GAZETTE NUCLEAIRE
No 8-9 avril-mai 1977
6) LES OPPOSITIONS AU PROGRAMME NUCLEAIRE FRANÇAIS


L'opposition sur les sites choisis par EDF
 
     Après le lancement en mars 1974 du programme électronucléaire, le Directeur d'EDF a envoyé ses agents à travers la France à la recherche de sites pour l'implantation de 150 à 200 tranches qu'il était prévu de construire d'ici à l'an 2000.
     D'abord réservées, les populations directement concernées sont devenues rapidement franchement hostiles à l'installation de centrales. La direction d'EDF a subi des échecs sévères:
     - les  Bretons ont, pour l'instant du moins, obtenu satisfaction : les sites d'Erdeven et de Plogogg ont dû être abandonnés;
     - depuis deux ans EDF «promène» une centrale dans les pays de Loire: les sites d'Ingrandes, Corsept, Liré, Brétignolle ont dû successivement être abandonnés.
     La direction d'EDF a pu lancer les constructions du Contrat de programme no 1 sur les sites qui lui appartenaient déjà. Mais il lui faut d'autres sites pour la suite du programme.
     «De nouvelles causes de retard apparaissent aujourd'hui pour les tranches du deuxième contrat pluriannuel; elles tiennent an décalage des ordres d'exécution, décidé pour des raisons financières elles tiennent aussi à l'allongement des procédures d'obtention des sites, qui ne permettent plus d'engager en temps utile les travaux préliminaires de terrassement des accès, indispensables à l’ouverture à bonne date des chantiers de construction»...
     Faut-il se réjouir de cette possibilité de voir le programme prendre un retard notable? Faut-il au contraire prendre les mesures nécessaires pour que les objectifs énergétiques du Conseil de Planification soient atteints? La décision relève du gouvernement et des administrations chargées de la mettre en oeuvre»
M. Boiteux,
conférence de presse du 22.3.77

     M Boiteux s'est d'ailleurs récemment fait rappeler à l'ordre par le préfet de la région d'Alsace. M. Boiteux avait, juste avant les élections municipales (quelle gaffe!), indiqué qu'un nouveau site devait être recherché sur le Rhin pour y construire une nouvelle centrale après la mise en marche de celle de Fessenheim. Le préfet lui a répondu que «seule la puissance publique a le pouvoir de décider la construction d'une centrale nucléaire sur le Rhin»; on allait l'oublier(*)!
     Les oppositions des populations locales préoccupaient beaucoup les défenseurs du programme.

     «Il n'en reste pas moins vrai que la contestation est toujours très vive et nos opposants très efficaces. Ainsi:
     - la convocation en session extraordinaire du Conseil général de l'Isère les 23 et 24 septembre 1976 est très préoccupante. En effet, il est prévisible, d'après informations recueillies, que le voeu émis par les conseillers fera état d'une demande de moratoire
    - les manifestations prévues à Grenoble et à Morestel les l7et 18 septembre prochain attestent du regain d'activité de la contestation après la période de vacances».

M. Boiteux le 10.9.76
information provenant de la Nersa

     M. Boiteux n'a pas fini de se faire du souci. La contestation nucléaire a un programme chargé d'ici les vacances: après Flamanville à Pâques, le Pellerin (près de Nantes), en mai des manifestations sont prévues à Graveline, à Nogent-sur-Seine, à Creys-Malville en juillet  sans oublier bien sûr Brand Saint-Louis, Cruas, etc.
     La contestation va repartir pour deux raisons:
     - les périodes électorales sont toujours favorables aux larges débats publics et la répression est toujours dans ces périodes une maladresse. Le succès des listes écologiques aux municipales va certainement faire réfléchir plus d'un stratège politique: les grandes manoeuvres de «récupération» sont d'ailleurs déjà en place
     - le succès de la contestation à l'étranger, notamment en Allemagne, va encourager la contestation en France, notamment en Alsace.
     Il n'est pas besoin d'être grand devin pour prévoir que la contestation, qui a fait preuve déjà d'une réelle efficacité en Alsace et dans la région Rhône-Alpes, a de beaux jours devant elle!



* Nous avons appris, grâce à une interview de M. Boulin, Directeur général de Creusot-Loire, à Inerpresse (15.3.77 no 1783) qu'«Après Superphénix, l'EDF aprévu un programme d'au moins 4 surgénérateurs». Chiche! on le dit au ministre de l'Industrie?
suite:
Epilogue

     Le regard critique que nous avons porté dans ce numéro sur la situation de l’électronucléaire dans le monde et en France concerne les aspects «classiques»d'un système industriel:
     - difficultés techniques
     - crédibilité économique,
     - situation internationale.
     Déjà avec le problème de la prolifération on voit que des critères politiques interviennent, critères souvent masqués par un discours qui se veut technique, rationnel, logique. Mais on ne peut en rester là et au terme de cette Gazette, il est intéressant de dégager quelques réflexions plus générales que le débat nucléaire amène à poser sur la croissance, la signification de la consommation éneretique, les conséquences sociales et politiques des choix effectués et de s’interroger sur: qui décide de ces choix.
     Quand on nous dit que seul le nucléaire peut apporter l'énergie dont nous aurons besoin en 1985, en 2000, sur quels critères se base-t-on? En fait, sur une extrapolation des courbes actuelles du style «le doublement tous les dix ans de la consommation électrique est inéluctable, voire souhaitable», «Prévoir 10 Tec par tête pour le Français de l'an 2000 n'a rien d'extraordinaire; l'Américain moyen, noir ou blanc, riche ou pauvre, consomme déjà 13 Tec par tête.».

Interview de M. Boiteux à l'Express

     Qu'est-ce que c'est que cet Américain moyen, mi-noir, mi-blanc, mi-riche, mi-pauvre? Où sont les «besoins» là-dedans?
     En fait, on ne sait pas très bien où va être utilisée cette énergie et pour quoi faire - en faible partie seulement, cela est sur en tout cas, pour les besoins domestiques.
     A ce niveau, le discours officiel amorce un virage: il y aurait corrélation entre la croissance économique, la qualité de la vie et la consommation énergétique, et tout cela ne peut que croître ensemble. Est-il besoin de rappeler les exemples flagrants de la toute «relativité» de ces affirmations:
     - pour un même produit intérieur brut le Suédois consomme 8 Tec par habitant, l'Américain le double.
     - l'Allemand consomme moins d'énergie par tête que l'Anglais, etc., etc.
     La Fondation Ford a d'ailleurs montré qu'il est possible d'obtenir la même croissance économique avec trois taux de croissance énergétique, un de ces taux étant d'ailleurs nul...!
     En fait, ne faudrait-il pas mieux essayer de partir des besoins énergétiques et  des  procédés technologiques qui «utilisent» bien l'énergie: par exemple les catalyseurs dans l'industrie chimique. Une bonne approche de cette démarche de l'esprit peut être trouvée dans l'étude de l'JESE Alternative au nucléaire.
     Actuellement on manque de données en France sur la façon dont est consommée l'énergie, mais on dispose de chiffres étrangers et il est intéressant de remarquer que, en Grande-Bretagne:
     - 10 % de l'énergie est consommée sous forme de chaleur supérieure à 100o C
     - 55 % sous forme de chaleur inférieure à 100o C
     - 30 % sous forme mécanique,
     - 5 % sous forme électrique spécifique (éclairage, électronique, électrolyse...).
     Cela laisse rêveur: 55 % de l'énergie pour faire de la chaleur à moins de 100o C...! Faut-il pour cela utiliser des techniques sophistiquées telles que le nucléaire? Rappelons que dans une centrale nucléaire on rejette deux fois plus de chaleur que l'on ne produit d'électricité... La géothermie, le solaire devraient pouvoir être utilisés facilement!
     Les interrogations actuelles sur le nucléaire montrent à l'évidence qu'il ne faut pas prendre en compte les conséquences économiques et techniques d'une technologie, mais aussi ses aspects sociaux et politiques. Et ceci doit se faire par un débat le plus large possible.
     Il faut donc faire exactement l'inverse de ce qui a été fait depuis trois ans:
     - décision dans le secret des états-majors politico-industriels
     - refus des débats publics et contradictoires
     - propagande officielle, notamment dans les écoles et lycées.
     Le programme électro-nucléaire aura sans doute permis d'amorcer un large débat sur la croissance, ses finalités, sur le processus de prise de décision. Il aura permis à beaucoup de prendre conscience que les choix politiques sont l'affaire de tous et non de quelques technocrates penchés sur leur ordinateur.

p.15

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