Calfatage antineutrons
« Fuite de neutrons sur le Charles-de-Gaulle»
: les journaux en ont fait leurs gros titres en novembre. Neutrons il y
en a bien eu, de l'ordre de quelques microsieverts par heure, bien en deçà
des normes de radioprotection, mais néanmoins 5 à 10 fois
plus que ce qui était attendu. Que s'est-il passé ? En août
dernier, le porte-avions effectuait ses essais à quai, une opération
classique pour tous les bateaux sortant des chantiers navals afin de tester
notamment la propulsion. Ici, cas un peu particulier, la propulsion est
nucléaire. Outre le bon fonctionnement des 2 réacteurs, les
ingénieurs doivent vérifier avec le plus grand soin si les
protections contre les rayonnements sont efficaces. Pour éviter
tout risque en cas d'insuffisance, ils procèdent pas à pas.
La puissance des réacteurs est donc augmentée par paliers
successifs, d'abord 1%, puis 2 %, puis 5%, 15 %, 30 % et 50 % de la puissance
maximale, les rayonnements mesurés et les valeurs extrapolées
pour évaluer les doses atteintes à pleine puissance. En août,
dès 5 %, les calculs ont montré que les norrnes en vigueur
auraient été dépassées à100 % de puissance.
Or la radioprotection est un poste primordial sur le Charles-de-Gaulle. Plusieurs milliers d'hommes vont s'y succéder, l'équipage est régulièrement renouvelé, comptant 2 000 personnes dont les pilotes et les mécaniciens des avions. Ils auront accès à la quasi totalité du navire, où l'exposition doit être compatible avec les normes de radioprotection applicables au public. Dans la zone surveillée, au voisinage immédiat du réacteur, seuls seront admis les 80 travailleurs du nucléaire, placés sous surveillance radiologique très étroite. Or, étant donné l'extrême densité en équipements, la zone publique peut parfois se situer à 5 mètres du réacteur. D'où l'importance cruciale de la radioprotection pour parfaitement arrêter les rayonnements.
Les équipes de Technicatome, de la DCN et du service de radioprotection des armées ont caractérisé l'anomalie puis recherché son origine. Les modélisations faites par le Service d'étude des réacteurs et de mathématiques appliquées (Serma) et le Service de physique des réacteurs et du cycle (SPRO) du CEA, ont montré qu'elle provenait de deux types de rayonnements: les neutrons et les gamma. Les neutrons s'échappaient de l'espace ménagé entre la cuve du réacteur et la paroi de la piscine qui constitue, autour de la cuve, une première protection contre ces rayonnements; puis se diffusaient dans les structures métalliques du navire. Les rayons gamma provenaient de l'eau activée circulant dans un circuit auxiliaire, dérivé du circuit primaire qui refroidit le coeur du réacteur. Ces fragilités sont apparues sur le porte avions parce qu'au dessus du réacteur se trouvent des zones publiques, que les rayonnements ne doivent pas atteindre. Cela ne peut pas se produire sur un sous-marin, où l'espace occupé par le réacteur est entièrement entouré par l'eau de mer dans laquelle les rayonnements s'atténuent.
De nouvelles normes, en mai 2000
dès que cette analyse fut faite, une protection supplémentaire
en polyéthylène, un matériau arrêtant les neutrons,
a été ajoutée au-dessus de l'espace incriminé.
Pour les rayons gamma, des matériaux plombés ont été
introduits. La nouvelle série d'essais effectuée durant la
première quinzaine de décembre a montré que tout était
rentré dans l'ordre.
Ainsi, les normes de radioprotection actuelles sont satisfaites. Mais
de nouvelles normes vont entrer en vigueur en mai 2000. Plus strictes,
elles nécessitent d'optimiser les dispositifs de radioprotection,
notamment en positionnant les matériaux de la façon la plus
efficace possible. Ce travail est effectué par Technicatome en collaboration
avec le Serma et le SPRC à l'aide de logiciels qui modélisent
le trajet des neutrons et des gamma dans l'environnement des réacteurs.
Les nouveaux dispositifs sont aujourd'hui définis et dessinés.
Ils sont fabridés ce printemps et seront mis en place lorsque le
porte avions s'arrêtera durant trois ou quatre mois l'été
prochain pour les travaux d'entretien.
Radioprotection: deux poids, deux mesures
Dans une centrale électronucléaire, la cuve qui contient
le coeur du réacteur est posée dans une cavité ménagée
dans un bloc de béton: la parai qui l'entoure mesure entre 2 et
3 mètres d'épaisseur. L'ensemble se trouve dans une enceinte
de confinement également en béton, dont les murs mesurent
de l'ordre du mètre. Sur un porte-avions, et plus encore un sous-marin,
où l'espace et le poids sont une contrainte, le béton est
exclu. Les chercheurs se sont donc ingéniés à trouver
des matériaux et des dispositifs plus légers. Tout autour
de la cuve est placée une piscine emplie d'eau, qui arrête
les neutrons. De plus, des protections supplémentaires en matériaux
riches en hydrogène, atténuateurs de neutrons, notamment
le Permali, un bois imprégné de résine, ou le polyéthylène,
ont été collés au réacteur. Elles compensent
l'efficacité limitée de l'enceinte de confinement en acier,
appelée «oeuf» sur le Charles-de-Gaulle. Pour
les rayons gamma, ont été choisies des couvertures en plomb
ou en matériaux plombés. Toute la difficulté étant
d'insérer ces couches dans le réseau très dense de
tuyaux et de fils électriques qui environne le réacteur.
Enfin, les ingénieurs ont utilisé les ressources de l'environnement
immédiat pour accroître la qualité de la radio protection:
le réservoir de gazole des diesels de secours des sous-marins, par
exemple, situé entre le réacteur et l'avant du sous-marin,
sans pour autant devenir source de radioactivité.
Commentaire Gazette
Je n'ai pas voulu trop caviarder l'article du CEA mais tout de même...
Le Charles de Gaulle a un défaut de protection neutronique parce
que nos géniaux ingénieurs ont «oublié»
qu' un porte-avions différait sensiblement d'un sous-marin (eh oui
les réacteurs sont au milieu du bateau et irradient dans 360 degrés,
donc les marins passent à côté et au dessus d'où
le besoin de protection). Le grand avantage de cet oubli est que soit les
avions décollent avec du kérosène et pas d'armement,
soit on les arme et il faut les ravitailler en l'air. En effet la protection
qu'il a fallu rajouter alourdit le bateau et diminue donc sa vitesse d'
où les problèmes des avions. Pratique... Remarquez je
ne vais pas pleurer, "y-a-qu'à" l'employer pour des missions humanitaires.
Il a aussi des problèmes de roulis d'où comme disent les
Guignols il ne peut fonctionner que par beau temps...
Quant aux futures normes de radioprotection, applicables en l'an
2000 (ils n'ont pas lu Enerpresse, et pourtant ça les arrangerait...)
elles ne pourront pas être mises en oeuvre sans de nouveaux travaux
de confinement des réacteurs. Nous sommes vraiment les meilleurs.