GAZETTE NUCLEAIRE
III) Responsabilités occidentales

dans les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl
en Biélorussie, Ukraine et Russie.
Bella Belbéoch


Introduction
     L’étendue des zones contaminées, les niveaux de contamination rencontrés, l’importance numérique des populations concernées font de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl une catastrophe industrielle sans précédent.
     Les pressions occidentales se sont exercées dès le début de la crise ouverte par l’explosion du réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl afin de minimiser l’impact sanitaire de l’accident concernant les effets biologiques à long terme (cancers et effets génétiques) de l’exposition aux radiations des habitants de l’ex-URSS. En fait, l’émergence de problèmes sanitaires inédits avec un accroissement visible de la morbidité, en particulier chez les enfants, dès les premières années ayant suivi l’accident ont relégué les effets à long terme au second plan, mais comme eux ils ont été minimisés, voire niés, tant par les autorités sanitaires soviétiques que par les experts occidentaux.
     L’argument souvent avancé pour nier les observations faites sur le terrain par les médecins locaux est qu’elles ne correspondent pas aux effets observés chez les survivants japonais des bombes atomiques. Or les deux situations ne sont pas identiques. A Hiroshima et Nagasaki il s’est agi essentiellement d’irradiation externe en un temps très court (et le suivi de mortalité a commencé 5 ans après le flash). A Tchernobyl il y a d’abord eu une "phase d’urgence" (assez longue puisque les rejets se sont poursuivis durant le mois de mai) avec irradiation externe par le nuage et les dépôts au sol, contamination interne par inhalation et ingestion de produits contaminés suivie d’une irradiation chronique essentiellement due à la contamination interne par ingestion d’aliments contaminés pour laquelle il n’y a aucune donnée expérimentale fiable : Tchernobyl constitue la première mondiale d’ une "expérimentation" à grande échelle.
     Des zones "sous contrôle" ont été décrétées en Ukraine, Biélorussie et Russie, là où la contamination du sol dépasse 5 curies au km2 en césium 137 (5 Ci/km2). Le degré de contrôle dépend du niveau de contamination du sol. Plus de 800 000 personnes vivent sur ces zones contrôlées [1], plus de 7 millions sur des territoires contaminés à plus de 1 Ci/km2 (voir annexe). 
     La dégradation de la santé surtout celle des enfants a engendré une inquiétude dans la population se traduisant par des manifestations de rue. Les prises de position de scientifiques des Académies des sciences, inhabituelles en URSS (et ailleurs), ont amené les autorités des républiques d’Ukraine et de Biélorussie à envisager de nouvelles évacuations. En octobre 1989 est publié en Biélorussie le programme de déplacement de plus de 100 000 habitants des zones les plus contaminées (supérieure à 15 Ci/km2) dont certaines sont situées à plus de 200 km de Tchernobyl [2].
     Le pouvoir central a pu s’opposer efficacement à la réalisation de ces plans et à leur extension à la totalité des zones sous contrôle grâce à l’intervention des experts occidentaux. Il est bien évident que la préoccupation essentielle de ces experts est relative à la gestion d’une crise nucléaire éventuelle dans leur propre pays.
     Nous analyserons chronologiquement quelques faits significatifs du point de vue des problèmes sanitaires.

Vienne, 25-29 août 1986 : Conférence internationale de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) . Premier bilan sanitaire.
     Cette conférence a été organisée afin que des experts internationaux analysent l’accident de Tchernobyl et ses conséquences. Les réunions des groupes de travail auront lieu à huis clos et les journalistes se contenteront (sans protester semble-t-il) des conférences de presse. La délégation soviétique présidée par V. Légassov présente un volumineux rapport (370 pages) comprenant une partie générale et 7 annexes [3]. L’annexe 7 (70 pages) est entièrement consacrée aux problèmes médicaux et biologiques et elle a soulevé d’énormes discussions.

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     En effet, outre les problèmes d’irradiation aiguë des "intervenants rapprochés" sur le réacteur en détresse (greffes de moelle etc.) et ceux liés à l’évaluation de la dose externe des 135 000 évacués de la zone proche du réacteur devenue zone interdite, sont abordées les conséquences sanitaires à long terme de l’accident pour 75 millions d’habitants de la partie européenne de l’URSS, pour lesquels sont estimées la dose collective externe et la dose efficace collective engagée sur 70 ans par contamination chronique interne due aux césiums 137 et 134.
     Avec l’hypothèse retenue par la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) d’une relation linéaire, sans seuil, de proportionnalité entre le nombre de cancers mortels radio induits et la dose reçue et en tenant compte du facteur de risque qui estime le nombre de cancers mortels radio induits par unité de dose de rayonnement, l’évaluation de la dose collective permet de chiffrer le nombre de cancers radio induits [4]. Les cancers mortels dus à l’iode radioactif étaient également chiffrés. (Le rapport soviétique ne tenait pas compte du strontium 90 et indiquait que ce radioélément pourrait s’avérer non négligeable par la suite).
     Ce fut un tollé général car le bilan conduisait à un excès de cancers mortels de 30 000 à 40 000 morts (dont plus de 80% dus au césium) représentant jusqu’à 0,4% du nombre de cancers mortels "naturels" prévus sur 70 ans, bilan jugé trop élevé par les occidentaux. 
     A la conférence de presse du 26 août D. Beninson, Président du groupe de travail sur les conséquences sanitaires, qualifie les chiffres soviétiques d’"extrêmement surestimés". M. Rosen, directeur de la sûreté à l’AIEA, fixe la limite supérieure à 25 000 morts. Deux jours plus tard elle est à 10 000 et pour D. Beninson au plus à 5100 [5]. Beninson est Président de la Commission Internationale de Protection Radiologique et son opinion a donc du poids (c’est aussi un dirigeant de l’énergie atomique en Argentine). Pour Rosen et Beninson les chiffres soviétiques sont trop élevés car la contamination interne par les césiums radioactifs a été surestimée. Pourtant à ce moment là ils n’ont aucun élément scientifique pour l’affirmer.
     Cette annexe 7, source de soucis pour les promoteurs du nucléaire, a quasiment été censurée. Peu de gens en ont eu connaissance car le rapport principal a été traduit en français et diffusé mais pas les annexes. Les Soviétiques ne se référeront plus jamais à cette annexe 7, comme si elle n’avait pas existé.

La remise en cause de l’estimation initiale
     En octobre 1986 selon certains experts européens la dose due à la contamination interne pourrait être trop élevée d’un facteur 10 [6]. Après une visite de cinq jours en URSS en janvier 1987 les dirigeants de l’AIEA concluent : les pronostics sanitaires ont été trop pessimistes et doivent être réduits d’un facteur 5 à 7 [7]
     Pour être crédible et aboutir au même résultat la révision à la baisse devait venir des experts soviétiques eux-mêmes. Elle fut amorcée pendant la conférence d’août 1986 et précisée par la suite.
     En mai 1987 lors de la conférence organisée par l’O.M.S. à Copenhague [8] A. Moïesseev réduit la dose collective externe d’un facteur 1,45 et la dose collective interne d’un facteur compris entre 7 et 10,5 comme conséquence de " la tendance positive de la situation radiologique " résultant des mesures de protection prises sur une grande échelle. Cependant il admet qu’un an après la catastrophe une quantité importante de lait des fermes locales en Biélorussie dépasse encore de beaucoup les normes en césium et doit être retiré de la consommation directe pour être " envoyé pour être traité ", sans préciser. Ce lait contaminé n’a-t-il pas été envoyé dans des régions éloignées ? (en Arménie, du lait en poudre analysé par la CRII-Rad a été trouvé contaminé en césium [9]). 

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     Rappelons que la "démocratisation" des doses en augmentant le nombre de personnes exposées à des doses plus faibles ne change pas le bilan final. La même dose collective conduit au même nombre de morts par cancers radio induits si l’on admet la relation linéaire (sans seuil) entre le nombre de cancers mortels radio induits et la dose. Moïesseev en revient en fait au modèle avec seuil lorsqu’il dit que les résultats de sa communication doivent être considérés comme une estimation qui maximise les conséquences de Tchernobyl. 
     En septembre 1987 L. A. Iline et O. A. Pavlovski présentent à Vienne à l’AIEA un rapport [10] dont le sous-titre est " L’analyse des données confirme l’efficacité des actions à grande échelle pour limiter les effets de l’accident ".
     Lors de l’accident, la décision d’évacuation (115 000 personnes d’après les auteurs dont les habitants de Pripyat) a été prise de façon à ce que les doses d’exposition tant du corps entier que de la thyroïde soient nettement inférieures aux niveaux d’intervention établis avant 1986. (Il n’est pas fait mention des 18 700 Biélorusses évacués entre juin et août 1986 [2]). Personne n’a subi de dommage déterministe.
     Il est indiqué que 5,4 millions de personnes dont 1,7 millions d’enfants auraient reçu de l’iode stable à titre prophylactique contre l’iode radioactif. Les mesures de protection à grande échelle, comme l’introduction de normes alimentaires, auraient été efficaces en particulier l’interdiction du lait contaminé en Iode 131 à des niveaux supérieurs à 3700 becquerels par litre (3700 Bq/l). Les doses moyennes à la thyroïde des enfants sont données pour les régions du nord de l’Ukraine (pas pour la Biélorussie).
     D’après leur rapport on ne relève aucune augmentation de morbidité chez les enfants, il n’y a pas de différences entre régions contaminées et régions-témoins. Pour la première fois il est fait mention du syndrome de radiophobie chez les habitants des zones contaminées. 
     C’est l’équivalent de dose efficace engagée pour toute la population soviétique (278 millions d’habitants) qui est estimé. Il est 18 fois plus faible que pour les 75 millions d’habitants considérés dans l’annexe 7 de 1986. En avril 1988 L. A. Iline réaugmente la dose [11] et en 1988 le Comité Scientifique des Nations-Unies sur les Effets des Radiations Atomiques (UNSCEAR) fait la "moyenne" des deux estimations et entérine la réduction de la dose de l’annexe 7 de 1986 par un facteur 9 [12]. M. Beninson  peut être satisfait.
     Remarquons qu’Iline et Pavlovski étaient signataires de l’annexe 7. C’est donc d’une véritable autocritique qu’il s’agit dans ces deux publications. 
     La réduction des doses collectives est attribuée à l’efficacité des contre-mesures. Cet optimisme officiel est contredit par V. Legassov dont le testament publié par la Pravda (20 mai 1988) témoigne de l’incurie qui a suivi la catastrophe [13]. On peut douter de l’efficacité de ces mesures étant donné l’importance de la population paysanne qui vit en autosubsistance (près de la moitié des 75 millions considérés dans l’annexe 7) et les niveaux de contamination de la nourriture locale (le lait a atteint 1 million de Bq/l en Biélorussie du sud) sans parler de la réputation d’inefficacité de la bureaucratie soviétique. La viande très contaminée en Biélorussie a été en partie éliminée mais a été aussi exportée pour être mélangée à de la viande "propre" [14][2]. Même à Moscou ont été vendues des viandes hors normes [15]. "Démocratiquement" les normes édictées pour le thé varient avec la région et les utilisateurs, Moscou et les zones très contaminées ont "droit" à du thé moins contaminé, les cafétérias d’entreprises à du thé plus contaminé [2]. Il faudra attendre juillet 1989 pour que soient indiquées à deux reprises dans les journaux ukrainiens les limitations pour le ramassage des champignons, baies et plantes médicinales [13][16][17].
     Des informations à titre privé commencent à arriver en France : la situation sanitaire se dégrade en Ukraine et Biélorussie et le mécontentement grandit (comme en témoigne le film Microphone de G. Chkliarevski et V. Kolinko). Il faudra cependant la publication (9/2/1989) par le journal Sovietskaya Bieloroussia des cartes des zones "sous contrôle" contaminées en césium 137 à plus de 5 Ci/km2 en Biélorussie pour se rendre compte de l’étendue des régions affectées et du nombre de gens concernés dans leur vie quotidienne : contrôle de la nourriture, apport de nourriture "propre" si la nourriture locale est "sale", petite prime mensuelle, surveillance médicale, conseils d’emploi de cabines étanches pour les tracteurs etc. [2].
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     Le Président du Conseil des Ministres de Biélorussie résumait ainsi la situation : " On n’a pas réussi à remettre le djinn radioactif dans la bouteille" (Pravda, 11/2/1989).
     La Pravda publie le 20 mars 1989 la carte des débits de dose du rayonnement gamma relevés le 10 mai 1986 pour les trois républiques d’Ukraine, de Biélorussie et de la Fédération de Russie. Les cartes sont accompagnées d’un long article indiquant les conditions ayant régi les évacuations en 1986 : zone fermée pour des débits de dose supérieurs à 20 milliroentgen par heure (20 mR/h), évacuation pour des débits supérieurs à 5 mR/h, évacuation temporaire des femmes enceintes et des enfants pour des débits compris entre 3 et 5 mR/h. D’après les cartes on ne comprend pas pourquoi des régions situées loin de Tchernobyl (districts de Gomel, Moghilev et Bryansk) n’ont pas été incluses dans le programme d’évacuation de 1986 puisque sont indiqués pour elles des débits de dose supérieurs à 5 mR/h et même 15 mR/h.
     Fin 1988 on apprendra que des villages du district de Naroditchi en Ukraine, (proches de la zone évacuée en 1986) sont en instance d’évacuation.

Critère de "résidence sans danger" : "35 rem en 70 ans" [17].
     Il va falloir évacuer d’autres zones contaminées, situées loin de Tchernobyl. Sur quels critères ? La définition "légale" des zones contaminées correspond à une contamination surfacique supérieure à 1 curie au km2. (Les moutons d’Ecosse sont, à la même époque toujours interdits d’abattage et paissent sur des zones contaminées à moins de 0,5 Ci/km2). Sur les territoires légalement contaminés vivent plus de 7 millions de personnes.
     Le critère adopté en septembre 1988 par le conseil des ministres d’URSS est à la base des décisions d’évacuation ou du maintien sur place. Le critère de "résidence sans danger", de "vie sûre", est énoncé sous la forme : "35 rem en 70 ans", là où la dose-vie ne dépasse pas 35 rem. La dose-vie est une dose calculée par les différents instituts de radioprotection dépendant du ministère de la santé d’URSS donc sous le contrôle du pouvoir central. Outre la dose reçue lors de la phase d’urgence (irradiation externe par le nuage et les dépôts au sol, irradiation interne par inhalation et ingestion de radionucléides via l’alimentation) la dose-vie comporte la dose susceptible d’être reçue en vivant une vie "normale" sur lieu de résidence avec une nourriture locale. Elle doit donc tenir compte de la dose externe par les dépôts de césium 137 sur le sol et de la dose engagée présente et future par contamination interne due à l’ingestion d’aliments contaminés. Tous ces calculs impliquent des modèles concernant l’alimentation, le métabolisme, le mode de vie etc. On ne tient pas compte des "particules chaudes" qui renferment les transuraniens. Si la dose engagée calculée est supérieure à 35 rem on doit être "réimplanté" (Iline, le responsable de la radioprotection d’URSS dira "ce n’est pas une évacuation mais un déplacement planifié "). Là où la dose-vie ne dépasse pas 35 rem on retourne à la vie normale : on peut manger la production locale, on arrête les arrivages de nourriture "propre". 
     Le critère des "35 rem en 70 ans" soit 0,5 rem par an ou 5 millisievert/an (5 mSv/an) devra avoir force de loi au premier janvier 1990. Il a été présenté comme étant conforme aux recommandations internationales. Ce critère a soulevé la contestation des scientifiques biélorusses, au plus haut niveau de l’Académie des sciences. Ils ont proposé un autre critère : 7 rem en 70 ans soit 0,1 rem/an. De leur côté des scientifiques ukrainiens proposaient une dose-vie de 10 rem. Parmi les arguments pertinents des scientifiques biélorusses [17] nous retiendrons ici qu’effectivement la recommandation internationale concernant la limite de dose annuelle formulée par la CIPR depuis 1985 (Déclaration de Paris) est de 0,1 rem (1 mSv). 

Les experts de l’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.).
     Les désaccords entre experts moscovites et scientifiques biélorusses sont apparus publiquement lors des débats au soviet de Biélorussie de mars 1989 et ont exigé une session spéciale consacrée à "35 rem en 70 ans". Elle s’est tenue à Minsk, à l’Académie des sciences de Biélorussie. A cette séance avaient été invités trois membres de l’O.M.S.

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     Outre M. Waight, secrétaire de l’O.M.S., nous retrouvons sous cette casquette Dan Beninson et le Pr. Pellerin, directeur du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants (SCPRI). Un naïf pourrait s’étonner de ce que M. Pellerin ait été choisi alors qu’à la réunion de Copenhague de l’O.M.S. le 6 mai 1986 où les délégués des pays européens avaient tous transmis les valeurs des débits de dose maximum relevés dans leurs pays, la France, représentée par le SCPRI dirigé par le Pr. Pellerin n’a pas communiqué de chiffre et se contentait de l’expression "low" [18]. Est-ce la raison pour laquelle il a été qualifié pour intervenir quelques années plus tard dans la radioprotection des populations soviétiques ?
     Le rapport des envoyés de l’O.M.S. est publié dans Sovietskaya Bieloroussia (11/7/1989) sous le titre Le Point de vue des experts. On relève ainsi :" [Les experts] ont conclu au sujet du critère d’une dose-vie de 35 rem dans le cas d’une situation post-accidentelle que cette valeur était conservative (...). La valeur de 35 rem est fondée sur l’estimation internationale actuelle du risque induit par les radiations ionisantes sur la santé. (...) Dans l’hypothèse où on leur aurait demandé de fixer la limite de dose cumulée durant la vie, les experts se seraient prononcés en faveur d’une limite de dose deux à trois fois 35 rem " [souligné par moi].
     Le rapport dénigrait les scientifiques qui s’opposaient à la dose-vie préconisée par le pouvoir central soviétique : " Les scientifiques insuffisamment compétents dans le domaine des effets des radiations assimilent l’ensemble des différentes perturbations biologiques et médicales observées au seul effet des radiations ". Les trois experts invoquent quant à eux les facteurs psychologiques et le stress pour expliquer ces perturbations biologiques.
     En somme, tout est connu sur les effets du rayonnement, les observations sur le terrain n’ont qu’à s’aligner sur le consensus. On peut s’effrayer de la façon dont ces "experts" dénient à la catastrophe de Tchernobyl le triste privilège d’être une nouveauté dans le domaine de l’"expérience" médicale et ferment la seule voie possible pour appréhender cette nouveauté : enregistrer d’abord toutes les informations biologiques et médicales. 
     Lors de la session du Soviet de Biélorussie fin juillet 1989, les autorités sanitaires et politiques biélorusses se sont appuyées sur ce rapport de la mission O.M.S. pour passer outre les protestations des scientifiques considérés comme des ignorants en ce qui concerne les questions radiologiques comme l’a souligné le vice-président de l’Académie des sciences de Biélorussie (Sovietskaya Bieloroussia 1/8/1989) et faire adopter la dose-vie de 35 rem.
     A Paris quelques personnes se sont émues. Qu’allait faire le Pr. Pellerin en Ukraine et en Biélorussie en déclarant faussement que la dose-vie de 35 rem était conforme aux recommandations internationales et en recommandant 2 à 3 fois 35 rem, ce qui est contraire à la réglementation française. La casquette de représentant de l’O.M.S. effaçait-elle les obligations du fonctionnaire du Ministère de la santé en charge de la radioprotection en France à respecter la législation française ? Malgré les démarches effectuées par cinq associations auprès du ministre de la santé nous n’avons pu obtenir d’éclaircissements à ce sujet [19]
     Pendant ce temps, d’après les informations accessibles en France et les témoignages directs de médecins de retour d’Ukraine et Biélorussie la situation sanitaire se dégrade (entre autres, dysfonctionnements thyroïdiens, affections pulmonaires et mauvais état général des enfants). La réponse des autorités est : radiophobie. Manifestations à Minsk.

Septembre 1989 : lettre à M. Gorbatchev de 92 spécialistes en radioprotection pour imposer la dose-vie de 35 rem.
     Nous avons eu communication au GSIEN d’une lettre datée du 14 septembre 1989 adressée au Président du Soviet Suprême d’URSS, paraphée par 92 " scientifiques travaillant dans les domaines de la médecine et de la protection radiologique au sujet de la situation créée par l’accident de Tchernobyl " [20]
     Ils indiquent : " A chaque étape de son élaboration ce critère [des 35 rem] a été accompagné d’une consultation systématique sous tous ses aspects et d’une expertise soigneuse de différents organismes internationaux compétents tels que l’AIEA, l’O.M.S., l’UNSCEAR et a été approuvé ".
     Certains arguments utilisés par les signataires pour contrer une dose-vie de 7 ou 10 rem sont très importants :

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     "Dans le choix de la dose-limite de 35 rem, la Commission Nationale de Radioprotection a prêté attention au fait que cette valeur de 35 rem inclut la dose déjà reçue au cours des trois dernières années et que dans quelques agglomérations cette dose est sensiblement la moitié de la dose totale recommandée sur la vie (...) "[souligné par moi]. Ils ajoutent que dans certains villages où une dose de 35 rem est déjà atteinte ou en voie de l’être la décision d’évacuer [de "déplacer"] a été prise depuis longtemps mais n’a pas été appliquée " pour des raisons incompréhensibles".
     "(...) Il faut garder en vue que par irradiation postérieure à l’accident, cette dose de 7-10 rem a déjà été atteinte ou sera atteinte dans un proche avenir pour la plupart des agglomérations des territoires soumis au contrôle permanent". Les auteurs invoquent le stress psychologique profond et le détriment résultant sur la santé qui seraient provoqués par "le déplacement de centaines de milliers (jusqu’à un million ) de personnes (...). En cas d’acceptation de la dose 7-10 rem comme critère d’évacuation ce problème va apparaître pour les habitants de plusieurs grandes villes et centres de districts". Plus loin ils doutent de la qualité des soins médicaux qui ne pourra pas être garantie "dans un plan de déplacement d’un million de personnes".
     Voilà qui est clair : en septembre 1989 l’adoption d’une dose-vie de 7 à 10 rem aurait entraîné la réimplantation de centaines de milliers et jusqu’à 1 million de personnes. Si l’on compare ces chiffres aux données sur les niveaux de contamination et le nombre d’habitants concernés il ne peut s’agir que de tous les habitants des zones sous contrôle (contamination supérieure à 5 Ci/km2).
     On verra au fil des années les doses des habitants des zones contaminées diminuer comme peau de chagrin ce qui ressemble fort à un tripatouillage des résultats : on adapte les mesures et les modèles [20].

"Projet international Tchernobyl"
     En octobre 1989 l’URSS demandait à l’AIEA d’organiser une expertise internationale d’évaluation des conséquences de l’accident et de l’efficacité des contre-mesures prises par les autorités soviétiques. Il s’agit aussi d’assister les autorités sur les sujets concernant la radioprotection ce qui inclut le concept de vie "sûre" dans les territoires contaminés et l’examen des pratiques et des politiques associées. Participeront à ce projet, outre les Soviétiques, 200 experts de 25 pays représentant entre autres l’AIEA, l’UNSCEAR, l’O.M.S., la F.A.O., la Commission des Communautés Européennes.
     Le rapport final est publié lors d’une conférence de l’AIEA (Vienne, 21-24 mai 1991) [21]

Les rayonnements n’ont eu aucun effet sur la santé de la population, telle a été la conclusion des experts. Les doses de rayonnement tant externe qu’interne ont été surestimées par les autorités soviétiques .
     Les scientifiques représentant l’Ukraine et la Biélorussie ont manifesté publiquement leur désaccord en séance.
     L’introduction souligne que le gouvernement de l’URSS a déjà bénéficié de l’assistance internationale. D’abord avec l’équipe de l’O.M.S. envoyée sur le terrain en juin 1989 dont la conclusion est redonnée concernant le peu de compétence des scientifiques autochtones vis-à-vis des problèmes de rayonnement lorsqu’ils attribuent à l’irradiation les problèmes sanitaires rencontrés alors qu’ils sont vraisemblablement dus à des facteurs psychologiques et au stress (le terme de radiophobie est abandonné car trop discrédité). Ensuite avec une délégation de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge qui, elle aussi, a conclu au stress psychologique et à l’anxiété. Le "Projet Tchernobyl" aboutit à la même conclusion.
     " Les mesures de protection qui ont été prises ou qui sont planifiées pour le long terme [il s’agit de la dose-vie de 35 rem et de la réimplantation si la dose-vie excède 35 rem] quoique partant d’une bonne intention, sont généralement excessives par rapport à ce qui aurait été strictement nécessaire du point de vue de la radioprotection. La réimplantation et les restrictions alimentaires auraient dû être moins étendues ". En ce qui concerne le coût social d’une politique de réimplantation " les autorités n’ont pas pris en compte tous les aspects négatifs ". Enfin en appliquant une dose-vie comme critère de réimplantation " il ne convient pas de tenir compte des doses passées ". 

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     Quelques points particuliers : On notera que tous les enfants examinés ont été trouvés en bonne santé. En ce qui concerne les dysfonctionnements thyroïdiens chez les enfants : pas d’anomalies de dosages hormonaux. Pas de différence significative pour les enfants du même âge entre enfants des localités contaminées et des localités "témoin". Les nodules thyroïdiens sont très rares.
     En ce qui concerne les néoplasmes, " Les données recueillies ne révèlent pas d’augmentation marquée de la leucémie ou des tumeurs de la thyroïde depuis l’accident ; cependant (...) la possibilité d’une augmentation dans l’incidence de ces tumeurs ne peut être exclue. Seules des informations par ouï-dire relatives à de telles tumeurs ont été disponibles ".
     Ouï-dire ! Or, durant l’année 1990, le Pr. Demidchik a opéré à Minsk 29 enfants de cancers de la thyroïde (59 en 1991). Cela correspondait à une incidence 20 fois plus élevée que celle d’avant Tchernobyl [22].
     Rien sur les problèmes immunitaires des enfants, l’augmentation des aberrations chromosomiques. Pas d’augmentation significative des anomalies congénitales ce qui est étonnant lorsqu’on se réfère aux travaux qui seront publiés par G. J. Lazjuk [23][24].
     Rien sur les évacués de 1986, les liquidateurs.
     Il est précisé qu’aucune estimation n’a pu être effectuée sur les doses reçues dans la phase aiguë, lors des premières semaines ayant suivi la catastrophe.
     Un point particulier : le Pr. Pellerin a fourni 8000 films - dosimètres qui ont été portés pendant deux mois par des habitants de villages contaminés sélectionnés. Le résultat est que 90% des films étaient en dessous de la limite de détection. Or, cette limite correspond en gros à la dose cumulée sur deux mois du rayonnement naturel. Donc il n’y a pas de rayonnement décelable au-dessus du bruit de fond dans les localités contaminées "sélectionnées" ? C’est le SCPRI qui a aussi été chargé des anthropogammamétries et la charge corporelle en césium 137 est très faible, comme s’il n’y avait eu que de la nourriture "propre" exclusivement consommée dans ces villages, ce que contredisent tous les témoignages et informations recueillies sur le terrain.
     Rappelons que les jours qui ont suivi l’accident de Tchernobyl, d’après les communiqués du Pr. Pellerin la situation en France est redevenue normale au bout de quelques jours sans avoir jamais été anormale auparavant.

Le nouveau "concept", avril 1991
     Il s’agit d’un document préparé par un groupe de travail présidé par l’académicien S. Belyayev. Il a été présenté à Paris en avril 1991 [25]. En voici l’essentiel :
     Depuis le 1er janvier 1990 les contre-mesures mises en place devaient garantir que la dose-vie de 35 rem ne serait pas atteinte ; on suppose désormais que ces contre-mesures ont été couronnées de succès et que cette limite supérieure n’a plus de raison d’être.
     On ne tient plus compte désormais des doses passées. La réimplantation ne peut éviter que des doses futures (cela donne satisfaction au Projet International AIEA) aussi les doses précédemment reçues de 1986 à 1991 doivent-elles être prises en considération pour des contre-mesures de "vie sûre" mais pas dans la prise de décision de réimplantation. Désormais, à part les réimplantations obligatoires du plan d’État 1990-1992 s’appliquant aux habitants des zones contaminées en Cs 137 à plus de 40 Ci/km2 (dont la dose annuelle est supérieure à 5 mSv/an) et aux femmes enceintes et enfants pour les zones entre 15 et 40 Ci/km2, les réimplantations additionnelles ne peuvent être que volontaires. En somme le pouvoir autorise ces gens à se déplacer.
     Dorénavant l’équivalent de dose efficace ne doit plus dépasser 1millisievert (0,1 rem) pour 1991 et les années suivantes. C’est le niveau inférieur d’intervention.
     Pour des niveaux supérieurs à 1 mSv, on continue la surveillance radiologique de l’environnement et de la nourriture, les mesures agrotechniques [qui antérieurement se sont avérées un échec], la surveillance médicale etc. Ces mesures doivent être optimisées de façon à ce que l’équivalent de dose efficace ne dépasse pas en moyenne 5 mSv (0,5 rem) en 1991 et diminue les années suivantes.
     L’introduction de la dose inférieure de 1 mSv/an semble donner satisfaction aux scientifiques biélorusses et ukrainiens. En réalité, le fait de ne plus considérer les doses reçues antérieurement annule toute possibilité de nouvelle réimplantation.

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     Avec l’adoption de ce nouveau concept la réimplantation de tous les habitants des zones à plus de 15 Ci/km2 n’est plus assurée en Ukraine et en Biélorussie à moins d’être volontaire. 
     L’émergence des Républiques indépendantes va compliquer davantage la situation par la pénurie alimentaire et les problèmes financiers. 
     L’intervention de l’O.M.S. et des instances internationales en apportant leur soutien au pouvoir central soviétique a réduit à néant les efforts des scientifiques biélorusses et ukrainiens dans leur tentative de protéger les populations des zones contaminées. Et de cela nous sommes responsables.

Quel bilan ?
Les cancers de la thyroïde et les iodes radioactifs
     L’augmentation anormale de la fréquence des cancers thyroïdiens chez les enfants de Belarus est rapportée officiellement dans deux lettres de la revue britannique Nature en septembre 1992 [26]. Elle a surpris les milieux médicaux et scientifiques liés à la radioprotection qui ont d’abord nié qu’elle pouvait être due à Tchernobyl [27]. Il a fallu l’aval de scientifiques européens réputés pour que le "ouï-dire" des experts du Projet internationalTchernobyl soit considéré comme une réalité. C’est la première fois que des experts occidentaux, et qui plus est de l’O.M.S., apportent leur aide aux médecins de l’ex-URSS et on doit les remercier de leur ténacité à faire admettre la vérité. Une augmentation des cancers de la thyroïde a également été observée en Ukraine et en Russie, mais moins forte qu’en Belarus.
     Le nombre de cancers de la thyroïde des adultes a énormément augmenté durant 7 ans après Tchernobyl et a diminué depuis. 
     Les doses à la thyroïde sont désormais revues en hausse. Où sont donc passées les doses d’iode stable distribuées juste après l’accident à 5 400 000 personnes dont 1 700 000 enfants d’après L. Iline pour protéger les thyroïdes de l’effet des iodes radioactifs ? Les contre- mesures ont été efficaces, bien menées concluait le Projet International Tchernobyl. Toutefois, remarque tardivement, en 1991, S. Belyayev, " elles n’ont pas été appliquées dans tous les cas à temps et de façon complète " [25].

Et les autres radionucléides ?
     On nous assure, en tout cas en France, qu’à part quelques 200 cancers mortels qui affecteront les "liquidateurs" dans les décennies à venir, les seuls cancers de Tchernobyl seront ces cancers thyroïdiens des enfants. Une fois opérés tout va bien et les conséquences sanitaires de Tchernobyl seraient limitées et essentiellement d’ordre psychologique.
     En somme, les iodes mis à part tout se passe comme si le cocktail de radionucléides rejetés (qu’on a trouvé dans le sang des enfants biélorusses et ukrainiens) les césiums 134 et 137, le ruthénium 106, le strontium 90, etc. plus les "particules chaudes" qui renferment les transuraniens, une fois inhalés et ingérés n’auraient aucun effet ?
     Nous voudrions souligner que les cancers de la thyroïde étant rares chez l’enfant et s’étant manifestés précocement il a été possible de mettre en évidence leur excès. Ce n’est pas parce que l’on ne pourra pas mettre en évidence d’une façon "statistiquement significative" comme disent les épidémiologistes, un excès de cancers solides dans les 50 ans à venir dus aux autres radioéléments et à l’irradiation externe que cet excès n’existera pas surtout si les statistiques sont sous le contrôle strict du pouvoir gestionnaire. Même une faible augmentation de la proportion de cancers radio induits par rapport au nombre de cancers "naturels", mais s’appliquant à une population numériquement importante représente des dizaines de milliers de morts en valeur absolue.
     D’autre part Tchernobyl a montré une dégradation de tous les systèmes fonctionnels qui accroît la morbidité et cela devrait avoir des conséquences sur la mortalité pour d’autres causes que les cancers radio induits. Nous voulons mettre en garde : il ne suffit pas de donner des plaquettes d’iode stable aux habitants des alentours des réacteurs pour que les problèmes sanitaires d’un accident nucléaire grave disparaissent.

Les "réimplantations"
     Il est quasiment impossible de savoir combien de personnes ont été réellement réimplantées des zones contaminées à partir de 1989 et depuis l’accession à l’indépendance des Républiques en 1991 car la proportion de départs volontaires n’est jamais donnée.

p.17

En 1993 le ministère ukrainien des affaires de Tchernobyl indiquait 98 000 personnes depuis 1989 [13].
     En Belarus le rapport de 1996 émanant du "Ministère des urgences et de la protection de la population contre les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl" indique que les réimplantations sont "fondamentalement terminées" et concerneraient en tout 131 200 habitants, (les 24 700 évacués de 1986 semblent inclus), sans donner la part des départs volontaires.
     On peut estimer à environ 300 000 les réimplantations obligatoires pour les trois républiques. On voit qu’on est loin d’un programme étendu à toutes les zones sous contrôle avec un million de personnes à réimplanter, ce dont s’effrayaient L. Iline, le responsable de la radioprotection soviétique, et ses collègues lorsqu’ils en référaient à M. Gorbatchev.
     A Paris S. Belyayev [25] affirmait que la considération des contre-mesures sur la base d’analyses coût-efficacité ou coût-bénéfice conduit à la conclusion que la réimplantation n’est pas efficace dans la plupart des cas. Mais ce sont les décideurs et gestionnaires qui font les analyses. Par ailleurs il reconnaissait que " la réimplantation peut éliminer pratiquement toute exposition future à des doses ".
     Ces doses qui auraient pu être évitées au million d’habitants des zones contaminées sous contrôle représentent des maladies, des souffrances et des morts pour eux et leur descendance et ce sont nos experts qui ont aidé le pouvoir central soviétique à réduire le nombre effectif des réimplantations.

Les contre-mesures préconisées par la CIPR en cas d’urgence radiologique
     Avant Tchernobyl, la CIPR avait recommandé un certain nombre de contre-mesures à mettre en oeuvre concernant la phase d’urgence (publication CIPR 40, mai 1984). Une fourchette de doses devait délimiter la prise de décision. En dessous de la limite inférieure, on ne fait rien. Au-dessus de la limite supérieure où la dose est 10 fois celle de la limite inférieure, les contre-mesures doivent avoir été effectuées. Ainsi il faut envisager (limites inférieures) :
     - le confinement au-dessus d’une irradiation corps entier de 5 mSv (0,5 rem).
     - l’administration d’iode stable si l’équivalent de la dose thyroïde atteint 50 mSv (5 rem).
     - l’évacuation, au-dessus d’une dose corps entier de 50 mSv et d’une dose thyroïde de 500 mSv (50 rem).
     Il semble bien que pour la Protection Civile ces limites inférieures étaient considérées comme des limites au-delà desquelles on décrétait la contre-mesure [28].
     A chaque étape de la décision une analyse coût/bénéfice doit être effectuée, la contre-mesure doit apporter plus de bénéfice que de détriment. Évidemment le simple citoyen ignore la subtilité des calculs des experts qui discutent du prix de sa vie.
     La CIPR 40 ne donnait pas d’indication concernant les réimplantations. En fait la situation créée par Tchernobyl où, après les évacuations de la phase d’urgence et près de trois ans de vie sur des terrains contaminés, de nouveaux déplacements de populations se sont avérés nécessaires, n’avait pas été envisagée.
     La CIPR, tirant probablement des enseignements de la catastrophe de Tchernobyl concernant les problèmes de doses acceptables pour les diverses contre-mesures, précise, dans sa publication 63 de 1992, ses recommandations pour les niveaux d’intervention. Comme elle préconisait en 1984 de tenir compte des coûts économiques et sociaux pour optimiser les contre-mesures, elle est obligée de préciser quelques coûts monétaires.

suite:
 Ainsi elle évalue le coût de l’ homme-sievert[4] (lié au prix de la vie d’un individu) pour trois types de pays :
     Remarque : la vie d’un individu d’un pays pauvre vaut 33 fois moins que celle d’un pays riche. Le prix d’un riche américain est évalué à 2 millions de dollars, le prix d’un pauvre chinois lui, ne dépasse pas 60 000 dollars. La CIPR ne donne pas d’indication pour le prix d’un pauvre américain ou d’un riche chinois. La conséquence de ces recommandations est que les individus des pays pauvres ne seraient obligatoirement évacués que pour un débit de dose de 15 mSv/mois, niveau 3 fois plus élevé que ce qui est recommandé pour un pays riche.
     La CIPR ne semble s’intéresser qu’aux limites justifiées des interventions. Pour qu’une intervention soit justifiée il faut que le coût monétaire des doses évitées (cancers etc.) soit supérieur au coût de l’intervention (par exemple le coût de l’évacuation: transport, relogement etc). La CIPR précise les niveaux d’intervention toujours justifiés pour diverses interventions:
Les doses évitées dépendent du moment où la contre-mesure est mise en oeuvre et la CIPR en "optimise" le coût. Ainsi les valeurs optimisées ne doivent " pas être inférieures au dixième des valeurs justifiées. Dans la mesure où, dans la phase d’urgence seules les valeurs "presque toujours justifiées" sont précisées il est à craindre que dans le cas d’un accident futur grave ce ne soient elles qui servent de guide.
     Quant à la "réimplantation" avec relogement dans une zone non contaminée (ou moins contaminée) elle ne serait justifiée que si la dose engagée sans réimplantation était supérieure à 1 sievert (100 rem). On retrouve là les recommandations de Beninson et Pellerin des 3 fois 35 rem. Cela n’a rien d’étonnant puisque la Commission principale de la CIPR était présidée par Beninson, et Pellerin était membre de la sous-commission 4 qui a fait ces recommandations.
     Finalement c’est une "chance" qu’ont eue les populations soviétiques qui ont été réimplantées d’avoir été gérées par un pouvoir autoritaire ! Un pouvoir démocratique à l’occidentale aurait imposé des limites bien plus élevées pour éviter les évacuations en laissant vivre les populations sur des territoires notablement contaminés.

     Quand on examine les interventions des experts occidentaux dans la gestion des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, on voit clairement qu’ils ont apporté un soutien sans réserve au pouvoir central soviétique et à ses experts scientifiques au détriment de la santé de la population. Cette action de nos experts n’a guère soulevé de critiques ni dans la communauté scientifique, ni dans les corps intermédiaires (corps médical, syndicats, associations) ni dans les médias.
     Notre responsabilité dans les conséquences sanitaires de l’accident de Tchernobyl est donc entière. De plus, l’action de nos experts a permis d’introduire, à partir de l’expérience de Tchernobyl, des critères strictement économiques pour la gestion des crises futures qui seront redoutables pour les accidents nucléaires dont on ne peut pas exclure la possibilité chez nous.

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Références
[1] AIEA. INFCIRC/380 Vienne, 25 juillet 1990.
[2] Gazette Nucléaire n°96/97, juillet 1989. Dossier Tchernobyl trois ans après.
[3] USSR State Committee on the utilization of nuclear Energy : The accident at the Chernobyl nuclear plant and its consequences. Information compiled for the IAEA Expert’ Meeting, 25-29 August 1986, Vienna.
[4] Ce facteur de risque sera multiplié par un facteur 4 en 1990 (publication CIPR 60). La dose collective s’exprime en homme-sievert (ou en homme-rem). C’est le produit de la dose moyenne reçue par un membre du groupe (en sieverts ou en rems) par le nombre d’individus de ce groupe. C’est cette dose qui, multipliée par le facteur de risque correspondant, permet de déterminer le détriment (cancers, effets génétiques, perte de durée de vie).
[5] Science, Sept. 12, 1986, vol. 233.
[6] Commission des Communautés Européennes. L’accident nucléaire de Tchernobyl et ses conséquences dans le cadre de la communauté européenne, COM (86) 607, oct. 1986.
[7] Nucleonics Week, May 10, 1990, p. 3.
[8] A. Moïesseev, Analysis of the radiological consequences of the Chernobyl accident for the population in the European part of the USSR. WHO Consultation on Epidemiology related to the Chernobyl Accident, 13-14 May 1987, Copenhaguen.
[9] Libération 4 nov. 1987.
[10] L. A. Ilyin, O. A. Pavlovskij Radiological consequences of the Chernobyl accident in the Soviet Union and mesures taken to mitigate their impact IAEA Bulletin 4/1987.
[11] L. A. IL’IN The Chernobyl experience in the context of current radiation protection problems Proccedings of an international conference, Sydney 18-22 april 1988, Radiation Protection in nuclear energy, vol. 2 p. 363.
[12] UNSCEAR Report to the general Assembly 1988 Sources, effects and risks of ionizing radiation. L’équivalent de dose efficace engagée est de 226 000 homme-sievert, p. 369
[13] Bella et Roger Belbéoch Tchernobyl une catastrophe Editions ALLIA, Paris 1993.
suite:
[14] Sobiecednik, n°17, avril 1989 cité dans la Gazette Nucléaire n°96/97
[15] Gazette Nucléaire n°84/85, janvier 1988, p. 26
[16] Pravda d’Ukraine 5 et 15 juillet 1989
[17] Gazette Nucléaire n°100, mars 1990. Dossier Gestion post-Tchernobyl p. 16.
[18] Chernobyl reactor accident. Report of a consultation, 6 may 1986, WHO, Copenhagen.
[19] Gazette Nucléaire n°101/102 mai 1990 p. 32
[20] Gazette Nucléaire n°109/110 Dossier Tchernobyl 5 ans après (22 pages).
[21] The International Chernobyl Project. An Overview. Assessment of radiological consequences and evaluation of protective peasures. Report by an international Advisory Commitee, may 1991.
[22] Données communiquées par le Dr Marie-Hélène Montaigne, Association Avicenne, Ronchain, France.
[23] G.I. Lazjuk et al. Radiation Protection Dosimetry vol. 62, n°1/2 (1995)p. 71-74 Frequency of changes of inherited anomalies in the Republic of Belarus after the Chernobyl accident
[24] Gazette Nucléaire n°157/158, mai 1997. Dossier Tchernobyl 11 ans après (12 pages).
[25] S. T. Belyayev, V. F. Demin Les conséquences à long terme de Tchernobyl, les contre-mesures et leur efficacité. Actes de la conférence internationale les accidents nucléaires et le futur de l’énergie. Leçons tirées de Tchernobyl. 15-16-17 avril 1991, Paris.
[26] Scientific Correspondance Thyroïd cancer after Chernobyl, Nature, 3 sept. 1992, vol. 359 V. S. Kazakov, E. P. Demidchik, L. N. Astakhova, p. 21, K. Baverstock, B. Egloff, C. Ruchti, D. Williams, A. Pinchera, p. 21-22
[27] B. Belbéoch, En Biélorussie : cancers de la thyroïde chez les enfants Gazette Nucléaire n° 119/120, août 1992.
[28] M. Genesco, communication personnelle, 28/2/1989  

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Annexe
Populations vivant sur les territoires légalement contaminés
en Ukraine, Biélorussie et Fédération de Russie

Les données proviennent des références [20] et [1]. La définition des zones sous contrôle : références [2] et [7]
Il faut aussi tenir compte de la contamination par le strontium 90 et les isotopes de plutonium [17] [13].

DERNIERE MINUTE

L'IPSN (12 ans après...) vient de sortir un superbe dossier couleur avec les cartes de contamination sur la France. Ce dossier reprend tous les élements depuis 1986. On a publié ces élements dans les gazettes consacrées à ce sujet (69/70, 71/72, 78/79, 86/87, 96/97, 100, 105). Vous pouvez vous le procurer en le demandant à l'IPSN (rapport IPSN 97-03)
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