Résumé 1- La présence possible d'uranium 236 indique qu'il ne s'agit pas d'un stockage exclusif d'uranium appauvri issu d'uranium naturel. Cet isotope 236 ne peut provenir que de l'uranium de retraitement des combustibles irradiés. De ce fait des problèmes spécifiques apparaissent. Ils ne sont pas analysés dans le dossier fourni pour l'enquête publique. Une réglementation spécifique serait hautement souhaitable pour ce type d'uranium appauvri. 2- Les spécifications que doit remplir le stockage sont trop vagues pour vérifier facilement si elles sont effectivement respectées. Elles nécessiteraient une comptabilité fiable sur la composition isotopique et la masse de chaque colis pendant un temps long. 3- Il n'est pas tenu compte des descendants à vie courte des isotopes 238 et 235 de l'uranium. Ces éléments sont classés réglementairement dans le groupe 3 de radiotoxicité et l'évaluation de leur activité montre que le seuil de qualification en Installation Nucléaire de Base est largement dépassé pour l'installation prévue. 4- Il faut mentionner l'incohérence interne de la réglementation concernant l'uranium appauvri et les divers isotopes de l'uranium. L'incohérence la plus flagrante concerne l'isotope 234 qui voit sa forte radiotoxicité disparaître réglementairement quand on le mélange à l'isotope 238. La réglementation sous-estime notoirement les dangers de l'uranium. 5- Les études sur les situations accidentelles, du moins d'après le dossier fourni, sont tout à fait insuffisantes. Les protections contre certaines de ces situations sont manifestement incompatibles avec la protection de la population et des travailleurs appelés à intervenir sur le site. En particulier une surveillance aveugle n'est pas adéquate compte tenu des conséquences d'actes de malveillance (explosion suivie d'incendie intense). 6- L'absence d'un projet industriel dont on pourrait définir les caractéristiques pour la reprise de l'uranium appauvri en vue d'un enrichissement ultérieur, montre que l'uranium appauvri ne peut pas être considéré comme une matière valorisable réutilisable. Il s'agit en fait d'un déchet nucléaire. La COGEMA projette de stocker sur le site de Bessines 265.000 tonnes d'oxyde d'uranium appauvri sous forme de U3O8. En réalité ce n'est là que la première étape envisagée par COGEMA dont les intentions sont exprimées dans le dossier (page 13/132). D'autres projets devraient suivre, faisant de ce site un endroit à risque particulièrement élevé. Il serait donc rationnel de traiter en même temps la totalité des projets COGEMA et d'en étudier -avant réalisation- l'impact sur la population et l'environnement. I. La radioactivité de l'entreposage et la réglementation 1 - L'activité totale des isotopes de l'uranium Le dossier affirme : «L'activité totale du parc sera au maximum de 3773,5 TBq soit 96.630 Ci» (p. 10/132). Étant inférieure à 100.000 Ci la demande d'autorisation est celle d'une Installation Classée pour la Protection de l'Environnement (ICPE). (suite) | suite: L'activité des isotopes de l'uranium dans 3 tonnes d'uranium naturel se distribue de la façon suivante : U 238 1 Ci U 234 1 Ci U 235 0,005 Ci. L'uranium 235 contribue peu à l'activité totale des isotopes de l'uranium naturel ou appauvri. C'est la concentration en isotope 234 qui sera déterminante pour l'activité totale. Ainsi, si l'on fait passer la teneur en U 235 de 0,2% à 0,4% (c'est à dire un facteur 2 autour de la valeur nominale prévue de 0,3% dans le projet COGEMA), l'activité totale du stock varie d'une centaine de curies. Une variation relative identique d'un facteur 2 de la teneur en U 234 modifie la contribution de cet isotope à l'activité totale de plus de 20.000 Ci. Or l'activité totale visée (96.630 Ci) est très proche de l'activité maximum réglementaire (100.000 Ci) et correspond à un écart tolérable sur l'activité totale du stock de 3,4%. Aucune indication n'est donnée sur les méthodes utilisées (et les marges d'erreur) permettant de déterminer les concentrations en U 234 et U 235 pour des teneurs en U 235 inférieures à 0,30%. Il est pourtant nécessaire d'avoir une bonne connaissance de la concentration en U 234 pour chaque livraison d'uranium appauvri. Ceci est d'autant plus difficile à réaliser que l'installation n'aura aucun moyen de contrôle, en dehors éventuellement d'une bascule (les conteneurs peuvent renfermer des poids très variables d'oxyde U 3O8). Fixer comme seule norme l'activité totale atteinte en fin de stockage exige la tenue d'une comptabilité fiable pendant un temps long de l'activité individuelle des différents conteneurs. C'est probablement le même problème qui a été rencontré pour la fixation de la réglementation de l'usine W de Pierrelatte puisque l'arrêté préfectoral de la Drôme (n° 4249 du 17 décembre 1991) définit la façon de calculer l'activité totale du stock : «4.3 L'activité totale équivalente (ATE) sera en outre calculée en tenant compte de la constitution isotopique de l'uranium mis en oeuvre, à savoir : 3,5.10-3 % pour U 234 0,5% pour U 235 0,01% pour U 236 99,4965% pour U 238 Dans ces conditions, l'activité massique retenue vaut 0,57.10-6 Ci/gU (2,11.104 Bq/gU)» (pages 15 et 16 de l'arrêté préfectoral). Cette limite prise réglementairement pour l'usine W de Pierrelatte donne une limite de stockage de 175.000 tonnes d'uranium soit 207.000 tonnes d'U3O8 pour ne pas dépasser les 100.000 Ci réglementaires d'une ICPE. Cette façon de procéder permet une comptabilité beaucoup plus fiable puisqu'il s'agit d'être sûr que les isotopes 234, 235, 236 n'ont pas de teneurs supérieures à celles indiquées par l'arrêté. [Nous discuterons ultérieurement de la présence d'U 236 dans l'oxyde élaboré à Pierrelatte]. D'autre part l'U308 que la COGEMA désire stocker à Bessines provenant de l'usine W de Pierrelatte, il est logique de prendre les mêmes critères pour la réglementation. p.27 |
2- De l'uranium 236 pourra être stocké sur le site. Cet isotope n'existe pas à l'état naturel. Il peut se trouver dans le combustible usé. Il est donc impossible de le trouver dans l'uranium appauvri provenant de l'enrichissement de l'uranium naturel. Il ne peut provenir que de l'uranium appauvri résidu de l'enrichissement de l'uranium issu du retraitement des combustibles irradiés. Dans la définition de l'uranium appauvri en catégorie 4 du décret du 18 avril 1988, U 236 n'apparaît pas. L'isotope U 236 est classé dans le groupe 2 dit à «forte radiotoxicité». La limite de qualification en Installation Nucléaire de Base (INB) pour les sources non scellées du groupe 2 est de 37 TBq (décret n° 63-1228 du 11 décembre 1963 modifié par les décrets du 27 mars 1973, du 23 avril 1985 et du 19 janvier 1990, complété par l'arrêté du 25 janvier 1967 modifié par l'arrêté du 30 juin 1967). L'activité de U 236 est de 2,36.106 Bq/gramme. La limite de définition en INB est donc atteinte pour 15,7 tonnes d'U 236. Si la totalité du stockage envisagé était à 0,01% cela donnerait 22 tonnes de cet isotope. L'isotope 236 n'entrant pas dans la définition réglementaire de l'uranium appauvri il doit être considéré en tant qu'élément du groupe 2 (voir plus loin).Son activité doit être prise en compte d'une façon séparée pour déterminer l'activité totale vis à vis de la réglementation. L'usine W est autorisée à délivrer de l'uranium appauvri ayant une teneur pouvant aller jusqu'à 0,01%. La valeur fixée à 0,001% dans le dossier (page 25/132) semble complètement arbitraire car on ne trouve aucune justification pour le choix de cette valeur. Il serait plus rationnel de traiter séparément les deux types d'uranium appauvri, celui provenant de l'uranium naturel et celui provenant du retraitement. Si cela n'est pas précisé l'uranium issu du retraitement de certains combustibles usés pourrait directement entrer dans la définition réglementaire du stockage envisagé ou indirectement après dilution par une certaine quantité d'uranium naturel appauvri. Dans ce cas d'autres isotopes de l'uranium pourraient être présents. En effet le problème de l'uranium de recyclage est très complexe. Par exemple le rapport du Conseil Supérieur de la Sûreté Nucléaire sur la gestion des combustibles irradiés (rapport dit Rapport de la Commission Castaing, décembre 1981, novembre 1982) mentionne la présence de l'isotope U 232 dans les combustibles irradiés. Si la teneur de cet isotope est très faible il faut cependant mentionner qu'à masse égale cet isotope est 107 fois plus actif que l'U 235 et 6.107 fois plus actif que l'isotope 238. De plus d'autres contaminants peuvent être présents. Remarque : Les dossiers fournis à la Commission Locale d'Information de Bessines pour présenter les projets de la «COGEMA en Limousin» mentionnent qu'il s'agit d'un uranium appauvri provenant de l'enrichissement de l'uranium naturel (cf. CLI du 8 février 1993). Rien n'indiquait qu'il pouvait y avoir un uranium appauvri d'une autre origine que naturelle. 3 - Les descendants à vie courte des isotopes de l'uranium Il n'est pas fait mention, dans le rapport COGEMA, des descendants à vie courte des isotopes de l'uranium pour le calcul de l'activité totale. Les divers isotopes de l'uranium sont le point de départ de chaînes de désintégrations passant par de nombreux radioéléments avant d'aboutir à un élément stable. Ces radioéléments ont des périodes (demi-vies) très variables. Si l'on envisage un stockage à moyen terme comme c'est le cas dans le projet COGEMA il est nécessaire de comptabiliser l'activité des descendants à vie courte jusqu'au premier élément à vie longue de la chaîne. (suite) | suite: a) Les descendants de U 234 Le premier descendant de U 234 est le thorium 230, radioélément à vie longue (80.000 ans). Il n'interviendra pas dans l'activité d'un stockage à moyen terme. b) Les descendants de U 235 Par désintégration alpha cet isotope produit du thorium 231 émetteur ß et gamma de période 26 heures. A l'équilibre, au bout d'un temps long, il y aura autant de désintégrations d'U 235 produisant du thorium 231 que de désintégrations de ce thorium qui le font disparaître. La quantité de thorium 231 sera alors constante et son activité égale à celle de U 235. Au bout de 3,5 périodes (soit moins de 4 jours) l'activité de Th 231 sera 90% de celle de U 235. En 7 jours son activité sera égale à celle de U 235 à 1% près. Pour le stockage envisagé on peut donc considérer que l'activité de ce descendant est égale à celle de U 235. Le radioélément suivant de la chaîne, le protactinium 231 a une durée de vie longue (30.000 ans) et n'a pas à être pris en compte pour le stockage à moyen terme de U 235. c) Les descendants de U 236 Le premier descendant de U 236 est le thorium 232, radioélément à vie longue (1,4.1010 ans). Il ne contribuera donc pas à l'activité totale du stockage. d) Les descendants de U 238 Le premier descendant de U 238 est le thorium 234 dont la période est de 24 jours. Au bout d'environ 6 mois l'équilibre radioactif sera atteint à 1% près. On peut donc considérer que pour le stockage envisagé l'activité de ce radioélément émetteur béta, gamma sera égale à celle de U238. Le descendant suivant est le protactinium 234 dont la période est de 6,75 heures. Il est donc très rapidement en équilibre avec Th 234. Il a donc une activité égale à celle de U 238 d'origine. Le troisième descendant est U234 de période longue (250.000 ans). Il n'est donc pas à prendre en compte. En résumé, pour le stockage de l'uranium appauvri il faudra en plus tenir compte des 3 radioéléments suivants : thorium 231 activité égale à celle de U 235 thorium 234 activité égale à celle de U 238 protactinium 234 activité égale à celle de U 238 e) La radiotoxicité de ces radioéléments Ces radioéléments sont des émetteurs ß, gamma. La réglementation (décret du 20 juin 1966, modifié par le décret du 18 avril 1988) classe ces éléments dans le groupe 3 dit à «radiotoxicité modérée». f) La réglementation des radioéléments du groupe 3 Le décret du 23 avril 1985 donne, pour les sources non scellées de ce groupe de radioéléments la limite de 3.700 TBq (100.000 Ci) au delà de laquelle le stockage est une Installation Nucléaire de Base (INB). Pour les descendants à vie courte on peut en première approximation (minorante) négliger les descendants de U 235. L'activité de chacun des descendants à vie courte de U 238 sera (à raison de 1 Ci pour 3 tonnes) égale à 74.900 Ci soit 2.770 TBq. L'activité totale du stockage sera donc, pour ces radioéléments du groupe 3, de 5.540 TBq c'est à dire nettement au-delà de la limite de qualification en INB. En toute rigueur il faudrait ajouter la contribution de U236, qui, classé dans le groupe 2 intervient lui aussi réglementairement dans le calcul de l'activité à prendre en compte pour la définition de l'INB. La présence de ces descendants de l'uranium devrait classer l'installation de stockage envisagée à Bessines dans les Installations Nucléaires de Base (INB). p.28 |
4 - Les curiosités de la réglementation concernant les isotopes
de l'uranium (décret du 20 juin 1966 modifié par le décret
du 18 avril 1988). a) radiotoxicité et LAI La réglementation classe les isotopes de l'uranium de la façon suivante : U 234 groupe 1 (très forte radiotoxicité) U 236 groupe 2 (forte radiotoxicité) U 235 groupe 4 (faible radiotoxicité) U 238 groupe 4 (faible radiotoxicité) U naturel groupe 4 (faible radiotoxicité) U appauvri groupe 4, dans la mesure où l'activité en U 234 ne dépasse pas celle de U 238. Quand on examine les limites annuelles d'incorporation (LAI) de ces isotopes définies par la même réglementation on s'aperçoit qu'elles sont égales ou voisines. Ces LAI sont en fait une mesure de la radiotoxicité : plus elles sont faibles plus la radiotoxicité est élevée. D'après la classification des LAI tous les isotopes de l'uranium devraient figurer dans le même groupe de radiotoxicité à savoir le groupe 1 (cf R. Belbéoch, Comparaison de la radiotoxicité de l'uranium, du plutonium et du thorium, La Gazette Nucléaire 129/130 déc.1993). b) Les anomalies concernant la réglementation de U 234 Quand ce radioélément est seul, il doit être considéré réglementairement comme «très fortement radiotoxique». Quand on lui ajoute de l'uranium 238, lui-même radioactif, sa radiotoxicité s'effondre au niveau le plus faible (groupe 4). Le décret de 1988 ne donne aucune explication à cette curieuse anomalie ! Elle ne semble s'expliquer que par les facilités que la réglementation a voulu donner aux installations de l'industrie de l'uranium au détriment des principes de la radioprotection. c) La réglementation concernant l'uranium Le décret du 18 avril 1988 exclut tous les éléments du groupe 4 de la définition des Installations Nucléaires de Base. Le décret du 20 mai 1953 classe en catégorie III la plupart des éléments du groupe 4, l'uranium appauvri en particulier. Pour cette catégorie, le stockage de sources non scellées est une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) pour des activités inférieures à 100.000 Ci. Au-delà de cette limite ce n'est pas une ICPE mais ce n'est pas non plus une INB. Qu'est-ce que c'est alors ? Peut-être existe-t-il d'autres textes peu connus publiés après l'édition de février 1992 du Journal Officiel sur la «Protection contre les rayonnements ionisants» qui lèvent cette curieuse ambiguïté. II-L'uranium appauvri est-il réellement une matière première réutilisable? Le dossier l'affirme (page 22/132). Ce point est important car si cette condition n'est pas remplie l'uranium appauvri doit être considéré comme un déchet et stocké comme tel. Les méthodes industrielles d'enrichissement actuellement connues ne permettent pas d'utiliser cet uranium appauvri. Si cela avait été possible l'enrichissement aurait été plus poussé et l'uranium appauvri résiduel aurait été plus pauvre en U 235 et par conséquent en U 234. Les premiers documents fournis par COGEMA à la Commission Locale d'Information de Bessines indiquaient que la séparation par laser (excitation par infrarouge) pourrait être opérationnelle vers 2010 c'est à dire dans une quinzaine d'années. Cette technique n'est plus mentionnée dans les documents ultérieurs. Dans le dossier présenté pour l'enquête publique COGEMA est très discrète vis à vis de cette technique. On ne trouve qu'une très courte indication dans l'Annexe 8, «L'enrichissement, diffusion gazeuse» « Les procédés par laser semblent prometteurs mais ne sont pas encore industriellement développés». (suite) | suite: Cette technique consiste à exciter un seul isotope de l'uranium afin de le piéger et de l'extraire. Cela est fait par excitation infrarouge. Ce procédé de séparation fonctionne en laboratoire pour de très très faibles quantités d'uranium. L'utilisation industrielle d'un tel procédé exigerait la réalisation d'un appareil dit «laser à électrons libres» que, compte tenu des caractéristiques exigées pour la production de la source infrarouge (puissance, pureté spectrale) on ne sait pas réaliser. Il serait possible de définir les performances requises et par suite les caractéristiques des différents éléments de l'installation (accélérateur linéaire à électrons pour le laser à électrons libres, évaporation de l'uranium, collecte des isotopes etc.). De plus cela est indispensable car pour COGEMA il s'agit de la mise en route d'une installation industrielle vers 2010, c'est à dire dans un avenir assez rapproché compte tenu de la complexité des problèmes technologiques. L'étude de faisabilité devrait donc déjà avoir été faite. Les connaissances théoriques disponibles actuellement sont largement suffisantes pour commencer une étude de faisabilité industrielle de ce procédé. A notre connaissance il n'existe pas de rapport décrivant le laser et les autres composants nécessaires pour réaliser l'installation industrielle qui permettrait la réutilisation de l'uranium appauvri. Remarque : Pour les représentants COGEMA à la Commission Locale d'Information de Bessines il était certain que le procédé par laser serait développé rapidement :«Cet uranium appauvri constitue la matière première potentielle du procédé d'enrichissement par laser qui prendra la relève du procédé actuel vers 2010» [souligné par nous] (CLI du 8 février 1993). Le dossier actuel est beaucoup plus prudent et vague à ce sujet. L'information préalable que la COGEMA fournit sur ses projets est particulièrement simpliste voire erronée. III - Caractérisation du produit entreposé 1 - Caractéristiques physico-chimiques de l'U3O8 issu de l'usine W A la page 23/132 il est indiqué : «Une analyse granulométrique réalisée sur 10 échantillons [...] » Ces 10 échantillons ont-ils été choisis au hasard dans les stocks d' U3O8 déjà existants ou s'agit-il d'échantillons préparés spécialement? S'agissait-il d'échantillons frais ou de produits déjà stockés depuis longtemps? La granulométrie de l'oxyde stocké sous forme de U3O8 est importante puisqu'il est envisagé une contamination par accident. La propagation dans l'environnement est très dépendante de la granulométrie au moment de l'accident qui peut être très différente de celle en début de stockage. La poudre est hétérogène puisque 44% du produit (sur les échantillons étudiés) a des dimensions comprises entre 50 microns et 1 millimètre. La poudre brute d'élaboration de densité de 1-1,5 est compactée et la densité peut varier entre 2 et 3,7 (les conditions d'élaboration ont varié au cours du temps). Comme il s'agit d'une poudre compactée et non pas d'un fritté dense ou de monocristaux il y a, par vieillissement et corrosion, désagrégation des agglomérats, décohésion des grains. Dans les poudres microcristallisées c'est la taille des cristallites qui est le paramètre fondamental or ce paramètre n'est pas fourni dans le dossier. D'autre part il est bien connu que les particules alpha émises par des radioéléments contenus dans les poussières ont tendance à fractionner ces poussières d'où l'importance du facteur temps de stockage pour la taille des grains. 2 - Présence de UO2F2 «Des traces d'oxyfluorure d'uranium (UO2F2) [...] peuvent se retrouver dans l'uranium appauvri» Ce contaminant [appelé aussi fluorure d'uranyle] est toxique comme tout produit fluoré. Dans le dossier COGEMA sa concentration est arbitrairement fixée à 0,001% (page 25/132). p.29 |
A la page 117/132 il est fait état d'une teneur égale
à 7% sur des échantillons «préliminaires»
à la réalisation de l'usine W dans le cadre d'une étude
de corrosion des conteneurs. Une telle teneur peut-elle être
atteinte en production courante? Quelle est la variation de la teneur
en UO2F2 dans les conditions réelles de production d'U3O8? Signalons qu'en dehors des propriétés toxiques des fluorures, les halogénures d'uranyle sont signalés comme étant des produits carcinogènes (cf Irving SAX, Dangerous Properties of Industrial Materials). 3 - Présence de UO2 «On note aussi la présence de UO2 qui est une forme stable». Cette affirmation est un peu péremptoire. Si l'on transforme UF6 en U3O8 et non en UO2 c'est qu' UO2 n'est pas si stable que COGEMA le dit. Il est bien connu que la réactivité des poudres d' UO2 dépend de leur surface spécifique. (Au sujet de l' oxydation des poudres d'UO2 se reporter au Nouveau Traité de Chimie Minérale P. Pascal, tome XV, consacré à l'uranium ; P.Pério, 2ème fascicule ; B. Belbéoch, 4ème fascicule, Combinaisons avec l'oxygène). La réaction d'oxydation de UO2 en U3O8 est très exothermique et d'après Pério la vitesse de réaction est contrôlée par la dissipation de la chaleur dégagée. S'il y a un début d'incendie et qu'un conteneur se trouve porté vers 250-300°C une teneur importante en UO2 pourrait activer le phénomène. Or il n'y a dans le dossier aucune indication sur la teneur en UO2 . Il serait nécessaire qu'à l'usine W des prélèvements réguliers soient effectués pour connaître les teneurs en UO2 (ainsi que leurs caractéristiques) des différentes productions d'U3O8. IV - RADIOPROTECTION A propos de l'impact sur l'air le dossier indique (page 90/132) : «L'entreposage d'oxyde d'uranium appauvri n'aura aucun impact sur l'air [...]. Il n'en aurait pas non plus s'il était entreposé en tas à l'air libre». Cette phrase du dossier semble montrer que COGEMA considère la mise en conteneurs comme un luxe assez superflu, ce qui dénote un manque certain de «culture de la sûreté» vis à vis du danger d'une quantité importante de matière radioactive. De plus COGEMA fait référence à la radioactivité naturelle : «Dans la nature, certains atomes ne sont pas stables. C'est le cas de l'uranium, mais aussi du potassium présent dans notre corps» (page 17/132) [souligné par nous]. Seul un des isotopes du potassium naturel est radioactif, le potassium 40. Sa proportion dans le potassium naturel est de 0,01%. Les deux autres isotopes (K 39 et K 41) sont stables. Cette intrusion du potassium dans un dossier sur l'uranium pourrait suggérer que les radioéléments naturels sont inoffensifs. La Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) a donné quelques indications sur le rayonnement naturel dans plusieurs de ses publications. Celui-ci n'est pas inoffensif, «[...] la partie maîtrisable des expositions naturelles doit être maintenue aussi faible qu'il est raisonnablement possible» (publication 50 de la CIPR, septembre 1986). Le potassium 40 dans la nature n'est pas maîtrisable, par contre les effets de l'uranium du projet COGEMA résulteront d'une activité industrielle et dépendront de la façon dont cette activité serait gérée et contrôlée. Plus loin il est écrit : «Le rayonnement alpha est peu pénétrant (une feuille de papier l'arrête) ». Cette propriété si elle est intéressante lorsque l'émetteur alpha est à l'extérieur de notre corps, devient redoutable lorsqu'il y pénètre puisqu'alors ce rayonnement perdra toute son énergie dans les cellules touchées et les cellules voisines. (suite) | suite: Ces diverses considérations qui émaillent le rapport semblent montrer que la COGEMA n'a pas encore pris conscience des dangers du rayonnement et de la radioactivité. Elle n'a pas encore intégré dans ses concepts de la radioprotection les principes développés depuis plusieurs années par la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR). 1 - L'impact radiologique Concernant le débit de dose à la limite de l'installation : «L'exposition externe due à l'installation en limite de propriété peut être estimée à 0,7 mSv/an à 170 mètres des bâtiments les plus proches. Cette valeur est largement inférieure aux 5mSv/an imposés pour le public par la réglementation actuelle». Il faut noter que depuis 1985 la CIPR recommande une limite de dose de 1 mSv/an pour le public. Dans ses recommandations adoptées en novembre 1990 c'est cette limite de dose pour le public qui a été entérinée en même temps qu'elle recommande un abaissement de la limite annuelle des travailleurs (publication 60 de la CIPR, 1991). Un projet de Directive européenne sur la radioprotection a adopté cette limite de 1mSv/an pour le public. Récemment la France a fini par signer l'accord international proposé par l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (septembre 1994) qui inclut cette norme. Il est donc évident que dans un avenir assez proche et malgré la réticence des autorités françaises cette limite de 1 mSv/an pour le public sera introduite dans la réglementation française. On voit alors que 0,7 mSv/an n'est pas «largement inférieur» à 1mSv/an. Il devrait être normal pour les promoteurs d'une installation nucléaire qui doit durer assez longtemps d'anticiper l'évolution prévisible à court terme de la réglementation de la radioprotection. Cela n'est pas le cas pour COGEMA ! En tenant compte de la nouvelle limite de dose acceptée internationalement, on peut dire que la clôture est beaucoup trop près des bâtiments. Un coefficient de sécurité, loin d'être extravagant, devrait éloigner la clôture à plus de 400 m des bâtiments. 2 - L'uranium est un toxique chimique Le dossier ne mentionne pas que la toxicité chimique de l'uranium est très élevée. Son incorporation dans l'organisme se manifeste par des dégâts sur les reins et par des lésions nécrosées sur les artères. Ce sont surtout les composés solubles de l'uranium qui sont chimiquement dangereux ( cf. Irving SAX, «Dangerous Properties of Industrial Materials» Reinhold Editor). Cependant si des oxydes d'uranium insolubles peuvent fuir dans l'environnement, il faut s'assurer que les traitements chimiques de l'eau pour la consommation des populations ne peuvent pas conduire à des composés plus solubles par modification de la valence de l'uranium. V - Les situations accidentelles 1 - Chute d'un conteneur lors de l'entreposage (page 115/132) Une chute de 3,7 m (position la plus haute du stockage) ne produirait qu'une «déformation mais pas d'éventration». Mais il y aurait un épandage d'environ 20 kg d'U3O8 . Il faut bien qu'il y ait une perte d'étanchéité pour qu'il y ait épandage même faible. La brèche occasionnée par la chute n'est peut être pas si anodine qu'il est dit car «des précautions doivent être prises lors du relevage du cube pour éviter d'augmenter cette quantité » produite initialement. La manipulation du cube accidenté par la chute pourrait donc augmenter notablement la brèche. La différence entre une «éventration» et une brèche n'est pas quantifiée ! p.30 |
2 - Dispersion atmosphérique (pages 119-120/132) Le terme source pris pour calculer la dispersion de l'oxyde d'uranium dans l'environnement ne tient compte que des accidents de manutention des conteneurs. Le terme source choisi est de 230 grammes. Quelques pages précédentes (page 119) il est mentionné la possibilité d'une brèche en cas de renversement d'un conteneur pouvant répandre 1.500 kg mais l'expérience ayant été faite avec un autre matériau (grenaille de fer) ayant une granulométrie différente, un facteur de réduction est appliqué sans justification quantifiée. D'autre part l'effet calculé est mesuré en «quantité totale d'uranium inhalable ». Cette quantité dépend évidemment du modèle choisi pour la suspension des particules d'oxyde qui est fonction de leurs dimensions mais également du modèle choisi pour le séjour des individus sur les lieux contaminés. Il faut être très prudent vis à vis de ce genre d'évaluation car l'expérience a montré que les conclusions des experts peuvent diverger notablement. C'est ce qui s'est produit à propos de l'expertise effectuée sur la «déposante de l'Orme des Merisiers» (St Aubin) par deux organismes officiels, l'Institut de Protection et Sûreté Nucléaire (IPSN) et le National Radiological Protection Board (NRPB) son équivalent britannique. Les calculs du NRPB conduisaient à un impact radiologique plus élevé que celui de l'IPSN (Gazette Nucléaire 121/122, déc. 1992. Rapport de la Commission d'étude p. 10-14). 3- La Chute d'aéronef (pages 120-121/132) Une approche probabiliste du risque est adoptée. La probabilité calculée étant très faible ce «risque n'est pas pris en compte».Dans le projet COGEMA de stockage à Miramas, en principe analogue à celui de Bessines, la chute d'un avion militaire est analysée (pages 3 et 4/8 de «Étude des dangers»). : «1.2.2. En situation accidentelle (par exemple dans le cas d'une chute d'avion). Si l'on examine ce type d'accident, la chute d'un avion militaire occasionnerait, lors de l'impact, la rupture du bardage ou du toit du bâtiment et celle de plusieurs conteneurs. Dans ce cas, les équipes d'intervention, après extinction de l'incendie lié à la combustion du carburant, dégageront les conteneurs endommagés. Il faut noter que la charge thermique très faible des bâtiments limiterait considérablement les conséquences d'un incendie. A l'aide du matériel spécialisé, tels qu'aspirateurs, ces équipes récupéreraient le produit répandu et procéderaient à la décontamination générale des matériels et des lieux». «Le phénomène de dispersion du produit dans l'atmosphère sous l'impact a fait l'objet d'une étude de l'Institut Mécanique des Fluides de Marseille». (suite) | suite: D'après ce rapport COGEMA le résultat pour la contamination atmosphérique à 250 mètres de l'impact et pour un vent de 72 km/heure serait de 1.10-2 millicuries/m3 (370 000Bq/m3). A 550 m de l'impact, avec le même vent la concentration volumique serait de 2.10-5 millicuries/m3(740 Bq/m3 ). La contamination atmosphérique à 50 mètres de l'impact (c'est à dire sur le site), serait dans les mêmes conditions 50 fois plus élevée. La Limite annuelle d'incorporation par inhalation fixée par le décret de 1988 est pour U3O8 de 2.000 Bq pour les travailleurs sous rayonnement et 10 fois moins pour les personnes du public. A 250 mètres du site cette limite serait atteinte en 16 secondes avec un vent de 72 km/heure pour les travailleurs sous rayonnement. Pour une personne du public cette limite serait atteinte en moins de 3 secondes. Dans les mêmes conditions atmosphériques à 550 mètres de l'impact la LAI serait atteinte pour une personne du public après un séjour de 20 minutes. On ne comprend pas qu'après une telle estimation la COGEMA ait conclu à un risque dans des «limites acceptables». Si cette estimation est correcte le risque est beaucoup trop important pour qu'une approche probabiliste soit acceptable. Même avec des vents plus faibles comme ceux envisagés à Bessines (10 à 18 km/heure) la contamination pourrait être très importante. 4 - Les attentats et les actes de malveillance Les explosions/incendies par des actes de malveillance ne sont pas pris en compte alors que de tels accidents pourraient avoir des conséquences analogues à celles évaluées pour la chute d'un avion militaire dans le dossier de Miramas, voire plus importantes. Les intrusions en vue d'actes de malveillance seraient d'autant plus faciles que le site ne sera pas surveillé en permanence (4.1.5 de la page 113/132). Il n'y aura pas de surveillance les nuits et les week-ends. On compte sur la clôture du site, la fermeture des portes et les alarmes électroniques pour faire face aux tentatives d'intrusion. Compte tenu de l'importance des conséquences d'actes de malveillance il n'est pas raisonnable de ne pas prendre en compte ce risque et de ne pas assurer en permanence une stricte surveillance du site. D'autre part il est prévu de construire des bâtiments au fur et à mesure des besoins du stockage. Cela signifie qu'il y aura en permanence sur le site du personnel d'entreprises chargées de la construction. Ceci est loin d'assurer des conditions favorables pour éviter l'intrusion de personnes indésirables sur le site. Il serait raisonnable de terminer l'ensemble des constructions de l'installation avant le début du stockage envisagé par COGEMA. p.31 |