L’étude, intitulée « Etude économique prospective de la filière électrique nucléaire » a été présentée par ses auteurs au Premier ministre le 28 juillet 2000 et rendue publique. Cette étude est constituée de cinq chapitres et de neuf annexes ; elle est sous-tendue par des rapports particuliers d’experts notamment sur la prospective technologique relative aux usages et à la production de l’électricité ainsi que sur le parc nucléaire actuel. Nous procédons dans le présent document de synthèse à un double exercice : d’une part rapporter de façon concise mais la plus fidèle possible les principaux éléments et résultats de l’étude, d’autre part exprimer un certain nombre de commentaires d’appréciation personnelle. Nous espérons ne pas avoir trahi cette étude à bien des égards remarquable et qui marque en tout cas une date dans l’histoire de la politique nucléaire française par sa clarté, sa compétence et le refus de toute « langue de bois ». Ce jugement d’ensemble positif n’empêchant pas un certain nombre de critiques essentiellement formulées dans la dernière partie de cet exposé. Le présent document est constitué de cinq chapitres : les chapitres 1 à 4 sont des synthèses de l’étude tandis que le chapitre 5 est réservé à des « commentaires ». Ce document évitera à certains la lecture de l’étude complète qui demande un travail important et donc du temps, mais ce que nous espérons surtout c’est que notre contribution incitera beaucoup à lire cette étude (Sur internet : www.plan.gouv.fr), ce que nous recommandons fortement car même si une synthèse est bien faite et dégage l’essentiel d’une étude, elle supprime une grande quantité de raisonnements, d’informations et de résultats et par conséquent en appauvrit considérablement l’apport. 1. Présentation du Chapitre 1 : Pour la
France, l'héritage du passé
(suite)
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suite:
1.1 - Le bilan économique Le bilan économique est établi en dépenses cumulées (non actualisées) depuis 1977 et jusqu'en 2050 pour les principaux postes suivants : -les investissements (construction, démantèlement, R et D pour les centrales nucléaires) ; -l'exploitation ; -l'amont de la filière combustible (uranium naturel, conversion, enrichissement, fabrication de l'UOX) ; -l'aval de la filière combustible (retraitement, MOX, entreposage, démantèlement d'UP2 400) ; -la fin de la filière combustible (stockage des déchets B et C, stockage des combustibles irradiés UOX et MOX non retraités). Les principaux résultats globaux de ce bilan sont les suivants : a) Du fait de la différence de production d'électricité liée à la durée de vie, le coût moyen du kWh est plus élevé de 5 % environ pour les scénarios S1 à S3 que pour les scénarios S4 à S6 (15,2 centimes par kWh pour S2 comparé à 14,4 pour S5). b) Les dépenses cumulées par poste se répartissent approximativement de la façon suivante dans l'ensemble des scénarios: - investissements des centrales : 25 % - exploitation : 43 % - amont de la filière combustible : 20 % - aval et fin de la filière combustible : 12 % Cette répartition est importante. Elle montre que, contrairement à l'idée reçue, le coût dominant n'est pas l'investissement (25 %) mais l'exploitation (43 %), tandis que le coût total de la filière combustible se situe à 32 % (sans tenir compte des coûts à très long terme, au-delà de 2050, de la « fin de la filière »). c) Les éléments les plus intéressants et les plus nouveaux du bilan économique concernent la question du retraitement (et de l'utilisation du MOX qui lui est liée). i) Le scénario "fictif" S7, sans retraitement, a été établi pour une durée de vie des centrales de 45 ans ; il est donc comparable à S4, S5 et S6. La comparaison du coût total traduit en coût moyen du kWh produit donne un avantage net à S7 : 13,7 c/kWh à comparer à 14,3 pour S4, 14,4 pour S5 et 14,5 pour S6. ii)La différence porte évidemment sur les dépenses liées à la filière combustible qui s'établissent comme suit, en milliards de francs et suivant le scénario :
* Entre le scénario (fictif) S7 sans retraitement
et le scénario S6 (retraitement à 100 % et "moxage" maximum),
la différence est de 134 milliards de francs, soit 3 milliards de
francs par an (45 ans de durée de vie).
p.6
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Le surcoût
de l'aval de la filière combustible (retraitement + MOX) n'est pas
compensé par la réduction du coût de l'amont.
* Le scénario S5 correspond à la poursuite de la situation actuelle ; la comparaison montre qu'il y aurait perte économique à passer de S5 à S6 en augmentant la quantité de combustible retraité et le nombre de tranches utilisant du MOX. * Par contre la réduction, voire l'arrêt du retraitement et du MOX vont dans le sens de la réduction du coût. * La séparation entre S4 et S5 se faisant en 2010, la différence de coût de 22 milliards se rapporte à une période de 30 ans : l'arrêt du retraitement représenterait donc une économie d'environ 730 millions par an. 1.2 Les bilans matières
Le plutonium : Le retraitement des combustibles irradiés est une technique qui a été développée pour extraire le plutonium des combustibles irradiés, d'abord à des fins militaires (explosif de la "bombe atomique"), puis à des fins civiles (combustible du surgénérateur). Les usines de retraitement ont été appelées "Usines Plutonium" : UP1 à Marcoule, UP2-400 puis UP2-800 et UP3 à la Hague. Ces deux utilisations du plutonium n'étant plus d'actualité, une nouvelle doctrine a été élaborée pour justifier le retraitement : l'utilisation du plutonium extrait des combustibles irradiés comme élément constitutif de nouveaux combustibles (MOX) permettrait de réduire considérablement la quantité de plutonium qui devra être stockée définitivement. Cet argument est développé dans l'encadré de la page 33 du rapport (extrait de "L'énergie nucléaire en 110 questions" de la DGEMP). Le rapport était donc particulièrement attendu sur ce point. Le résultat du rapport est le suivant, en tonnes de plutonium et américium non séparé (donc contenu dans les combustibles irradiés non retraités) : (suite)
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Par rapport au scénario actuel (S2 ou S5), l'arrêt du retraitement en 2010 (S1 ou S4) ne représente qu'une augmentation de 6 % à 8 % du plutonium à stocker définitivement. (notons que l'étude se place dans le cas d'un retraitement "optimal" incluant les rebuts de l'usine Melox qui sont importants). Les combustibles irradiés et les déchets
1.3 Conclusion :
2. Présentation du chapitre 2 : La situation
internationale
2.1 L’électronucléaire dans le monde
p.7
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Des éléments
intéressants sont apportés sur l'âge des différents
parcs nucléaires et les prévisions d'arrêts définitifs
: 45 % du parc nucléaire actuellement en fonctionnement devrait
être arrêté sur la période 2000 - 2020.
Pour ce qui concerne la gestion des combustibles usés, la dynamique d'abandon du retraitement à l'échelle mondiale est clairement présentée. Notons que le chapitre est complété par l'Annexe 3 qui traite du "retraitement recyclage" au plan international. Les éléments apportés sur les programmes de recherche et développement sont très (trop) succincts. Ils mettent toutefois en évidence la disproportion des efforts entre le nucléaire et les autres sources d'énergie (notamment efficacité énergétique et énergies renouvelables). On regrette que les données relatives aux programmes de l'Union Européenne ne soient pas fournies. 2.1 L’environnement à l’échelle
mondiale
Remarque :
3. Présentation du chapitre 3 : Les perspectives
technologiques pour l'usage et la production d'électricité
(suite)
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"Plus précisément, si la consommation électrique d'une maison équipée de manière conventionnelle est en moyenne pour les usages captifs de 2500 à 3000 kWh par an aujourd'hui en France, d'un point de vue purement technique cette consommation pourrait être réduite jusqu'à 700 kWh, sans diminuer pour autant le degré de confort de l'usager. Ceci suppose que l'on fasse appel à des technologies que l'on sait être disponibles dans les prochaines années". De façon générale, le contenu de cette partie relative aux technologies d'utilisation de l'électricité laisse à penser que des scénarios à demande d'électricité plus basse que ce qui est indiqué dans le rapport sont parfaitement envisageables. La seconde partie consacrée aux technologies de production est beaucoup plus développée. Une telle disproportion est habituelle et ne nous surprend pas outre mesure mais elle illustre la permanence d'un état d'esprit plus facilement orienté vers la production et ses performances technologiques que vers la maîtrise de l’énergie. Sont passées en revue les perspectives d'évolution technologiques des diverses filières nucléaires (réacteurs et combustibles) actuellement envisagées et à des stades divers d'études, de conception et d'évaluations techniques et économiques ainsi que les technologies de production d'électricité d'origine fossile et renouvelable. On note cependant que l'examen des technologies utilisant les énergies renouvelables est relativement succinct dans ce chapitre et se limite essentiellement aux aérogénérateurs. Du côté nucléaire, le réacteur EPR est étudié avec différents types de combustibles, ainsi que deux filières "émergentes", RHR1 et RHR2 (réacteurs à haut rendement de première et deuxième génération) qui en sont encore au stade de la recherche. Du côté non nucléaire, les techniques de production dite "centralisée" (alimentant le réseau de transport de 400 kV ou 225 kV) ou "non centralisée" (en dessous de 225 kV) sont présentées. Dans cet ensemble, les centrales à cycle combiné (juxtaposition d'une turbine à gaz et d'une turbine à vapeur) au gaz naturel devraient occuper une position prééminente pour assurer les besoins électriques de base ou de semi-base dans les scénarios qui ne retiennent pas un remplacement du parc nucléaire par du nucléaire. Outre son faible coût d'investissement, le grand avantage de cette technologie réside dans son rendement qui devrait encore augmenter de 55 % aujourd'hui à 65 % en 2040 4. Présentation des chapitres 4 et 5 :
Des scénarios prospectifs pour la France et leur bilan économique
4.1- Deux scénarios de demande d'énergie
à l'horizon 2050
p.8
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Les deux scénarios
différent par conséquent essentiellement par les modes d'utilisation
de l'énergie (notamment dans les transports) et par le degré
de maîtrise des consommations d'énergie et notamment d'électricité.
Ce qu'il est essentiel de noter est que la réponse aux besoins de "services requérant de l'énergie" (confort, déplacements, production de biens et de services) est assurée de la même façon dans les deux scénarios de demande. Les deux scénarios de demande retenus sont: -Un scénario haut (H) de "forte consommation énergétique" pour lequel la demande totale d'énergie primaire (hors usages énergétiques) serait de 325 Mtep en 2050 (à comparer à 210 Mtep en 1998) et la consommation finale d'électricité de 720 TWh en 2050 (à comparer à 364 TWh en 1997). -Un scénario bas (B) de "faible consommation énergétique" pour lequel la demande totale d'énergie primaire serait de 225 Mtep et la consommation d'électricité de 535 TWh en 2050. Les scénarios H et B vont devenir chacun une "famille" de scénarios" (H1, 2, 3 ; B2, 3, 4 et B430) en fonction des options sur la production d'électricité. Les dépenses totales
Le coût du kWh
(suite)
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suite:
Cette méthode originale et très instructive mérite d’être approfondie avec des données plus précises (notamment pour ce qui concerne les coûts comparés du kWh en cas de production centralisée ou de production décentralisée). Commentaire : a) De tels résultats font d'autant plus regretter la relative brièveté de l'étude sur la maîtrise de la demande d'électricité qui s'avère, sur le plan économique, un objectif majeur des politiques énergétiques à mettre en oeuvre sur les cinquante prochaines années, quelles que soient les orientations sur l'offre d'énergie. b) L'argument économique est considérablement renforcé par les considérations écologiques. En effet, lorsque nous comparons les différents scénarios d'offre d'électricité, nous pouvons constater les différences entre scénarios B et H dont les structures d'offre sont similaires. Ainsi, dans les scénarios H2 et B2 qui sont comparables en structure d'offre les émissions cumulées entre 2000 et 2050 sont : -pour le carbone : 30 % inférieurs dans B ; -pour les transuraniens : 10 % inférieurs dans B. D'autre part, les questions qui peuvent se poser sur la sécurité d'approvisionnement (notamment du gaz naturel) renforcent évidemment l'intérêt des scénarios de type B. c)Nous noterons enfin que l'étude approfondie des potentiels et des conditions de mise en oeuvre de la maîtrise de la demande d'électricité n'était pas l'un des objectifs premiers assignés à cette étude concernant au premier chef la filière nucléaire. Il n'est donc pas étonnant de constater la relative timidité des scénarios dits de "basse consommation d'électricité" en regard des potentiels techniques qui sont fournis dans le rapport lui-même. On peut s'étonner en particulier du maintien dans tous les scénarios d'une forte consommation pour le chauffage électrique. 4.2- Les scénarios de fourniture d'électricité
Scénarios H : Production d'électricité "haute"
Trois scénarios de fourniture d'électricité
:
p.9
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Dans les scénarios
H, les combustibles irradiés sont retraités jusqu’à
la fin de vie des réacteurs.
Les parts de production des différentes filières sont indiquées dans le tableau suivant (en %) : Scénarios B : Production
d'électricité "basse" :
Dans B2 et B3 les combustibles
irradiés sont retraités ; dans B4 et B4-30 on arrête
le retraitement en 2010.
Du point de vue de la structure du parc électrique, les différents scénarios B sont donc comparables dans leurs grandes lignes aux scénarios H (B2 à H2, B3 à H3, B4 et B4-30 à H1). D’autre part, l'offre d'électricité possède dans les scénarios H et B la caractéristique de l'installation d'une capacité de production d'électricité décentralisée (ne transitant pas par le réseau de grand transport) de 100 TWh en fin de période Dans le scénario B4-30, cette quantité atteint 150 TWh. Chaque scénario étant ainsi caractérisé, on peut passer au stade des comparaisons économiques. 4.2.2- Les comparaisons économiques Celles-ci sont relativement complexes et on doit se référer pour les comprendre au tableau qui fournit le cumul de l'ensemble des dépenses liées aux scénarios, en distinguant les quatre principaux postes de dépenses (investissement, exploitation, combustibles, recherche et développement), pour les différentes hypothèses d'évolution des prix des combustibles fossiles sur la période 2000 - 2050. (suite)
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suite:
Hypothèses sur les prix du pétrole et du gaz naturel ( 1 dollar = 1 euro = 6,55 F)
Cumul de l'ensemble des dépenses liées aux scénarios pour les différentes hypothèses d'évolution des prix des combustibles fossiles (2000-2050)
p.10
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Les dépenses
sont ainsi classées en trois rubriques principales :
- les investissements : capacités électriques, gazoducs, renforcement des réseaux électriques, capacités de fabrication des combustibles nucléaires, usines de retraitement, capacités d’entreposage ou de stockage, etc.) ; - les dépenses de combustibles : achats aux frontières ou aux producteurs nationaux de charbon, de gaz naturel, de fuel, de combustible nucléaire) ; - les dépenses d’exploitation autres que les dépenses de combustibles : entretien, exploitation, etc. La rubrique R&D correspond aux dépenses de l’Etat en recherche et développement dans le secteur de l’électricité (utilisation et production). Nous avons commenté dans la première partie de ce chapitre la comparaison entre les familles de scénarios à "haute" (H) et "faible" (B) demande d'électricité qui montre l'intérêt économique des scénarios B. Nous nous intéressons donc ici aux différences liées à la structure du parc de production et à l'évolution des prix des combustibles fossiles. Les résultats essentiels sur le total des dépenses sont les suivants : a) Dans l'hypothèse de "stabilité" des coûts des combustibles fossiles, les coûts cumulés des scénarios sans renouvellement du nucléaire à la fin de vie de 45 ans sont plus économes que ceux qui supposent un renouvellement du nucléaire. Le scénario B4-30 de sortie du nucléaire pour une durée de vie de 30 ans, moins cher que tous les scénarios H, est plus cher que les autres scénarios B. Cependant, alors que l'écart entre scénarios comparables des familles B et H est de l'ordre de 15 % (environ 800 milliards de francs sur la période), l'écart entre B4-30 (le plus cher de B) et B4 (le moins cher de B) n'est que de 7 % (326 milliards de francs). b) Dans l'hypothèse de "déconnexion" des prix du gaz et du pétrole, la différence entre H et B se confirme mais les coûts des différents scénarios au sein de chaque famille sont très proches : écart de 1 % entre H1 et H2 et 5 % entre H1 et H3 ; écart de 2 % entre B2 et B3 et 3 % entre B3 et B4. Comme précédemment, B4-30 est plus cher de 10 % que B4. c) Dans l'hypothèse de "tension" sur les prix des combustibles fossiles, on constate d'abord que l'écart entre H et B devient plus important pour les scénarios à forte composante gazière, ce qui est normal. Les écarts sont de 1 051 milliards (17 %) entre H1 et B4, 1 002 milliards (17 %) entre H2 et B2, 742 milliards (14 %) entre H3 et B3. Les différences liées à la structure de production sont plus accentuées que précédemment : le scénario H3 est moins cher de 11 % que H1 et 9 % que H2 ; le scénario B3 est moins cher de 3 % que B2 et 7 % que B4 ; le scénario B4-30 est 13 % plus cher que B4. La répartition des quatre principaux postes de dépenses est beaucoup plus contrastée que l'ensemble des dépenses. En ordre de grandeur, chacun des trois principaux postes - investissement, exploitation, combustibles - représente environ un tiers de la dépense totale, mais avec de fortes variations autour de cette valeur moyenne. Le poste " « Recherche et développement » (qui couvre les dépenses de R&D prises en charge par l’Etat) est faible - au plus 2 % du total - mais ses variations significatives : elles montrent que la recherche développement est quasi exclusivement consacrée au nucléaire et chute dramatiquement lorsque celui-ci est arrêté. C'est dans le cas de l'hypothèse de "tension" sur les prix des combustibles fossiles que la différence entre les scénarios H et B est la plus sensible : elle est de 517 milliards par exemple entre H2 et B2 et de 406 milliards entre H1 et B4. La présentation de l'ensemble des dépenses cumulées est complétée dans l'étude par la chronologie de chaque poste de dépense dans les différents scénarios et hypothèses, ainsi que par la présentation des bilans économiques actualisés. Nous retiendrons sur le premier point que l'analyse chronologique des dépenses annuelles totales à chaque époque montre qu'en dehors du scénario B4-30 pour lequel les dépenses dans la première période 2000 - 2030 dépassent celles des autres scénarios, les trois scénarios H présentent des chronologies de dépenses toujours supérieures à celles des scénarios B. (suite)
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suite:
Les informations synthétiques fournies par les bilans actualisés que nous retiendrons sont : i) L'actualisation (taux de 6 % de 2000 à 2030, 3 % après) maintient l'écart significatif de coût entre les scénarios à haute et basse demande d'électricité. ii) Le coût moyen actualisé du kWh sur la période 2020 - 2050 suit la même tendance : les scénarios à haute demande électrique ont des coûts moyens actualisés du kWh systématiquement supérieurs aux coûts des scénarios à demande faible ayant une même structure de parc de production. iii) Si l'on regarde le coût moyen actualisé du kWh sur la période 2020-2050 en fonction des hypothèses sur les prix des combustibles fossiles, on constate : -Dans l'hypothèse "stabilité" des prix, le kWh est nettement moins cher dans H1 (17,2 centimes) que dans H3 (19,5) ; et dans B4 (16,8 c.) que dans B2 (17,8) et B3 (18,0) -Dans l'hypothèse "déconnexion" : les trois scénarios H se rapprochent avec un léger avantage pour H1 (19,2 c. contre 19,6 pour H2 et 20,2 pour H3); même chose pour les scénarios B (18,6 c. pour B4 contre 18,9 pour B3 et 19,0 pour B2), à l'exception de B4-30 à 20,4 c. -Dans l'hypothèse "tension", les scénarios restent proches avec avantage pour H3 dans la famille des H (21,1 c. comparé à 21,6 pour H2 et 22,0 pour H1) et pour B3 (20,2 c. comparé à 20,8 pour B2 et 21,2 pour B4), dans la famille B, à l'exception de B4-30 à 24,4 c. 4.2.3 Eléments complémentaires
sur les scénarios
A titre de comparaison, la consommation totale de gaz naturel en France en 1998 était de 34 Mtep (et celle de pétrole de 94 Mtep). 4.2.4 Le traitement des externalités
environnementales
p.11 |
a) Les résultats
sur les émissions de CO2 sont sans surprises (avec les
réserves que nous avons faites précédemment sur le
cas du nucléaire) et suivent à peu près les quantités
de gaz consommées.
A nouveau ces résultats montrent d'abord l'importance de l'évolution de la demande d'électricité sur le cumul de carbone : le scénario H2 à haute consommation d'électricité avec 43 % de production nucléaire en 2050 est aussi émetteur de carbone que le scénario B4 à consommation d'électricité plus modéré sans renouvellement du parc nucléaire par du nucléaire. La différence des cumuls des émissions entre le scénario le plus haut (B4-30 : 1646 MtC sur 2000 - 2050) et le scénario le plus bas (B3 : 556 MtC) est d'environ 1'100 MtC. Cet écart est à comparer avec celui du cumul en 2050 des émissions associées aux deux scénarios énergétiques globaux : celles-ci varient entre 5'600 et 7'400 tonnes de carbone. b) En ce qui concerne les transuraniens (plutonium + actinides mineurs) les bilans en 2050 varient avec chaque scénario et en fonction des filières nucléaires utilisées. Pour les scénarios B, le cumul varie entre 115 tonnes pour le scénario B2 avec RHR1 et 459 tonnes pour le scénario B3 avec réacteurs EPR. Deux enseignements : - La différence entre scénarios comparables de type H1-B4 et H2-EPR - B2-EPR avec filière nucléaire "classique", est de l'ordre de 10 à 13 % : on retrouve l'intérêt de la maîtrise de la demande d'électricité. - C'est l'émergence à terme de nouvelles filières nucléaires de type APA ou RHR qui permet d'améliorer le bilan en cumul des transuraniens. c) La comparaison économique des "nuisances" que constituent le cumul du CO2 dans l'atmosphère et le cumul des transuraniens dans les déchets nucléaires se fait en attribuant un coût à ces quantités cumulées. Cette méthode est déjà adoptée internationalement pour les émissions de gaz à effet de serre, elle est originale pour l'estimation du "coût" des déchets nucléaires. En s'appuyant sur "l'état de l'art" du débat sur le changement climatique, les auteurs de l'étude ont choisi une fourchette de coût moyen de 400 à 1'000 francs la tonne de carbone. En ce qui concerne les déchets nucléaires, la nouveauté du concept ne permet pas de comparaison internationale et les auteurs ont choisi d'adopter comme valeur de la tonne de "plutonium et actinides mineurs" évitée la différence de coût entre les scénarios « sans retraitement » et « retraitement+Mox » permettant cette réduction qui ont été étudiés au chapitre 1 . Le coût obtenu varie entre 0,5 et 1,2 milliard de francs la tonne selon les hypothèses retenues. d) En croisant ces différentes hypothèses, on obtient un coût de ces deux "externalités" pour chaque scénario. Cette méthode permet de calculer un "surcoût environnement" pour chaque scénario. Ces surcoûts peuvent être comparés aux coûts des scénarios précédemment calculés, pour les différentes hypothèses de coûts des combustibles fossiles. A titre d'exemple, le choix des valeurs hautes à la fois pour les transuraniens et pour le carbone conduit à un surcoût dû aux externalités variant entre 1'107 milliards de francs pour le scénario B3-EPR et 1 891 milliards pour le scénario B4-30. Si l'on compare H1 et B4 qui diffèrent par le niveau de demande d'électricité, à structure de production comparable, le surcoût des externalités est de 1'863 milliards dans H1 et 1 401 milliards dans B4 : l'économie sur les externalités liée à la maîtrise de la demande d'électricité s'élevant donc à 462 milliards. On constate le même phénomène entre H2 et B2 : la différence est de 402 milliards. Si l'on compare les coûts des externalités au coût total, ils se situent entre 10 et 17 % pour les fourchettes basses et 26 à 42 % pour les fourchettes hautes en cas de stabilité des prix des combustibles fossiles. On peut conclure de ces comparaisons : i)La prise en compte des externalités induites par l'application d'un principe de précaution aux déchets nucléaires et aux émissions de CO2 a des conséquences importantes sur le coût cumulé des divers scénarios sur la période 2000 - 2050. (suite)
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suite:
ii)Cette prise en compte des externalités renforce l'intérêt des scénarios à faible demande d'électricité : le gain sur les externalités est de l'ordre de 10 % du coût total d'un scénario moyen. iii)Les valeurs choisies dans l'étude pour l'externalité CO2 et l'externalité transuraniens conduisent à un moindre surcoût dans les scénarios à fort contenu en nucléaire. iv)Les résultats renforcent l'intérêt du développement de filières nucléaires spécialement conçues pour diminuer la production de déchets. 5. Commentaires
5.2 Les limites de l’étude
p.12
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Non pas que
les données de base utilisées dans les scénarios eussent
été forcément différentes, mais parce qu’il
est difficile d’admettre que l’on puisse raisonner sur des scénarios
électriques limités à l’hexagone pour 2000-2050 alors
que nous ne sommes aujourd’hui qu’à la première année
de cette période et qu’avec elle, les marchés européens
de l’électricité et du gaz viennent de s’ouvrir, que l’Europe
est en train de prendre des décisions sur la production d’électricité
par les énergies renouvelables et qu’elle a pris des engagements
collectifs de réduction des émissions de gaz à effet
de serre.
A l’évidence, la question de la sécurité des approvisionnements gaziers ne se pose pas en termes nationaux mais européens et le « tout nucléaire dans un seul pays », orientation de certains scénarios, prête à réfléchir. Cette limite a bien été perçue par les auteurs de l’étude et exprimée dans son introduction : il reviendra au politique de savoir replacer les résultats de cet exercice purement national dans le contexte international adéquat. La deuxième limite de l’exercice tient au fait que la demande centrale porte sur l’économie de la filière nucléaire, les autres filières énergétiques (gaz, renouvelables, autres) n’étant que des éléments de comparaison, traités avec moins d’importance. Le lecteur ne peut que regretter que, tandis que la prospective technologique est largement développée dans le domaine du nucléaire, elle reste relativement faible pour les filières non nucléaires et particulièrement pour les énergies renouvelables et surtout la maîtrise de la demande d’électricité dont l’ensemble de l’étude montre la toute première importance. On est en particulier frappé par l’évolution des dépenses publiques de recherche et développement : lorsque le nucléaire s’arrête, ces dépenses chutent radicalement. Si cela confirme la quasi exclusivité actuelle du nucléaire dans les efforts de recherche publics dans le secteur de l’énergie, cela manifeste aussi la non prise en compte du transfert des moyens de recherche vers d’autres filières énergétiques (sur la demande comme sur l’offre). Cela est particulièrement vrai pour la maîtrise de la demande d’électricité. Nous avons souligné la timidité des efforts dans le scénario dit de « basse consommation ». Ce scénario est de fait basé sur la mise en œuvre de techniques actuellement disponibles. Un effort conséquent de R&D sur cinquante ans grâce à un certain transfert des moyens de la recherche publique devrait permettre de faire beaucoup mieux. La troisième limite de l’exercice est plus gênante car elle est moins évidente : elle tient à la façon dont sont pris en compte les aléas dans les différentes filières. Le grand compétiteur du nucléaire est, dans cette étude, le gaz naturel. L’aléa majeur de cette forme d’énergie pour une évaluation prospective est son prix : cet aléa est bien pris en compte puisque trois scénarios de prix des combustibles fossiles sont étudiés (dont le doublement du prix du gaz naturel à l’horizon 2050). Dans le cas du nucléaire, l’aléa ne porte pas ou très peu sur le prix du combustible, ni sur l’investissement (du moins pour les filières éprouvées). On voit donc apparaître dans les tableaux des prix du nucléaire extraordinairement stables. Or l’aléa majeur du nucléaire est l’incident ou l’accident technique. On comprend qu’une étude économique de ce type exclue l’accident très grave qui mettrait en question l’existence même du nucléaire : l’analyse d’une telle situation de crise n’est pas de son ressort. Par contre, les années récentes ont montré que les conséquences industrielles et économiques d’accidents techniques sans conséquences nuisibles extérieures pouvaient être importantes : immobilisation de tout le palier N4 (6'000 MWe) pendant une année du fait d’une erreur de conception du circuit de refroidissement à l’arrêt, arrêt prolongé de la centrale de Belleville du fait de fissures dans l’enceinte de confinement, et autres incidents relativement fréquents, sans oublier l’exemple de Superphenix qui n’est pas sans enseignements pour la prospective technologique (et économique) nucléaire. (suite)
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suite:
Il paraîtrait intéressant qu’une étude sur les conséquences économiques des aléas techniques de la filière nucléaire soit entreprise afin de compléter la présente étude. 5.3 Les principaux résultats
p.13
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L’effet du
renouvellement ou non du parc nucléaire et donc de la place prépondérante
ou non du gaz naturel dans la production d’électricité en
2050 se traduit par des consommations de gaz naturel en 2050 pour cette
production de 30 Mtep dans B2, 46 Mtep dans H2, 70 Mtep dans B4 et B4-30
et 96 Mtep dans H1. Ces consommations de gaz sont à comparer à
la consommation totale de gaz en France en 1998 qui était de 34
Mtep et à celle de pétrole qui était de 94 Mtep.
On voit ainsi qu’entre un scénario à basse consommation d’électricité et sans nucléaire B4 et un scénario à haute consommation d’électricité et nucléaire H2, le surplus de consommation de gaz naturel pour la production d’électricité n’est que de 24 Mtep en 2050. 5.4 A propos des questions environnementales
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Du côté du
nucléaire, il est important de souligner que le handicap environnemental
du nucléaire va bien au-delà de la production des transuraniens
:
une étude comparative des impacts environnementaux (pouvant ou non se traduire en coûts d’externalités) devrait prendre en compte les rejets radioactifs et chimiques (surtout pour les usines de retraitement) ainsi que les risques d’accidents. c) La production de transuraniens est strictement associée à l’utilisation du nucléaire : le problème disparaît avec la non poursuite de celui-ci (scénarios H1, B4, B4-30) ; par contre les émissions de CO2 ne sont que partiellement dues à la production d’électricité et les diminutions que représentent les scénarios à composantes nucléaires doivent être relativisées par rapport aux émissions totales liées à la production et à la consommation d’énergie. 5.4.2 La prospective technologique et les bilans matières présentés dans l’Etude nous montrent que la question de la nocivité à long terme des déchets nucléaires ne ne reçoit pas de réponse satisfaisante par l’utilisation des techniques nucléaires actuelles ou « améliorées » de type EPR. Seuls des sauts technologiques, tant sur les réacteurs que sur les combustibles, tels ceux présentés dans l’Etude, paraissent susceptibles de permettre une réduction significative des productions cumulées de transuraniens (plutonium et actinides mineurs). début p.14
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Le lobby du nucléaire s'obstine à maintenir son image d’atout de la modernité : le secrétaire d'État à l'Industrie se déclare toujours favorable à la réalisation de l'EPR "pour moderniser notre appareil nucléaire et développer le meilleur de la technologie mondiale". Mais ses opposants affirment volontiers que "le nucléaire a fait son temps". D’aspect d’abord paradoxal, ce second point de vue ne manque cependant pas d’arguments. On invoque par exemple le fait que les USA n’ont pratiquement plus construit de centrales nucléaires au cours des 20 dernières années, depuis l’accident de Three Mile Island. Ce qui a été pris comme un coup de semonce par la super-puissance des pays industrialisés doit normalement s’imposer comme tel à tous les autres. Mais rien ne dit que cette attitude prudente perdurera chez nos amis américains, soumis aux aléas du marché et aux caprices de leur pouvoir politique (cf. le récent refus de signer le traité d’arrêt définitif des essais nucléaires). Un autre argument fort consiste à rappeler que les centrales nucléaires actuellement en service dérivent toutes de prototypes élaborés à la hâte entre 1945 et 1948, au tout début de la guerre froide, en particulier pour la propulsion des sous-marins. Et c’est encore le cas pour ce projet EPR, le soi-disant "réacteur du futur", qui n’est qu’une version majorée et vaguement renforcée des REP (réacteurs à eau pressurisée) qui équipent déjà la quasi-totalité de nos centrales nucléaires. Les centrales nucléaires sont aussi des centrales thermiques ! Il y a un autre argument auquel nous ne pensons pas assez, conditionnés que nous sommes au préjugé d’un nucléaire tout-puissant, et qui a tout changé. Le gigantisme des centrales nucléaires (bâtiment réacteur pour la chaudière nucléaire d’un côté, tours de refroidissement de l’autre), par rapport à l’encombrement restreint des alternateurs, est pourtant là pour nous rappeler qu’elles ne sont que des versions contemporaines de la bonne, vieille, et grosse machine à vapeur... Mais leur encombrement exorbitant n’est pas leur principal défaut. (suite)
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Dès le début de l’époque industrielle, on avait perçu que les machines à vapeur consommaient beaucoup, exagérément même, par rapport au travail fourni, en comparaison de ce qu’on tirait des minuscules cours d’eau le long desquels pouvaient tourner de multiples ateliers. On s’est aussi inquiété des nombreux accidents qu’elles causaient, en particulier au fond des mines où les explosions de vapeur faisaient des morts et de grands brûlés. On a même envisagé pour cette raison d’en réglementer l’usage, à une époque où on n’était pourtant pas enclin à s’émouvoir de ces choses. L’usage de ces machines s’était en effet développé de façon anarchique et totalement empirique, sans qu’on en ait élucidé le fonctionnement. C’est dans ce contexte, au début des années 1800, que le jeune polytechnicien Sadi Carnot [1] s’est attaché à dégager les principes qui gouvernent le fonctionnement de ces machines, qui seront à la base d’une nouvelle science : la thermodynamique. Il établit en particulier que leur rendement ne dépend que des températures, à la sortie de la chaudière d’une part (source chaude), et à l’entrée du circuit de refroidissement (source froide) d’autre part, mais aucunement de la manière dont ces températures sont obtenues (figure 1): Rendement pour la machine thermique idéale autorisé par le principe de Carnot: W/Q = 1 - T2/T1 Que la source chaude soit produite par la réaction chimique d'oxydation d'un combustible ou par la réaction de fission des noyaux d'atomes d'un matériau approprié ne change rien à la nature de la machine. C'est la raison pour laquelle on parle de "combustible" nucléaire pour quelque chose qui n'a rien à voir avec une vraie combustion. fin p.14
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Le rendement des centrales
nucléaires actuelles plafonne à 33 %. Il faut donc se rendre
compte que pour une tranche nucléaire qui sort 1300 mégawatts
électriques, ce sont en réalité près de 4000
mégawatts d’énergie nucléaire qui sont produits par
le réacteur. Si la masse de matière fissile consommée
est très faible, la quantité de déchets radioactifs
produits reste à l’échelle de cette grande quantité
d’énergie primaire nécessaire, de même que la contamination
et l'activation des matériaux et des structures qu'il faudra ensuite
démanteler et assumer.
L’électrochimie beaucoup plus prometteuse que l’électronucléaire A partir d’un combustible chimique, on peut produire de l’électricité sans passer par une machine thermique, et donc ainsi échapper à la limite imposée par le cycle idéal de Carnot. Il y a possibilité de convertir directement l’énergie chimique de la réaction d’oxydo-réduction en électricité. (suite)
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C’est l’avantage incomparable qu’offrent les "piles à combustible" (fuel cells en anglais), dispositifs électrochimiques dans lesquels une pile chimique est continuellement réapprovisionnée en ses réactifs (figure 2): Les piles à combustible sont des dispositifs simples, ne comportant pas de pièces mécaniques en mouvement, donc fiables et silencieux (voir le dossier sur ce sujet dans Pour la science de septembre 1999, ainsi que dans Chemistry and Industry du 18 octobre 1999, p.796 et deux articles récents dans Le Monde des 11/12/99 et 24/03/2000). Leur rendement en électricité (40 à 55 % selon la filière, même pour des modèles de puissance réduite et à faible charge) est nettement plus élevé que celui des machines thermiques, et elles produisent moins de chaleur et de polluants (20 à 50 fois moins de CO et de NOx qu’une turbine à combustion). Elles se limitent encore aux faibles puissances, inférieures à quelques mégawatts, le plus souvent de quelques kilowatts, ce qui convient pour alimenter une maison ou un immeuble. La chaleur produite en même temps que l’électricité sert à chauffer les locaux, ce qui fait que le système est utilisé selon le mode dit de la "cogénération", qui est la bonne façon de tirer le meilleur parti d’un combustible. Dans ces conditions le rendement global peut aller jusqu’à 85 %. Les piles à combustibles ont de suite été adoptées pour les engins spatiaux habités : dans les capsules Apollo et Gemini, à partir d’O2 et H2 liquides elles ont fourni à la fois l’énergie et l’eau nécessaires aux cosmonautes. De nombreux modèles sont en cours de développement pour des utilisations courantes, en fonction de la nature de l’électrolyte, de la technologie des électrodes, du catalyseur, du combustible (qui n’est pas forcément directement l’hydrogène, l’oxydant étant généralement l’oxygène de l’air), et la température de fonctionnement, qui peut aller de 80 jusqu’à 1000 °C suivant les filières. La technologie des piles à combustibles "à oxydes solides" et fonctionnant à haute température (850-900 °C) serait à même de battre sur leur propre terrain à la fois la combustion classique ("à flamme") et le nucléaire haute température : débouchant sur une turbine à gaz, son rendement électrique atteindrait 70 %, au lieu de 50 % pour ces concurrents.[*](voir en fin d'article) Les centrales nucléaires condamnées à rester ce qu’elles sont: de misérables machines thermiques, limitées par le principe de Carnot. Une technologie aussi favorable serait-elle pensable, par analogie, pour du combustible nucléaire ? Certainement pas. On ne s'est pas privé de vanter les avantages quantitatifs du nucléaire : une réaction élémentaire de fission libère environ 10 millions de fois plus d’énergie qu’une réaction chimique élémentaire, d’où l’enthousiasme unanime pour, après les bombes, développer le nuclaire civil et le fameux programme "atoms for peace". p.15
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Mais c’est
justement l’extrême violence des réactions nucléaires
élémentaires qui empêche qu’on puisse tirer parti de
l’énergie libérée pour produire directement de l’électricité.
Dans le cas d’une réaction chimique comme l’oxydo-réduction,
il se produit des entités élémentaires régulièrement
chargées et également réparties entre espèces
positives et espèces négatives, qu’il est ensuite possible
de trier et de diriger vers ce qui formera d’un côté la cathode
et de l’autre l’anode (figure 2). Rien de semblable ne peut s’envisager
après la fission d’un noyau : la réaction est tellement brutale
qu’elle produit des fragments électroniquement disloqués,
dont l’énergie de recul est aléatoirement répartie
suivant les directions de l’espace, comme l’énergie cinétique
des molécules d’un gaz. Les réactions élémentaires
de fission ne peuvent donner à l'échelle macroscopique qu'un
effet thermique, et pas d'effet électrique direct. On ne peut que
partiellement en tirer parti pour générer de l'électricité,
au moyen de la seule machine thermique. Celle-ci ne peut utiliser que les
composantes de ces mouvements qui vont dans le sens de déplacement
du piston ou de rotation de la turbine : il y a forcément beaucoup
de déchet (thermique) en plus des déchets nucléaires
! C’est ce qu’exprime le principe de Carnot qui, pour la machine idéale
fonctionnant entre les températures T1 et T2 qu’il a imaginée
(figure 1), conduit au rendement maximum de : 1-(T2/T1). Utilisées
comme moteur, les machines thermiques sont donc par nature de mauvaises
machines, puisque leur rendement est toujours très inférieur
à 1 (100 %) même pour la machine "idéale", c'est-à-dire
supposée techniquement parfaite. Il convient donc de les éviter
le plus possible, en particulier quand on cherche à produire seulement
de l’électricité. La thermodynamique la plus "basique" montre
clairement que l’électronucléaire est une mauvaise voie,
puisque l’énergie nucléaire utilisée est condamnée
à rester dans le camp de la seule chaleur, c’est-à-dire vers
le degré zéro de la "qualité" énergétique
par rapport à cette énergie "noble" qu’est l’électricité
qu’on cherche à produire. Cet argument majeur, parce que tout bêtement
physique, vient décidément à l'appui de beaucoup de
ceux qui sont développés par les anti-nucléaires.
Il montre aussi que l’utilisation raisonnable et raisonnée des combustibles
primaires classiques peut encore être un moindre mal. Ceci en particulier
si on décide de les produire à partir de biomasses intégrées
dans
un programme global de "développement durable". Et surtout si on
accepte de revenir dès maintenant à des unités de
production décentralisée d’électricité qui
évitent les aberrations et la gabegie des centrales de trop grande
puissance : impossibilité d’utiliser les grandes quantités
de chaleur simultanément produites, pertes en lignes importantes,
nécessité de lignes à très haute tension coûteuses,
insupportables dans la plupart des paysages et mises hors d'usage en cas
de tempête (on en a eu une belle démonstration il n'y a pas
si longtemps...).
Le projet EPR est une aberration qu'il faut refuser Il n'y a donc pas de raison
de laisser promouvoir ce programme insensé conçu et développé
unilatéralement par le trio EDF-Framatome-Siemens. Il est aussi
anti-thermodynamique, anti-scientifique et anti-économique que peut
l'être la promotion éhontée du chauffage électrique
par effet Joule que mène cyniquement EDF depuis plus de 20 ans.
Les scientifiques lucides se doivent de dénoncer de telles impostures
: il en va de leur crédibilité, de la dignité de leur
discipline, et du crédit de l'enseignement scientifique. Comment
ne pas comprendre la désaffection des jeunes pour les filières
scientifiques, dont on s'inquiète tant actuellement, quand on accepte
de telles dérives sans réagir?
(suite)
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Si on considère au contraire que cette chaleur peut être valorisée pour le chauffage ou le séchage (ce qui tombe sous le sens, au moins si on n'est pas sorti de Polytechnique comme la plupart des dirigeants du nucléaire...), les centrales de faible ou moyenne puissance reprennent l'avantage en étant de bien meilleures sources d'énergies de proximité (cogénération chaleur + électricité). D'autre part, la libéralisation et l'ouverture du marché de l'électricité, et des énergies en général, va forcément favoriser ce type de centrales plus souples et aptes à répondre à des demandes de plus en plus variables et segmentées dans le temps et dans l'espace. Et c'est avec les très grosses centrales qu'on manquera les opportunités et qu'on perdra de l'argent... (C’est sans doute ce qu’ont compris les industriels allemands de l’électricité en acceptant (ou en faisant semblant d’accepter...) le compromis sur la sortie du nucléaire dans leur pays ) [7]" S'il faut continuer à faire du nucléaire, que ce soit au moins du "nucléaire à moindres regrets" ! Les promoteurs de l'EPR
sentent sans doute qu'ils ne pourront pas maintenir encore longtemps ces
ahurissantes fictions : leurs dernières propositions ramènent
sa puissance de 1750 à 1500 mégawatts. C'est un repli stratégique
infinitésimal, mais il faut persuader les responsables politiques
qu'on doit aller beaucoup plus loin. Ceux-ci peuvent en effet considérer
qu'il n'est pas justifié d'abandonner complètement le nucléaire.
Ce serait d'abord très difficile puisqu'on l'a laissé se
porter jusqu'à 80 % de notre production d'électricité.
Ensuite, on a investi des sommes considérables dans le nucléaire,
même si c'est à notre insu, qu'il convient d'amortir en gardant
la main dans ce secteur, en le réorientant fermement vers du "nucléaire
raisonnable", ce dont il ne prend pas le chemin. Quel pourrait donc être
ce nucléaire raisonnable, par rapport au déraisonnable qu'on
cherche à nous imposer ?
p.16
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Mais les données
disponibles sur les réacteurs qui peuvent être développés
actuellement montrent qu'on peut atteindre des rendements électriques
proches de 50 % aussi avec le nucléaire : c'est donc cet objectif
qu'il faut impérativement fixer. Pour prétendre faire du
"nucléaire à moindres regrets", il faut exiger un rendement
électrique de 50 %, ou un rendement minimum de 75 % en cogénération.
Les charges et contraintes dues aux déchets nucléaires peuvent
alors ne pas être plus lourdes que celles engendrées par les
fossiles et les renouvelables : effet de serre, épuisement des sols,
et autres effets "collatéraux" non pressentis qui ne manqueront
pas d'apparaître.
Alors, comment expliquer qu’en France, pays de Carnot, il faille en passer par là pour que la production de l'électricité nationale ne se fasse plus en contradiction flagrante avec les principes élémentaires de la physique qu'il a contribué à fonder? Tout se passe comme si on n'y avait pas encore fait le deuil du "mouvement perpétuel de seconde espèce", de l’illusion de pouvoir transformer à son gré toute la chaleur à partir de la seule source chaude [8], deuil qu’exigeaient pourtant déjà des physiciens comme Thomson (futur Kelvin) ou Biot, il y a 150 ans. Et ceci lors même que les conditions socio-économiques se prêtent de mieux en mieux à une telle mise à jour. Ce serait quand même un comble d’en être resté aux préjugés d’avant la thermodynamique, comme à l’époque du fardier à vapeur et de la lampe à huile... Maurice PASDELOUP
formateur (histoire des sciences et
épistémologie) au Centre d’Initiation à l’Enseignement
Supérieur (C.I.E.S.) de Toulouse
(suite)
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Bibliographie:
[1]- Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines propres à développer cette puissance, S. Carnot, Paris, 1824 [2]- Revue Générale Nucléaire, 1999, n° 2, p. 17 [3]- Le Monde, 15 octobre 1999, p. 20 [4]- M. Pasdeloup, Bulletin de l'Union des Physiciens, Janvier 1999, p. 129-138 [5]- B. C. H. Steele, Nature, 400, 12 août 1999, p. 619 [6]- Brian Steele, C. R. Acad. Sci. Paris, 1998, série IIc, p. 533-543 [7]- Reengineering the electric grid, thomas J. Overleye, American Scientist, may-june 2000, page 220-9. [8]-Les tenants de la pensée unique sur l'énergie (et en France ils sont tout-puissants...) se montrent toujours très agacés quand on souligne la médiocrité foncière des machines thermiques nucléaires auxquelles ils se résignent pour produire la plus grande partie de notre électricité. Cet agacement confine parfois au mépris, avec une réflexion du genre : ah oui, le "sempiternel rendement de Carnot" ! Ils n'hésitent pas ainsi à faire l'impasse sur le raisonnement qui sert de pierre angulaire au second principe de la thermodynamique, sans doute le plus fondamental de toutes les sciences de la nature. Comment croire, dans ces conditions, que les choix technologiques sont faits en fonctions de critères scientifiques ? (*) On trouve même cette expression dans l'introduction d'un article très documenté (bien qu'embrouillé de réflexions incongrues du genre : va-t-on ouvrir la boîte de Pandore de sources décentralisées alimentant en chaleur et en électricité des consommateurs autonomes par rapport au réseau ?...) publié dans La Gazette nucléaire (n° 173/174, de mai 1999, p. 7-10) par un chargé de mission d'EDF justement sur les piles à combustibles, dont l'entreprise publique reprendrait enfin le développement, après 20 ans de mise au placard. Mais on admettra que ladite mission n'est pas facile, et qu'il a de bonnes raisons de prendre de multiples précautions de style... p.17
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