance épidémiologique, état des connaissances, évaluation des risques et perspectives ». Rapport de l’IPSN et de l’lnVS référence IPSNI00-15. décembre 2000.
4 CRIIRad et André Paris : Atlas Editions Yves Michel 

p.23

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