Une pile photovoltaïque facile à faire !!!
Science & Vie N°858, Mars 89, page 138
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Il y a maintenant 150 ans, Edmond Becquerel - le père d'Henri qui découvrit la radioactivité - imagina la spectrographie, et fut aussi le premier à expérimenter sur les photopiles...

par Renaud DE LA TAILLE

...Mais les résultats de ses expériences ne furent publiés que 30 ans plus tard dans un ouvrage, depuis longtemps épuisé, qui avait pour titre : La lumière, ses causes et ses effets.

En fait, il s'agissait surtout des effets de la lumière sur les courants électriques : selon les cas, elle peut modifier la résistance d'un conducteur au passage de l'électricité ou faire apparaître un potentiel, réalisant la conversion directe de la lumière en courant. Le premier phénomène, la photoconduction, est d'emploi courant dans les cellules des appareils photographiques, le second dans les cellules solaires.

Ce qu'on sait moins, c'est que la découverte des effets photoélectriques allait mener à des difficultés d'interprétation théorique bien gênantes ; et c'est pour échapper à ces difficultés qu'Einstein a émis l'hypothèse des photons (1905) en appliquant la théorie des quanta à l'énergie rayonnante. Cette explication de l'effet photoélectrique lui valut par la suite le prix Nobel de physique.

Les premières expériences de Becquerel consistèrent à diriger un faisceau de rayons solaires sur deux liquides réagissant l'un sur l'autre et superposés avec soin dans un récipient en verre ; si l'on plongeait deux lames de platine dans chacun des liquides, on observait alors le passage d'un courant en les reliant à un galvanomètre très sensible.

Il améliora les résultats en divisant en deux compartiments une cuve opaque dont seule la face avant était transparente ; il la sépara en deux par une fine membrane opaque et poreuse, puis remplit la cuve d'une solution acide ou alcaline ; enfin il disposa une électrode de platine - préalablement portée au rouge - dans chaque compartiment. Dès qu'un rayon de soleil atteignait l'électrode au travers de la face vitrée de la cuve, le galvanomètre branché aux deux bornes indiquait le passage d'un courant.

Pour la confection des électrodes, il essaya successivement de l'or, de l'argent, du laiton : le résultat ne changeait pas ; en revanche il augmenta la tension délivrée en utilisant des lames de laiton ou de platine recouvertes sur une face de chlorure, de bromure ou d'iodure d'argent fraîchement préparés. A la suite de ces expériences, Becquerel fabriqua un actinomètre électrochimique qui peut être considéré comme l'ancêtre des cellules photoélectriques.

A la base de l'effet photoélectrique, il y a une expérience d'électrostatique ancienne et facile à reproduire : une plaque de zinc est fixée à la tige d'un électroscope (Physique Amusante d'avril 1978, Science & Vie n° 727) et on la charge par influence, positivement ou négativement ; les feuilles de l'électroscope s'écartent. Si on éclaire ensuite le zinc avec une lumière ayant de l'ultraviolet (arc électrique par exemple), on voit que la plaque se décharge si elle était chargée négativement, et qu'elle conserve sa charge dans le cas contraire.

Cette expérience, répétée de nombreuses fois avec toutes sortes de métaux et de radiations lumineuse, a mené à l'énoncé suivant : les solides, éclairés par des radiations lumineuses de fréquence convenable, laissent échapper des charges négatives qui sont en fait des électrons ; on donne le nom d'effet photoélectrique à tous les phénomènes dans lesquels des électrons sont déplacés sous l'action de la lumière.

Dans la photoconduction, ces déplacements de charges accélèrent ou permettent le passage du courant, ce qui équivaut à une modification de la résistance électrique du matériau ; dans la photo-émission, les électrons sortent de la matière pour se propager dans le vide ou dans un gaz. Dans les deux cas, un fait avait vite intrigué les chercheurs : ces effets électriques ne pouvaient s'expliquer par la seule théorie ondulatoire et continue de la lumière.

Ainsi, l'émission photoélectrique est quasi instantanée même avec des énergies lumineuses très faibles alors que la théorie ondulatoire voudrait qu'il faille attendre des dizaines de minutes ou des heures pour que l'énergie accumulée dans l'atome soit suffisante pour en chasser un électron. Pour avoir une interprétation cohérente du phénomène, Einstein introduisit en 1905 la notion de photon.

Dans cette théorie, l'émission lumineuse doit être considérée comme discontinue, au même titre que les balles d'une rafale de mitrailleuse. Les grains d'énergie ainsi émis, ou photons, serrés dans l'espace, serrés dans le temps, donnent une illusion d'émission continue qui s'accorde avec l'impression que donne un écran uniformément éclairé.

On admet en outre que chaque photon contenu dans une radiation de fréquence f possède une énergie hf proportionnelle à cette fréquence ; h est la constante de Planck qu'on retrouve dans toute la mécanique quantique. Dans le cas du phénomène photoélectrique, l'énergie apportée par un photon sert d'abord à extraire un électron du métal, puis à lui communiquer une certaine vitesse v. Si e est la charge de l'électron, m sa masse et V le potentiel d'extraction, on a : hf = e.V + 1/2mv2.

Si le rayonnement est tel que hf est inférieur à e. V, l'équation précédente n'a pas de solution et aucun électron n'est arraché : c'est le seuil photoélectrique auquel se heurtait aussi la théorie ondulatoire, laquelle voulait qu'en y mettant le temps l'atome reçoive assez d'énergie pour expulser un électron ; l'expérience prouvait que ce n'était pas le cas. L'interprétation des lois de la photoélectricité constitua une des confirmations de la théorie des quanta.

La transformation de l'énergie rayonnante - en l'occurence rayonnement électromagnétique - peut donc se faire directement comme l'avait constaté Becquerel; le dispositif qu'il avait inventé a reçu le nom de pile photovoltaïque. C'est un montage métal-électrolyte-métal symétrique, qui ne donne aucun potentiel dans l'obscurité mais qui peut débiter un courant quand l'une des électrodes est éclairée.

En fait, d'une manière plus générale, il y a production d'électricité lorsqu'un éclairement convenable tombe sur la surface de séparation de deux milieux différents dont l'un au moins est un conducteur ionique (sels dissous ou fondus) ou un semi-conducteur. C'est le cas, par exemple, de lames d'or dans une solution d'acide chlorhydrique (conducteur ionique), ou d'oxyde cuivreux formé sur une lame de cuivre (semi-conducteur) dans de l'eau salée.

Aujourd'hui, on utilise des semi-conducteurs type germanium ou silicium dont le rendement est très bon, mais il nous a paru intéressant de reconstituer l'expérience originale de Becquerel avec l'oxyde cuivreux:

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Ce faisant, nous avons voulu la mettre à la portée de tous en utilisant des composants peu coûteux et faciles à trouver - ce qui exclut les lames de platine et autres électrodes en or. Mais nous n'avons pu tenir qu'une partie de ce défi car si les composants nécessaires à la confection de la pile photovoltaïque n'offrent aucune difficulté d'approvisionnement, l'instrument de mesure qui met le phénomène en évidence n'est pas présent dans tous les foyers; son utilité, qui est indiscutable pour tous les amateurs de montages électroniques, l'est beaucoup moins en dehors du laboratoire : nous voulons parler du multimètre électronique à affichage digital.

Ce genre d'appareil est extrêmement sensible, et surtout sa résistance d'entrée est très élevée ; lorsqu'on le branche aux bornes d'une source de courant de très faible énergie, il n'en prélève qu'une infime partie pour effectuer la mesure ce qui n'est pas le cas en général pour les galvanomètres à aiguille. En effet, l'équipage mobile de ce genre d'instrument est constitué d'un bobinage plongé dans un champ magnétique dont l'orientation est modifiée par le passage du courant.

La résistance de ce bobinage n'est pas toujours énorme, d'où passage d'une intensité qui n'est pas négligeable, et il est donc peu probable - à moins de posséder un galvanomètre à cadre mobile de haute précision - que notre pile photovoltaïque branchée sur un multimètre classique à aiguille donne une indication.

La cellule photoélectrique que nous allons fabriquer débite quelques millivolts sous quelques milliampères ; elle est seulement destinée à montrer que l'effet photoélectrique existe et qu'il est possible de le mesurer. Ceux qui n'ont pas l'outil de mesure idoine devront s'arranger pour se faire prêter un multimètre numérique capable d'afficher le millivolt, ou transporter l'expérience dans un endroit ou un tel appareil est disponible.

Notons en passant que ceux qui souhaitent en acquérir un pour pratiquer l'électronique en trouveront dans une gamme de prix qui commence à 400 Francs et s'étend à plusieurs milliers de francs selon la précision d'affichage et les fonctions annexes.

Les éléments nécessaires à la construction sont, eux, des plus simples; on se procurera du feuillard de cuivre (à la rigueur de laiton) de faible épaisseur (3 à 5 dixièmes de mm), soit chez les spécialistes en modèles réduits, soit chez Weber Métaux, 9 rue de Poitou, 75003 Paris. Il serait d'ailleurs intéressant de répéter l'expérience en utilisant du cuivre électrolytique qui est bien plus pur que le métal courant. Le matériel restant figure chez tout amateur de bricolage: fil conducteur, soudure à l'étain, fer à souder, sel de cuisine et eau déminéralisée.

Un récipient en plastique opaque ou transparent servira de cuve; nous avons utilisé pour notre modèle une boîte vide en PVC, mais il est tout aussi facile de fabriquer ce bac avec 5 rectangles de polystyrène. Si l'on emploie cette solution, on rendra les angles internes étanches en les enduisant d'un filet de colle Uhu-Plast et on répétera l'opération après séchage du premier filet.

On passera les feuilles métalliques au papier abrasif à grain fin afin de mettre systématiquement le métal à nu; ne pas employer, pour ce faire, de laine de fer enduite de savon, et encore moins de produits genre Miror: le dépôt qui en résulterait gênerait l'activité du cuivre.

On découpera les électrodes avec de vieux ciseaux comme indiqué figure 1A:

les cotes sont données à titre purement indicatif : on les déterminera en fonction du récipient disponible tout en donnant à la surface de chaque électrode une surface d'au moins 80 cm2. On n'oubliera pas de dégager sur chaque électrode une patte de soudure qui ne trempera pas dans l'électrolyte; en effet, l'alliage qui compose cette soudure risque de provoquer un couple électrochimique supplémentaire et parasite s'il est plongé dans la solution.

On soudera un fil de sortie sur chaque patte et les deux électrodes terminées, on habillera l'une d'elles - figure 1B - avec un tissu foncé de telle façon qu'il n'y ait qu'une seule couche de tissu entre les deux électrodes. La figure 2 montre comment assembler les deux plaques, et comment les maintenir ensemble avec deux bracelets caoutchouc.

La plaque nue est destinée à recevoir la lumière en provenance d'une lampe de 100W; l'autre est maintenue dans l'obscurité par le tissu qui l'entoure. Avant de poursuivre, on vérifiera soigneusement qu'a aucun endroit les deux électrodes ne sont en contact; les pattes seront légèrement pliées vers l'extérieur - figure 2 - et on mettra le tout en place dans le récipient afin de vérifier que l'ensemble des plaques se présente légèrement en biais dans la cuve - figure 3:

Si l'on dispose d'un multimètre, on testera l'isolation des deux plaques.

Dans un récipient séparé, on préparera une solution saturée de sel de cuisine ordinaire; pour cela, on versera le sel par petites quantités dans de l'eau chaude, si possible déminéralisée, et on agitera jusqu'à complète dissolution; on poursuit l'opération jusqu'à ce que le sel ajouté ne fonde plus dans la solution (saturation). On laissera reposer la solution, puis on la versera dans la cuve de telle façon que les plaques y trempent au maximum.

Si l'on branche à ce moment un multimètre numérique aux bornes du montage, on constatera qu'une faible tension de quelques millivolts est créée par la pile; elle est due aux impuretés présentes dans le métal utilisé et qui ne sont pas réparties uniformément dans les deux plaques, même si on les a découpées dans une feuille unique.

Mais, avant de détecter une variation de la tension sous la lumière, il va falloir être patient. Pour que l'oxydation superficielle de la face sensible de l'électrode active (face visible de la plaque nue) l'ait couverte d'une couche semi-conductrice, il va falloir attendre trois ou quatre jours. Passé ce délai, elle deviendra sensible à la lumière.

Au début, la tension détectable lors de l'illumination de la plaque active ne dépassera pas 1 ou 2 millivolts; par la suite, on atteindra parfois les 10 millivolts; de toute manière l'effet photoélectrique sera indiscutable, et le but atteint. Plus la lumière renfermera d'ultraviolet (beau soleil et haute montagne), et plus la tension sera marquée - nous l'avons vu, l'énergie d'un rayonnement est proportionnel à sa fréquence (W=hf), et il faut qu'elle dépasse le seuil d'extraction des électrons de l'atome; or l'ultraviolet est la fréquence la plus élevée du spectre lumineux, le violet et le bleu sont encore bons, mais le jaune ou le rouge ont une fréquence trop faible pour faire sortir les électrons.

On observera parfois qu'en remuant la cuve ou le bloc d'électrodes, une sorte d'inversion de polarité se produit; elle se manifeste sur le multimètre digital par l'apparition d'un signe « - ». Curieusement, l'éclairement de la face active provoquera alors une chute de potentiel; cet effet anti-photoélectrique mériterait certainement une étude plus poussée de la part de nos lecteurs théoriciens.

Il suffira d'attendre 1 ou 2 heures pour que les choses reviennent dans l'ordre (par quel mystère quantique?). Nous avons également remarqué que deux ou trois pincées de sel relançaient le phénomène, mais toujours après avoir attendu quelques heures pour qu'il se manifeste à nouveau significativement: les électrons ne sont pas commodes à arracher à leurs atomes.