Les Retombées radioactives de l'accident de Tchernobyl en France, sur les Alpes et le Briançonnais
I.Brissaud1 et R.Lestournelle2


     Il est bien admis aujourd'hui que l'explosion d'un réacteur dans la centrale de Tchernobyl en Ukraine, le 26 avril 1986 a permis la dissémination de produits radioactifs sur tout l'hémisphère Nord, donc en France et plus particulièrement sur le sud des Alpes. La gestion de cette pollution, certes délicate, n'a pas été satisfaisante, en France notamment. Au début, les organismes officiels ( CEA, CNRS, IPSN, Universités..)3 possédant les moyens de détecter cette pollution, les ministères concernés ont, pour ne pas gêner la politique énergétique nationale, préféré garder le silence, avant de minimiser le problème ( le fameux arrêt du nuage aux frontières) . C'est le 9 mai suivant que la preuve de la forte contamination du sol français est rendue publique à la suite d'analyses réalisées dans un grand laboratoire universitaire de Lyon ( le groupe du professeur Béraud de l'Institut de Physique Nucléaire du CNRS), alors que le nuage radioactif a atteint l'Hexagone vers le 30 avril. Dans le Mercantour, la contamination maximum se situe au 1er mai et dure environ 4 jours : d'où la question de savoir si des mesures spéciales n'auraient pas du être prises pour protéger les habitants comme cela a été fait dans plusieurs pays limitrophes.
     Dès lors, on assiste à des polémiques entre les associations de défense de l'environnement (dont la CRII-RAD ) et les établissements gouvernementaux ( CEA, EDF) ou les services de contrôle dont l'IPSN. Il faut rappeler que certains pays européens ont pris des décisions radicales très tôt : le lait, les fromages, certains fruits sont interdits à la vente en Norvège, des milliers de tonnes de lait en poudre ont été détruits en Allemagne ex-fédérale; en Pologne le gouvernement demande que les enfants soient consignés chez eux, que les troupeaux soient gardés dans les étables et des pastilles d'iode sont distribuées à la population; des troupeaux de rennes sont abattus en Laponie car trop dangereux à la consommation; dès le 3 mai la vente des légumes verts est interdite pour un temps en Italie ;
le bétail a été éloigné des pâturages en Grèce; le gouvernement autrichien conseille la garde des enfants à leur domicile, le lavage des légumes et fruits, mais déconseille la consommation d'eau de pluie et la nourriture du bétail avec de l'herbe fraichement coupée; la Commission Européenne bloque l'importation de viande en provenance de l'Europe de l'Est le 8 mai et tous les produits alimentaires le 10 suivant etc. , alors que bien peu de mesures étaient adoptées en France.
     Dans cette note, nous souhaitons résumer quelques faits et remarques après avoir constaté au cours de l'été 1998 la persistance de taches de contamination radioactive ( c'est à dire qui génère un rayonnement ionisant ) sur les pentes situées sous les cols du Granon et de Cristol.

1. Rappel de quelques notions de base
     - L''atome est la plus petite quantité d'un élément; il est constitué d'un noyau autour duquel tournent un nombre bien déterminé d'électrons. Le noyau est un mélange de protons dont le nombre est égal à celui des électrons et de neutrons. La désignation d'un noyau s'exprime par le symbole de l'élément suivi d'un chiffre qui est la somme du nombre de protons et de neutrons. Par exemple, Cs 137 est le noyau de césium formé d'un ensemble de 137 protons et neutrons. Si, pour un même élément, ce chiffre varie, c'est que le nombre de neutrons est différent alors que le nombre d'électrons et de protons reste constant ; on a affaire à des "isotopes " (exemple Cs 137, Cs 134, Cs 133 ).

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     - un ion est un atome auquel ont été arrachés un ou plusieurs électrons ( il a été "ionisé") et qui, donc, possède une certaine charge positive. Comme les électrons servent de liaisons entre atomes, l'ionisation peut détruire les molécules et modifier les matériaux qui les contiennent. Etant chargé, un ion peut être accéléré par des champs électriques naturels ou artificiels; c'est le cas des rayonnements cosmiques ou des faisceaux d'accélérateurs
     - on appelle radioactivité la propriété de certains noyaux atomiques de se désintégrer en émettant spontanément une particule alpha ( c.à.d. un noyau d'hélium ) ou une particule bêta ( c.à.d. un électron ), une telle émission pouvant être suivie par celle d'un rayonnement électromagnétique gamma (semblable au rayonnement X, mais d'énergie supérieure ). Comme c'est le cortège électronique qui définit les propriétés chimiques d'un élément, les isotopes radioactifs ont les mêmes propriétés que les isotopes stables de cet élément, et peuvent donc prendre la place de ceux-ci: par exemple le césium 137 ou 134 peut se substituer au césium stable 133. 
     - on nomme période radioactive le temps au bout duquel le nombre d'atomes radioactifs a été divisé par 2. Ce temps peut être compris entre une fraction de seconde jusqu'à des milliards d'années. Par exemple les périodes de l'iode 131, du césium 137 et de son isotope le césium 134 sont respectivement de 8 jours, 30 ans et 2 ans. Ceci veut dire qu'il faut 90 ans (soit 30 ans*3) pour que le nombre de désintégrations du Cs 137 soit divisé par 8 (soit 1/ 2**3).
     -on nomme période biologique le temps au bout duquel, dans un organisme vivant, la radioactivité a été divisée par 2. En effet, dans cet organisme, si les radioéléments sont rejetés dans un temps plus court que la période radioactive du fait du métabolisme, la radioactivité décroîtra avec une période effective plus brève que la période intrinsèque définie ci-dessus. Le césium, par exemple a une période biologique de trois mois.
     - dans un réacteur comme celui de Tchernobyl l'énergie thermique est obtenue par fission -en 2 fragments -de noyaux d'uranium 235 par absorption de neutrons thermiques (c.à d. ralentis dans du graphite ). Cette énergie transmise à un circuit d'eau est convertie en énergie électrique par un ensemble turbine-alternateur. Les fragments de fission de U235 sont radioactifs et donnent deux noyaux stables par une cascade de désintégrations.
     -les dangers que présente la radioactivité sont les dégâts provoqués par les rayonnements ionisants en pénétrant le corps des personnes exposées. Dans les cellules, les dégâts peuvent être des lésions partielles ou totales des molécules d'ADN ou la destruction de membranes et d'enzymes cellulaires. Dans certains cas, ces ruptures se réparent d'elles-mêmes, mais elles peuvent aussi conduire à des cancers, des leucémies ou à des désordres génétiques.
     Heureusement dans nos régions, la contamination potentielle à la suite de l'explosion de Tchernobyl est d'un niveau faible. Dans un tel cas, les effets sont dits "stochastiques", c'est à dire aléatoires. Ils sont caractérisés [1], selon la CIPR, par:
* un long temps de latence (années, dizaines d'années );
* une gravité indépendante de la dose;
* une absence de dose seuil ( hypothèse conservatoire adoptée en radioprotection) 

2.Radioactivités naturelle et anthropique 
     Nous sommes en permanence soumis à des rayonnements d'origine variée:
     a) La radioactivité naturelle
     Le rayonnement cosmique, constitué à 87 % de protons (noyaux d'hydrogène) et de 13 % de particules alpha (noyaux d'hélium) de très grande énergie provenant du système solaire et d'autres galaxies, atteint la terre. Des noyaux lourds sont également présents, mais à des teneurs faibles. Au maximum du spectre énergétique, son intensité est de 2 protons par centimètre carré et par seconde. 

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Ce rayonnement, par collision avec les atomes de l'atmosphère, produit à son tour des atomes radioactifs comme le carbone 14 (servant à dater les organismes vivants, justement car ils se fixent sur ceux-ci). Ces radioéléments peuvent être absorbés par fixation sur les aliments ou inhalés.

2- Des radioéléments, crées à l'origine de la Terre et ayant des périodes très longues, sont toujours présents dans de nombreux matériaux qui nous entourent: par exemple les roches uranifères, car l'uranium a une période de 4,35 milliards d'années qui correspond à peu prés à l'age de notre planète. Les descendants de ces radioéléments sont eux-mêmes instables. Parmi ceux-ci un gaz, le radon, peut s'accumuler dans les habitations si celles-ci ne sont pas suffisamment aérées ( pays froids en particulier) et présenter un danger potentiel. On le rend responsable de 2500 décès par an en Grande Bretagne. Une surveillance est nécessaire en certains lieux et des doses seuils bien définies. Rappelons au passage que, dans un passé très récent, il fut projeté d'exploiter des mines d'uranium dans la vallée de Névache.
     Autre exemple: le potassium 40 (période 1,28 milliard d'années ) est présent dans de nombreuses roches et, de par ces propriétés chimiques, se retrouve dans le lait et se fixe, heureusement à des teneurs très faibles, dans le corps humain.
     b) La radioactivité et les rayonnements ionisants générés par l'homme
     On distingue 5 origines à ces rayonnements:
     b1- les retombées des tests militaires aériens,
     b2- les rejets de l'industrie nucléaire ( mines, retraitement..) et ceux des centrales nucléaires ( c.à.d. l'eau de refroidissement, par exemple celle du Rhône ),
     b3- les déchets des laboratoires de recherches, industries, hôpitaux...,
     b4- les objets radioactifs utilisés dans la vie courante ( écran de montre...),
     b5- et surtout les examens radiologiques, radiothérapies et traitements médicaux.

3.Origine des retombées radioactives 
     Pour étudier la pollution radioactive de notre région, on procède à deux types d'analyses sur le terrain: un simple comptage du nombre de désintégrations pour prouver la présence de radioéléments et une analyse en énergie des rayonnements pour identifier les radioéléments et en déduire leur origine. Dans notre région, l'origine des retombées est bien connue: l'explosion d'un réacteur à Tchernobyl et les essais militaires aériens. 
     a) Tchernobyl
     PHARABOD et SCHAPIRA, dans leur livre [2], ont établi la liste des accidents et incidents graves survenus sur des réacteurs avant 1986. Celle-ci contient environ 30 cas situés dans différents pays européens, aux U S A et au Canada, en URSS, en particulier Windscale [ U.K. 1957 et 1973 ] et Three Mile Island [ U.S.A. 1978 ]. On trouvera dans cet ouvrage l'historique détaillé de l'accident de la centrale de Tchernobyl, de loin le plus grave de tous.
     Rappelons-en seulement quelques épisodes: Dans la nuit du samedi 26 avril 1986, à la suite de plusieurs erreurs de jugement et aussi d'un ensemble de concours de circonstances, au cours d'une expérience d'amélioration de la sécurité (!) , un réacteur de la centrale s'emballe et explose. Aussitôt, la température atteint en certains points 2500 degrés entraînant la fusion de plusieurs parties du cúur ( zone dans laquelle se déroulent les réactions nucléaires) d'où la fuite dans l'atmosphère de nombreux produits de fission sous forme de fines poussières (aérosols ) mélangées aux gaz radioactifs dont le xénon. Environ 4 % des substances radioactives contenues dans le réacteur s'enfuient dans l'atmosphère. Le nuage radioactif s'éleva vers 2000 mètres d'altitude. 

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     Là, les vents l'étalent sur des millions de kilomètres carrés et l'entraînent vers l'ouest et le nord de l'Ukraine. L'alerte est donnée le 28 avril par les Suédois quand leur pays (à 1600 kilomètres de Tchernobyl ) est atteint le dimanche 27 avril. L'émission hors du réacteur durera jusqu'au 6 mai, avec un ralentissement dû aux travaux de colmatage, suivi d'une reprise le 2 mai. Un grand nombre de radioéléments circulent ainsi. Le nuage radioactif est alors constitué principalement de 46 % d'iode 131, 36 % de tellure 132, 7 % de baryum 140, 4 % de césium 137 et 2% de césium 134. Les autres isotopes de l'iode, ayant une période très courte, ont disparu4. 
     Le nuage touchera les Etats-Unis et le Canada vers le 5 mai. Aux environs du 29 avril la France (située à environ 2000-2500 kilomètres de Tchernobyl) est touchée. Le rapport des concentrations Cs 137/Cs 134 étant au moment de l'explosion voisin de 2, la détermination de ce rapport (après la correction liée aux périodes radioactives différentes de ces isotopes ) est la signature de la contamination par Tchernobyl en éliminant l'hypothèse d'une autre pollution.

b) Essais atmosphériques
     Ils se sont étalés de 1945 à 1981, date du dernier essai chinois, mais essentiellement avant 1963. En conséquence, de nombreux radioéléments ont eu le temps de disparaître. Ces essais ont libéré beaucoup d'américium 241 qui résulte de la désintégration bêta du plutonium241 ; celui-ci entre dans la confection des bombes thermonucléaires et se trouve pulvérisé pratiquement en totalité lors de l'explosion. La détection d'américium est donc un indice de ces essais militaires.
     Aujourd'hui, les radio isotopes trouvés dans les Alpes sont essentiellement les césium 137 et 134 dans le rapport spécifique de Tchernobyl. Les autres éléments très abondants en Mai 1986 sont maintenant difficilement discernables du fait de leurs courtes périodes. L'iode 131, dont on a détecté la forte présence au moment de l'accident, a disparu, sa période étant de 8 jours. La surprise a été de mettre en évidence la présence faible, mais significative, d'américium 241 pour rappeler les essais effectués très loin et il y a fort longtemps. Retenons aussi que le plutonium et l'américium sont extrêmement dangereux même à des teneurs minimes.

4.Contamination des habitants
     La contamination peut se faire selon plusieurs processus:
     1) par inhalation des gaz et aérosols radioactifs. Dés le début mai 1986, les gaz actifs, heureusement de courtes périodes, mélangés aux aérosols présents dans le nuage, ont contaminé, dans les Alpes ( comme ailleurs ), l'air ambiant que respiraient les personnes. Comme les vents ont tourné après le 2 mai pour refouler le nuage vers l'Italie et les Balkans, la contamination s'est atténuée rapidement à l'ouest de la France, mais s'est prolongée quelques jours encore dans le sud-est du pays.
     2) par dépôt sur le corps des poussières nocives.
     3) par consommation des produits contaminés au cours des jours, semaines, mois suivants jusqu'à aujourd'hui.
     Les poussières radioactives en suspension ont pu se déposer sur le sol lors du passage au-dessus du pays durant quelques jours (environ 4 jours sur les Alpes du sud). Les Alpes ont été spécialement contaminées car elles ont arrêté en partie ce nuage qui se situait à une altitude de 1500-3000 mètres. De ce fait, les sites au-dessus de 1500 mètres, baignant dans la pollution, ont été imprégnés par contact direct. Et, circonstance aggravante, les précipitations qui ont eu lieu à la même époque dans le sud (1-5 mai) ont intensifié les dépôts dans ces régions, en particulier sur le Mercantour. Ces "lessivages" de l'atmosphère par la pluie se sont ajoutés aux retombées par gravitation. A Briançon, les précipitations ont été très marquées le 28 avril et un peu moins les 2, 4, 6 et 7 mai 1986 (chiffres communiqués par M. Barnéoud-Rousset et ses collègues du CEMBREU à Briançon).
     Selon le scénario bien connu, les végétaux fixent certains radioéléments: ce n'est pas leur surface qui a été polluée et que l'on pourra simplement assainir par un bon lavage, mais le corps végétal lui-même qui a intégré par ses racines les atomes radioactifs dans ses propres molécules. 

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Certaines de ces plantes, comme les lichens, ont la propriété de concentrer fortement, outre des éléments de la pollution atmosphérique, les radioéléments tels les césium [3]. Ces plantes peuvent être mangées par des animaux herbivores que d'autres animaux carnivores mangent éventuellement à leur tour. Enfin les polluants sont transférés à l'homme quand celui-ci consomme ces animaux ou ces plantes. C'est la chaîne alimentaire. Dans ces conditions, apparaît également une contamination du lait des vaches, chèvres, brebis. Ceci explique l'abattage des rennes lapons, la radioactivité décelée récemment chez des sangliers des Vosges, la radio toxicité du lait allemand. Soulignons que les chèvres mangeant les parties enterrées des herbes, leur lait contient davantage de césium, car celui-ci s'est surtout concentré dans les parties enfouies. 

5.Caractères de la radioactivité due à Tchernobyl
     Rappelons que tous les gaz radioactifs contenus dans le coeur se sont échappés et en particulier les gaz rares, qui ne réagissant pas chimiquement, ne sont pas éliminés naturellement et restent donc stockés dans l'atmosphère (exemple le krypton 85 ). 
     Pour faire un bilan, donnons quelques chiffres fournis par l'IPSN:
     Du fait de la stagnation plus longue du nuage, la contamination moyenne a été 10 fois supérieure à l'est qu'à l'ouest du pays, protégé par un puissant anticyclone situé sur l'Atlantique. Il a fallu attendre la fin de l'année 1995 pour retrouver le taux de césium 137 d'avant l'accident de 1986. Actuellement, les césium de l'air proviennent de la remise en suspension des particules déposées préalablement. De même, il a fallu attendre 1992 pour que les eaux de pluie retrouvent la teneur en césium antérieure à 1986. Chez les poissons, on trouve jusqu'en 1987 des traces de contamination due à Tchernobyl. Enfin, dans les sédiments du Rhône et de son estuaire, des carottages montrent jusqu'en 1990 l'existence d'une pollution due à Tchernobyl. Mais depuis, on ne mesure plus que la pollution liée aux différentes centrales nucléaires qui rejettent leurs effluents dans le fleuve (!).
     En ce qui concerne notre région on peut faire les remarques suivantes:
     a) Les régions sud-est ( Mercantour et Ecrins) sont les plus touchées et en particulier les zones situées entre 1500 m et 2800 m. Selon les documents de la CRII-RAD et de l'IPSN, le rapport des pollutions peut être voisin de 10 ou plus entre 2000 et 200 mètres d'altitude. C'est ce même facteur que nous avons noté entre le Granon (2400) et le fond de la vallée (1400). Cette constatation peut être expliquée par plusieurs facteurs: dans cette zone intermédiaire, généralement les pentes sont plus faibles, les combes plus présentes, la couverture végétale plus abondante et la nature du sol plus favorables à la fixation des radioéléments. Plus haut, les radioéléments sont entraînes par les avalanches, les torrents, les fortes pentes et plus bas ils sont déplacés par l'élimination des végétaux par l'homme ou les animaux.
     b) La radioactivité détectée peut atteindre en certains points des taux très élevés de 40.000 ou même au-delà de 100.000 becquerels ( 1 becquerel correspond à 1 désintégration par seconde ) et par kilogramme de matière sèche, en particulier dans le Mercantour. A ce niveau, la terre contaminée (heureusement quelques mètres cubes ) devrait être déclarée " déchet radioactif de classe A " selon un message du président de l'Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants ( OPRI) à la CRII-RAD et à ce titre mise dans des fûts et stockée dans le centre spécialisé de l'ANDRA (Soulaines). Il est à noter que certains taux atteints ponctuellement (en particulier au col de la Bonnette dans le Mercantour ) sont supérieurs à ceux observés dans la proximité immédiate de Tchernobyl. Ceci s'explique par l'altitude atteinte par le panache radioactif au-dessus du réacteur.

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     c) L'activité est concentrée dans les premiers centimètres (environ 5 cm) de la pelouse alpine: la "mat". Il y en a très peu dans les portions dénudées, car le césium, étant un analogue chimique du potassium, est métabolisé par les plantes. Il se fixe dans les sols et sédiments.
     d) Les atomes de césium se sont souvent accumulés vers les points les plus bas à la suite du ruissellement des eaux.
     e) La contamination est bien visible à l'aplomb des toits, des branches d'arbres ou des rochers orientés au sud, car ce sont les vents venant de cette direction qui ont amené le nuage dans nos régions. Les arbres à feuilles caduques (mélèzes...) ne montrent pas d'auréoles de radioactivité à l'aplomb des branches alors qu'il y en a sous les sapins qui ont "goutté".
     f) La répartition de la radioactivité présente un aspect particulier: quand on contrôle une large zone en altitude ( par exemple au col de Cristol ) la contamination apparaît comme un voile continu de niveau moyen avec des taches de quelques mètres carrés (ou moins) d'activité nettement plus élevée. Ce "tachisme" a été étudié par l'IPSN et la CRII-RAD. Il est expliqué en partie par la présence, en ces endroits, d'un manteau neigeux (important en 1986) dont le fond étanche présente, à un moment donné par suite du lent réchauffement, des perforations qui servent d'entonnoirs. De son coté, le sol, selon sa nature, retient plus ou moins la radioactivité lors de l'alimentation par ces ouvertures, d'où l'apparition des taches. Celles-ci sont certes dispersées, mais très nombreuses, à quelques mètres les unes des autres. Par ailleurs, la neige chargée de poussières a fondu lentement dans les combes. Par ruissellement latéral cette activité s'est concentrée sur les bords à la limite du sol dégagé. C'est donc sur les bordures des combes ou à l'aplomb des rochers que l'on trouve une forte contamination.

6. Le cas des champignons
     La contamination des champignons a été étudiée très attentivement par les enquêteurs de la CRII-RAD [4] et de l'IPSN. Ces organismes ont montré que le mycélium, partie vivace qui se développe à quelques centimètres sous la surface du sol, piège ( donc concentre ) le césium comme il piège, par ailleurs, les autres pollutions chimiques (par exemple les pesticides). En particulier la CRII-RAD a analysé un grand nombre d'espèces pour déterminer celles qui sont les plus contaminées. Certaines teneurs en Cs mesurées dépassent largement la limite admise par la Communauté Européenne. Rappelons que plusieurs Sociétés Mycologiques déconseillent fermement la consommation de champignons par certaines populations à risque (enfants, femmes enceintes. etc..) après avoir mis en évidence toutes les pollutions ( radioactives et autres ). Ces recommandations ont été encore publiquement confirmées (voir le récent Symposium International qui s'est tenu à Entrevaux [5]). 

7. Exemple d'évaluation du taux de risque lié à la radioactivité
     Pour évaluer les risques encourus, il a fallu définir une dose absorbée équivalente pour tous les rayonnements ionisants. Officiellement l'unité d'équivalent de dose absorbée par l'organisme est le Sievert.
     L'UNSCEAR ( Conseil Scientifique de l'O N U spécialisé dans l'étude de l'effet des rayonnements ionisants ) avait estimé en 1993 que la dose annuelle moyenne reçue sur le globe par un individu du fait de la radioactivité naturelle est de 2.4 millisievert dont 16 % seulement est attribué aux rayonnements cosmiques. Quant aux examens et traitements médicaux, ils induisent dans les pays industrialisés une dose de 1,1 millisievert en moyenne par an.
     La CIPR a recommandé que les populations ne reçoivent pas une dose supérieure à une Dose Maximale Admissible (la DMA) d'une valeur de 1 millisievert par an pour un adulte. Cette dose ne s'applique qu'aux rayonnements absorbés dus à l'activité humaine en plus de la dose due à la radioactivité naturelle et de la dose due aux examens et traitements médicaux. 

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Ce seuil a été adopté par tous les états européens. La France, jusqu'à maintenant, avait choisi une valeur de 5 millisieverts, mais elle est en train de s'aligner sur la norme internationale.
     Au col du Granon et dans ses environs, d'après les mesures faites par la CRII-RAD et communiquées aussitôt aux municipalités de Saint-Chaffrey et de La Salle-les-Alpes à la fin de l'été 1997, puis reconstatées par nous à l'été 1998, nous avons calculé que la dose équivalente absorbée aux points les plus actifs trouvés à ce moment là ( mais il y en a peut-être de plus actifs ) est approximativement de 0,4 microsievert par heure. C'est à dire qu'il faut séjourner environ 100 jours et 24 heures sur 24 ( soit 3 mois ) en de tels endroits pour atteindre la DMA.
     Les mesures réalisées au Granon sont du même ordre de grandeur que celles faites par la CRII-RAD en différents points de notre région [6], par exemple Tête de Vautisse, Clapeyto, sites moins fréquentés.
     Les conclusions de l'IPSN sont plus optimistes, mais notent cependant quelques cas limites et suggèrent aussi des analyses complémentaires pour certains sites. 
     Evidemment, une DMA de 1 msievert n'est pas, et de loin, la dose létale, mais un seuil qu'il est souhaitable de ne pas dépasser. La CIPR la définit ainsi par les effets qui lui sont affiliés :
     Sur 1 million de personnes ayant reçu la dose maximum admissible ( DMA ), il y aura une grande probabilité de détecter ultérieurement 50 cancers mortels, 10 cancers guérissables et 13 maladies génétiques alors que, toutes causes étant confondues, les cancers représentent environ 25 % des décès en France (140.000 morts par an).
     Sur la base des chiffres donnés au premier paragraphe, un calcul simple et purement indicatif prévoit que chaque année sur le globe, le nombre de décès est d'environ 650.000 par suite de l'exposition à la radioactivité naturelle et de 90.000 à la suite des diagnostics et traitements médicaux. L'effet total (et dans le temps) des retombées de Tchernobyl en Europe et dans les pays de l'Est est estimé au tour de 15.000 (ce chiffre est une moyenne très discutée, car nous sommes dans le domaine très mal connu des faibles doses. Certains organismes, en particulier américains, donnent des valeurs nettement supérieures). Quant aux retombées des tests nucléaires militaires, ils seraient globalement responsables à terme de 1.800.000 morts.

Conclusions

     Aujourd'hui, les deux organismes que sont la CRII-RAD [6], groupement indépendant dont la compétence a été officiellement reconnue, et l'IPSN [7], agence gouvernementale, sont à peu près d'accord sur l'évaluation de la pollution actuelle. Leur divergence principale porte sur l'interprétation des analyses et donc sur la conduite à tenir. A la lumière des données dont nous disposons, voici une liste de points qui nous paraissent incontestables:
     1) Actuellement les risques semblent très faibles dans notre région, mais s'agissant de probabilité, le risque zéro n'existe pas. Par contre, certains comptages montrent des sites plus pollués dans le Mercantour.
     2) Le territoire concerné étant très vaste, il paraît souhaitable de multiplier les analyses de terrains pour situer toutes les zones très contaminées, établir un bilan définitif complet et en tirer les conséquences.
     3) Peut-être, en certains points particulièrement actifs, faut-il baliser des zones à éviter comme cela se fait pour les captages des eaux ou pour isoler les détecteurs radioactifs de neige d'EDF (au Pré de Madame Carle ou à l'Izoard ).

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     4) Quant aux champignons, il semble important de bien préciser les risques par des études complémentaires et d'en tirer nettement les conséquences : leur consommation est-elle à déconseiller officiellement comme celle de l'alcool ou du tabac ? En attendant, l'arrivage de champignons importés de pays de l'Est doit également être surveillé et contrôlé par les autorités et par les consommateurs, des études récentes ayant montré qu'ils étaient encore fortement pollués.
     Cependant il faut souligner qu'il est très difficile d'évaluer à partir des analyses récentes quel a été le niveau de pollution atteint en 1986 et, en particulier, celui de la pollution due aux radioéléments à vies courtes qui ont disparu, mais qui étaient très abondants en 1986, et en particulier l'iode. Il est bien connu que cet élément se fixant sur la thyroïde en quelques heures, cette glande est très menacée. C'est en France et en Grande Bretagne que la contamination de la thyroïde a été la plus importante du fait de l'absence de traitement préventif. Des études épidémiologiques sont nécessaires pour déterminer les conséquences de l'explosion de Tchernobyl et dans cette éventualité, il est indispensable que toutes les conclusions soient à la disposition du public. De telles études sont en cours dans plusieurs régions françaises. Celle concernant notre région PACA [8] montre dans son état actuel une forte augmentation (35-40 %) depuis dix ans de tous les cancers ( os, thyroïdes) et des leucémies sans pouvoir expliquer l'origine de cette recrudescence. Il semblerait que le nombre de cancers de la thyroïde chez les jeunes enfants n'ait pas marqué une augmentation notable au-delà de l'augmentation globale. Comme il est bien connu que les thyroïdes d'enfants sont plus vulnérables (ce qui a été bien vérifié à Tchernobyl même), ce fait écarterait l'implication marquante de la centrale ex-soviétique. D'autres pollutions (chimiques, alimentaires, atmosphériques..) seraient-elles en cause?
     Par ailleurs, cette lointaine centrale de Tchernobyl, récente et d'un modèle semblant présenter toutes les garanties, dans un pays (en 1986 ) d'un niveau scientifique très élevé dans le domaine nucléaire oblige à se poser des questions sur l'usage et le développement de l'énergie nucléaire:
     *une telle catastrophe peut-elle se reproduire ailleurs ? 
     *serait elle mieux traitée, en particulier dans une Europe occidentale de type libéral ou les conditions et modes de vie sont très différents, avec des circulations automobiles peu fluides ou un déplacement autoritaire de populations et des contraintes de toutes sortes seraient mal acceptés?
     *enfin l'examen des mesures prises par les différents pays européens met en évidence par leur diversité et leur graduation disparate un manque flagrant de préparation face à un tel accident. En France même, certaines décisions peuvent étonner: par exemple, l'interdiction ( le 13 mai ) de la vente des épinards en Alsace a été décidée par le ministre de l'industrie alors qu'il y avait un ministre de l'agriculture et un autre de l'environnement; et pourquoi interdire particulièrement en Alsace qui fut certes touchée mais qui ne produit que 1% des épinards de notre pays. 
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     Autre exemple noté par un rapport d'EDF [9], des comprimés d'iode ont été distribués ( trop tardivement, hélas ) dans l'ex-URSS et en Pologne, ce qui a permis de réduire les dommages à la thyroïde. Par contre la France n'ayant alors aucun stock, une telle distribution n'a pu être effectuée. Depuis, d'importantes réserves de comprimés ont été rassemblées dans notre pays, mais les conditions et les établissements de distribution semblent mal définis, alors que celle-ci doit être effectuée très rapidement après la contamination. 
     Pour conclure, il faut garder présent à l'esprit les trois principes énoncés par la CIPR en 1990 concernant les risques nucléaires :
     Principe de justification des expositions à la radioactivité. Aucune pratique induisant une exposition à des radiations ne doit être adoptée à moins qu'elle n'engendre pour les personnes exposées ou pour la société en général un avantage supérieur aux inconvénients dus aux radiations.
     Principe d'optimisation (ALARA ). Au sein d'une pratique donnée, le nombre des personnes exposées et l'ampleur des doses individuelles subies doivent être maintenus à un niveau aussi faible que possible compte tenu des contraintes socio-économiques.
     Limitation des doses à 1 millisievert. 
     Et surtout, comme l'écrivent J.P. Pharabod et J.P.Schapira[2] : Il serait souhaitable, en tout état de cause, que les principaux intéressés, c'est à dire l'ensemble de la Société, aient les moyens de connaître les risques encourus et de décider ce qui est acceptable en la matière.

Remerciements 

     Cette note a été rédigée en partie à l'aide de documents fournis par la CRII-RAD, l'IPSN et EDF. Elle n'engage évidemment que la responsabilité des auteurs. 
     Ceux-ci tiennent à remercier tous ceux qui leur ont transmis, très amicalement, des informations et en particulier M.Barnèoud-Rousset ( CEMBREU ), J.L. Béraud (Université de Lyon ), B.Bonin ( IPSN), M.Genet ( Université d'Orsay ), L.Giacomoni ( Société Mycologique de France ), A.Paris (CRII-RAD ), J.P.Schapira ( CNRS / Université d'Orsay ), Ch.Van Haluwyn ( Université de Lille). Nous tenons à exprimer notre gratitude à plusieurs médecins de l'Observatoire Régional de la Santé, d'une part, et de la Médecine du Travail d'EDF pour la région PACA, d'autre part, pour de nombreuses et fructueuses discussions.
 

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Liste des sigles utilisés

C E A Commissariat à l'énergie Atomique
C N R S Centre National de la Recherche Scientifique
A N D R A Agence Nationale pour la gestion des Déchets radioactifs
I P S N Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire
C I P R Commission Internationale de protection radiologique
C R I I - R A D Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la RADioactivité

Courte bibliographie

1) Docteur J.Piechowski, Cours de Radioprotection, CNRS-Formation (1998).
2) J.P. Pharabod et J.P. Schapira, Les jeux de l'Atome et du Hasard, Calmann-Lévy (1988).
3) Radiocesium in plants of forets écosystèmes, Studia Geobotanica, 15 (1996) 3; Ch.Van Haluwyn ( Université de Lille) communication privée.
4) Fiche CRII-RAD 3 (novembre 1997).
5) Docteur L.Giacomoni, communication privée et 5e Symposium International sur les champignons toxiques (20 èmes Journées Mycologiques d'Entrevaux ).
6) Fiche CRII-RAD 2 ( avril 1997 ) et Rapport "Contamination radioactive de l'Arc Alpin", étude effectuée par la CRII-RAD (mai 1998).
7) Rapports IPSN par H.Maubert et col. SERE 97/011,DPRE 97-04, IPSN 97-03, SERE 96/014'.
8) Rapport final édité par l'Observatoire Régional de la Santé PACA (avril 1997) : ëSurveillance épidémiologique de zones géographiques exposées à des facteurs de risques environnementaux'.
9) Revue EDF Energie-Santé (1995) 6 (1) et 6 (3).
     Le lecteur intéressé pourra trouver de nombreux détails supplémentaires dans les différents rapports de l'UNSCEAR ou de l'A I E A (Agence de Vienne dépendant de l'O N U ). La lecture du " Dauphiné Libéré " du mois de mai 1986 est également très instructive pour apprécier les estimations et déclarations faites à l'époque.
1 Physicien nucléaire (CNRS / Université d'Orsay ) à la retraite
2 Professeur de biologie géologie (Lycée de Briançon) à la retraite
3 Voir la définition des sigles en annexe
4 Notons que le césium 134 n'est produit que par absorption d'un neutron thermique par le césium 133 et ne peut se former que dans un réacteur. La présence de Cs134 est donc la signature d'un incident dans une centrale nucléaire.

NOTE GAZETTE, complément de bibliographie
     La gazette a publié (n°86/87 ) le rapport Maubert ainsi que de nombreux numéros sur les problèmes liés à Tchernobyl., en particulier les premières gazettes sur le sujet datent de juillet 86 (n° 69/70 et 71/72 suivis de 73/74 et 75 puis 78/79)). Ensuite nous avons continué 88/89, 96/97, 100, 105/106, 109/110, 119/120, 127/128, 149/150, 157/158, etc....


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