GAZETTE NUCLÉAIRE
10 janvier 2002
Stabiliser le climat : mission impossible ?
Jaques Hamon
Ingénieur agronome

     Pendant des décennies les prédictions d’épuisement des énergies fossiles les plus demandées, pétrole, puis gaz naturel, tenaient de la farce. Le monde disposait toujours d’environ quarante années de réserves, l’épuisement des gisements en exploitation étant compensé par la découverte de nouveaux gisements exploitables aux prix courants du moment. Ces prévisions négligeaient toutefois les besoins des pays du tiers-monde, 80% de la population mondiale, ayant de grandes ambitions socio-économiques et une population croissante (Hamon, 2000).
     Ce n’est qu’assez récemment que la situation s’est dégradée, la faiblesse des prix courants ne justifiant ni l’exploitation des gisements connus de pétroles ultra-lourds sont exploités, le gaz naturel n’est plus brûlé à la sortie des puits, et la prospection et l’exploitation des zones difficiles (gisements sous-marins arctiques ou très profonds, Asie centrale) sont en cours. La pénurie de pétrole et de gaz naturel nous guette toujours, mais à plus longue échéance (Bauquis, 2001 ; Desmaret, 2001 ; Hamon, 2002 a).
     Le climat terrestre a toujours été en perpétuelle évolution, mais raisonnablement stable et favorable à Homo sapiens au cours des dernières 100 000 années, bien documentées par les carottages glaciaires et de nombreuses autres technologies (Huet, 2000). Ce climat résulte d’un équilibre entre l’énergie solaire reçue, et celle renvoyée dans l’espace par le rayonnement terrestre. Cet équilibre dépend de la concentration dans notre atmosphère de gaz à effet de serre, vapeur d’eau, gaz carbonique, méthane (gaz naturel) et autres de moindre importance quantitative. Sans l’influence des gaz à effet de serre, la Terre serait une planète glacée, impropre à la vie. Grâce à ces gaz, la température moyenne de notre planète au niveau du sol est de l’ordre de 15° Celsius, depuis des millénaires. Cette stabilité est compromise par la production anthropique croissante de gaz carbonique et de méthane, résultant de l’utilisation massive d’énergies fossiles conventionnelles, lignite, charbon, pétrole, gaz naturel, depuis le début de l’ère industrielle. Pour faciliter les comparaisons, ces émissions anthropiques sont quantifiées en termes de tonnes équivalent carbone (Le Treut & Jancovici, 2001). 
     La biosphère peut recycler naturellement, annuellement, quelques trois milliards de tonnes équivalent carbone de gaz à effet de serre, alors que nous en émettons six milliards de tonnes dont les excédents ont une durée de vie de l’ordre du siècle. Réduire les émissions à 50% de leur présent niveau ne limiterait en rien l’influence des émissions excédentaires antérieures de gaz à effet de serre. Pour compenser 20 années de production à 200% du niveau tolérable, soit 1981-2000, il faudrait 20 années de production nulle, soit 2001-2020. Le protocole de Kyoto, prônant un retour aux niveaux d’émissions de 1990, relève du cautère sur une jambe de bois (Anonyme, 2001 ; Dalle, 2001). 
     A partir d’une certaine augmentation de la température terrestre, l’évolution du climat pourrait ne plus dépendre des émissions excédentaires de gaz à effet de serre par suite du relargage progressif du gaz carbonique dissous dans la couche supérieure des océans, de la production de méthane par les marécages de la région arctique cessant d’être gelés la majeure partie de l’année et, peut-être, par la libération de tout ou partie des hydrates de méthane actuellement immobilisés dans le permafrost.
     Réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant d’énergies fossiles conventionnelles pose un problème politique majeur. Plus de la moitié de ces émissions proviennent des grands pays industrialisés, habités par moins de 17% des terriens ; 
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doivent-ils réduire leurs émissions à moins de 5% de leur présent niveau, ou peuvent-ils demander aux pays du tiers monde assurant moins de la moitié de ces émissions et habités par plus de 83% des terriens, de sacrifier leurs perspectives de développement socio-économique au bénéfice des pays industrialisés (Agarwal, 1999 a). Depuis Kyoto, en dépit de la modestie des objectifs retenus, toutes les tentatives de concertation internationale sur le partage des restrictions ont échoué sur ce point. 
     Le Conseil de l’Europe, très actif dans ce domaine, en est resté aux propositions du Protocole de Kyoto et n’envisage donc aucune action compatible avec l’ampleur du problème à résoudre (Olrich, 2001 ; Tiuri, 2001). La Communauté européenne à recommandé de faire passer à plus de 20% la proportion des énergies renouvelables dans la production d’électricité, qui en moyenne est déjà presque à ce niveau (Bouchereau et Dormoy, 2001), alors que l’objectif devrait être de faire passer la part des énergies renouvelables à 90%, ou plus, de la consommation totale d’énergie ; en France où cette part est de l’ordre de 8 à 10% (Mays, 2001), l’effort à accomplir sera énorme. La sous-estimation communautaire de la gravité de la situation (Palz, 2001) est dramatique (Mortgat, 2001). 
     Différentes options sont envisageables pour réduire la production de gaz à effet de serre d’origine fossile : réduire la demande énergétique, séquestrer le gaz carbonique, et faire appel à des puits de carbone. 
     Une portion notable de l’énergie consommée et gaspillée sans bénéfice pour qui que ce soit. Celava d’une mauvaise conception des logements (Salomon et Bedel, 1999), à une politique des transports et de production à flux tendus hyper-gaspilleuse (OCDE, 1997 ; Sivardière, 2000), à des pertes d’énergie électrique en ligne évitables, et à des modes d’occupation des sols, de production et de vie à la limite de l’irresponsabilité (Hamon, 2001 a ; Jancovici, 2001). Réduire ces gaspillages demandera des décennies, le renouvellement et la rénovation de l’habitat étant très lents, et le remplacement de la route par le rail, au sens large de ces termes, demandant d’énormes investissements et de grandes dépenses énergétiques (Lajoinie, 2000). Par ailleurs il ne semble pas exister de consensus sur la manière de rendre notre agriculture réellement durable (de Ravignan, 1988 ; OCDE, 1995 ; Hamon, 1997 ; Pochon, 1998 ; Bové, Dufour & Luneau, 2000). 
     Il est technologiquement possible, avec un coût énergétique non négligeable, de capturer le gaz carbonique à la sortie des centrales thermiques puis de le séquestrer dans les profondeurs de la terre : mines de charbon abandonnées, gisements de gaz et de pétrole en fin d’exploitation, aquifères salés, profondeurs marines, cette approche restant expérimentale (Mays, 2001 a), ce qui implique évidemment une grande concentration des centrales thermiques et le transport à longue distance tant du gaz carbonique liquéfié que de l’électricité et, éventuellement, de l’hydrogène produit par cracking. Les océanographes ont fait des réserves concernant l’innocuité biologique de l’injection de gaz carbonique dans les profondeurs marines (Guillemot, 2002). 
     Les arbres, lors de leur croissance, absorbent le carbone atmosphérique, et le restituent à l’atmosphère lorsqu’ils meurent, la balance atmosphérique étant nulle. Ce fait a échappé aux négociateurs des conférences sur la stabilisation du climat qui ont proposé de traiter les forêts, et même les sols non cultivés, comme des puits de carbone durables (Chauveau, 2002) alors que les forêts tropicales disparaissent à vue d’œil, que les forêts tempérées vont être dévolues à la production de bois de chauffe, et toutes les terres arables disponibles utilisées pour la production de biocarburants, libérant en passant la majeure partie de leur carbone.
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     L’Office parlementaire français d’évaluation des choix scientifiques et technologiques vient de publier un rapport sur L’état actuel et les perspectives techniques des énergies renouvelables (Birraux & Le Déaut, 2001). Bien que rédigé dans le contexte du Protocole de kyoto, cette étude constitue une excellente base pour déterminer ce qui paraît possible, et ce qui ne l’est pas. Ce rapport paraît sous-estimer le potentiel de la géothermie (Dickson & Fanelli, 2001) et surestimer celui des biocarburants liquides (Hamon, 2001 a). Le potentiel d’énergie marine (Hanreich, 2001) n’a pas été évoqué. Les auteurs n’accordent pas un grand potentiel à l’éolien ni au photovoltaïque du fait de leur caractère fluctuant, difficilement prévisible dans le cas de l’éolien ; ces points faibles, bien connus (Scheer, 2001) ne peuvent être compensés que par des procédés de stockages d’énergie d’un faible rendement (Hamon, 2001 b) ou bien un adossement à des centrales thermiques conventionnelles ; on peut toutefois envisager, dans le contexte d’une généralisation de l’appel au bois de chauffe, de mettre en place une capacité éolienne et photovoltaïque modérément excédentaire, d’utiliser cette électricité excédentaire lors des périodes climatologique favorables pour plaquetter les grumes puis sécher les plaquettes et, lorsque soleil et vent font défaut, mettre en route des centrales à bois automatisées. 
     Le climat se modifiant, les prévisions concernant les potentiels énergétiques éolien, hydraulique et des dérivés de la biomasse sont fort aléatoires. 
     La problématique climatique est maintenant bien documentée au niveau international, ce qui rend puériles, sinon criminelles, les tentatives faites pour en minimiser l’importance ou rechercher des échappatoires à l’action (Agrwal, 1999 b ; Chemillier-Gendreau, 2000 ; Dalle, 2001). Une stabilisation du climat terrestre paraît fort improbable au cours du 21ème siècle et le pire (Anonyme, 2001), sans être certain, paraît très probable (Morin, 2001 a & b).
Agarwal, A., 1999 a – Making the kyoto protocol work. Ecological and economic effectiveness, ans equity in the climate regime. – Centre for science and environment, New Delhi, 16 pp. 
Agarwal, A., 1999 b. – Adressing the challenge of climatic change. How poor nations could save the world. – Centre for science and environment, New Delhi, 21 pp. 
Anonyme, 2001. – IPCC issue synthesis report for policymakers. – Renewable energy World, 4 (6) : 11. 
Birraux, C & Le Déaut, J.-Y., 2001. – L’état actuel et les perspectives techniques des énergies renouvelables. Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. - Document de l’Assemblée nationale n° 3415 du Sénat n° 94, Paris, 348 pp. 
Beauquis, P.-R., 2001. – Besoins et approvisionnements en énergie à l’horizon 2050. – Découverte, 293 : 18-29. 
Bouchereau, J.-M. & Dormoy, C., 2001. – Le Monde n’est pas une marchandise. – La Découverte & Syros, Paris, 240 pp. 
Chauveau, L., 2002. – La planète mise à sac. – Le Monde Diplomatique/Manière de voir, 52 : 34-36. 
Dalle, C., 2001. – Cesser d’aggraver le désastre climatique mondial. – Courrier de l’environnement de l’INRA, 44 : 84-88.
de Ravignan, F. 1988. – L’intendance ne suivra pas. Essai sur l’agriculture française. – La Découverte, Paris, 166 pp. 
Desmaret, T., 2001. – Internationalisation des marchés : vers une nouvelle organisation. – C. R. des Quatrièmes rencontres parlementaires sur l’énergie, Palais Bourbon, Paris, pp. 6-7. 
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Dickson, M. & Fanelli, M., 2001. – Hidden resources, geothermal energy. – Renewable energy World, 4 (4) : 210-217. 
Guillemot, H., 2002. – Océanographie. Les organismes marins très sensibles au CO2. – Science & Vie, 1012 : 31. 
Hamon, J., 1997. – A quoi ressemblera la France métropolitaine dans un siècle ? Quel avenir pour son entomofaune ? – Bulletin de la Société linnéenne de Bordeaux, 25 : 53-69. 
Hamon, J., 1997. – Demain, quelles énergies ? – Sud-Ouest nature, 106-107 ; 9-12. 
Hamon, J., 2001 a. – Implications de la prochaine crise de l’énergie pour l’occupation et l’exploitation des sols en France métropolitaine. – Ingénieurs de la Vie, 455 : 30-33. 
Hamon, J., 2001 b. – L’hydrogène, une énergie d’avenir ? – Le Mois Scientifique bordelais, 220 : 1&4. 
Hamon, J., 2002 a. – Les énergies renouvelables et l’entomofaune. – sous presse. 
Hamon, J., 2002 b. – Fin du monde, ou début d’un monde nouveau ? – sous presse. 
Hanreich, G., 2001. – Sustainable and secure. Towards a european strategy for energy supply. – Renewable energy World, 4(3) : 134-140. 
Huet, S., 2000. – Quel climat pour demain ? Editions Calmann-Lévy, Paris, 238 pp. 
Jancovici, J.-M, 2001. – Energie et choix de société. – Découverte, 293 : 56-64. 
Lajoinie, A., 2000. – Transports en France et en Europe : éviter l’asphyxie. – Les documents d’information de l’Assemblée nationale, Paris, 2533 : 297 pp. 
Le Treut, H. & Jancovici, J.-M, 2001. – L’effet de serre : allons nous changer le climat ? – Editions Flammarion, Paris, 128 pp. 
Mays, P., 2001 a. – Séquestration géologique de CO2, le BRGM en première ligne. – Technique, 210 : 17-18. 
Mays, P., 2001 b. – Bilan 2000 des énergies renouvelables en France. – Environnement & Technique, 210 : 37-38 
Morin, H., 2001 a. – Le dérèglement de la machine climatique pourrait durer des millénaires. – Le Monde, 3 octobre 2001 : 27. 
Morin, H. 2001 b. – L’évolution du climat réserve parfois des surprises inévitables. Des changements brutaux se sont déjà produits. – Le Monde, 15 décembre 2001 : 27. 
Mortgat, B., 2001. – Produire son électricité à partir d’énergies renouvelables : plus d’indépendance pour les entreprises et les collectivités ? – Environnement & Technique, 212 : 51-54. 
OCDE, 1995. – L’agriculture durable. Questions de fond et politiques dans les pays de l’OCDE. – monographie OCDE, Paris, 77 pp. 
OCDE, 1997. – Réformer les subventions à l’énergie et aux transports. Implications environnementales et économiques. – Monographie OCDE, Paris, 185 pp. 
Olrich, T.I., 2001. – Basis of an energy strategy for Europe. – Conseil de l’Europe, Document 8653, 32 pp. 
Palz, W., 2001. – Les technologies des énergies renouvelables. Situation actuelle et évolution. – Découverte, 293 : 43-48. 
Pochon, A., Les champs du possible. Plaidoyer pour une agriculture durable. – Syros, Paris 252 pp. 
Scheer, H., 2001. – Le solaire et l’économie mondiale. – Solin/Actes Sud, Arles, 384 pp. 
Tiuri, M., 2001. – Technological possibilities for fulfilling the targets od the Kyoto Protocol (to the United Nations Frameword Convention on Climatic Change). Document 8810, 32 pp.
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