GAZETTE NUCLÉAIRE

APRII-RAD Provence – Alpes du Sud
Association pour la recherche et l’information indépendante sur la radioactivité
Le centre de Recherche Nucléaire de
Cadarache est situé sur des failles hautement dangereuses
Depuis 40 ans, méconnaissance ou irresponsabilité de nos décideurs ?
dossier 2000
Jacques Muller, Géologue, Docteur ès Sciences des Universités de Neuchâtel (Suisse) et Bordeaux, Directeur de Recherche honoraire
Denise Nury, Docteur ès Sciences de l’Université de Provence Aix-Marseille1, Maître de Conférences honoraire de l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres de l’Académie d’Aix-Marseille


     Pourquoi y a-t-il danger à Cadarache ?
     L’usine Mox de Cadarache, comme d’ailleurs l’ensemble de ce centre nucléaire, est placée sur des failles actives ultra dangereuses. Cette usine est l’une des quatre installations nucléaires de base (INB) manipulant du plutonium sur ce site. Construite en 1961, pourrait-elle résister à un séisme comme celui qui s’est produit à Lambesc en 1909 et qui a atteint l’intensité IX ? On peut se permettre d’en douter.
     À cause de la dangerosité sismique du site de Cadarache et de la non conformité de l’usine MOX, la Direction de la Sécurité des Installations Nucléaires (DSIN) a demandé sa fermeture.
     Le MOX est un mélange d’uranium et de plutonium : ce dernier est l’élément chimique le plus dangereux de la planète. Des poussières de plutonium avalées, et surtout inhalées, dans des quantités de l’ordre du millionième de grammes suffisent pour engendrer des cancers irréversibles (car cet élément à tendance à se concentrer dans les poumons, les os et le foie), des leucémies et modifications génétiques chez nos descendants (Davis, 1997 – Morichaud, 2000).

     1. – Qu’est-ce qu’une faille ?
     Une faille est une rupture des couches géologiques. Celles-ci sont alors séparées en deux parties qui glissent l’une contre l’autre. Le plan de cassure a des inclinaisons variées. Il peut être vertical à un endroit et incliné presque jusqu’à l’horizontale un peu plus loin ou conserver la même attitude subverticale sur plusieurs kilomètres en profondeur.
     La faille est matérialisée à la surface du sol par une zone mettant en contact des ensembles de roches différentes. Sur les cartes géologiques, elle est figurée par un trait épais.
     La cassure est soulignée par le broyage des roches et leur striation (rayures) en raison du frottement des deux lèvres de la faille. Lorsque les stries sont verticales, on parle de faille (fig. 1A), lorsqu’elles sont horizontales, il s’agit d’un décrochement (fig. 1B). Un déplacement par faille peut évoluer au cours des temps géologiques en un décrochement, comme cela se passe dans le couloir faillé d’Aix-en-Provence – la Durance démontrant par là que cette grande cassure géologique a une longue histoire.

Faille : le plan de rupture porte des stries verticales
Fig. 1A – Faille : le plan de rupture porte des stries verticales. Le banc repère permet de mesurer le décalage vertical.

Décrochement : le plan de rupture porte des stries horizontales

Fig. 1B – Décrochement : le plan de rupture porte des stries horizontales.
suite:     2. - La rupture des roches engendre des vibrations du sol
    Le broyage et la striation des roches produisent des vibrations du sol. Pour s’en persuader, il suffit de se placer à proximité d’une pelle mécanique qui attaque une paroi rocheuse. La rupture d’un banc calcaire soumis à la traction de l’engin produit des vibrations du sol qui ne sont ressenties que dans un rayon d’une dizaine de mètres. il en est tout autrement dans le cas d’un déplacement le long d’une faille. Les masses en mouvement sont plusieurs millions de fois supérieures au demi mètre cube arraché par la pelle mécanique.

     3. – L’enregistrement des vibrations
    Les vibrations qui se produisent à la suite d’une rupture des roches se propagent sous forme d’ondes qui irradient à partir du point où s’est produit la rupture. Ce point est appelé “ foyer ” du séisme.
     L’enregistrement des ondes par les sismographes dépend évidemment de l’énergie libérée lors du choc (la magnitude du séisme) et de la distance entre le sismographe et le foyer du séisme. Plus la largeur de la zone broyée jalonnant une faille est grande, plus forte est l’énergie nécessaire au broyage, donc plus importante est la magnitude du séisme.
     Certaines failles de Provence montrent des couches géologiques pulvérisées sur une largeur de 10 à 30 mètres. Les séismes associés à ces broyages ont certainement atteint une magnitude élevée. Ces zones broyées affectent principalement les terrains crétacés et oligocènes.

     4. – La surveillance des failles
     Les failles de Provence sont relativement bien surveillées depuis une dizaine d’années parce qu’un centre de recherche nucléaire, sur lequel s’est greffée une usine à haut risque (fabrication de MOX : mélange de plutonium et d’uranium), a été implanté à Cadarache, précisément sur le tracé du grand couloir de failles actives d’Aix-en-Provence – la Durance.
     Huit sismographes du Réseau Local Provence de l’INSU   auxquels s’ajoutent ceux du Réseau National de Surveillance Sismique (ReNaSS), ceux du Laboratoire de Détection Géophysique (LGD-CEA) et ceux du SismAlp (Grenoble) enregistrent les pulsations tectoniques du Sud Est de la France et de la Provence en particulier (Fourno U-P. et al., 1993 – IPSN, 1997).
     Les sismogrammes de ces dernières années mettent en évidence des crises sismiques, c’est-à-dire des séries de secousses de faible magnitude qui se produisent le long des quatre zones faillées décrochantes actives du SE de la France (fig. 2), celle d’Aix-en-Provence – la Durance (4), celle de Nîmes (3), celle des Cévennes (2) et celle du Sillon houiller (1) qui traverse le Massif Central. Ils permettent aussi de détecter les chocs isolés localisés sur les autres failles Est-Ouest. 

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      L’enregistrement par les sismographes se fait pratiquement en temps réel (le temps nécessaire à la propagation des ondes). Les destructions engendrées par les séismes de forte magnitude se produisent au moment de l’enregistrement. Il est alors trop tard pour intervenir.
     Le problème de la prévision reste donc non résolu car aucun appareil n’est susceptible de donner d’éventuels signes annonçant un séisme. Fig. 2 A – Répartition des séismes le long des failles des Cévennes (2), de Nîmes (3) et d’Aix-en-Provence – la Durance (4) pendant la période 1992-1995. Le Centre Nucléaire de Cadarache est situé sur le couloir faillé le plus actif du SE de la France.
Répartition des séismes le long des failles des Cévennes (2), de Nîmes (3) et d’Aix-en-Provence
Fig. 2 B – Les quatre grandes failles du SE et les très nombreuses failles transverses (dont les failles inverses) montrent la complexité du réseau faillé et expliquent l’instabilité particulière du sous-sol de la Provence.
Les quatre grandes failles du SE et les très nombreuses failles transverses

     5. – La caractérisation des séismes
     Le traitement des données sismographiques par le calcul permet de localiser le foyer de chaque séisme, d’en connaître la magnitude et même de déterminer la direction des contraintes consécutives aux mouvements de l’écorce terrestre.
     La magnitude d’un séisme est une mesure représentative de l’énergie libérée par la cassure. C’est une donnée physique. Elle est calculée à partir de l’enregistrement des amplitudes maximales de trains d’ondes sismiques particuliers à une ou plusieurs stations d’observation. L’échelle des magnitudes, appelée “ échelle de Richter ” est indépendante de l’observateur et du lieu d’observation. Elle est exprimée par un chiffre de 0 à 9. La plus forte magnitude enregistrée jusqu’à maintenant sur la terre est de 8,8 au Chili en 1960 (Tazieff, 1962).

suite:     L’intensité d’un séisme exprime l’importance des destructions des édifices, des modifications de l’environnement et des réactions humaines confrontées à un tremblement de terre. Elle est donnée par l’échelle MSK qui comporte 12 degrés (de I à XII). L’intensité diminue dès qu’on s’éloigne de l’épicentre. L’intensité du dernier séisme de Provence, qui dévasta plusieurs villages autour de Lambesc le 11 juin 1909, a atteint le chiffre IX dans toute la zone épicentrale comme l’attestent les rapports historiques, les photographies d’archives et l’analyse objective de la littérature (Reyre G., 1909 – Despeyroux & Godefroy, 1985 – Lambert et al., 1996, 1997 – Muller et Nury, 2001).

     6. – Le couloir faillé NNE-SSW d’Aix-en-Provence – la Durance
     On l’appelle parfois “ faille de la Moyenne Durance ” comme s’il s’agissait d’une seule faille limitée à ce tronçon de la vallée (Rousset, 1978). En réalité, c’est un couloir faillé de 5 à 10 km de large groupant deux faisceaux de plusieurs failles presque parallèles entre elles, de direction NNE-SSW (Muller & Nury, 2001). Ce couloir faillé se suit sur 200 km au moins entre le Golfe du Lion et les Alpes au delà de Gap (fig. 3). Fig.3 – Le couloir faillé d’Aix-en-Provence – la Durance avec localisation des séismes historiques. Le volcan de Beaulieu, dont la lave provient du manteau terrestre, se situe à l’intersection des failles E-W et NNW-SSE. Ceci démontre que ces failles recoupent toute l’écorce terrestre.

Le couloir faillé d’Aix-en-Provence – la Durance avec localisation des séismes historiques
     Le faisceau occidental longe le versant ouest de la vallée de la Moyenne Durance entre Château-Arnoux, Peyruis, Volx, Manosque, Ste-Tulle, Beaumont et Mirabeau. Il passe alors en pleine montagne vers Meyrargues, Aix-en-Provence, Bouc-Bel-Air, l’Estaque et se poursuit dans le Golfe du Lion.
     Le faisceau oriental longe le cours de la Durance entre Oraison et St-Paul-lez-Durance. Il intercepte le domaine du CEA de Cadarache et se prolonge vers le Sud en passant par Jouques, Le Tholonet-Beaurecueil et Gardanne. D’après la carte géologique de France, il paraît s’estomper dans le Massif de l’Étoile au NE de Marseille, mais la présence de fractures dans les calcaires de ce massif signifie qu’il se prolonge encore plus au Sud. 
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     Dans chacun de ces deux faisceaux, les failles sont discontinues, se divisent en plusieurs branches ou bien se relaient.
     La grande largeur de la zone faillée plaide en faveur de l’existence en profondeur d’une discontinuité très importante traversant une grande partie de la croûte terrestre (au moins sur 20 km) comme le suggèrent les données de gravimétrie et de sismique pétrolière.
     Une bande faillée transcontinentale. Les études géologiques montrent que le couloir faillé d’Aix-en-Provence – la Durance appartient, tout comme les trois autres grandes failles du SE de la France, à une gigantesque bande faillée qui se poursuit bien au-delà des Alpes (Muller & Nury, 2001).
     Une analyse rétrospective des événements géologiques qui se sont produits dans les régions entourant la Méditerranée actuelle depuis le début de l’ère secondaire permet de reconstituer le tracé de cette bande faillée transcontinentale : elle s’étendait alors sur 6 000 km de long avec une largeur de 400 km (Muller et al., 1997). Elle a été tronçonnée lors des mouvements alpins mais est restée pratiquement continue sur la plaque européenne entre le SE de la France et la Sibérie.
     C’est une discontinuité majeure de l’écorce terrestre qu’il convient de ne pas sous-estimer, car elle fut le siège de déplacements quasi permanents, ponctués de chocs sismiques majeurs.
     Le bloc provençal, situé à l’Est du couloir faillé d’Aix-en-Provence – la Durance (et comprenant le Mercantour et les Maures), était localisé primitivement à quelques 250 km plus au sud. Il s’est ensuite déplacé vers le NNE en glissant le long du couloir faillé décrochant à la vitesse moyenne de 10 centimètres par siècle, ce qui implique une multitude de séismes de forte magnitude, comme le démontre d’ailleurs l’intense broyage des roches observé le long des failles.

     7. – Les failles inverses Est-Ouest les plus dangereuses de Provence
     Les failles de cette direction sont nombreuses non seulement en Provence mais aussi de l’autre côté du Rhône, en Ardèche et dans le Gard. Ce sont des failles inverses (fig. 4). La forte inclinaison du plan de cassure entraîne la superposition d’un bloc sur l’autre. Lorsque ce plan est proche de l’horizontale, on parle de chevauchement (fig. 4). L’énergie nécessaire pour réaliser une telle superposition est gigantesque en comparaison de celle mise en œuvre dans le cas d’un décrochement. Il faut bien se rendre compte qu’il s’agit là de masses énormes de roches qui passent l’une sur l’autre. Ceci est confirmé par la différence d’intensité des séismes engendrés par ces deux types de failles.

Fig. 4 -  Chevauchement : le glissement du bloc supérieur entraîne la striation du plan de chevauchement. Ces stries indiquent très précisément la direction du déplacement.

Chevauchement : le glissement du bloc supérieur entraîne la striation du plan de chevauchement

     Le séisme de Lambesc de 1909, localisé sur une faille inverse, a atteint l’intensité IX MSK alors que les séismes répertoriés depuis dix siècles le long du couloir faillé d’Aix-en-Provence – la Durance n’ont pas dépassé l’intensité VIII.

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Pour illustrer cette différence potentielle de destruction liée aux séismes se produisant sur ces deux types de faille, on pourrait comparer les dégâts survenant à deux véhicules, l’un ricochant le long d’une glissière d’autoroute (faille de la Durance), l’autre la percutant frontalement (faille inverse de Lambesc). 
     Une dizaine de failles inverses E-W ont été répertoriées en Provence. Plusieurs sont très proches du site nucléaire de Cadarache serait à 15 km (faille du Lubéron). Ces failles non mentionnées sont les suivantes : 
     - la faille chevauchant de Vinon – St-Julien apparaît en surface à 5 km au Nord du site de Cadarache. Elle se suit sur 20 km. LE plan de faille incliné vers le Sud se prolonge en profondeur sous Cadarache ;
     - la faille chevauchante de Gréoux – Esparron-de-Verdon apparaît elle à 5 km encore plus au Nord. Elle a aussi un pendage Sud et se suit sur plus de 20 km ;
     - le chevauchement de Vautubière apparaît à 6 km au Sud de Cadarache. Compte tenu de son faible pendage Nord, le plan de faille devrait se prolonger sous le site de Cadarache.
     Deux autres failles importantes encadrent encore Cadarache :
     - à 3 km au NE, est située la grande faille de Ginasservis de direction NW-SE (NI50E), qui se suit sur 10 km ;
     - à 2 km au SW de Cadarache, la grande faille de Rians dont le tracé NNW-SSE se suit également sur une dizaine de km.
Carte géologique simplifiée de la région de Cadarache
Fig. 5 :  Carte géologique simplifiée de la région de Cadarache, établie à partir des cartes géologiques à 1/50 000 de Pertuis et Tavernes, montrant les chevauchements et les failles inverses qui encadrent le site nucléaire.     Pourquoi le CEA a-t-il passé sous silence l’existence de ces cinq failles si proche du centre nucléaire ? Méconnaissance de la géologie provençale ?
     Toutes les failles inverses de Provence sont potentiellement dangereuses. Elles peuvent être réactivées à tout moment et être le siège se séismes destructeurs. Mais dans l’état actuel des connaissances, personne n’est susceptible de répondre aux quatre interrogations suivantes :
     - quelle faille va rejouer?
     - où se situera l’épicentre du séisme sur la faille?
     - quand se produira le séisme?
     - quelle sera l’intensité du séisme?

     8. - Le recours à la sismologie est-il une aide ?
  La répartition des séismes historiques permet de mieux connaître le modèle tectonique de la Provence et la localisation des failles actives, mais n’est d’aucun secours dans la réponse aux questions ci-dessus.
  La localisation des séismes actuels, l’étude de leurs caractéristiques physiques, et en particulier de leur magnitude même si celle-ci est faible, attestent l’activité quasi permanente de certaines failles comme celles d’Aix – la Durance, de Nîmes, des Cévennes et du Sillon houiller. Ces données mettent en évidence des crises sismiques telles que celles qui se sont produites entre 1992 et 1995 (Fig. 2A), mais en aucun cas ne permettent de prévoir l’imminence d’une secousse de forte magnitude. 

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   Une idée fausse, mais adroitement véhiculée, prétend que les petites secousses garantissent contre les grandes, comme si ces petites secousses étaient comparables à une soupape de sécurité par où s’échapperait le trop-plein d’énergie. Au contraire, elles sont le signe que les tensions sont sur le point d’atteindre le seuil de résistance des roches (Rousseau, 1961). Quand les tensions auxquelles sont soumises les couches géologiques sont presque égales à la valeur de ce seuil il suffit d’une cause insignifiante telle une marée plus forte ou un changement de pression atmosphérique pour déclencher un séisme (Rousseau, 1961). Là non plus, il n’y a pas de signe annonciateur.
     La complexité tectonique de la Provence a des conséquences sur la dangerosité sismique de cette région, en particulier à cause de l’existence des deux types de failles cités plus haut.
  Les failles décrochantes jouent actuellement pratiquement en permanence et permettent le déplacement, même infime, des blocs. Le compartiment oriental de ces failles glisse vers le Nord. Entre ces failles décrochantes, les roches sont en compression et l’énergie s’y accumule. Les failles inverses, situées entre les failles décrochantes, permettent le “ rétrécissement ” des blocs. Elles seront réactivées lorsque l’énergie qui s’y accumule dépassera le seuil de résistance au frottement des blocs l’un sur l’autre. Le long de ces failles inverses (contrairement aux failles décrochantes), il n’y a pratiquement pas de petits séismes. Elles ne préviennent pas et sont infiniment plus destructrices.

     9. – La Provence prise en tenailles entre l’Europe et l’Afrique
     Pour bien comprendre la dangerosité des failles E-W de la Provence, il faut faire appel aux connaissances actuelles sur la cinématique de la zone méditerranéenne, c’est-à-dire sur les mouvements qui s’y produisent depuis plusieurs millions d’années.
     Une carte à plus grande échelle, qui englobe la Méditerranée et la partie nord de l’Afrique (fig. 6), montre que la plaque africano-méditerranéenne et la plaque européenne.
     Le mécanisme est maintenant connu dans ses grandes lignes. En simplifiant, on peut dire qu’il est lié au déplacement de la plaque africaine qui depuis 80 millions d’années n’a pratiquement pas cessé de migrer vers le Nord, vers l’Europe. Ce déplacement a donné naissance, par manque de place d’abord à la chaîne des Pyrénées, puis à celle des Alpes, celle du Jura et encore d’autres montagnes bordières de la Méditerranée. Dans ce déplacement vers le Nord, la plaque africaine (et le soubassement de la Méditerranée) exerce, à la vitesse actuelle de 1 cm par an environ (soit un mètre par siècle, ce qui peut paraître énorme), des contraintes fantastiques sur les failles sud-européennes, et notamment sur les deux failles les plus méridionales, celle de Gênes et celle d’Aix-en-Provence – la Durance. On peut dire, d’une façon imagée, que ces deux failles constituent les “ premiers remparts ” de l’Europe vis-à-vis de la pression africaine. C’est pour cette raison que les séismes sont si constants et si bien répartis le long de ces deux premières failles. Les trois suivantes, celle de Nîmes, celle des Cévennes et celle du Sillon houiller constituent les “ seconds remparts ” et, de ce fait, les séismes y sont un peu plus dispersés (fig. 2A), mais pas forcément moins destructeurs.
     L’énergie produite par le déplacement de l’Afrique vers le Nord s’accumule non seulement le long de ces deux remparts mais aussi sur toutes les autres failles. Les séismes qui se produisent sur ces remparts annoncent ceux qui se situeront sur les autres failles (failles inverses).
     A cette confrontation Afrique-Europe se superpose encore un autre mouvement induit par la migration de l’Arabie vers le Nord, à raison de 0,6 cm par année et l’expulsion consécutive de la Turquie qui dérape vers l’Ouest le long de la faille Nord-Anatolienne (fig. 6). 

suite:
Schéma simplifié des zones d’affrontement entre les plaques Afrique-Arabie et Eurasie
Fig. 6 - Schéma simplifié des zones d’affrontement entre les plaques Afrique-Arabie et Eurasie. L’Afrique migre vers le Nord depuis 80 millions d’années. L’éjection de la Turquie et son dérapage vers l’Ouest se répercute jusque dans le SE de la France. Cette région est ainsi prise en tenailles entre ces deux énormes masses continentales. La masse de la plaque africaine est sept fois plus grande que celle de la Méditerranée et de l’Europe méridionale confondue.

     Les séismes récents de Turquie, puis de Grèce et, probablement dans un futur plus ou moins proche, ceux qui se produiront dans les Balkans, dans les Alpes et finalement avec un contre-coup en Provence, confirment cette dérive permanente venant de l’Est.
     L’occurrence d’un tremblement de terre en Provence n’est donc pas due au hasard, dès lors que l’on réalise que cette région est prise en tenailles entre deux masses énormes en mouvement, venant à la fois de l’Est et du Sud.

   10. – La réglementation parasismique des installations nucléaires
     L’intensité du plus fort séisme historique recensé dans la région où est implantée une installation nucléaire est utilisée comme référence dans la Règle Fondamentale de Sécurité (RFS) édictée par la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires (DSIN). Cette intensité est définie comme étant le SMHV : séisme maximum historiquement vraisemblable .
     Pour les installations nucléaires de Cadarache, le SMHV de référence est donc celui de Lambesc de 1909 avec une intensité IX, et non pas VIII, comme le minimise délibérément le CEA en tenant compte de la distance entre Cadarache et Lambesc, comme si l’épicentre du prochain tremblement de terre devait se situer obligatoirement à Lambesc. Personne ne peut exclure qu’il soit localisé à Cadarache même, sur l’une des cinq failles “ négligées ” par le CEA.
     La réglementation actuelle intègre bien les incertitudes relatives aux quatre questions posées plus haut. Elle prend donc de la distance en stipulant que les installations sensibles doivent pouvoir résister à un séisme dont l’intensité est de 1 degré supérieur au SMHV. En ce qui concerne Cadarache, la prévision doit tenir compte d’un séisme majoré de sécurité (SMS) d’intensité X.
     Une telle marge n’a rien de superflu. En effet, jusqu’en 1909, aucun des séismes historiques recensés en Provence depuis 1 000 ans n’avaient dépassé l’intensité VIII (Lambert et al., 1996). Mais, ce 11 juin 1909, les données de référence se modifient brutalement. Quatre villages sont pratiquement rayés de la carte. L’intensité épicentrale atteint le chiffre IX. Rien ne peut donc exclure que le prochain séisme sur les failles inverses ne puisse encore monter en puissance et atteindre l’intensité X..
     Il paraît totalement insensé d’avoir placé sur une   zone sismo-tectonique active plusieurs installations nucléaires manipulant du plutonium. En voici la liste donnée par Davis (1997) :
     1) l’Atelier de Technologie du Plutonium dont la dénomination correspond en réalité à une chaîne de fabrication industrielle de MOX destiné essentiellement aux électriciens nucléaires allemands,
     2) le Laboratoire de Purification Chimique chargé du contrôle qualité de cette production et du traitement des déchets, 

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     3) le Magasin de Stockage d’uranium enrichi et de plutonium (INB53),
     4) le Laboratoire d’Études et de Fabrication des Combustibles Avancés comprenant une chaîne de fabrication expérimentale et une chaîne pilote pour la production du MOX,
     5) le Réacteur Masurca utilisant un combustible à 54% de plutonium dans un cœur de type Super Phénix.
A côté de ces unités, il y a des entreposages de déchets radioactifs dans des conditions plus que surprenantes pour un site qualifié de sismique :
     6) les hangars n° 2 à n° 9 abritent 3748 fûts de boue contaminée avec du plutonium et de l’uranium,
     7) des fosses doublées de béton renforcé d’asphalte renfermant plutonium ou uranium pyrophorique,
     8) cinq tranchées en pleine terre contenant des déchets contaminés en partie par du plutonium. Ces déchets devraient être repris par le CEA en raison des risques de contamination de la nappe phréatique sous-jacente,
     9) la piscine et le bassin du réacteur Pégase convertis en 1980 pour le stockage de 2 703 conteneurs refermant 64 kg de plutonium,
     10) une station de traitement, assainissement, reconditionnement (star). On y projetait d’entreposer dès 1999 une centaine d’éléments MOX dans un puits de la cellule C2.
     Les autorités de l’État sont au courant de la gravité de la situation puisque des organismes officiels ont multiplié l’implantation de sismographes dans toute cette zone. La DSIN est intervenue auprès de la COGEMA et du CEA pour ordonner la fermeture de l’usine MOX. Mais quelles informations nos responsables politiques ont-ils pu recevoir d’un organisme comme le CEA qui cultive le silence, voire la désinformation ? N’est-il pas irresponsable de sa part de vouloir réviser à la baisse l’intensité des séismes potentiels dans le but de conserver des installations obsolètes et de mettre ainsi délibérément en jeu la sécurité des populations de la Provence et bien au-delà ?
     Il est encore temps d’intervenir avant qu’un scandale comme celui du sang contaminé ou de la vache folle se reproduise, mais il faut agir très vite, car les séismes ne préviennent pas et ne peuvent être retardés.

     11. – Un état dans l’État ?
     L’usine MOX, qui a été construite en 1961, n’est vraisemblablement pas conforme aux règles de construction parasismiques actuelles. Elle n’est certainement pas conçue pour résister à un séisme d’intensité IX, et encore moins au SMS d’intensité X dont il faudrait tenir compte, comme nous le demandons avec insistance.
     La DSIN a demandé le 27 janvier 1995 à la COGEMA “  de proposer un schéma pour le futur de l’ATPu comprenant une date de fermeture définitive et non renégociable de l’installation peu après l’an 2000  ” (WISE, 2000).
     Cette demande est motivée “  par des doutes sur la tenue sismique de l’installation après les évaluations menées par l’Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN) sur le risque sismique particulier à la zone de Cadarache ” (WISE, 2000).
     En l’absence de réponse, le Directeur de la DSIN relance la COGEMA pendant trois années consécutives, en juin 1995, en juin 1996, puis le 22 octobre 1997 en s’adressant alors directement au Directeur du CEA de Cadarache (WISE, 2000). Il lui aura donc fallu pratiquement attendre trois ans pour obtenir enfin une réponse du CEA et de la COGEMA le 11 décembre 1997 !
     Dans leur réponse, ces deux organismes prétendent réaliser une superstructure entièrement nouvelle qui garantirait le confinement des matières nucléaires en cas de SMS d’intensité IX sur l’échelle MSK. Cette solution “empreinte d’incertitudes " ne reçoit pas l’agrément de Mr A.-C Lacoste, directeur de la DSIN ” compte tenu des faiblesses de cette installation vis-à-vis du risque sismique  ” (lettre DSIN du 23 février 1998, in WISE, 2000). Il réitère sa demande de fermeture de l’ATPu peu après 2000 en “ menaçant de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour remédier à cette situation”. Dans son rapport 1999 déposé en mars 2000, la DSIN indique “ qu'à ce jour l'exploitant n'a toujours pas fait connaître sa réponse ” (WISE, 2000).
     Six ans après la lettre comminatoire de la DSIN, l’atelier ATPu tourne toujours à Cadarache. Bien mieux, sa production a plus que doublé entre 1996 et 2000. La Direction de Sûreté des Installations Nucléaires est un organisme d’État chargé, comme son nom l’indique, de la sécurité des populations vis-à-vis du risque nucléaire. Si cet organisme n’arrive pas à faire entendre raison au CEA, quelle instance nationale peut y arriver? Dans quel délai? Le temps presse…
     En effet, nous sommes en 2001, le séisme de Lambesc s’est produit il y a déjà 92 ans. Si la périodicité empirique des secousses majeures, communément admise par les scientifiques, est d’une centaine d’années, on s’achemine vers une période de turbulence sismique.

suite:
     Un séisme majeur, à l’origine de la désorganisation de l’usine MOX et en particulier de celle des systèmes de régulations ,peut entraîner la diffusion de la poudre de plutonium , soit dans l’eau (en contaminant les circulations souterraines et de surface), soit dans l’air. Ces poussières pourraient alors être véhiculées sur une partie du territoire français, voire de l’Europe, par les grands flux atmosphériques .
     Cette diffusion aurait des conséquences dramatiques pour des milliers de personnes, tant en France que dans les pays voisins pour deux raisons principales :
     - la dangerosité extrême du plutonium. L’absorption d’une quantité infime, de l’ordre du millionième de gramme, entraîne des troubles de santé irréversibles. La période de cet élément pour que sa radioactivité diminue de moitié est longue, 24 386 ans, c’est-à-dire, douze fois la durée de l’ère chrétienne ! À partir d’une quantité initiale d’une tonne, il reste encore un kilogramme de plutonium au bout de 240 000 ans. Combien de personnes seront susceptibles d’être contaminées pendant ces centaines de milliers d’années ?
     - l’importance de la production annuelle du MOX à Cadarache. Le MOX contient 6% du Pu. En l’an 2000, il est passé dans ce centre plus de 3 tonnes de plutonium (WISE, 2000).

Les risques pour les générations futures sont démesurés!
Qui va mettre un terme à cette folie?
Qui va faire entendre raison au CEA?

     Nous appuyons sans réserve la décision de fermeture de l’usine MOX par la DSIN et demandons qu’elle soit suivie d’effet en 2001. En appliquant déjà en 1995 le principe de précaution, cet organisme était bien conscient de sa responsabilité face au danger nucléaire. 


Bibliographie sommaire
CEA – Info CEA, n° 11, sept. 2000

Davis M., 1997 – La France nucléaire. WISE, Paris

Despeyroux J. & Godefroy P., 1985 – Nouveau zonage sismique de la France. Délégation aux risques majeurs, Premier Ministre et Ministère de l’Environnement, Paris

Fourno J.-P, Roussel J. et Lécorché J-P., La sismicité instrumentale récente de la Provence dans son cadre sismo-tectonique. Géologie Méditerranéenne , t. 20, PP. 7-23

IPSN, 1997 – Réseau d’enregistrement sismique de l’IPSN autour de la faille de la moyenne Durance

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