GAZETTE NUCLEAIRE
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Variétés
Roger Belbéoch

C'était il y a quelques années.
     «L'énergie atomique, de beaucoup la plus propre, la moins polluante et la moins dangereuse de toutes»
     Professeur Louis Néel, de l'Académie des Sciences, Lauréat du prix Nobel. (Extrait du Bulletin d'Information no 3 d'Électricité de France, Tours, 1975).
     «Je crois que l'on peut rassurer les Français devant 1'augmentation du nombre de Centrales Nucléaires et devant l'usage des radiations ionisantes».
     Professeur Mathé, médecin de l'Institut de Cancérologie de Villejuif, le mardi 8 octobre 1974. (Cité dans le Bulletin d'Information no 6 d'Électricité de France, Tours, 1975).

Le Professeur Pellerin et la protection sanitaire grâce aux réacteurs nucléaires.
     Le 27 mars 1973 le Professeur Pellerin s'exprimait ainsi «Les Centrales nucléaires doivent être considérées comme l'un des moyens d'amélioration les plus efficaces de la protection sanitaire des populations car leur développement ne peut manquer de faire disparaître, à terme, des pollutions traditionnelles extrêmement graves auxquelles, malheureusement, le public ne prête, par habitude, que peu d'attention».
     (Extrait du Bulletin d'Information no 4 d'Électricité de France, Tours, 1975).
     Vingt ans après le même Pr Pellerin, pour empêcher l'adoption de nouvelles normes de radioprotection plus sévères, faisait circuler des notes parmi les experts en radioprotection et l'establishment nucléaire. Le Monde du 2juillet 1994 signale:
     «Dans ces notes, qui circulent sous le manteau dans les milieux du nucléaire, l'ancien directeur du SCPRI [le Pr Pellerin] invoque des raisons «d'ordre psychologique et médiatique» à l'appui de sa thèse. La limite de 1 mSv [1 millisievert comme limite annuelle au lieu de 5 précédemment] serait immédiatement dépassée en cas d'incident même mineur. Or estime-t-il «la population n'acceptera pas en situation accidentelle que l'on applique des normes de radioprotection moins sévères que celles applicables en circonstances normales»».
     Pour le Professeur Pellerin il faut se préoccuper sérieusement de la gestion «psychologique et médiatique» des accidents nucléaires. Il ne semble pas que l'énergie nucléaire soit devenue le moyen le plus efficace de la protection sanitaire comme il le prédisait en 1973...

Les Russes ont les moyens d'enrayer les effets néfastes du rayonnement!
     Sur l'étiquette d'une bouteille de vodka russe apparemment destinée à l'exportation, la VODKA ROSSIYSKAYA KORONA, nous lisons cette annonce: «L'authentique vodka russe est produite suivant un procédé unique par la ROSSIYSKAYA KORONA, firme sans rivale dans le monde pour la fabrication de produits écologiques purs. Cette boisson a un important effet curatif qui a été confirmé par des recherches médico-biologiques et une commission internationale d'experts.
     L'usage modéré et prescrit de cette boisson avec dilution dans de la glace jus qu'à un degré alcoolique de 30% fournit un effet prophylacti que et curatif contre les maladies de la radioactivité, cancers et gastro-entérites, et stabilise les systèmes psychophysiques et cardiovasculaires ainsi que les processus métaboliques et immunologiques».

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     Voilà qui est vraiment bizarre et confirme les informations rapportées par quelques amis médecins de retour de mission dans les mois ayant suivi Tchernobyl comme quoi «on» donnait de l'alcool pour «soigner» les liquidateurs... Il y aurait là un débouché très prometteur pour notre industrie des alcools si elle voulait se reconvertir dans la radioprotection ! Cette vodka, labellée «écologiquement pure» importée d'URSS serait un remède plus agréablement efficace que les pastilles d'iode stable (aux effets limités aux iodes radioactifs)
     Cet usage de l'alcool comme radioprotecteur n'est peut-être pas si sot que ça. En effet, lorsque le rayonnement a frappé nos cellules, lorsque la contamination radioactive s'est incrustée dans nos organes, s'il n'y a pas grand chose à faire pour stopper l'évolution ultérieure des cancers radioinduits, l'alcool comme calmant peut permettre d'attendre les cancers avec sérénité, voire indifférence...
     Les experts russes ne sont d'ailleurs pas les premiers à avoir découvert les vertus de l'alcool. Pendant la première guerre mondiale l'usage intensif du vin chez les assaillants permit de réduire notablement l'effet des balles ennemies!

Les cancers sont-ils nuisibles à la santé?
     « Aux doses intermédiaires entre celles dues à l'irradiation naturelle et 0,5Sv [0,5 sievert =50 rem] aucun effet nuisible à la santé n'a été observé».
     C'est Jean Teillac qui écrivait cette perle dans son livre, «Les déchets nucléaires» (Que sais-je? 1988). C'est au Professeur Teillac que fut confiée la direction du Commissariat à l'Énergie Atomique pendant des années en tant que Haut Commissaire. Rien d'étonnant, alors, au fait qu'on ne dispose à ce jour d'aucune étude épidémiologique sérieuse sur les cancers de l'ensemble des travailleurs de l'énergie atomique du C.E.A..

Les «colis» de déchets nucléaires
     Le terme «colis» est utilisé par les responsables en déchets nucléaires pour désigner l'emballage de ces déchets.
     Le dictionnaire apporte quelques précisions sur ce terme «Colis (de l'italien colli, pluriel de collo, "charges portées sur le cou"). Tout objet destiné à être expédié et remis à quelqu'un, voir Bagage, ballot, sac (...) exemple colis postal».
     Ce terme de «colis» est peut-être bien choisi car ces déchets sont emballés pour être effectivement remis à des destinataires, nos descendants!

Qu'est-ce que la sûreté ? Un avis expert.
     La revue Radioprotection (1983, vol. 18, no 3 pages 155 à163) a publié un article de Raymond Latarjet, membre de l'Institut, Institut Curie, intitulé «Implications biologiques de l'optimisation des irradiations». La revue résume ainsi cet article : «Pour avoir participé à un groupe de travail réuni au Vatican par l'Académie pontificale des sciences, du 2 au 5 mai 1983, l'auteur soumet quelques réflexions personnelles que cette réunion lui a inspirées».
     L'auteur indique: «Le Saint-Siège s'intéresse très sérieusement à de nombreux problèmes scientifiques d'actualité et de caractère mondial». En conclusion il donne sa conception de la sûreté : «Oublie-t-on donc que sur cette terre la sécurité n' est jamais qu'un risque accepté ? Il est dès lors indispensable de dissocier les problèmes au niveau de la connaissance scientifique des mêmes problèmes au niveau pratique»

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     Si l'on suit la conception de la sûreté de Raymond Latarjet, un moyen simple d'améliorer la sûreté à EDF c'est de faire accepter à la population des risques de plus en plus grands. En somme l'argent dépensé par EDF lors de ses campagnes publicitaires contribue notablement à accroître la sûreté des réacteurs si ces campagnes arrivent à faire accepter des risques importants!
     Concernant la position du Pape vis à vis de la sûreté nucléaire nous n'avons pas relevé de déclaration particulière. Les conclusions du groupe de travail réuni par l'Académie pontificale des sciences en 1983 sont demeurées confidentielles depuis cette date. Il est vrai que l'auteur mentionne au début de son papier que dans le «style habituel de l'Église» les prises de position ne sont «jamais précipitées». Concernant certains aspects de la protection sanitaire ou de la démographie (sida, contraception etc.) les prises de position du Vatican sont pourtant bien rapides!

Comment un Haut-Commissaire à l'Énergie Atomique envisageait une «nouvelle philosophie de la sûreté».
     C'était en 1982 quand, du 19 au 23 juillet se tenait à Lyon la «Conférence internationale sur la sûreté des surgénérateurs».
     Le ton était donné à l'ouverture par M. Jean Teillac, Haut-Commissaire au C.E.A. : «Je suis convaincu que les spécialistes de la sûreté doivent s'efforcer de recentrer en permanence leurs réflexions sur la réalité des installations plutôt que de se perdre dans des développements théoriques de plus en plus sophistiqués...».
     Cette nouvelle philosophie était-elle liée à l'échec de l'ancienne qui prédisait des probabilités très faibles pour des événements réputés impossibles et qui se sont pourtant produits? Non bien sûr. Pour les autorités de sûreté il faut dorénavant tenir compte essentiellement des incidents observables sur les installations et mettre une sourdine à l'imagination morbide qui conduit à tous ces systèmes sophistiqués très coûteux. En somme, ordre est donné par le Haut-Commissaire de ne tenir compte de l'accident qu'après coup. C'est la politique du «on verra bien».
     La pensée du Haut-Commissaire se comprend mieux quand on entend la conclusion de son exposé : «Je n'ai jamais cru personnellement qu'une bonne sûreté coûtait cher en investissement». Inutile de compter sur lui pour obtenir une augmentation des crédits pour améliorer la sûreté des installations nucléaires. C'est ce que les experts appelaient déjà «la nouvelle philosophie de la sûreté».
     En 1989 l'Inspecteur Général de la Sûreté à EDF, Pierre Tanguy, apparemment conscient du danger de ce genre d'attitude pour la conception, la maintenance et la conduite des réacteurs nucléaires, tentait d'introduire chez les responsables une nouvelle notion : «la culture de la sûreté», c'est à dire la prise en considération permanente de la possibilité de survenue d'accident grave.
     Le texte du Haut Commissaire à l'Énergie Atomique permet de mieux comprendre les inquiétudes de P. Tanguy quant aux possibilités d'accidents majeurs sur les réacteurs français. Mais il semble bien, si l'on en croit ses différents rapports, que la «culture de la sûreté» a eu du mal à s'implanter à EDF. La «nouvelle philosophie de la sûreté» de J. Teillac, haut fonctionnaire responsable (?) devait avoir bien des attraits par son laisser-aller et son «on verra bien» pour ceux qui s'adonnent au culte du kilowatt-heure ! Il est à craindre que cette philosophie ne soit devenue le fondement de la pratique quotidienne à EDF.

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Les cancers font peur, alors n'en parlons pas.
     C'est à propos de l'effet cancérigène du radon qu'un expert français en radioprotection s'insurgeait en 1978 contre l'usage du mot cancer: «Il me semble que dans le domaine de l'effet du radon sur les populations (...) nous devrions faire preuve peut-être d'un peu plus de prudence dans la présentation de nos résultats. Personnellement, je suis toujours un peu choqué lorsqu'on utilise comme unité de mesure le cancer du poumon. Le cancer du poumon c'est quand même une unité qui n'est pas très agréable à présenter à la population. La CIPR prend beaucoup de précautions lors qu' elle parle de cancer du poumon, elle dit ce sont des cancers hypothétiques, moyennant certaines hypothèses de linéarité des effets, enfin il y a tout un contexte. Or certains maintenant utilisent le cancer du poumon comme unité, comme ils utilisent le rad ou le rem. Il me semble qu'il faudrait que nous évitions, lorsque c' est possible, de parler de cancer du poumon».
     Ce texte de J. Pradel est extrait de «Surveillance du radon, Compte-rendu d'une réunion de spécialistes de l'Agence pour l'Énergie Nucléaire, Paris 20-22 nov. 1978 (page 293). J. Pradel faisait partie de l'Institut de Protection et Sûreté Nucléaire (IPSN) au Commissariat à l'Énergie Atomique, Section technique d'études de pollution dans l'atmosphère et dans les mines.
     Est-il dès lors surprenant avec ce genre d'expert, que la France soit très en retard en ce qui concerne la protection de la population vis-à-vis du radon dans les habitations et que seule, en 1996, elle ignore superbement les recommandations de la Commission Internationale de Protection Radiologique, de l'Organisation Mondiale de la Santé et de la Commission des Communautés Européennes?

La morosité n'affecte pas tous les patrons d'industrie
     Extrait du Monde des 29 et 30 octobre 1995 sous le titre «Dans une base proche de Dijon, mille agents du C.E.A.     fabriquent la bombe en série. Le plan de charge est assuré au-delà de l'an 2000» ; «(.. .) Quel chef d' entreprise, dit Alain Gourod, le directeur du centre, peut se vanter d'un plan de charge assuré au-delà de l'an 2000, qui implique le maintien du personnel à hauteur de ce qu'il est depuis 1990» ; «(. . .)Valduc a une particularité: ce centre d'études est le seul qui va suivre une arme durant quelque 30 ans, depuis sa production jusqu'à son démontage en fin de vie opérationnelle, en passant par le retraitement et le recyclage des armes périmées pour en fabriquer de nouvelles ou pour maintenir en état celles qui vieillissent»; «Le millier d'agents de Valduc et les trois cents personnes en sous-traitance locale ne manquent pas de boulot, dit le directeur du centre, qui ne prévoit pas de «trous de production».
     Ainsi le centre de Valduc ne craint pas la crise. De cette façon se trouve réalisé le mouvement perpétuel de la fabrication à la nécupération et au recyclage des composants des bombes nucléaires. Cela peut durer longtemps si on ne fait pas d'omelette avant.

Les médias et les perles de l'«information scientifique»...
     Dans la page «Aujourd'hui - Science» du Monde du 24 mai 1995, à propos de Superphénix capable de «brûler du plutonium et un certain nombre de produits de fission à longue vie connus sous le nom d' actinides»
     Dans le Magazine de Libération du 26 novembre 1994 «Strontium, isotope de l'uranium».
     Dans la page «International» du Monde des 12-13 mars 1995, à propos des installations nucléaires de la Corée du Nord : «(...) le démantèlement de ses réacteurs de la filière graphite-gaz capables de produire de grandes quantités d'uranium (...)

à Suivre
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