Nous publions un large extrait d'un rapport intitulé
Conséquences différées de la catastrophe de Tchernobyl:
bilan 11 ans après, de la généticienne Rosa Goncharova,
de l'institut de Génétique et de Cytologie, Académie
Nationale des Sciences de Bélarus (27, Akademicheskaya St. 220072,
Minsk, Belarus E-mail aby@biobel.bas-net.by). Ce rapport a été
présenté à Genève lors du colloque des 13 et
14 novembre 1997 consacré à Santé et information:
des incertitudes aux interventions dans les régions contaminées
de Tchernobyl, organisé par le Centre universitaire d'écologie
humaine et des sciences de l'environnement. Il a aussi été
publié intégralement dans les actes du colloque Ecologie
humaine après Tchernobyl, Minsk (25-27 avril 1998).
Dans ce texte le Pr. R. Goncharova rappelle d'abord
qu'une fraction importante des rejets radioactifs dispersés dans
l'atmosphère après l'accident de Tchernobyl est retombée
sur le Bélarus dont 23% du territoire est contaminé en Cs
137 au-dessus de 1 Ci/km2 (37 kBq/m2) avec une contamination de la quasi
totalité du territoire par l'iode 131 (Rolevich et al, 1996). D'après
les calculs, les doses moyennes cumulées par la population depuis
1986 (Kenigsberg et al, 1995) seraient très faibles, (13 mSv dans
les districts ruraux les plus contaminés de la région administrative
de Gomel), mais R.Goncharova souligne que ces valeurs sont notablement
sous-estimées comme le montrent d'autres estimations (Krivoruchko,
1997) (Dubina, 1997) pour qui des habitants de cette région auraient
reçu de 20 à 250 mGy rien que dans les 10 premiers jours
après l'accident. Des résultats récents concernant
les doses d'irradiation externe déterminées à partir
de mesures directes par RPE (résonance paramagnétique électronique)
sur l'émail dentaire provenant d'habitants de régions contaminées
(Keirim-Markus et al, 1995) confirment cette hypothèse de sous-estimation
des doses.
R. Goncharova rapporte les résultats de son
groupe (Goncharova 1996, Goncharova et al, 1995,1996,1997) concernant les
anomalies génétiques observées après la catastrophe
de Tchernobyl dans deux classes animales, chez des petits mammifères,
(rongeurs) et chez les poissons (carpes) dont nous résumons ci-après
les aspects qui nous paraissent les plus importants. Elle donne également
une vue d'ensemble des effets sanitaires affectant la population et c'est
cette partie que nous donnons ensuite sous le titre Effets à long
terme sur la santé de la population en Bélarus.
Resumé succinct des études de R. Goncharova et de ses collaborateurs.
Les poissons
Les carpes vivent dans un étang à 200km de Tchernobyl
dont le fond a été contaminé par les retombées.
Il est exempt de tout autre polluant (mouillants tensio-actifs, DDT, pesticides,
métaux lourds etc.). R. Goncharova et al étudient
les capacités reproductrices de carpes qui sont marquées
par un colorant et sont ainsi suivies depuis 1986 ainsi que leur descendance.
Il est montré que le degré de fertilisation, et après
éclosion, le nombre d'embryons et d'alevins, d'alevins survivants,
la fréquence d'anomalies morphologiques et cytogénétiques
aux stades précoces du développement, l'indice mitotique
(quand les chromosomes se divisent en deux), tous ces paramètres
caractéristiques de la reproduction dépendent de la concentration
en radionucléides des substances sexuelles des carpes parents (oeufs
et laitance). Ainsi le degré de fertilisation décroît
en fonction de la charge incorporée des carpes alors qu'augmentent
la fréquence des anomalies morphologiques chez les descendants,
celle des aberrations chromosomiques chez les embryons (à un stade
particulier de l'embryogenèse) et ces relations peuvent être
décrites par des droites. Les coefficients de corrélation
bien que faibles sont statistiquement significatifs. Il en est de même
pour d'autres facteurs le nombre d'embryons et d'alevins survivants, etc.
Les effets défavorables observés aux premiers stades
du développeinent des descendants sont donc radioinduits bien qu'il
s'agisse de doses internes faibles absorbées d'une façon
chronique par les carpes parents. Ainsi il est montré qu'il
n'y a pas de seuil pour ces effets aux faibles doses.
D'après l'Institut de Biophysique de l'Académie des Sciences de l'URSS (Directeur L.A. Iline) et le Projet International de Tchernobyl (1991) réalisé sous l'égide de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA), la seule conséquence négative prévisible pour la santé suite aux retombées radioactives de Tcher-nobyl serait une très faible augmentation des cancers de la thyroïde, pratiquement impossible à distinguer des cancers spontanes.
En réalité, on a observé dès 1990 une augmentation significative des cancers de la thyroïde de l'enfant en Bélarus et en 1996 on avait déjà diagnostiqué et opéré plus de 400 enfants de cette tumeur maligne. Une augmentation similaire, bien que relativement moins importante, a été constatée en Ukraine et en Russie. Il a pourtant été nécessaire d'attendre six ans pour que les organismes scientifiques internationaux admettent la réalité de l'énorme augmentation de ce cancer, et admettent l'existence d'une relation entre cette augmentation du nombre des tumeurs malignes et l'irradiation subie suite à la catastrophe de Tchernobyl.
Ce désaccord capital entre le nombre de cancers apparus chez ceux qui étaient des enfants au moment de l'accident et le nombre de cancers et les temps de latence qui étaient prévus d'après les modèles courants de projection du risque et la dosimétrie standard de la thyroïde, a clairement mis à jour une crise profonde au sein des instances officielles de la radiobiologie.
Jusqu'en 1995, aucune augmentation des hémoblastoses par rapport à l'incidence naturelle, n'a été enregistrée suite à Tchernobyl dans trois pays concernés par les retombées (Bélarus, Ukraine et Russie) y compris pour les leucémies chez les enfants (Ivanov et al 1996,1997). Sur cette base il a été affirmé au cours de la Conférence Internationale de l'AIEA "One Décade after Chernobyl" (Vienne, 1996) qu'en résumé, il n'avait été décelé à ce jour aucune augmentation significative de l'incidence des leucémies, même parmi les liquidateurs, ni aucune augmentation d'incidence de n'importe quelle autre tumeur maligne, mis à part le cancer de la thyroïde.
Pourtant, lors de cette même conférence A.E. Okeanov a présenté des résultats indiquant un doublement de l'incidence des leucémies et d'autres cancers chez les liquidateurs de Bélarus. Les cancers dont l'incidence était supérieure à celle attendue, étaient ceux de la vessie, de la thyroïde chez l'adulte, et les leucémies (Okeanov, Polyakov, 1996). Par ailleurs, dans la région administrative de Gomel, la région la plus contaminée de Bélarus, on note dans la population une augmentation de la morbidité pour diverses tumeurs malignes cancer du côlon, du rectum, cancer du poumon, cancer de la vessie, du rein, ainsi que les cancers de la thyroïde et du sein chez la femme (Okeanov, Yakimovich, 1996).
Une augmentation significative des leucémies dues aux radiations a été signalée chez les liquidateurs en Russie (Tsyb, 1997).
Une étude greco-américaine indique qu'en Grèce, suite aux retombées radioactives de Tchemobyl ayant affecté ce pays, l'incidence de la leucémie infantile [NdT bébés de moins d' 1 an) a augmenté d'un facteur 2,6 chez des enfants irradiés in utero par rapport à l'incidence observée chez des enfants non exposés in utero. Les auteurs ont considéré comme exposés in utero les enfants nés au cours du deuxième semestre de 1986, du premier semestre de 1987, et la plupart de ceux nés au 2ème semestre de 1987, et comme non-exposés les enfants nés entre 1980 et 1985, ou ceux nés entre 1988 et 1990 (Petridou et al, 1996) [1]. La leucémie infantile est reconnue comme étant une forme particulière de cette maladie, associée à une altération génétique, à savoir une anomalie spécifique de la bande chromosomique 11g 23.
En Grèce, la contamination par le Csl37 était de 100-1000 Bq/kg (ou 30-300 kBq/m2), l'exposition moyenne aux rayonnements a été estimée à environ 2 mSv. Ainsi, pour les auteurs ces très faibles doses de rayonnements reçues au cours de la grossesse peuvent provoquer des leucémies chez les enfants.
En fait, dès aujourd'hui les données dont nous disposons contredisent les affirmations exprimées à Vienne en 1996 sur les prévisions en ce qui concerne les tumeurs malignes. J'estime que la situation actuelle avec apparition de leucémie et de tumeurs solides dans les régions contaminées par les retombées radioactives est analogue à la situation de 1990 lorsque l'augmentation des cancers de la thyroïde enregistrée chez les enfants était contraire aux prévisions du Projet International Tchernobyl.
Si l'on tient compte de ces données et du fait que les doses externes de rayonnement gamma, lorsqu'elles sont correctement mesurées, s'avèrent être plusieurs fois supérieures aux estimations calculées les plus élevées (Keirim-Markus et al, 1995), il faut admettre que les populations qui vivent dans les régions contaminées sont exposées à un risque sérieux dû aux radiations.
Il faut néanmoins reconnaître que les prévisions concernant l'impact radiologique majeur des retombées radioactives de Tchernobyl (nombre de cas de cancers à long terme) sont imprécises, elles sont basées sur les études antérieures d'irradiation à fortes doses de rayonnement, les survivants japonais des bombes atomiques. On discute encore actuellement de questions relatives à la relation effet-dose, comme de savoir si elle est linéaire dans le domaine des faibles doses ou s'il existe un seuil [2]. D'après les données les plus récentes sur la mortalité par cancer chez les survivants japonais, la relation effet-dose est linéaire pour les cancers solides jusqu'à une dose de 3 Sv. Pour la leucémie elle n'est pas linéaire et ainsi le facteur de risque pour une dose d'irradiation de 0.1 Sv est le 1/20ème de celui correspondant à une dose de 1 Sv (Pierce et ai. 1996).
Les études épidémiologiques ont montré l'augmentation significative de l'apparition de cancers après une irradiation dans un domaine de dose de 100 mSv et plus. Il faut noter qu'après l'accident de Three Mile Island aux Etats-Unis (1979) Hatch et al (1990) ont trouvé une association positive entre l'augmentation de l'incidence des cancers, y compris du poumon et des leucémies, et les doses d'irradiation accidentelle (la dose reçue par la population a été estimée à environ 1 mSv) de même que Wing et al (1997) qui ont réévalué l'incidence des cancers au voisinage de la centrale. Wing et al concluent que leur étude confirme l'hypothèse d'une relation entre l'augmentation de l'incidence des cancers et les doses de rayonnement dues à l'accident [3]
Développement mental
Les informations plus récentes sur cette pathologie de l'oeil montrent que cette cataracte serait d'origine stochastique plutôt que déterministe (Worgul et al 1996). La dose capable d'induire une cataracte serait égale à 2 Gy pour une irradiation aiguë. Cependant, le suivi des personnes soumises à des examens tomographiques montre qu'une exposition aux rayons X entre 0,1 à 0,3 Gy peut provoquer des cataractes (Worgul et al 1996).
A ce propos, il faut souligner que, chez la souris, une dépendance linéaire de la fréquence des opacités du cristallin a été constatée pour des doses très faibles de rayons X, soit 2 à 45 mGy (Streffer. Tanooka, 1996). Pratiquement toute la population du Bélarus a reçu au cours des dernières années une irradiation supplémentaire égale ou supérieure à ces valeurs. Ainsi Cardis et al ont rapporté à Vienne (1996) qu'entre 1986 et 1995, la dose moyenne efficace reçue par les populations vivant dans les zones à contrôle strict, contaminées par 555 kBq/m2 (15 Ci/km2), était de 50-60 mSv, et en zones moins contaminées, 6 à 20 mSv.
En conclusion: Si l'on tient compte des incertitudes qui règnent sur les relations dose-effet dans le domaine des doses faibles et chroniques, et du fait que toute la population du Bélarus a été exposée à une radioactivité accrue depuis 1986, seul un suivi à long terme de pratiquement l'ensemble de la population du Bé-larus, avec reconstruction individuelle des doses accumulées sur une longue période, serait à même d'estimer correctement l'effet des retombées de Tchernobyl sur l'incidence des cancers et d'autres maladies.
Effets génétiques au niveau des cellules germinales
Comme le montre le Tableau 2, l'augmentation du nombre d'enfants présentant des malformations congénitales ou héréditaires à déclaration obligatoire (MCDO) est de 24% dans les régions soi-disant propres. Dans les régions contaminées en césiuin 137 de 1 à 5 Ci/km2, cette augmentation par rapport à la période avant Tehernobyl est de 30% et dans les régions où la contamination surfacique est de 15 Ci/km2 ou davantage, l'augmentation atteint 83%.
Tableau 2
Fréquence (pour 1000 naissances)
des malformations congénitales à déclaration
obligatoire
pour 3 sortes de zones en Rélarus de 1982 à 1992.
année
Zones contaminées
Zone
d'observation dès
fin avril 1986
témoin
l-5Ci/km2 >l5Ci/km2
1982
5,74
3,06
5,62
1983
3,96
3,58
4,52
1984
4,32
3,94
4,17
1985
4,46
4,76
4,58
l982 à 1985
4,61
3,87
4,72
1987
5,54
8,14
5,94
1988
4,62
8,61
5,25
1989
6,32
6,50
5,80
1990
7,98
6,00
6,76
1991
5,65
4,88
5.52
1992
6,22
7,77
5,89
1987 à 1992
6,01
7,09*
5,85*
Coefficient
d'augmentation 1,3
1,8
1,2
*p< 0,05 (Lazjuk et al, 1996)
Les statistiques officielles (Tableau 3) mentionnent le nombre d'enfants nés avec des malformations congénitales (MC) pour 1000 naissances, dans les services d'obstétrique de l'ensemble du territoire de la République du Bélarus.
Tableau 3.
Nombre absolu des malformations congénitales (MC),
et fréquence de ces malformations en fonction
des naissances en Bélarus (Statistiques officielles)
année Nombre
absolu de
Fréquence pour
Malformations congénitales 1000 naissances
1985
2101
12,5
1986
2273
13.2
1987
2262
13,8
1988
2276
13.9
1989
2273
14,8
1990
2395
16,8
1991
2146(261)*
16,2(18,2)**
1992
2180(367)*
17,0(19,9)**
1993
2009(400)*
l7,0(20,4)**
1994
1968(523)*
17,7(22,4)**
( )* nombre des interruptions de grossesse pour indications génétiques
( )** fréquence globale des malformations congénitales
pour 1000 naissances, y compris les avortements thérapeutiques.
Ces données proviennent de l'institut de Recherche pour les Malformations
Congénitales et les Maladies Héréditaires du Ministère
de la Santé Publique de la République de Bélarus.
Elles montrent une augmentation considérable de la fréquence
des malformations dans le pays: elles passent de 12,5 pour 1000 en 1985
à 17.7 pour 1000 en 1994 (Lazjukl, 1996). Si l'on tient compte des
avortements thérapeutiques réalisés après dépistage
de malformations en cours de grossesse (cela a représenté
plus de 1500 interruptions de grossesse thérapeutiques de 1991 à1994),
la fréquence des anomalies du développement embryonnaire
n'est pas stabilisée. Elle continue à augmenter, passant
de 18,2 en 1992 à 22.4 pour 1000 grossesses en 1994.
Dans le tableau 4, Lazjuk (1996) compare des doses moyennes, c'est
à dire la valeur moyenne de la dose efficace engagée [correspondant
à la dose d'irradiation externe et à la contamination interne]
dans les villages des parents des enfants qui présentent le plus
de malformations congénitales. Les auteurs ne trouvent pas de rapport
direct entre la fréquence des malformations congénitales
et la dose reçue par la mère ou les deux parents, avant la
conception du foetus. Il faut cependant noter que l'étude de la
variation de la dose individuelle dans des zones contaminées a montré
que l'irradiation individuelle peut être jusqu'à 5 ou 6 fois
plus élevée chez certains individus que chez d'autres (Keirim,
Markus et al, 1995).
Tableau 4
Fréquence des malformations congénitales
dans les zones contaminées en Cs 137
Fréquence des malformation
Dose reçue par les mères
congénitales
(1986-1988) en cSv
pour 1000 naissances (1987 à 1989)
0,8 à 1,3
7,02
l,4 à 2,3
8,67
2,4 à 5,2
8,14
Étant donné l'absence de corrélation significative entre la fréquence des malformations congénitales et la dose de rayonnement reçue suite à Tchernobyl, Lazjuk fait l'hypothèse que ses données, en particulier l'augmentation importante des malformations d'origine multifactorielle dans des régions "propres", indiquent que les anomalies du développement embryonnaire dans la population de Belarus ne sont pas seulement causées par le rayonnement. Il évoque. outre les rayonnements ionisants, la possibilité d'autres facteurs additionnels tels qu'un régime alimentaire déficient, l'augmentation des polluants chimiques, l'abus d'alcool des populations en âge de procréer, et autres facteurs.
Cependant. l'augmentation brutale des malformations congénitales
à déclaration obligatoire survenue après 1986 et qui
se poursuit année par année de manière continue depuis
lors, impose à mon avis une interprétation tout à
fait différente. En effet, il faut tenir compte des facteurs suivants:
1. Les régions soi-disant "propres" sont, elles aussi, contaminées
par des radionucléides. Le mythe des régions propres obnubile
beaucoup les chercheurs.
2. La forme des courbes qui expriment la relation dose-effet n'est
pas connue au niveau des très faibles doses reçues d'une
façon chronique. Il semblerait qu'un plateau apparaisse sur ces
courbes. C'est pourquoi, à très faibles doses, la fréquence
des malformations congénitales pourrait ne pas augmenter d'une façon
monotone en fonction de la dose.
3. Le régime alimentaire des populations du Bélarus entre
1986 et 1989 est resté le même malgré les efforts entrepris
pour améliorer l'état de nutrition des habitants des zones
contaminées.
4. Durant ces années l'économie a été en
crise et la quantité des polluants émis par l'industrie a
baissé par la force des choses alors que les malformations congénitales
ont continué à augmenter.
Ces arguments permettent de considérer que l'augmentation dramatique des malformations congénitales est indiscutablement une conséquence des retombées radioactives de Tchernobyl. Le désaccord entre les observations de Lazjuk et al et celles faites sur les enfants japonais dont les parents ont souffert des bombardements atomiques semble être dû à des conditions d'irradiation totalement différentes qui ont résulté du désastre de Tchernobyl et des explosions atomiques.
Etant donné que l'ensemble du territoire de Bélarus est contaminé, le groupe témoin a été choisi au Royaume-Uni et comporte 105 familles. Les mutations des bandes minisatellites sur les chromosomes étaient deux fois plus fréquentes chez les enfants des régions contaminées de Moguilev que chez ceux du Royaume-Uni.
Par ailleurs le nombre total des mutations minisatellites s'est avéré 1.5 fois plus élevé pour les enfants des zones les plus contaminées par le Cs 137, par rapport à celui des zones moins contaminées. Ainsi il a été trouvé que la fréquence des mutations est corrélée au niveau de contamination du sol[5]
Cette étude amontré un doublement statistiquement significatif de la fréquence des mutations dans les cellules germinales des parents exposés aux radiations. Il faut noter qti'il s'agit d'une augmentation tout à fait inattendue de la mutabilité causée par des radiations ionisantes, Neel (1990) estime que la dose qui induit un doublement des mutations au niveau des cellules germinales dans une population humaine, avec répercussions graves sur la santé des descendants, correspondrait à 1 Gy.
Quelles doses ont reçu les habitants de la région de Moguilev entre 1986 et 1994? Les valeurs précises sont inconnues. Cependant, d'après les évaluations effectuées au Bélarus (Kenigsberg. Minenko 1996) l'équivalent de dose individuelle dû à l'irradiation interne et à l'irradiation externe n'est pas supérieur à 5 mSv par an (0,5 rem). La dose accumulée sur 9 ans équivaudrait donc à 45 mSv ou 4,5 rem. Ceci est une dose très faible comparée à la valeur de la dose de doublement pour les cellules germinales humaines estiméeà 1 Gy (l00rad).
Les auteurs Dubrova et al suggèrent que, ou bien les doses reçues ont été sous-estimées [6], ou bien des doses faibles mais chroniques sont des inducteurs de mutations bien plus efficaces que des doses fortes reçues pendant un temps bref. Cependant, même si la dose effectivement reçue a été sous-estimée, une dose très faible serait capable d'induire un doublement des mutations. Depuis longtemps je développe l'hypothèse qu'une exposition chronique qui combine à la fois irradiation externe et irradiation interne par les radionucléides, induit beaucoup plus d'effet sur le génome qu'une simple irradiation aiguë ou chronique (Goncharova, Riabokon, 1995; Goncharova, 1996).
L'augmentation significative de la fréquence des malformations congénitales et de la pathologie génétique rencontrée chez les enfants de la première génération née de parents irradiés (Lazjuk et al, 1996) de même que l'augmentation de la fréquence des mutations dans les cellules germinales (Dubrova et al, 1996), pour des équivalents de doses efficaces faibles qu'auraient reçus les parents (0,8 à5,2 cSv selon Lazjuk et al, 1996), indique que les retombées radioactives de Tchemobyl induisent des mutations à très faibles doses.
On est forcé d'admettre que les doses de doublement des mutations, calculées à partir des données d'irradiation aiguë, sont beaucoup plus élevées que celles calculées à partir des effets génétiques par des doses faibles et chroniques. En conséquence, quand on veut estimer le risque génétique induit par la catastrophe de Tchernobyl, il ne faut pas se baser sur les données japonaises.
Les observations à long terme effectuées par T. Nomura
(1984,1988,1996) sur la souris montrent que:
a) les radiations induisent des mutations entraînant des anomalies
phénotypiques (anomalies héréditaires à transmission
transplancentaire) dans les cellules germinales.
b) l'apparition de ce type de mutations est de 4 à 40 fois plus
fréquente que d'autres types de mutation.
c) la sensibilité des cellules germinales des souris serait
comparable à celle des humains en ce qui concerne les mutations
phénotypiques.
En tenant compte de ces observations et de la radiosensibilité accrue des générations successives de mammifères aux mutations induites par les radionucléides qu'ont mis en évidence nos propres travaux ainsi qu'au vu de quelques autres considérations. j'estime que suite à Tchernobyl, (du fait de l'irradiation constante de plusieurs générations), la fréquence accrue des défauts héréditaires chez les enfants va persister dans la génération irradiée actuelle et au-delà de 1996, mais va augmenter dans les générations futures jusqu'à ce qu'elle atteigne l'état d'équilibre (Goncharova 1996).
Effets génétiques dans les cellules somatiques
Nos études et celles d'autres chercheurs montrent que dans les zones contaminées, une irradiation chronique induit dans différentes espèces animales, des effets mesurables de lésions cytogénétiques dans les cellules somatiques, pour des doses absorbées extrêmement faibles (de 4 à 40 millionnième de Gy par cycle cellulaire chez les campagnols roussâtres de Suède, d'après Cristaldi et al, 1991).
De nombreux travaux ont montré que l'augmentation de la fréquence des atteintes cytogénétiques des cellules sanguines pendant plusieurs années, est caractéristique des habitants des territoires contaminés. Ainsi est révélée l'existence d'une augmentation de la mutabilité au niveau des cellules somatiques persistant très longtemps chez les mammifères comme chez les personnes exposées à une irradiation chronique à faible dose. Aucune extrapolation ne permettait de prédire de tels résultats.
On sait que la radiosensibilité des mammifères et des humains est très voisine. Compte-tenu de l'augmentation de la radiosensibilité chez les animaux au cours des générations successives, mentionnée ci-dessus, on peut penser que que l'augmentation de la fréquence de divers types d'altérations cytogénétiques dans les cellules somatiques des habitants des régions contaminées, va persister encore très longtemps après 1996. Etant donné que les aberrations chromosomiques constituent un test permettant de faire un pronostic, on peut s'attendre à une augmentation de différents types de mutations (gènes, viabilité des mutations, etc.).
Les conséquences de cette augmentation permanente du niveau de la mutabilité des cellules somatiques des êtres vivants seront discutées ci-après.
Différentes explications peuvent être avancées concernant l'augmentation de la morbidité dans les populations exposées à une irradiation chronique supplémentaire. Une augmentation des altérations cytogénétiques a été constatée au niveau des cellules somatiques des habitants de ces régions contaminées. On ne connaît pas encore l'effet sur la santé de l'augmentation de la fréquence de ces différents types de mutations des cellules somatiques.
Actuellement cependant, de plus en plus d'informations s'accumulent concernant la contribution de ces mutations à l'apparition de maladies telles que l'athérosclérose, les cardiopathies, le diabète, l'emphysème, etc. Cela rend plausible l'hypothèse d'une relation entre l'augmentation de la mutabilité des cellules somatiques et l'accroissement de la morbidité et la réduction de la résistance des populations sous l'influence de divers l'acteurs de stress. En ce sens l'irradiation supplémentaire des habitants des zones contaminées est un facteur favorisant une augmentation de leur sensibilité face à quelque phénomène pathologique que ce soit.
En conclusion, j'estime que l'augmentation de la morbidité des habitants vivant dans les régions contaminées par les radionucléaides est la conséquence de l'irradiation chronique par de faibles doses de radiations (Goncharova, 1996).
Références
En cours de correction...
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Notes Gazette
Nos remerciements au Pr. Michel Fernex et à Solange Fernex pour
l'aide apportée, tant dans la traduction du rapport de R. Goncharova
que pour les informations inédites qu'ils nous ont communiquées
de retour de Bélarus.
[1].Voir la discussion dans la Gazette Nucléaire
157/158, mai 1997. p. 26-27 et 30. Les nourrissons exposés nés
de mères vivant dans des zones très contaminées ont
montré une incidence de leucémie plus élevée
que dans les zones moins contaminées.
[2]. La Commission Internationale de Protection Radiologique
(CIPR) dans sa publication 60(1991) indique d'une façon explicite
et sans ambiguïté que la relation est sans seuil (article 100).
Voir la Gazette Nucléaire 117/118, août 1992.
[3]. Alors que Hatch et al concluent que «l'ensemble
de nos résultats n'apporte pas d'arguments convainquants [pour
en déduire] que les radiations émises par le réacteur
de Three Mile Island ont influencé le risque de cancer pendant la
période limitée du suivi effectué», au contraire
pour Wing et al «nos résultats appuient
l'hypothèse d' une relation entre les doses de rayonnement
[accidentelles] et l'augmentation de l'incidence de cancers autour
de TMI». Dans leur réévaluation qui reprend
les données antérieures de Hatch et al sont citées
des analyses cytogénétiques qui ont été effectuées
récemmcnt à leur demande par le généticien
russe Chevtchenko (de l'institut Vavilov de Moscou) sur 29 résidents
autour de TMI et les doses sont estimées entre 600 et 900 mGy. Pour
ces auteurs Hatch et al ont été influencés
par le fait que les doses reçues étant supposées très
faibles il ne pouvait pas y avoir d'effet. Déjà en 1981 lors
du colloque Énergie et Société qui s'est tenu à
Paris à la maison de l'UNESCO (16-18 sept., organisé par
le Groupe de Bellerive, Genève) le Pr. Karl Morgan, ancien Président
de la CIPR. avait mis en doute les mesures officielles de dose qu'il considérait
comme sous-estimées car nombre de détecteurs avaient été
saturés lors de l'accident. La controverse est très rude
car des habitants sont en procès avec les propriétaires de
la centrale.
Hatch et al ont publié une étude sur l'augmentation
de l'incidence de cancer et l'influence du stress (relié à
la proximité du lieu de résidence par rapport à la
centrale) (Am.J. Public Health 199;81: 719-724). Dans leur conclusion on
peut lire: «Dans une analyse examinant les taux de cancer en fonction
de la proximité à la centrale nucléaire de Three Mile
Island nous avons obsservé une modeste augmentation post-accidentelle
au voisinage de TMI qui ne peut probablement pas s' expliquer par les émissions
de radiations (...)»
[4]. Se reporter à la Gazette Nucléaire
157/158, mai 1997, p. 23
[5]. Soulignons que cette partie de l'étude ne nécessite
pas de groupe témoin, elle classe les enfants des 79 familles de
Belarus en deux sous-groupes en fonction du niveau de contamination du
lieu de résidence des parents et compare le nombre des mutations
observé.
[6]. Gazette Nucléaire 157/158, mai 1997, p. 25.
Les auteurs signalent aussi le rôle possible de l'exposition initiale
aiguë à l'iode 131, la dose à la thyroïde dans
les districts ruraux de Moguilev serait de 0,185 gray (18,5 rad).