GAZETTE NUCLEAIRE

THREE MILE ISLAND
3.  Analyse
 
     Beaucoup de points restent à approfondir et l'analyse que font certains (NRC, puis constructeurs, gouvernement français...) en appuyant sur les «erreurs humaines» nous paraît largement prématurée. Actuellement nous considérons qu'il y a eu:
- une défaillance de matériel non-fermeture de la soupape de décharge du pressuriseur
- deux interventions discutables des opérateurs (arrêt de l'injection de secours et des pompes primaires) explicables par l'inadaptation de la «procédure de conduite», «mode d'emploi » à la disposition des opérateurs pour les configurations de fonctionnement accidentelles
- une faute flagrante (vannes en position fermée) mais faute de maintenance... et d'inadaptation de la salle de commande
- deux défauts de conception au moins: mauvaise signalisation de l'état du circuit primaire, transfert de l'eau radioactive hors de l'enceinte.
     Mais il serait utile également d'étudier les facteurs favorables qui ont limité la gravité de l'accident: combustible neuf (circonstance qui a aidé à revenir à une température correcte au bout de 24 h environ), explosion hydrogène limitée, calme des opérateurs, etc.
     Reprenons point par point les diverses défaillances en comparaison avec ce qui pourrait se passer en France, au vu des informations qui ont pu nous parvenir:
La défaillance de matériel: de nombreux exemples (et en particulier le 21 mars à Bugey 5 et le 6 avril à Gravelines) montrent que c'est un point faible des chaudières PWR.
Les vannes en position fermée sur le circuit de secours: il existe sur les chaudières construites en France des vannes non signalées en salle de commande sur les circuits d'alimentation de secours; cela peut donc aussi arriver en France. 
Il faut revoir la conception de la sûreté qui néglige le secondaire et se préoccupe surtout du primaire: un accident commence le plus souvent sur un incident.
 

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Les interventions discutables: l'opérateur a suivi scrupuleusement la procédure de conduite. Celle-ci est inadaptée car les études sur lesquelles elle s'appuie sont très insuffisantes et ne permettent pas en réalité de ramener un réacteur à l'arrêt. La procédure utilisée en France n'est pas meilleure.
Les défauts de conception: en France, les indications du pressuriseur auraient été tout aussi fausses, mais de plus, l'injection de sécurité ne se serait pas déclenchée car il faut un double signal: baisse de pression primaire ET bas niveau du pressuriseur. Or, il y avait baisse de pression primaire et haut niveau du pressuriseur à TMI. On n'a remédié à ce défaut qu'à partir des réacteurs Tricastin et Gravelines: sept réacteurs fonctionnent néanmoins actuellement avec ce défaut.
Par contre le déclenchement de l'injection de secours déclenche l'isolement de l'enceinte.
Le combustible neuf: au début de l'accident, la présence des produits de fission à vie courte n'a pas changé la séquence d'accident si on compare à un réacteur ayant déjà fonctionné 2 à 3 ans (rotation du combustible 1/3 est remplacé tous les ans). Mais déjà au bout de 24 h la puissance à évacuer était inférieure de quelques Mégawatts à ce qu'elle aurait été avec un coeur normalement irradié... Cela a très favorablement influencé la suite des événements, c'est-à-dire le comportement de la «bulle» et le refroidissement du coeur. Par exemple au bout d'une semaine, la puissance à évacuer était vraisemblablement de 5 MW, contre 10 MW pour un coeur normalement irradié (ces chiffres sont des estimations indicatives). Pendant toute la période du refroidissement, le risque de fusion du coeur existait; ce risque aurait été beaucoup plus élevé (environ deux fois) avec un coeur normalement irradié. Par ailleurs, la contamination radioactive à l'intérieur de l'enceinte de confinement et dans les bâtiments auxiliaires aurait été considérablement aggravée par la présence d'une grande quantité de produits de fission à vie longue.
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4. Aspects radiologiques de l'accident
 
SOURCES DE REJETS

Les rejets radioactifs dans l'atmosphère ont trois origines:

1. La fuite supposée au niveau du générateur de vapeur B a pu entraîner un relâchement de gaz rares et d'iode dans l'environnement dans les premières heures qui ont suivi l'accident. Aucune estimation des quantités ainsi rejetées n'a pu, à ce jour, nous être fournie.
2. Le débordement des réservoirs de tête du système de traîtement des effluents liquides a entrainé le déversement dans le bâtiment des auxiliaires nucléaires d'environ 40 m3 d'eau fortement contaminée Le système de ventilation du bâtiment des auxiliaires nucléaires a rejeté après filtration (filtre absolu et filtre à iode) les gaz rares (krypton et xenon) contenus dans cette eau.
     Ces rejets non contrôlés sont à l'origine de l'activité observée au voisinage de l'installation et dans le panache lors des premiers jours suivant l'accident. L'exploitant a disposé, à une date non précisée, des bâches en vinyle sur l'eau répandue dans le bâtiment des auxiliaires nucléaires, afin de ralentir le dégazage et, donc, les rejets radioactifs.
3. L'éventage de l'eau primaire soutirée en raison de 80 l/mn par le circuit de contrôle volumétrique et chimique a conduit à des rejets périodiques contrôlés. En fait, les gaz rares radioactifs dissous à l'origine dans l'eau primaire étaient recueillis dans les réservoirs conçus pour le stockage et le traitement des effluents gazeux. L'apport en gaz a été supérieur aux possibilités de stockage et l'exploitant, pour éviter des rejets intempestifs par les soupapes de ces réservoirs (pression de tarage 7 à 8 bar), a préféré, avec l'accord de la NRC, procéder à des délestages contrôlés.
     Ultérieurement, à une date non précisée, l'exploitant a renvoyé ces gaz dans l'enceinte de façon à réduire les rejets extérieurs.
     Il semble par ailleurs que les rejets radioactifs en rivière soient liés à une action volontaire (après autorisation de la NRC): en effet, 230 m3 d'eau de servitude faiblement contaminée ont été déversés.

IRRADIATION DU PERSONNEL

     Le 29 mars au matin, lors d'une opération d'échantillonnage d'eau primaire dans le bâtiment des auxiliaires nucléaires, deux employés (un opérateur et un chimiste) ont reçu respectivement 3,1 et 3,4 rerns. Rappelons que la dose maximale admissible pour les travailleurs est de 5 rems par an ou 3 rems en trois mois.

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     Dix autres personnes de l'équipe de quart ont reçu des doses de l'ordre de 2 à 3 rems dans les premières heures de l'accident.
     Enfin, le 5 avril, les débits de dose en salle de commande étaient de 0,1 mrem/h (0,4 mrem/h le 2 avril). Le port du masque n'était pas nécessaire; par précaution, les opérateurs l'avaient porté dans les premières heures après l'accident.

ACTIVITE DE L'EAU PRIMAIRE
ET DOSIMETRIE DANS
LES BATIMENTS

Activité de l'eau primaire
     L'analyse d'un échantillon d'eau primaire a montré que la contamination de celle-ci était de l'ordre de 800.000 Ci/m3 (cette valeur confirme l'important taux des rejets de produits de fission du coeur).
     L'essentiel de cette activité, qui entraînait un débit de dose de 1.000 rem/h, au contact d'un échantillon de 100 cm3, était dû à des gaz rares (Xénon et Krypton), des iodes, du césium et dans une très faible mesure (nous n'avons pas pu avoir les résultats précis des analyses isotopiques) à des produits non volatils (strontium). Ceci indique bien qu'il n'y a pas eu de fusion notable des éléments combustibles.

Activité et débits de dose dans l'enceinte
     Il n'a pas été fourni de valeurs sûres de l'activité dans l'atmosphère de l'enceinte. Les valeurs de 700 Ci/m3 le 31 mars et de 70 Ci/m3 le 2 avril ont éte annoncées par la NRC puis démenties.
     Les capteurs de rayonnements installés dans l'enceinte ont indiqué des valeurs discordantes:
10 à 20 rad/h au niveau du plancher de service, 10.000 à 30.000 rad/h au sommet de l'enceinte.
     Nous ne pouvons garantir ces valeurs qui nous ont été comnuniquées oralement. Il nous a aussi été précisé que le capteur placé au sommet de l'enceinte était un capteur blindé, mais non étanche, destiné à mesurer le rayonnement direct en provenance du coeur, de ce fait l'infiltration de gaz sous le blindage serait, d'après notre interlocuteur, à l'origine de ce chiffre très élevé.
     Pour notre part, nous pensons que les capteurs à l'intérieur de l'enceinte n'ont certainement pas été prévus pour de tels débits de dose et que les valeurs qu'ils ont pu indiquer n'ont rien à voir avec la réalité.
     Cependant des mesures d'irradiation au contact de la paroi externe de l'enceinte (épaisse d'environ 1,2 m) ont indiqué un débit de dose inférieur au mrad/ heure. Compte tenu d'un coefficient d'atténuation des parois de l'enceinte de 107, le niveau d'irradiation à l'intérieur de l'enceinte n'a certainement[6] pas dépassé 10.000 rad/h.

Débit de dose dans le bâtiment des auxiliaires nucléaires
     Les débits de dose dans le bâtiment des auxiliaires nucléaires ont vraisemblablement posé des problèmes d'accessibilité. Pour mémoire, on peut citer:
- les difficultés de mise en place du recombineur d'hydrogène,
 
 

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- les débits de dose au contact des réservoirs de stockage des effluents gazeux (60 rad/h), ce qui a empêché certaines interventions,
- les débits de dose (10 rad/h) après transfert d'eau contaminée dans le bâtiment des auxiliaires nucléaires.
 
IRRADIATION DU PUBUC

Irradiation directe
     La direction du vent, le 28 mars, était de tendance Nord-Nord-Ouest: la ville de Middletown (12.000 habitants) à 5 km du réacteur, était sous le vent de la centrale.
     Les relevés de 17 dosimètres à poste fixe depuis trois mois ont fourni, pour deux d'entre eux, des doses intégrées aux 32 heures, dues à l'accident de:
- 65 mrad à 700 m au Nord du réacteur.
- 22 mrad à 1.000 m au Nord-Nord-Est du réacteur.
     Ces valeurs ne comprennent pas l'irradiation due aux rejets de gaz rares postérieurs au 29 mars à midi.
     Les rejets intermittents et incontrôlés de gaz rares les 29 et 30 mars ont provoqué des débits de dose transitoires en limite de site atteignant 25 à 30 mrad/h. Ils ont été de faible durée (certainement inférieure à l'heure).
     Les évaluations de la NRC relatives au bilan d'exposition du public sur les cinq jours qui ont suivi l'accident sont les suivantes:
- dose maximum individuelle hypothétique: 80mrem,
- dose moyenne pour les deux milliers d'habitants autour de la centrale: 9 mrem, à comparer à la dose annuelle due à l'irradiation naturelle, qui est supérieure à 100 mrem.
     Le 3 avril, le débit de dose n'était plus que de 0,01 à 0,04 mrem/h à l'extérieur du site.

Contamination par les iodes
     152 prélèvements atmosphériques ont été effectués. Seuls 8 échantillons ont indiqué des activités en iode comprises entre 0,3 et 2,5 pico Ci/m3. L'activité maximum relevée correspond au quart de la concentration maximale admissible aux Etats-Unis pour un rejet continu (règlement US:10 CFR 50 appendix I). CFR: Code of Federal Regulations, équivalent du Journal Officiel en France.
     Dans un rayon de 20 km autour de la centrale, 56 prélèvements de lait (de vache ou de chèvre) ont été effectues dans 20 fermes. Les mesures ont montré que 18 échantillons n'étaient pas interprétables et que les 38 autres étaient au-dessous du seuil de sensibilité de la mesure. Une analyse détaillée de 9 prétevements a permis de déceler une activité variant de 10 à 40 picocurie d'iode 131 par litre de lait. Or c'est à partir de 12'000 picocurie d'iode 131 par litre de lait que le Ministère fédéral de la santé impose la nourriture du bétail sur fourrage engrangé.

Nota:
1. Les concentrations maximales admissibles en France (Arrêté du 20 juin 1966) sont pour l'iode 131 les suivantes:
- dans l'air : 200 pico Ci/m3 sous forme soluble
- dans l'eau ou le lait: 1.000 pico Ci/l sous forme soluble
2. Les arrêtés du 10 août 1976 limitent l'activité volumique moyenne hebdomadaire pour une tranche en fonctionnement normal de 3.000 MW à 0,2 pico Ci/m3 pour les aérosols (essentiellement Iode).

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Notes:
5. Extrait du rapport de MM. Cayol et Roche.
6. Sic.

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