La moitié des déchets ménagers devra être recyclée à partir de 2002
LM, 8 mai 98

C'est la fin du tout-incinération des ordures et le début d'une politique systématique de tri sélectif et de recyclage. Une circulaire du ministère de l'environnement fixe des objectifs contraignants aux préfets. Chacun, dans sa vie quotidienne, va devoir s'adapter et "jeter utile".
    CHANGEMENT DE CAP dans la politique de gestion des déchets. La ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, Dominique Voynet, vient de faire parvenir aux préfets une circulaire relatve à la mise en place des plans départementaux des déchets ménagers (PDED), qui annonce une réorientation radicale. « La mise en oeuvre de la loi Royal du 13juillet 1992 sur les déchets et les directives des ministères qui l'ont appliquée ont été trop favorables à l'incinération. L'objectif de cette circulaire est d'arriver rapidement à un rééquilibrage des plans vers le tri et. le recyclage », explique Denis Baupin, conseilier au cabinet de la ministre. Tant par son ton - très volontariste - que par sa forme - une longue circulaire plutôt qu'un décret ou un arrêté, afin d'agir plus rapidement - le texte place la diminution des déchets à la source et le développement du recyclage au coeur du dispositif de traitement et d'élimination.
    Premier changement: la priorité au recyclage. La ministre « demande [aux préfets] d'engager une réorientation » qui doit se traduire par « un aménagement des objectifs antérieurement définis » en intégrant dans les plans davantage de recyclage et en « limitant le recours à l'incinération et au stockage aux seuls besoins ». Ces orientations visent à « redonner à la politique de prévention et de valorisation la place qu'il convient » en portant l'accent sur la prévention et la réduction de la production de déchets, la valorisation de ces déchets par réemploi ou recyclage, ou encore par leur transformation en source d'énergie. La ministre enfonce le clou en fixant un objectif national pour le recyclage des déchets relevant de la responsabilité des collectivités locales à 50% alors que le précédent plan était plutôt:
    C'est là une vraie révolution de la vie quotidienne, car si le geste citoyen de «jeter utile » semble plébiscité par les Français dans les municipalités qui ont fait le choix du tri sélectif, celles-ci restent très minoritaires.

FINIE « LA » POUBELLE

    Selon une étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) réalitée en 1997 sur 47 plans départementaux, seuls 27% des déchets étaient recyclés. La nouvelle orientation va donc changer les habitudes des consommateurs. L'image des cuisines où ne trônera plus « la » poubelle mais plusieurs conteneurs - comme à Dunkerque - va être généralisée.

    Deuxième changement: la part des incinérateurs et des décharges est réduite. Jusqu'à présent, la loi Royal n'autorisait la mise en décharge à partir de 2002 que des seuls déchets dits « ultimes », définis alors par les services du ministère comme les résidus de l'incinération. Paniquées à l'idée de manquer de débouchés pour des quantités d'ordures ménagères toujours en augmentation, les collectivités locales s'étaient lancées dans la course à l'équipement en incinérateurs. Avec, souvent, des projets surdimensionnés, très coûteux, et à l'impact incertain sur la santé publique. Le traitement des déchets était ainsi orienté à hauteur de 70 % vers l'élimination par incinération.

    Pour couper court à ce travers, Dominique Voynet a opté pour une définition plus souple du déchet ultime. Seront admis dans les décharges - une seule par département, soumise à des normes de sécurité écologique sévères, les décharges « brutes » (accueillant le tout-venant) ayant disparu - les déchets ménagers dont on a retiré, par recyclage, compostage ou métha nisation, toutes les matières valorisables; en clair, la partie non récupérable des ordures. De plus, pour le ministère, si l'incinération avec récupération d'énergie « a sa place dans une approche multifilière » de l'élimination, le choix de ces équipements lourds ne doit être fait qu'après réorganisation des filières de récupération.

    Enfin, la circulaire met fin au plan départemental uniforme. Il n'est plus question d'appliquer partout le même schéma, que l'on soit en milieu urbain, pérlurbain ou rural. les plans devront prendre en compte la réalité démographique des territoires où ils s'appliquent.

VOLONTE POLITIQUE ET PÉDAGOGIE

    Les premiers plans élaborés l'avaient quelque peu oublié et on avait vu des départements ruraux de moins de 300 000 habitants opter pour des incinérateurs alors que leur production de déchets ne pouvait les alimenter suffisamment La définition du déchet ultime et par conséquent la possibilité de mise en décharge seront aussi fonction des conditions économiques et techniques locales. « Dans les département à faible densité, il vaut mieux prévoir un petit centre de stockage aux normes et contrôlé accueillant les résidus du recyclage, qu'un gros incinerateur situé à des kilomètres des centres de production de déchets entraînant un va-et-vient de camions», résume un responsable du ministère.

    Le ministère affiche sa volonté de voir cette réorientation appliquée rapidement « Ce sont des directives impératives qui sont données aux préfet », explique la direction de la prévention des pollutions et des risques. Dans les prochains jours, chaque préfet recevra une lettre personnalisée détaillant son plan départemental et des instructions particulières. Le 14 mai, le ministère doit réunir les représentants des préfectures en charge de ce domaine pour une explication «pédagogique » de la politique engagée. Enfin, une communication de Dominique Voynet au conseil des ministres est prévue pour le 27 mai. Les associations environnementales qui commençaient à s'impatienter seront probablement satisfaites. France Nature Environnement juge déjà la circulaire « très positive »: « les objectifs de valorisation sont ceux que l'on demandait». L'engagement figurait également dans l'accord électoral passé entre les Verts et le Parti socialiste.

Syhia Zappri
COUP D'ARRET A L'INCINERATION

    Selon l'inventaire publié le 3 avril par le ministère de l'environnemt, la plupart des usines d'incinération dépasse la norme européenne d'émission de dioxines de 0,1 nanogramme par mètre cube (Le Monde du 6 avril). Sur soixante et onze incinérateurs d'une capacité supérieure à six tonnes par heure, seuls six respectent la norme. La découverte, le 31 mars, de la présence de dioxines dans le lait de vache à proximité des incinérateurs de Halluin, Wasquehal et Séquedin (Nord), entraînant l'interdiction de la commercialisation du lait de seize exploitations agricoles, avait déjà sonné l'alarme.

    Voilà des années pourtant que les associations environnementales et les unions de consommateurs n'ont de cesse de dénoncer ce qui leur paraît une pratique dangereuse niant, au moins, le principe de précaution. Diverses études scientifiques ont pointé la toxicité des dioxines pour la santé. Le Conseil supérieur d'hygiène publique de France a ainsi estimé que l'exposition à une dose de dioxines tolérable de 1 picogramme par kilo et par jour entrainait une surmortalité par cancer de l'ordre de 1800 à 2000 cas en France. Les élus locaux s'étaient eux aussi émus de la multiplication des incinérateurs dans les plans départementaux de gestion des déchets ménagers.

PLUS CHÈRE EN 1999
    Depuis quatre ans, à mesure que se profilait de manière plus précise l'échéance de 2002 fixée par la loi de la fermeture des décharges classiques, les préfets chargés de l'élaboration des plans départementaux de gestion des déchets ont fait la part belle à l'incinération.
    Les usines d'incinération représentent plus de 78 % des investissements prévus. Or, si la tonne incinérée semblait la plus rentable lors du vote de la loi, les normes européennes antipollution prévues pour s'appliquer en 1999 devraient faire doubler son prix. La surcapacité est aujourd'hui estimée à 20% des unités d'incinération à l'horizon 2020.

 S.Z.
Au total, les déchets des ménages français représentent 22 millions de tonnes par an. Chaque Français produit deux fois moins de déchets qu'un Américain, mais dix fois plus qu'un Africain .
Marseille fait le pari du civisme écologique
de notre correspondant
    Le projet marseillais d'élimination des déchets ménagers vient enfin d'être adopté, après six ans de valse-hésitation. Jean-Claude Gaudin, maire UDF de Marseille, a annoncé lundi 4 mai les modalités d'élimination des 400 000 tonnes d'ordures que la cité phocéenne produit chaque année: l'urgence est là puisque la loi du 13juillet 1992 contraint à la fermeture, d'ici au ler juillet 2002, des décharges brutes, dont celle de la Crau, à proximité d'Entressen (Bouches-du-Rhône), la plus grande d'Europe.

    Entre l'étang de Berre et la Camargue, à une cinquantaine de kllomètres du Vieux Port, ce site accueille depuis 1912 toutes les ordures marseillaises. Chaque matin, un train de soixante-dix wagons quitte la gare du Prado, escorté de milliers de goélands. Sur 80 hectares se sont ainsi empilés 30 mètres de détritus. Sous cette épaisseur, la nappe phréatique d'une largeur de six kilomètres s'apparente à un cloaque qui se déverse sans retraitement dans la Méditerranée. Propriétaire de ce terrain, la ville de Marseille investira 120 à 150 millions de francs pour réhabiliter le site avant sa fermeture: étanchéisation de la nappe phréatique, installation d'une station d'épuration et récupération puis brûlage des biogaz.

    Depuis 1992, la municipalité réfléchissait à une nouvelle filière de traitement des déchets. L'ancien maire, Robert Vigouroux, avait alors opté pour la mise en service de deux usines d'incinération pouvant brûler 600 000 tonnes par an, soit le volume de déchets ménagers produit par Marseille et vingt-deux communes du département associées au projet.

APPRENDRE LE TRI

    Deux groupes - l'un associant la Générale des Eaux et la Lyonnaise des Eaux, l'autre regroupant EDF et la Caisse des dépôts et consignations - avaient été sélectionnés pour la construction et l'exploitation de ces deux incinérateurs que les Marseillais avaient déjà baptisé les « Chaudrons ». Mais en juin 1995 la nouvelle équipe municipale dirigée par Jean-Claude Gaudin remettait ce projet à plat et, en janvier1997, le conseil municipal annulait les procédures d'appel d'offres. Les deux sociétés précédemment retenues réclament chacune 15 millions de francs pour prix de leurs études.

    Dans un premier temps, la nouvelle municipalité choisissait de conserver deux incinérateurs, mais en réduisant leur capacité (65 % des ordures) au profit d'opérations de recyclage par tri sélectif et compostage. Ce plan etait jugé trop timoré par les associations écologistes et l'opposition municipale comme faisant toujours la part trop belle à l'incinération. La municipalité a donc revu sa copie: ce sera finalement 50 % de recyclage, 50 % d'incinérarion.

    « Un pari ambitieux », selon Jean-Claude Gaudin, dans une ville longtemps réputée sale et peu soudeuse d'écologie; aujourd'hui, 5 % seulement des déchets ménagers marseillais sont recyclés. «Je propose aux Marseillais de relever le défi de l'environnement, lance Robert Assante, adjoint au maire, délégué à l'environnement. Et si, dans vingt ans, la construction d'un deuxième incinérateur apparaît indispensable, c'est que les Marseillais n'auront pas joué le jeu. »

    Les habitants de la deuxième ville de France devront donc apprendre le tri sélectif. Des expériences, encadrées par de jeunes «éco-ambassadeurs », sont en cours depuis un an auprès du millier d'habitants de deux quartiers de la ville. Dans les cinq prochaines années, une « deuxième poubelle » sera distribuée à 500 000 Marsellais. Le nombre des déchetteries et des points d'apport volontaire (conteneurs pour le papier et pour le verre) sera doublé.

POLÉMIQUE SUR LE CHOIX DU SITE

    Ce nouveau schéma « correspond parfaitement aux orientations données par le ministère de l'environnement», assure Jean-Claude Gaudin, qui, le 7 avril, a présenté le plan marseillais à Dominique Voynet. La part faite au recyclage a permis à la municipalité d'opter pour un seul incinérateur d'une capacité de 300000 tonnes implanté dans les quartiers nord.

    C'est sur le site choisi que la controverse se focalise maintenant: le crassier Alusuisse, une friche industrieliedu 5ème arrondissement. La municipalité tient à ce que cette "usine" soit érigée sur le territoire de la commune afin que les dividendes de la taxe professionnelle ne lui échappent pas Elle justifie cette localisation pas la proximité d'un réseau de chaleur qui pourrait être alimenté par la vapeur de l'incinérateur; les riverains protestent, redoutant l'émission de dioxines et un ballet incessant de camions. « Les nouvelles technologies de dépollution, rétorque Robert Assante, permettent de filtrer 99,5 % des fumées rejetées dans l'atmosphère. »

    Mals la colère monte dans ce quartier défavorisé: « Nous avons déjà tous les maux de la terre. Nous faut-il encore devenir la poubelle de la ville ? », s'emporte un président de comité d'intérêt de quartier. Les riverains ont reçu le soutien de Guy Rermier (maire PC du secteur), qui redoute « une nouvelle fracture sociale dans ces quartiers privés de tous facteurs de développement » et les élus communistes des 15 et 16èmes arrondissements appellent à « mettre en échec la décision de la municipalité ».

Luc Leroux