GAZETTE NUCLEAIRE
Les bombardements atomiques
d'Hiroshima et Nagasaki en août 1945
Le bilan des victimes
J.-C. Nénot - Institut de Protection et de Sécurité Nucléaire

Introduction
     Lors de l'explosion des bombes lâchées au-dessus d'Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945, les habitants ont été exposés aux effets combinés du souffle, de la chaleur et des rayonnement. Le souffle et la chaleur ont été responsables de la mort de presque tous les habitants des quartiers directement situés sous les explosions. Dans l'explosion d'une arme atomique, le souffle, qui représente environ la moitié de l'énergie libérée par la bombe, est responsable du "blast" traumatique, causant des victimes soit directement par surpression pulmonaire, thoracique, abdominale, etc., soit indirectement par la destruction des bâtiments. La boule de feu, qui représente environ le tiers de l'énergie et qui survient dans les dixièmes de secondes qui suivent l'explosion, cause à proximité des morts instantanées par évaporation et vaporisation des tissus vivants, et à plus grande distance des morts indirectes par les incendies immédiatement générés (tempête de feu, comparable à celles des grands bombardements incendiaires de Dresde et Tokyo). Ainsi, à Hiroshima et Nagasaki, 95 % des décès se sont produits parmi la population à moins de 2 kilomètres du lieu de l'explosion. Le rayonnement ne représente qu'une faible fraction de l'énergie (environ 15 % dont un tiers est émis dans la minute qui suit l'explosion). Dans ces deux villes les retombées n'ont pas été très importantes; les explosions ayant eu lieu à 580 et 500 md'altitude, les boules de feu n'ont pas atteint le sol et en conséquence n'ont pas pu mettre de matériaux radioactifs en suspension dans l'atmosphère. Les habitants des quartiers un peu plus éloignés de l'explosion ont développé des lésions traumatiques et des brûlures de moindre gravité, mais compliquées par l'irradiation; beaucoup d'entre eux sont morts dans les semaines qui ont suivi. Finalement la survie n'a été acquise que pour ceux qui habitaient à plusieurs kilomètres du lieu de l'explosion, et particulièrement quand ils étaient protégés par des structures qui avaient résisté au souffle et à l'incendie. C'est dans ce groupe de survivants qu'on observe depuis quelques décennies un excès de cancers et leucémies.

Les victimes des premiers jours
     Dans un périmètre de quelques kilomètres autour de l'épicentre, la mortalité due au souffle et à l'élévation de température a été considérable; deux jours après le bombardement plus de 90 % des habitants dans un cercle de 1 km étaient morts; il n'y eut aucun survivant parmi ceux qui étaient à l'air libre. Au vingtième jour, 35 % des survivants souffraient de blessures, 20 % de brûlures et 35 % d'irradiation grave. Parmi les victimes hospitalisées les plus gravement atteintes, la moitié (un cinquième) étaient à la fois grièvement brûlées et irradiées (combinaison de brûlures thermiques et radiologiques). Le nombre des morts instantanés est évalué à 45.000 pour Hiroshima et à 31.000 pour Nagasaki, pour des populations de 330.000 et 250.000 personnes. Les décès furent encore très nombreux durant les trois semaines qui ont suivi les bombardements:15.000 à Hiroshima et 32.000 à Nagasaki. Le taux de survie de ces victimes a été extrêmement faible.

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Les victimes le la première année
     Comme dans toute catastrophe, le nombre de blessés l'a emporté largement sur le nombre des morts. Beaucoup de survivants ont souffert de complications, en raison de la précarité des moyens médicaux disponibles, et de l'intrication des effets de choc, des brûlures et des irradiations globales et localisées. Il n'est pas interdit d'imaginer, qu'à l'inverse du groupe précédent, un nombre important des survivants des premiers jours auraient pu survivre si des soins médicaux appropriés (même ceux de l'époque) avaient pu leur être prodigués; l'état de ces victimes nécessitait leur hospitalisation en milieu spécialisé, afin de traiter rapidement les traumatismes et hémorragies, et de prévenir des complications inéluctables (les surinfections peuvent être gravissimes chez les grands brûlés et les malades dont les défenses immunitaires sont amoindries). La gestion médicale de ces victimes a été d'autant plus difficile que nombre d'établissements de soins avaient été détruits et que la mortalité de leur personnel (médecins, pharmaciens, infirmiers) dépassait 90 %. La quantification des décès survenus la première année est très incertaine, et il est impossible de faire la part exacte des trois causes, souffle, chaleur et rayonnements.
     Le tableau 1 dresse le bilan général, tel qu'il a pu être établi àce jour, des décès survenus au cours de l'année qui a suivi les bombardements:
TABLEAU 1
Nombre de morts au cours de la première année

Les victimes du stress psychotraumatique
     Tous les survivants ont souffert du choc émotionnel causé par le bombardement et le spectacle de ses effets sur les humains et l'environnement. Les effets psychologiques du bombardement furent durables et eurent de graves retentissements somatiques. Les sentiments qui prédominèrent dans l'immédiat furent la honte d'être encore en vie alors que tant de membres de la famille avaient été tués, la perte de confiance envers l'entourage et l'impression d'une discrimination sociale. Il en est résulté une augmentation des névroses avec nettes tendances autistiques. Cependant le taux de suicide parmi les survivants est resté comparable à celui habituellement observé au Japon.

Les cancers et leucémies
     Les effets à long terme sont étudiés depuis 1947, année où une initiative américaine a donné naissance à l'Atomic Casualty Commission (ABCC), dont les travaux étaient le fruit de la collaboration entre l'Académie des sciences des États-Unis et l'Institut national de la santé du Japon. 

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En 1975 l'ABCC a été transformée en Radiation Effects Research Foundation (RERF), réelle organisation binationale ayant au Japon le statut d'une organisation privée à caractère non lucratif avec un budget annuel de 20 millions de dollars et 400 employés. Le programme se décompose en trois parties principales:
     (1) suivi d'une population de survivants définie en 1950: la Life Span Study (LS S) et le Pathology Program qui se consacrent à l'étude de la mortalité et de ses causes, l'Adult Health Study qui surveille la santé des survivants, et l'Utero Study qui se consacre aux enfants des femmes enceintes au moment des bombardements,
     (2) étude de la descendance des survivants et
     (3) étude des pathologies radioinduites, cancéreuses ou non. Ces programmes d'études reposent sur la constitution successive de registres divers, comme le registre des tissus, celui des leucémies et celui des cancers.
     Parmi les 285.000 personnes exposées lors des explosions ou dans les semaines qui ont suivi, 80.000 étaient décédées en 1978. Une enquête particulière conceme 120.000 personnes, dont 93.000 étaient dans les villes au moment des explosions et 27.000 qui n'y ont pénétré qu'ultérieurement mais ont été exposées de façon significative. Le dernier bilan concerne une cohorte d'environ 86.000 personnes suivies entre les années 1950 et 1987. Le tableau 2 résume les principales données numériques concernant l'apparition des cancers chez les survivants. Ce tableau présente les effectifs des populations de référence, le nombre de cancers qu'il serait normal d'observer et le nombre réellement constaté. La différence entre ces deux derniers nombres correspond à l'excès attribuable à l'effet des rayonnements des deux bombes. Cet excès est de 306 pour les cancers solides et de 75 pour les leucémies. Rapportés au nombre de cancers et leucémies "normalement" attendus entre 1950 et 1987, les cancers et leucémies dus aux bombardements d'Hiroshima et Nagasaki représentent un accroissement de 5 à 6 %. La part des leucémies est, en relatif, considérablement plus importante, puisqu'environ la moitié (75/156) d'entre elles est attribuable à la bombe; la part des cancers solides est inférieure à 5 % (306/6.581). Ce chiffre souffre d'imprécisions en raison du petit nombre de personnes dans chaque catégories (classement par organe, sexe, âge, etc.).

TABLEAU 2
Nombre de morts par cancers et leucémies
entre 1950 et 1987

     Le calendrier d'apparition des effets à long terme dépend de l'effet observé: l'excès de leucémies a commencé à apparaître vers les deuxième et troisième années après le bombardement, pour atteindre un pic à la sixième année. L'excès des autres cancers a commencé à apparaître à partir de la dixième année et continue d'augmenter. Il faut souligner que 60 % des personnes survivantes à la fin de 1945 sont encore en vie, et que cette proportion n'est pas différente de celle de la population japonaise non exposée.

suite:
     Aucun bilan définitif ne sera possible avant l'extinction de l'ensemble des survivants suivis depuis maintenant un demi-
siècle. Un calcul prospectif, qui suppose le maintien du même excès de cancers avec le temps, montre que le nombre total de cancers attribuables aux bombes atteindra environ 2.000. Ce nombre correspond à 1% de l'ensemble de la population irradiée et s'ajoutera aux 20% de cancers mortels spontanés.

Les effets sur le développement cérébral des embryons
     Une étude regroupe les survivants qui ont été irradiés alors qu'ils étaient en gestation au moment des bombardements. Parmi ces survivants exposés in utero, il a été détecté des retards mentaux graves. Ces pathologies ont été observées lorsque l'irradiation avait eu lieu entre la 8e et 15e semaine de gestation, période qui correspond à la phase critique de l'organogenèse, avec la différenciation, la croissance et la migration des cellules nerveuses. Parmi 1.540 de ces survivants, 30 cas de retards mentaux graves ont été relevés, avec près de 75 % de cas dans le groupe exposé à plus de 1 Gy (c'est à dire dont les mères étaient parmi les 10 % de survivants dans le cercle de 1 km). La période entre la 16e et 25e semaine est beaucoup moins critique, et aucun risque ne semble exister avant la 8e et après la 25e semaine de gestation. Les retards se traduisent par une diminution du QI, allant de pair avec la dose.

Les effets sur la descendance
     A ce jour, aucun effet génétiquement transmissible n'a été observé dans la descendance des survivants. La première génération (née après 1945) compte 76.817 personnes, qui font l'objet d'un suivi méthodique. Pour 67.586 d'entre elles, les doses reçues par les parents ont pu être reconstituées. La taille de la population étudiée confère une certaine robustesse statistique à cette étude. Le suivi de la deuxième génération, en cours, ne montre pas non plus d'excès de tares transmissibles.

Bibliographie
1 WHO (Organisation Mondiale de la Santé) : Short-term and medium term health effects of the thermonuclear weapons and war on individuals and health services, M.L. Lechat, Ed, 1983.
2 UNSCEAR (Comité Scientifique, des Nations Unies pour l'Étude des Rayonnements Ionisants), Rapport 1994.
3 RERF (Radiation Effects Research Foundation) update. News and views. Périodique.

Commentaire Gazette
     50 ans après les explosions on se demande encore quelles sont les doses et si les effets sont encore tangibles. Or lors des explosions on a dispersé les produits de fission résultant de la fission respectivement de 1 kg d' U à Hiroshima et 1 kg de Pu à Nagasaki. A Tchernobyl il s'agissait de tonnes d'où l'importance de la contamination. On a d'autres suivis cette fois de tests particulièrement mégatonniques: Bikini et sa contamination strontium, les îles Marshall et la contamination par l'iode. On avait pu se rendre compte à Bikini de l'impossibilité de décontaminer l'île grâce à 100 îliens qu'on a du réévacuer quand il s'est avéré que les cocotiers refusaient de redevenir sains. Quant aux îles Marshall on a contaminé de l'ordre de 500 personnes et on avait une mini épidémie de cancers de la thyroïde (très significative, tout de même). Tchernobyl ne fait que confirmer et surtout renforcer les statistiques!!

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