Pandore, c'était la Première Femme.
Son beau-frère, Prométhée, celui qui réfléchit
avant, s'était déjà fait remarquer tandis que l'Olympe
se réservait l'usage du feu du ciel, électrique celui-là,
il avait transmis aux hommes les secrets du feu ordinaire. Pandore, elle,
s'est signalée en ouvrant par curiosité la jarre où
Prométhée avait enferrné tous les maux de la Terre...
A quoi jouent donc les ingénieurs d'EDF qui, après une parenthèse
de vingt ans, reprennent l'étude des piles à combustible?
En veulent-ils à la solidarité du réseau en aidant
à développer des moyens qui pourraient signifier «à
chacun son énergie», ou bien veulent-ils l'encombrer à
l'étouffer de petites sources sans nombre et sans contrôle
possible ? Ne vont-ils pas, comme Pandore, ouvrir la jarre ? La curiosité
sera-t-elle donc toujours un vilain défaut et puis, de toutes façons,
la croyance dans les mirobolantes promesses techniques des piles relève-t-elle
pas du mythe?
Le feu ordinaire produit de la chaleur car on laisse
les électrons s'agiter en désordre au sein des atomes qui
réagissent chimiquement. Dans une pile, on leur impose de se laisser
conduire sagement à travers un circuit électrique, pendant
qu'on transfère le reste de la matière sous forme ionisée
à travers un électrolyte. On a là un moyen de produire
de l'électricité sans machine thermodynamique et en évitant
le sempiternel rendement de Camot. Faute d'effort et de continuité,
l'objet restera-t-il l'apanage des dieux et voué seulement aux oeuvres
de la curiosité scientifique?
Comment ça marche?
On part de deux produits comme l'hydrogène et l'oxygène,
ou l'oxyde de carbone et l'oxygène capables de réagir entre
eux en libérant une énergie importante. On place entre deux
électrodes conductrices électroniques un électrolyte,
milieu ne conduisant pas les électrons, mais capable d'assurer sous
forme de matière ionisée, c'est-à-dire chargée
électriquement, le transfert d'un des produits de réaction.
Au lieu d'engendrer de la chaleur comme dans une réaction chimique
directe plus ou moins irréversible, on procède en deux temps:
chacun des produits est amené à l'interface entre l'électrolyte
et une électrode; l'un est chargé positivement ou négativement,
en échangeant des électrons avec une première électrode;
ainsi chargé, il est transféré directement ou indirectement
sous forme d'ions à travers l'électrolyte et il rencontre
à l'autre interface le deuxième produit, intervient alors
une réaction électrochimique d'oxydation du combustible accompagnée
de l'échange d'électrons inverse de celui de la première
électrode. Ainsi, l'énergie potentielle de la réaction
globale se transforme, via un transfert d'électrons à travers
un circuit extérieur, directement en tension et courant continus,
qu'on peut ensuite convertir en courant alternatif dans une interface électronique.
Processus bien sûr imparfait dans la mesure où la conception
et l'optimisa-tion d'une pile impliquent:
- que l'on favorise la vitesse des réactions aux interfaces
grâce à un catalyseur plus ou moins précieux afin d'éviter
qu'une polarisation électrique contraire ne bloque les réactions;
- que l'on minimise les pertes par résistance interne qui se
manifestent par un échauffement de l'électrolyte et des électrodes,
et qui engendrent la chaleur récupérable;
- que l'on traite parfois le combustible avant son introduction dans
la pile (on dit le «reformer») pour le transformer en produits
plus simples à utiliser (H2, CO) et qu'on le gère dans la
pile pour réduire les imbrûlés.
Les piles en développement utilisent toutes,
côté électrode positive, l'oxygène de l'air.
Il faut donc une électrode à air, en général
constituée d'un matériau poreux, mais conducteur électronique,
assurant le contact triple du gaz, des ions arrivant ou partant dans l'électrolyte
et des électrons arrivant du circuit. Cette triple fonctionnalité
est un des points les plus délicats du fonctionnement des piles.
La technologie de réalisation des électrodes doit permettre
à cette fonction de trouver le maximum possible de sites de réaction
dans un minimum de volume et de surface d'accès. Et c'est bien sûr
là que doit agir le catalyseur.
Les électrolytes donnent leur nom (anglais)
aux filières. Dans les deux premières on conduit des ions
H+ vers la positive, où se forme de l'eau:
Que s'est-il passé dans le domaine
Depuis le milieu des années 80, le développement
des diverses filières a pris un nouvel élan dans le monde,
au point qu'un nombre croissant d'acteurs économiques, fournisseurs
d'énergie, fabricant de matériel de production, grands chimistes,
organismes de recherche et développement se sont impliqués
dans des stratégies de développement industriel ou d'utilisation;
l'Europe, les Etats-Unis et le Japon dépensent chacun en recherche
et développement de 300 à 500 millions de francs par an.
Le Japon projette d'installer, d'ici l'an 2000 2GW de piles PAFC, qui sont
au stade des séries précommerciales au niveau 200 kWé;
une pile prototype de 5 MWé fonctionne à Amagasaki, une autre
de 1 MWé à Milan; à Santa Clara en Californie, une
pile MCFC de 2 MWé a commencé ses essais.
La pile à combustible, inventée par
W. Grove en 1889, a fait l'objet de recherches importantes dans les années
60, en particulier pour l'espace. Mais les durées de vie restaient
bien en deçà de mille heures. On obtient aujourd'hui, selon
les filières de 2000 à 15 000 heures, ce qui constitue un
progrès très significatif; on n'atteint pourtant pas encore
les seuils souhaités pour une production d'électricité
sur période longue (de 25 000 à 50'000 heures pour le coeur
de pile, qui doit pouvoir être remplacé indépendamment
des auxiliaires, par exemple tous les cinq à dix ans) et des travaux
importants sont encours. Dans le même temps les densités de
courant sur les électrodes gagnaient un facteur 5 à 10 augurant
d'une bien meilleure compacité et d'un coût accessible à
terme.
La Direction des études et recherches (DER/EDF)
a lancé en 1990 une action de veille technologique qui a alimenté
la décision du comité technique d'EDF de septembre 1994;
il est temps de reprendre à EDF une évaluation active et
ouverte des piles, des facteurs limitants et des services auxquels elles
pourront être associées; cela pourra passer par le codéveloppement
dans le cas des filière «haute température» perçues
comme les plus prometteuses.
Cette action est amorcée par le Groupe «Moyens
électrochimiques de stockage et de production d'énergie»
au Laboratoire DER des Renardières et des partenariats ont été
établis, notamment avec le projet Européen Joule mené
par Siemens, avec la participation de GEC Alsthom.
Les qualités qu'on prête aux piles...
L'originalité du processus de production
par pile à partir de dif-férents combustibles peut se résumer
en trois points:
1) en cogénération de la centaine de kWé à
quelques MWé, des sites tertiaires alimentés en gaz (grands
hôtels, hôpitaux, complexes commerciaux, ensembles de bureaux)
les PAFC, d'un rendement électrique moyen mais déjà
en cours de commercialisation pour la cogénération, viendront
d'abord, suivies des MCFC au rendement supérieur, après l'an
2000. La chaleur produite hors saison de chauffe peut être commuée
en froid par des machines à absorption (Japon);
2) en réseau isolé collectif petites îles, villages
ou petites villes, par exemple dans les DOM, sites de montagne, villes
enclavées... La valorisation de la chaleur, soit directe, soit pour
la production de froid, est à examiner cas par cas. Le foisonnement
des charges doit être suffisant pour assurer une utilisation assez
continue de la pile. Les filières MCFC d'ici 10 ans, SOFC ensuite
seraient les plus appropriées par leur capacité à
accepter les combustibles disponibles sur le terrain gaz naturel, gaz de
décharge ou biogaz, gaz de charbon, flouls légers divers.
La modularité des piles et leur haut rendement dès les petites
tailles permettraient une extension progressive de la puissance installée
au fur et à mesure de l'accroissement de la demande et une incidence
réduite des indisponibilités fortuites.
3) en réseau interconnecté (postes-sources par exemple)
des unités de puissance moyenne (quelques MWé à quelques
dizaines de MWé) pourraient être implantées au sein
même d'une zone de consommation; la chaleur produite pourrait desservir
des besoins industriels ou un réseau local. Pour une implantation
décentralisée, une «économie de développement
réseau» (report d'investissements de desserte du poste-source,
économies sur réseaux en amont, bilan de coûts de défaillance
et pertes) est à prendre d'autant plus en considération que
les conditions locales conduiraient à des renforcements par liaisons
enterrées, de grande longueur ou de coût élevé
et que le caractère N-modulaire des piles tend à assurer
la disponibilité de N-1 modules. L'usage industriel direct de courant
continu et de chaleur de process avec les piles MCFC et SOFC à haute
température, est à considérer.
4) en réseaux insulaires, souvent «hors gaz», à
partir de méthanol ou de fiouls légers, aux mêmes échelles
que dans le cas précédent; selon les lieux, le désir
d'adaptation à des combustibles divers et de valorisation de l'électricité
poussera vers les MCFC et SOFC à haute température en raison
de leur haut rendement électrique et de leur tolérance aux
combustibles carbonés; la prédominance du besoin de chaleur
poussera vers les PAFC aux performances électriques plus modestes,
si leur encombrement est acceptable dans le contexte d'utilisation et si
l'on dispose d'un système de reformage/épuration de combustible
suffisamment efficace.
Des scénarios où des piles réversibles interviendraient
dans un recours à grande échelle au vecteur hydrogène
n'ont de vraisemblance que dans un contexte de forte hausse des hydrocarbures.
L'utilisation de piles de petite taille pour des
charges domestiques (faibles durées d'appel) ne peut se concevoir
qu'avec une revente très majoritaire au réseau de l'électricité
produite, notamment lors des appels de pointe et à condition de
satisfaire par la cogénération de chaleur les besoins locaux
de chauffage.
Menaces ou opportunités?
Ayant entrepris de vérifier la vraisemblance
technique de tels scénarios, qui d'ailleurs s'interpénètrent,
EDF peut leur opposer des objections classiques; il faudra bien recourir
au réseau en cas de panne; les sources de petite taille ne rendent
pas à ce dernier des services comparables à ceux d'unités
de grande taille; à quoi bon réduire les impacts du développement
du réseau électrique si c'est pour accroître ceux du
réseau gaz ?.... Mais il faut aussi apprécier les chances
de développement ou de promotion de telles sources, dès lors
qu'elles pourraient être maîtrisées pratiquement par
l'usager lui-même; et pour cela, évaluer les services qu'elles
sont à même de rendre en complémentarité du
réseau, au-delà de la cogénération:
Conclusion provisoire en avenir incertain
Il n'est pas certain que les piles à combustible
tiennent entièrement leurs promesses - elles se heurteront en tout
cas à la forte concurrence des moteurs et turbines divers qui progressent,
eux aussi - et qu'elles ne comportent aucun risque pour le distributeur
qu'est EDF, surtout si leur introduction avait lieu sans un minimum de
cohérence. Mais les bienfaits d'une réflexion élargie
sur le rôle que de telles sources pourraient jouer dans les réseaux
de distribution ou en dehors, sur les services nouveaux associés
et les attentes de la clientèle et des partenaires locaux ne fait
guère de doute. Il s'agit de préparer l'avenir en devenant
«accoucheurs» de systèmes électriques nouveaux
et en travaillant à les rendre compatibles entre eux et avec les
missions de service public.
L'adéquation du service global fera de plus
en plus partie du cahier des charges. Et le besoin d'électricité
sera peut-être moins uniforme à l'avenir il faudra assurer
des dessertes locales à fréquence variable, à qualité
de tension adaptée.. .A condition d'anticiper, les piles peuvent
devenir un outil fécond d'élargissement des métiers
et services d'EDF autour de son produit principal.
Au fond de la jarre de Pandore, Prométhée,
le pré-voyant, avait placé une autre boîte; elle contenait
l'espérance.