GAZETTE NUCLEAIRE
Le carbone 14 des combustibles irradiés

- Situation du carbone 14 dans les rejets liquides et gazeux des usines UP2 et UP3 -
André GUILLEMETTE 13 avril 1998

Avertissement : Cette fiche sur le carbone 14, rédigée en novembre 1997, a été publiée en 1ère version dans le n°39-4ème trimestre 1997 de la revue L'ACROnique du nucléaire. Cette 2ème version intègre notamment les données Cogéma fournies en janvier 1998 dans le cadre des travaux de la commission , la synthèse IPSN sur le carbone 14 [BEA 97] et l'exploitation de documents anglais traitant des rejets du site de Sellafield.

1- Préambule :
    Dans l'option retraitement des combustibles irradiés et dans le cycle retenu actuellement pour les combustibles issus de réacteurs à eau pressurisée (PWR) ou à eau bouillante (BWR), 4 radioéléments sont pratiquement rejetés intégralement dans l'environnement, il s'agit du tritium, du carbone 14, du krypton 85 et de l'iode 129.
    Parmi ces rejets majeurs le carbone 14, retenu comme radionucléide ayant une incidence significative dans les trois études d'impact du site Cogéma Hague, ne fait l'objet d'aucune analyse radioécologique. Les rejets gazeux de carbone 14 des usines de ce site ne sont publiés que depuis 2 ans (la première usine fonctionne depuis 1966), seule l'année 1996 fait l'objet d'une publication des 2 types de rejets, liquides et gazeux.
    Des potentiels en carbone 14 des combustibles retraités aux usines de la Hague ont été publiés en janvier 1988 dans le cadre des travaux de la commission Sugier chargée de dresser le bilan radioécologique des usines Cogéma du cap de la Hague.
    Les rapports du Comité Scientifique des Nations Unies sur l'Effet des Radiations ionisantes (UNSCEAR) soulignent l'impact majeur du carbone 14 dans l'option retraitement, cet aspect est aussi retenu par l'OPRI dans son bilan des contrôles et mesures dans la région de la Hague du 26 mars 1997 : " Pour ce qui concerne le carbone 14, l'incertitude sur les effets est moindre, mais l'incertitude est plus grande en ce qui concerne l'exposition du public. Actuellement ce radioélément ne fait pas l'objet d'un contrôle réglementaire…(cette situation n'est pas totalement satisfaisante en ce qui concerne l'exposition à proximité des émissaires).
    En effet, la majorité des éléments dont nous disposons montre que l'impact local est sous-évalué…".
    En l'absence d'étude environnementale publiée sur le sujet, nous nous proposons d'effectuer une présentation synthétique des données accessibles et de donner une estimation des rejets et de leur impact sur une population critique (proche du site) par calcul à partir de données référencées.

2- Caractéristiques radiotoxicologiques du carbone 14 :
- groupe de radiotoxicité 3
- émetteur b, énergie moyenne 49,4 keV, énergie maximale 156 keV
- période 5730 ans (+/- 40ans)
- limites réglementaires annuelles et limites dérivées pour le public dans la réglementation française actuellement en vigueur (annexe IV du décret 66-450 du 26 juin 1966 modifié par décret 88-521 du 18 avril 1988) :
· ingestion 9 millions de Bq  limite dérivée de concentration dans l'eau = 9000 Bq/l (consommation d'un individu standard @ 1000l/a)
· inhalation 9 millions de Bq  limite dérivée de concentration dans l'air, LDCA # 1200 Bq/m3 (inhalation d'un individu standard @ 7300 m3/a)
- valeur à l'équilibre dans l'environnement du carbone 14 dans le carbone naturel (carbone 12) 0,23 Bq/g [OMS 87]
- dose efficace due au carbone 14 naturel à l'équilibre dans l'environnement:
     0,23 Bq/g  13 mSv/a (1,3 mrem/a), [GAL 82] et [OMS 87]
ou 0,23 Bq/g 16 mSv/a (1,6 mrem/a)
    La 2ème donnée tient compte du coefficient de la CIPR 60 retenu par la Directive Européenne de mai 1996:
1 Bq de carbone 14  5,8E - 10 Sv/Bq

3- Comparaison des rejets déclarés par Cogéma en 1998 et des rejets calculés (cf §3;2.2) d'après les données l'UNSCEAR de 1977 et de 1993:

3.1 Activité potentielle de carbone 14 dans les combustibles PWR retraités dans les usines Cogéma de la Hague, comparaison des activités déclarées par Cogema [HAGO 0065 97 02425 01] et des activités potentielles calculées à partir des données UNSCEAR 1977 et 1993

année
retraitement
tonnage
retraité (t)
taux de combustion moyen (MWj/t)
carbone 14 calcul Cogema 1998 (TBq)
carbone 14 calcul d'après [UNS 77] (TBq)
carbone 14 calcul d'après [UNS 93] (TBq)
ratio [UNS 93]
/Cogéma 1998
1976
14,6
15722
0,143
0,190
0,756
3,97
1977
18
28081
0,298
0,419
1,666
5,59
1978
38,2
27271
0,621
0,864
3,433
5,53
1979
79,4
20393
0,990
1,343
5,337
5,39
1980
104,9
20984
1,36
1,826
7,256
5,33
1981
101,3
25422
1,47
2,136
8,488
5,77
1982
153,5
21093
1,99
2,686
10,672
5,36
1983
221,3
23215
2,96
4,262
16,935
5,72
1984
255
21482
3,46
4,545
19,527
5,64
1985
351
27769
5,82
8,086
32,129
5,52
1986
333
22727
4,79
6,279
24,947
5,20
1987
425
24943
6,52
8,795
34,944
5,36
1988
346
22077
4,96
6,337
25,179
5,07
1989
460
25657
7,49
9,792
38,904
5,19
1990
525,7
25527
8,31
11,134
44,235
5,32
1991
662,5
30511
11,6
16,771
66,631
5,74
1992
672,5
26726
10,7
14,912
59,246
5,53
1993
955
24657
14,8
19,537
77,626
5,24
1994
1276
29437
22,3
31,164
123,816
5,55
1995
1559
30519
27,5
39,196
156,838
5,77
1996
1681
28102
28,6
39,194
155,718
5,44
Tableau n°1
potentiels de carbone 14 dans les combustibles PWR
retraités par Cogéma de 1976 à 1996

Ces données peuvent être visualisées par les courbes ci-dessous :

Graphique n°1

Le rapport des calculs UNS93/ Cogéma 98 est @ 5,5 alors que celui des calculs UNS77 / Cogéma 98 est @ 1,4.
    Pour appréhender la pertinence de nos calculs d'après UNSCEAR 77 et 93, nous pouvons effectuer la comparaison des valeurs calculées des potentiels d'iode 129.

année 
retraitement
tonnage 
retraité (t)
taux de combustion moyen (MWj/t)
iode 129 calcul Cogéma 1998 (TBq)
iode 129 calcul d'après [UNS 93] (TBq)
ratio [UNS 93] 
/Cogéma 1998
1976
14,6
15722
0,008
0,011
1,37
1977
18
28081
0,017
0,024
1,41
1978
38,2
27271
0,035
0,049
1,40
1979
79,4
20393
0,055
0,076
1,38
1980
104,9
20984
0,074
0,103
1,39
1981
101,3
25422
0,086
0,121
1,40
1982
153,5
21093
0,110
0,152
1,38
1983
221,3
23215
0,173
0,242
1,40
1984
255
21482
0,187
0,258
1,38
1985
351
27769
0,333
0,459
1,38
1986
333
22727
0,259
0,356
1,39
1987
425
24943
0,362
0,499
1,38
1988
346
22077
0,262
0,359
1,37
1989
460
25657
0,407
0,555
1,36
1990
525,7
25527
0,460
0,632
1,37
1991
662,5
30511
0,686
0,951
1,38
1992
672,5
26726
0,613
0,846
1,38
1993
955
24657
0,808
1,108
1,37
1994
1276
29437
1,280
1,768
1,38
1995
1559
30519
1,620
2,240
1,38
1996
1681
28102
1,620
2,224
1,37
Tableau n° 2
potentiels d'iode 129 dans les combustibles PWR
retraités par Cogéma de 1976 à 1996

Graphique n°2

    Ce graphique montre, comme pour le carbone 14, la similitude (homothétie) des données potentielles d'iode 129 calculées par Cogéma et celles calculées à partir de [UNS 93], le rapport UNS93/Cogéma 98 est relativement constant et @ 1,4 (identique au rapport UNS77/Cogéma pour le carbone 14).
    Notre mode de calcul est donc voisin du modèle utilisé par Cogéma, nous différons par les données d'entrée :
    Cogéma prend en 1998 un taux potentiel standardisé de 0,42 TBq/GWe.a pour le carbone 14 et 0,030 TBq/GWe.a pour l'iode 129 (taux reconstitués)
    UNSCEAR dans son rapport 1993 donne un taux potentiels de 2,94 TBq/GWe.a pour le carbone 14 et 0,042 TBq/GWe.a pour l'iode 129.
    Cogéma, dans ces publications récentes sur le carbone 14, ne cite pas de référence documentaire, ses dernières références bibliographiques remontent à UNSCEAR 1977 (voir références Cogéma in fine, bibliographie).
    La publication IPSN "Étude bibliographique sur le Carbone 14" [BEA 97] donne d'ailleurs une synthèse des valeurs standardisées de rejet atmosphérique pour des combustibles PWR qui sont comprises entre 0,45 [UNS 77] et 0,75 TBq/GWe.a [NRP 81], alors que Cogéma (1998 sans référence) prend une valeur normalisée de 0,23 TBq/GWe.a pour le rejet atmosphérique. Nous prendrons dans la suite du texte des valeurs référencées publiées [UNS 77], soit 0,6 TBq/GWe.a pour le rejet liquide;
    Outre l'absence de référence bibliographique pour les données publiées en janvier 1998, la répartition gaz/liquides dans les rejets déclarés ne correspond pas aux dernières publications du NRPB sur le sujet :

année
rejet liquide (TBq)
rejet gazeux (TBq)
ratio gaz/liquide
1982
1
9,53
9,5
1983
1
7,33
7,5
1984
0,7
7,33
10,5
1985
1,3
7,33
5,6
1986
2,6
5,74
2,2
1987
2,1
9,83
4,7
1988
3
3,63
1,2
1989
2
4,22
2,1
1990
2
4,1
2
1991
2,4
5,79
2,4
1992
0,8
2,52
3,1
total
18,9
67,35
48,7
Tableau n°3
Sellafield, rejets de carbone 14 d'après NRPB-R276 - 1995
    Selon ces mesures de rejet publiées par le NRPB, les rejets gazeux d'une usine de retraitement sont @4 fois supérieurs aux rejets liquides, pour les 11 dernières années communiquées (jusqu'à une facteur 32 en 1976). Il est à noter que les publications du NRPB s'appuient sur des rejets mesurés, alors que Cogéma donne ses valeurs de rejet à partir d'un code de calcul non communiqué. En 1996 le ratio gaz/Liquide Cogéma est de 1,25.

3.2 Comparaison des données 1996 de Cogéma avec les valeurs calculées d'après [UNS 77] et [BEA 97]
3.2.1 rejets déclarés par Cogéma :
Liquides 9,94 TBq de carbone 14
Gazeux 12,40 TBq de carbone 14

3.2.2 rejets calculés à partir de [UNS 77] :
données d'entrée:
     1681 t de combustibles PWR retraitées en 1996 [COG 97 et 98]
     taux de combustion moyen 28102 LWj/t [COG 98]
     rejet gazeux moyen 0,6 TBq par GWe [BEA 97]
     rejet liquide moyen 0,15 TBq par GWe [BEA 97]
formule employée:
                    mémento CEA             taux de combustion               tonnage
                       1995 moyen                       1996                             1996
                                                                                                
rejet annuel = rejet moyen (TBq.GWe)x __0,925 GWe__  x 28102MWj/t x 1681t/a
                                                                33'000MWj/t x 25t
nota : cette formule appliquée aux rejets tritium est cohérente avec les valeurs de rejets tritium déclarés par Cogéma
RÉSULTATS
rejet gazeux calculé 31,78 TBq (déclaré 12,40 TBq) donne un rapport calculé / déclaré = 2,56
rejet liquide calculé 7,94 TBq (déclaré 9,94 Tbq) donne un rapport calculé  / déclaré = 0,8
déclaré
    Si les données de base sont satisfaisantes, il y a sous-évaluation importante des rejets gazeux;

4 - Le carbone 14 à l'échelle de la planète [JEA 82] :
- production naturelle annuelle
110 Tbq/a à 1480 TBq/a (30000 à 40000 Ci/a)
- réserve atmosphérique + biosphère + océans + sédiments
11,1 millions de TBq (300 millions de Ci) dont 140000 TBq (3,8 millions de Ci) dans l'atmosphère.
    Ces données sont à comparer aux rejets estimés de carbone 14 dans l'environnement, pour l'année 1996, des usines de la Hague [UNS 77] :
40 TBq (1100 Ci)
soit # 1/40 de la production annuelle à l'échelle de la planète, dans un rejet "local".

5 - Production du carbone 14 dans les combustibles PWR :
    Les réactions à l'origine de la création de carbone 14 dans les combustible PWR ou BWR sont majoritairement des réactions (n,a) avec l'oxygène 17 présent dans les combustibles et des réactions (n,p) avec l'azote 14 présent à l'état d'impuretés dans les combustibles [AEN 80] , [OMS 87] et [BEA 97].
    La production de carbone 14 dans les combustibles varie considérablement en fonction de la concentration d'impuretés qu'ils contiennent et cette production varie pour une même concentration selon les sources bibliographiques citées par [BEA 97], principalement [bonka 1980] et [NCRP 1981] :
    pour l'azote 14:
6ppm   0,596 TBq/GWe.a
          10ppm  0,289; 0,475 ou 0,478 TBq/GWe.a
          20ppm  0,503; 0,581 ou 0,814 TBq/GWe.a
          25ppm  0,592 TBq/GWe.a
pour l'oxygène 17, le taux standardisé de production de carbone 14 varie de 0,148 à 0,167 TBq/GWe.a
    Les concentrations en azote 14 dans les combustibles varient entre 3 et 50 mg/g, la valeur moyenne retenue est de l'ordre de 25 mg/g, dans ce cas, les taux moyens de production sont de 0,60 TBq/GWe.a pour l'azote 14 et 0,15 TBq/GWe.a pour l'oxygène 17 soit une taux de production standardisé de 0,75 TBq/GWe.a.
    Dans cette hypothèse :
20% dû à l'oxygène 17
80% dû à l'azote 14
nous retrouvons un potentiel de carbone 14 identique aux données [UNS 77]
    Cogéma, pour ses estimations 1998, prend des hypothèses de production de carbone 14 différentes :
60% dû à l'oxygène 17
40% dû à l'azote 14
avec un taux d'impuretés en azote 14 de 8,6 ppm
    En l'absence de référence bibliographique validée étayant les hypothèses Cogéma, nous retiendrons dans la suite du texte les valeurs moyennes retenues par [UNS 77] et [BEA 97]. Les données [UNS 93] sont écartées, les taux standardisés de carbone 14 de ce document proviennent de données anglaises : Sellafield 1985/1989, à cette période l'usine anglaise ne retraite que combustibles MAGNOX réputés pour avoir un potentiel de production de carbone 14 trois à quatre fois plus importants que les combustibles PWR ou BWR.
    Notre hypothèse est en concordance avec les prévisions de production de carbone 14 gazeux estimées par Cogéma dans toutes ses études d'impact :
44 TBq/an pour 1600 tonnes de combustibles PWR retraités (taux de combustion moyen 33000 MWj/t)
    notre estimation conduit à
32 TBq/an pour 1681 tonnes de combustibles PWR retraités en 1996 (taux de combustion moyen 28102 MWj/t).

6 - Le carbone 14 à Sellafield :
    Le manque de connaissances, dû en France à l'absence de contrôle en matière de rejets de carbone 14 du site de retraitement du cap de la Hague, peut être apprécié à partir de l'expérience anglaise en matière de surveillance et de réglementation pour les rejets de ce radionucléide par le site de retraitement anglais de Sellafield.
    Les anglais mesurent leurs rejets gazeux de carbone 14 depuis les années 1970 (voir graphique 3) et leurs rejets liquides à partir de 1984 (voir graphique 4). Les analyses en matière d'impact des radionucléides majeurs les ont conduit à réglementer leurs rejets (par radionucléide) à compter du 1er janvier 1988 [GRA 95].

Graphique n°4

    La prépondérance des rejets gazeux de carbone 14 en matière d'impact sur les populations locales a conduit les autorités sanitaires anglaises à fixer une valeur limite de rejet gazeux de carbone 14 à 8,4 TBq/an. L'exploitant a modifié son process en priorisant les rejets liquides : alors que les rejets gazeux étaient 4 fois supérieurs aux rejets liquides dans les années 1982 à 1992 (voir tableau n°3), ils deviennent inférieurs d'un facteur 17 pour les années 1995 et 1996 [RIF 96 et 97].
    La différence en matière de maîtrise du rejet gazeux de carbone 14 entre les sociétés BNFL et Cogéma est illustrée par la figure n°5 ci-dessous, rejets gazeux Cogéma calculés d'après [UNS 77] et [BEA 97].

Graphique n°5

7 - Discussion :
7.1 Le carbone 14 est un des radioéléments les plus connus et les plus mesurés : sa longue période 5730 ans permet de dater les squelettes de nos lointains ancêtres et les vestiges d'organismes vivant dans leur séquence de passage sur terre (jusqu'à 40000 ans avant J.C.).
    Le principe de mesure est basé sur l'équilibre en carbone 14 de la biomasse (animaux et végétaux) avec son environnement, la teneur en carbone 14 étant considérée comme une constante dans le carbone naturel (carbone 12 à 98,892%) depuis plus de 100000 ans, à raison de 1 atome pour mille milliards d'atomes de carbone naturel [LAI 96].
    Lorsque la matière vivante meurt, elle cesse ses échanges de carbone avec la biosphère, et la décroissance du carbone 14 dans un échantillon permet sa datation par mesure de son activité résiduelle, comparée à l'activité normale de ce radionucléide dans la matière vivante : 0,23 Bq/g.
    Malgré ces propriétés très connues et les possibilités d'analyses en France, telles que celles du laboratoire mixte CNRS-CEA de Gif-sur-Yvette, aucune analyse sur la biomasse dans l'environnement du site de retraitement de la Hague n'est effectuée (ou publiée), alors que le carbone 14 serait le radioélément ayant l'impact sanitaire majeur en fonctionnement normal des installations.

7.2 Le carbone 14 est considéré par l'UNSCEAR comme le radioélément ayant l'impact radioécologique majeur pour les populations critiques dans l'option retraitement des combustibles, son impact était considéré comme déterminant dans les rejets gazeux (quoique non différencié du tritium et du krypton 85) dans les trois études d'impact sur le site de retraitement de la Hague.
    La connaissance des rejets de carbone 14 par une usine de retraitement est passée de 0,74 TBq par GWe dans le rapport UNSCEAR de 1977 à 2,94 TBq par GWe dans le rapport UNSCEAR de 1993, seule la Grande Bretagne publie ses rejets pour ce radioélément (depuis 1951). La Cogéma publie ses rejets à partir de 1995 pour les rejets gazeux et 1996 pour les rejets liquides. Un bilan estimé par calcul a été publié par Cogéma en janvier 1998.
    La comparaison des rejets attendus du site de la Hague en 1996, à partir des données [UNS 77], avec les rejets publiés par Cogéma fait apparaître un écart important :

rapport @ 2,5 pour les rejets gazeux

    Ces différences importantes demandent à être explicitées, de tels rejets de carbone 14 induiraient pour les populations critiques un impact de dose de l'ordre de 50 mSv/a (47,66 mSv/a), si l'on fait le calcul d'impact dosimétrique à partir de [OMS 87] (1,2E-6 Sv/a par TBq/a).
    Cette valeur, 50 mSv/a induits par le seul carbone 14, est à reprocher de l'impact maximal pour les individus les plus exposés estimé par Cogéma à 20 mSv/a (0,02 mSv/an) tous rejets confondus, en tenant compte de la réglementation européenne qui fixe l'exposition maximale du public aux rayonnements ionisants artificiels à 1000 mSv/a (1mSv/a).

6.3 Selon l'OPRI, à partir de quelques mesures comparatives effectuées sur des échantillons (notamment feuilles d'arbres) de la Hague et du Vésinet, les valeurs de carbone 14 observées sur les végétaux de la Hague pourraient indiquer un impact maximal de 50 mSv/an [OPR 97-2], nos calculs sont en concordance avec cette estimation de l'OPRI.
    Cette valeur de 50 mSv/an est à comparer aux résultats de l'étude OPRI sur le site de Ganagobie, société Isotpchim spécialisée dans le marquage radiologique de molécules chimiques, dont la carbone 14 : l'autorisation de rejet gazeux maximal de carbone 14 accordée à cette société était de 6,4 GBq/an, ce rejet aurait induit pour les individus habitant autour de l'entreprise une dose de 57 mSv/an [OPRI 95]
    6,4 GBq/an  57 mSv/an à Ganagobie selon [OPR 95]
    31780 GBq/an  50 mSv/an à la Hague rejet calculé [UNS 77] et dose [OPR 97-2]
    12400 GBq/an  10 mSv/an à la Hague selon [COG 97]
    Même en considérant la réduction de l'impact local avec n rejet effectué à partir de cheminées de 100m de hauteur, la réduction des doses induites à la population locale (entre un rejet par cheminées de 100m et un rejet au sol) n'a qu'un facteur de réduction de 30 entre 0,6 et 0,8 Km du point de rejet et 1,5 entre 3 et 4 Km du point de rejet [GAR 1976, page 27].
    Par rapport à ces données, même en prenant un facteur 1/100 pour un conduit de rejet de 100m de hauteur, l'impact du carbone 14 est soit surévalué à Ganagobie, soit sous-évalué pour le site du cap de la Hague :
    Si un rejet de 604 GBq/an au sol induit 57mSv, nous pourrions en déduire qu'un rejet de 31780 GBq/an par une cheminée de 100 induirait un impact de:
57/6,4 x 31780/100 = 283 mSv
    soit l'équivalent de 14 transports aériens Paris/New York, selon le critère médiatique conventionnel de la Cogéma, pour le seul carbone 14. Rappel, un vol transatlantique aérien équivaudrait à l'impact de tous les rejets des installations de retraitement du cap de la Hague si l'on se rapporte à de multiples communications récentes de la Cogéma.
    Outre l'estimation réaliste des rejets et de leur impact dosimétrique (intégration du retour d'expérience anglais), il serait intéressant de déterminer les variations du taux de carbone 14 limités à moins de 8,4 TBq à Sellafield depuis 1988, les anglais s'efforçant de rester très en deçà de cette limite, de 32 TBq en 1976, ils sont arrivés à moins de 1 TBq en 1996 malgré le démarrage de leur 2ème usine de retraitement des combustibles étrangers (Thorp), alors que Cogéma au cap de la Hague, a quartier libre de relargage de carbone 14 gazeux et qu'elle en rejette aujourd'hui plus de 30 TBq/an.

Bibliographie :
[AEN 80] "Importance radiologique et gestion des radionucléides tritium, carbone 14, krypton 85, iode 129 produits au cours du cycle du combustible nucléaire" Rapport établi par un Groupe d'expert de l'AEN - Editeur AEN OCDE - Paris, avril 1980
[BEA 97] " Etude bibliographique sur le carbone 14" - Pierre Beaujard- Note technique SEGR/SAER/97 - n° 10, février 1997 (IPSN)
¢CEA 72] "Evaluation de l'exposition de la population liée aux rejets de l'ensemble HAO-UP2 du Centre de la Hague" - Etude d'impact CEA, 1972
[COG 78] "Etude d'impact de l'usine UP2-400" - Cogéma, 1978
[COG 80] "Demandes de déclaration d'utilité publique. Usine Plutonium n° 2/800, Usine Plutonium n°3A et Station de Traitement des Effluents 3ème chaîne" - Cogéma, 1980
[COG 83] "Usines UP2-800, UP3-A, station de traitement des effluents 3ème chaîne - Etude de rejet d'effluents radioactifs gazeux" Cogéma, 1983
[COG 97] "Etude d'impact de l'Etablissement de la Hague, note de synthèse" Note technique Cogéma, 13 mai 1997
[COG 98] "Historique annuel des combustibles UNGG et EI retraités à la Hague" - Référence Cogéma HAG 0 0065 97 02425 01, Janvier 1998
[CRI 96] "Contrôles radiologiques dans l'environnement des installations nucléaires de la Hague" - Etude CRII-RAD, février 1996
[CSP 96] "Bilans trimestriels de surveillance de l'environnement de la Hague" transmis par Cogéma à la CSPI du 1er trimestre 1982 au 4ème trimestre 1996
[GRA 76] "Méthodologie d'évaluation des doses à la population résultant de rejets radioactifs dans l'atmosphère" Arlette Garnier, Département de Protection, Centre d'Etudes Nucléaires de Fontenay aux Roses - Rapport CEA-R-4789, 1976
[GRA 95] "Discharges to the environment from Sellafield site, 1957-1992" J. Gray, S.R. Jones ans D. Smith - J. Radiol. Prot. 1995 Vol. 15 No 2 99-131
[JEA 82] Jeanmaire "Métabolisme et toxicité du carbone 14" dans "Toxiques nucléaires" - sous la direction de P. Galle, Comptes rendus du Symposium organisé en 1982 par la Société Française de Biophysique et de Médecine nucléaire et l'IRU, Environnement de l'Université Paris-Val de Marne - ed. Masson, 1982
[LAI 96] "Datation par carbone 14 et champs géomagnétique" Carlo Lai, Alain Mazaud et jean-Claude Duplessy, Pour la science, octobre 1996
[NRPB 95] "Risks of leukaemia and other cancers in Seascale from all sources of ionising radiatin exposure" - National Radiological Protection Bureau NRPB - R276, octobre 1995
[OMS 87] Critère d'hygiène de l'environnement 25
"Quelques radionucléides, tritium, carbone 14, krypton 85, strontium 90, iode, césium 137, radon, plutonium" - Organisation Mondiale de la Santé - Genève, 1987
[OPR 95] "Rapport d'activité 1995" Office de Protection des Rayonnement Ionisants
OPR 97-1] "Bilan des contrôles et mesures dans la région de la Hague" - OPRI, mars 1997
[OPR 97-2] "Rapport de synthèse sur l'usine de la Hague" - §7, la question du carbone 14 - OPRI, 16 juillet 1997
[RIF 96] "Radioactvity in Food and the Environment, 1995" - RIFE-1 Ministry of agriculture, Fisheries and Food, 1996
[RIF 97] "Radioactivity in Food and the Environment, 1996" - RIFE-2 Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, 1997
[UNS 77] UNSCEAR "United Nations Scientific Committee on the effects of Atomic Radiations" Report to the General Assembly with annexes - Editeur United Nations Publications - New York, 1977
[UNS 93] UNSCEAR 'United Nations Scientific Committee on the effects of Atomic Radiations" Report to the General Assembly with annexes - Editeur United Nations Publications - New York, 1993
[ZER 96] "Données sur le tonnage et le taux moyen de combustion des combustibles retraités à l'Etablissement de la Hague" - Commission Castaing, 1982 et compléments : Zerbib, 1996
[ZER 97] "Les rejets de Krypton à l'usine UP2 de la Hague" - CSPI, Zerbib, 1997

ANNEXE

Potentiel de carbone 14 dans les rejets des usines du cap de la Hague et rejets gazeux théoriques (en TBq)
Hypothèses :
- taux moyens de combustion selon Cogéma 1998
- rejets normalisés d'après AEN 1980 pour les combustibles UNGG et UNSCEAR 1977 pour les combustibles PWR
- rejets gazeux = 80% du potentiel initial en carbone 14 des combustibles irradiés (NRPB 1995 et Beaujard 1997).
 

année
UNGG
PWR
C14 total
rejet gazeux
1966
0,029
 
0,029
0,023
1967
0,081
 
0,081
0,065
1968
0,271
 
0,271
0,217
1969
0,277
 
0,277
0,221
1970
0,181
 
0,181
0,145
1971
0,463
 
0,463
0,370
1972
0,668
 
0,668
0,534
1973
0,625
 
0,625
0,5
1974
1,824
 
1,824
1,459
1975
1,653
 
1,653
1,322
1976
0,733
0,190
0,752
0,6
1977
1,275
0,419
1,694
1,355
1978
1,531
0,864
2,395
1,916
1979
1,062
1,343
2,405
1,924
1980
1,031
1,826
2,857
2,285
1981
1,215
2,136
3,261
2,609
1982
1,036
2,686
3,722
1,977
1983
0,538
4,262
4,8
3,840
1984
0,845
4,545
5,390
4,312
1985
0,499
8,086
8,585
6,868
1986
0,359
6,279
6,638
5,310
1987
0,342
8,795
9,137
7,310
1988
 
6,337
6,337
5,609
1989
 
9,772
9,772
7,817
1990
 
11,134
11,134
8,907
1991
 
16,771
16,771
13,417
1992
 
14,912
14,912
11,929
1993
 
19,537
19,537
15,629
1994
 
31,164
31,164
24,931
1995
 
39,196
39,196
31,357
1996
 
39,194
3,,194
31,355

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