DU CIEL POUR TOUT LE MONDE
(Source: Systèmes Solaires No 129 - 1999)


Brassant les airs à tour de pales, les éoliennes constituent-elles un danger pour les oiseaux ? Le suivi ornithologique du parc éolien de Port-la-Nouvelle, qui se situe sur un couloir migratoire, a prouvé que non. Le programme EoIe 2005 peut se poursuivre en toute bonne conscience... mais ce n'est pas une raison pour négliger les études d'impact sur l'avifaune. Principe de précaution oblige.

Abstract
    Seeing that numerous windfarms are in the planning stage on French soil, it has become necessary to possess data relevant te the real impact of wind turbines on birds. To do this, Ademe, EDF, the Diren and the region of Languedoc-Roussillon have organized an ornithological monitoring of the Port-la-Nouvelle windfarm (2.2 MW), which is located in the Aude. The wind turbines are located on the migration corridor of birds which travel from Europe te Africa. Very precise records and observations of the birds passing through the site bave been made for six months. The results are positive:
on the one hand, no dead bird or bird in a bad way was found on the ground; and on the other hand, the large birds deviate their trajectory on approaching the site and avoid the obstacle. The Eole 2005 programme can be pursued with a completely clear conscience. But this is not a reason for neglecting studies of the impact on the avifauna. The principle of precaution is a necessary une. 


    Alors que de nombreuses fermes éoliennes sont en projet sur le sol français, il devenait nécessaire de disposer de données sur l'impact réel des aérogénérateurs sur les oiseaux. Commandité par l'Ademe, EDF, la Diren et la région Languedoc-Roussillon, le suivi ornithologique du parc éolien de Port-la-Nouvelle a été organisé sur six mois. En service depuis 1992, ce parc est constitué de cinq aérogénérateurs : quatre de 500 kW et un de 200 kW. Le sommet des pales culmine à une soixantaine de mètres au-dessus du sol. Sachant que les pales tournent à la vitesse de 30 tours par minute, avec une vitesse de 220 km/h aux extrémités, on comprend le danger qui règne pour les oiseaux qui, d'aventure, venaient à traverser la zone balayée par le rotor (environ 1'195 m2 par éolienne). Or, il se trouve que les cinq éoliennes sont implantées au sein de l'une des 285 "zones importantes pour la conservation des oiseaux" (Zico) françaises décrétées par l'Union européenne. Le site de Port-la-Nouvelle est en effet un point de passage important pour les oiseaux migrateurs qui volent de l'Afrique vers l'Europe de l'Ouest (et inversement) en passant par le détroit de Gibraltar. C'est la tramontane, vent dominant de nord-ouest, qui concentre les oiseaux sur le littoral audois, dernière bande de terre avant la Méditerranée qu'ils évitent de survoler. Les omithologues ont ainsi recensé le passage de plus de 17'000 rapaces et 200'000 passereaux sur la zone des étangs de Leucate et de Lapalme. Or, les cinq éoliennes sont implantées perpendiculairement à l'axe de cette migration, sur un front de 500 mètres de long:
Interférence migrations et éoliennes
    L'étude, publiée par le bureau d'études Abies, a porté sur la migration prénuptiale (vers le nord, de mars à mai 1997) puis sur la migration postnuptiale (vers le sud, d'août à octobre 1997). Les principales espèces susceptibles de croiser les pales en vol sont les faucons, les martinets noirs, les milans noirs, les buses, les cigognes, les busards, les guêpiers, les bondrées apivores, les éperviers, les hirondelles, les pigeons ramiers, les pinsons, les pipits et enfin les grues cendrées. Il s'agissait d'évaluer la mortalité totale et les conditions des décès éventuels par espèce (ainsi que les oiseaux blessés), mais aussi d'observer les réactions des volatiles selon le type et la hauteur de vol, la force et la direction du vent, les conditions de visibilité, face à un obstacle en mouvement. Le suivi de terrain s'est déroulé sur une quarantaine de journées. Jumelles à l'oeil et carnet en main, les auteurs de l'étude ont tout noté du comportement des oiseaux. Leur conclusion tient en une phrase plutôt réjouissante « Parcs éoliens et oiseaux peuvent cohabiter ». Mais voici le détail des observations.

Ni mort, ni blessé dans les tablettes
    La campagne de terrain a consisté, d'une part, à rechercher les éventuels cadavres ou les oiseaux blessés sur une zone assez large (92 500 m2!) autour des éoliennes, selon un quadrillage méthodique. Le temps passé les yeux rivés au sol a été soigneusement calculé, en fonction de la densité de la végétation. Sur vingt joumées de prospection réparties sur trois mois d'étude, aucun oiseau mort ou mal en point n'a été trouvé au sol. Prudents, les ornithologues n'excluent pas quelques collisions que la difficulté de découverte dans le couvert végétal ou que la fréquence des passages n'auraient pas permis de constater, les prédateurs ayant tôt fait de faire disparaître les cadavres (entre deux à cinq jours de persistance estimée). Mais le risque de collision ne paraît vraiment pas constituer un problème d'environnement majeur. Ainsi, en cinq années de fonctionnement du parc éolien, AUCUN oiseau blessé ou tué provenant du plateau de Port-la-Nouvelle n'a été signalé au centre local de soins de la Ligne de protection des oiseaux (LPO). De même, il n'a été observé à Tarifa, dans le sud de l'Espagne, qu'une moyenne de 1 oiseau tué pour 3 éoliennes et par an, pour une densité de machines beaucoup plus importante.

Eoliennes droit devant!
    D'autre part, les auteurs ont observé le comportement des oiseaux à l'approche des éoliennes. Tous les volatiles repérés à l'ouïe ou à la vue ont été identifiés et suivis aux jumelles. Les hauteurs de vol, les types de réaction et les distances d'anticipation à l'approche de l'obstacle ont été soigneusement relevées. Ainsi, la majorité des "grands voiliers", c'est-à-dire les espèces à priori les plus sensibles au présent aménagement, modifient leur comportement. Ils dévient leur trajectoire selon la topographie des lieux et selon la force et la direction du vent. Cette modification s'opère à des distances significatives: à 500 mètres et plus pour plus des deux tiers d'entre eux. La modification de trajectoire la plus courante est la bifurcation. Le survol, le plongeon ou le passage au travers du parc éolien sont rares et ne concernent que certaines espèces particulières. Très peu de passages s'effectuent au travers des éoliennes quand elles sont toutes en mouvement. En revanche, le non-fonctionnement d'une éolienne est perçu par les oiseaux: ils n'hésitent plus alors à un tel passage, ce qui crée une situation à risque. D'autre part, il y a lieu de différencier les voiliers agiles des moins agiles. Fn effet, le risque de collision dépend des capacités de réaction en vol d'un oiseau. Ainsi, la grande majorité des passereaux (petite taille) restent indifférents en ne modifiant pas leur trajectoire à l'approche des éoliennes. Par ailleurs, seulement 1 % des observations a concerné des espèces nicheuses à proximité. Aucun incident n'a été noté notamment pour les jeunes oiseaux en apprentissage de vol et de chasse. L'étude montre des résultats tout à fait positifs. Il n'en demeure pas moins que le principe de précaution doit inciter à analyser préalablement à tout projet éolien les impacts éventuels directs et indirects qui sont: le risque de collision avec les éoliennes et les infrastructures annexes, le dérangement de l'avifaune locale, la perte de biotope et la modification de la trajectoire des migrateurs. Le suivi a en particulier montré le risque de la déviation des oiseaux vers d'autres secteurs éventuellement à risque (présence de lignes électriques, d'automobiles...).

Pour le respect des oiseaux
    Par ailleurs, il vaut mieux implanter les éoliennes "par paquets", afin que les oiseaux puissent trouver des issues de secours s'ils s'égarent au milieu d'un parc. C'est d'autant plus important si les lignes d'éoliennes sont perpendiculaires à un axe de migration. Les oiseaux ne passant au maximum que deux fois par an (aller et retour), il ne peut y avoir apprentissage de l'obstacle. Les espèces locales, par contre, intègrent a priori ce nouvel élément du paysage facilement. Des lieux aux conditions fréquentes de mauvaise visibilité (brouillard, pluies fines) ou balayés par des vents très forts qui incitent les oiseaux à voler bas ou les rabattent vers les machines sont plus dangereux. Enfin, des oiseaux peu agiles ou volant en file indienne sont plus vulnérables. A terme, les auteurs préconisent la constitution d'une banque de données par typologie de milieu et de parc éolien, afin que le bruissement des pales et le gazouillis des oiseaux s'accordent le mieux possible, sans fausse note.

Cctte étude a été financée par l'Ademe, la Diren Languedoc-Roussillon, EDF et la région Languedoc-Roussillon. Le suivi de terrain a été réalisé par la délégation audoise de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) sous la responsabilité de Sylvain Albouy, chargé d'études. L'encadrement scientifique a été effectué par Jean-Marc Pagès de Géokos Consultants. La coordination et la responsabilité du travail ont été assurées par Paul Neau, d'Abies

Pendant ce temps, en Californie du Nord...
    L'impact des éoliennes sur les oiseaux est extrêmement variable d'un site à l'autre. Il dépend du type d'éolienne, de leur implantation, des espèces aviennes présentes, des conditions climatiques et du type de déplacement (migrations, nourrissages, etc.). Les études disponibles font état par exemple de 0,02 oiseau tué par éolienne et par an à Altamont Pass en Californie du Nord, de 0,34 à Tarifa en Espagne, ou encore de 1,34 à Blyth Mouth en Angleterre. Mais il est important de comparer l'impact des éoliennes avec celui d'autres aménagements. Ainsi, la société Winkleman a estimé qu'aux Pays-Bas un programme éolien de 1 000 MW entraînera 21 000 collisions mortelles d'oiseaux par an. Dans le même temps, 1 million d'oiseaux seront tués par les lignes électriques et antennes et 9 millions d'autres le seront sur les routes... Cette comparaison reste à affiner car il ne s'agit pas forcément des mêmes espèces.

Rappel: Gruissan est le 1er site français de passage des cigognes blanches en migration avec environ 1600 individus à l’automne 1998 


Réponse apportée par un autre "éclairage"... 
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