Circulez, il n’y a plus rien à voir !
Le 8 août dernier, au cœur de l’été
et en toute discrétion, était publié un arrêté
du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie “ relatif
à la protection du secret de la défense nationale dans le
domaine de la protection et du contrôle des matières nucléaires
”. Ce texte stipule que les informations relatives aux matières
nucléaires présentent désormais un caractère
de secret de la défense nationale. Elles doivent donc être
classifiées et leur diffusion strictement restreinte.
Etant donné ce que recouvre le terme
de “matières nucléaires”, la masse d’informations qui bascule
dans la confidentialité est considérable ! Sont dites nucléaires
toutes les matières qui contiennent l’un des 6 éléments
fissiles, fertiles ou fusibles retenus par la loi : uranium, plutonium,
thorium, lithium 6, deutérium et tritium. Tous les types de
combustibles nucléaires sont donc concernés, de leur fabrication
jusqu’à leur retraitement ou leur stockage ! Le secret défense
couvre ainsi l’ensemble du cycle du combustible, à la seule exception
de l’extraction de l’uranium (... mais toutes les mines françaises
sont aujourd’hui fermées.). Et la nature des informations visées
par l’arrêté est extensive : tout ce qui concerne la surveillance,
le confinement, la comptabilité, le transport de ces matières
est désormais classifié, tout comme les données relatives
aux exercices de crise ou à la vulnérabilité des dispositifs.
Les associations gravement menacées
Quiconque passe outre l’interdit est désormais
passible de sanctions pouvant aller jusqu’à 7 ans d’emprisonnement
ou plus de 100.000 € d’amende. Aux termes de la réglementation,
mieux vaut dérober un convoi de matières nucléaires
qu’informer les populations de son passage !
I l y a quelques années, la CRIIRAD
avait contrôlé le rayonnement émis par les wagons qui
transportent le combustible irradié et alerté les cheminots
et les usagers sur l’irradiation qu’ils subissaient à leur insu.
Renouveler ces interventions pourrait désormais coûter cher.
Seules les informations dûment agréées des services
officiels pourront éventuellement parvenir aux citoyens.
L’uranium appauvri fait partie des matières
nucléaires qui tombent sous le coup du secret défense. C’est
“ amusant ” car les autorités françaises ont toujours affirmé
que cette matière pouvait être banalisée, qu’elle n’était
pas vraiment radioactive et qu’il n’y avait aucune raison de ne pas l’utiliser
pour la fabrication des munitions.
Ceci étant, si demain nous décidons
d’informer les Drômois du passage de camions transportant quelques
milliers de tonnes d’uranium appauvri du site nucléaire du Tricastin
vers celui de Bessines, dans la Vienne... gare aux amendes et à
la prison car les informations sur le transport de cette matière
“ inoffensive ” sont désormais classifiées.
Et ce sont les hors-la-loi qui font
la loi !
Un simple arrêté ministériel
place ainsi un large pan du nucléaire en dehors de tout contrôle
démocratique. A l’origine de cette décision, une simple exigence
du groupe Cogéma-Areva que le
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gouvernement s’est empressé de satisfaire allant même
au-delà de ce que réclamait l’exploitant ! Le scénario
est habituel : à grands coups d’encarts publicitaires, l’exploitant
se construit une façade de transparence, mais manœuvre en coulisse
avec les pouvoirs publics pour conserver ses activités en dehors
du droit commun. Avec l’aide de la DGSNR, il avait ainsi obtenu que ses
rejets de polluants ne soient pas soumis à enquête publique.
En violation de la loi de 1991, son site de la Hague accumule les déchets
radioactifs étrangers bien au-delà des délais autorisés.
Il n’y a pas de sanction car, 13 ans après, les décrets d’application
de cette loi n’ont toujours pas été pris!
A ce propos, il est intéressant de
constater que l’Administration n’a pas eu le temps d’élaborer les
textes qui permettraient de sanctionner la Cogéma mais qu’elle a
trouvé celui de museler les associations qui voudraient l’attaquer
sur ce point : plus question d’inventorier les stocks illégaux de
Cogéma puisque l’information est désormais classifiée
!
De faux arguments!
On peut toujours faire taire les lanceurs
d’alerte mais la tranquillité sera trompeuse : supprimer l’information
sur les risques, ne va pas supprimer les risques, bien au contraire. Empêcher
Greenpeace d’avertir les habitants de Chalons que des camions chargés
de plutonium bivouaquent en plein centre ville, sera certainement plus
reposant pour les autorités et le producteur de déchets...
mais cela ne diminuera pas la dangerosité du transport.
Par ailleurs, qui fera croire aux Français
que des terroristes décidés à attaquer un convoi de
déchets radioactifs auraient besoin des informations de telle ou
telle association pour mener à bien leur opération ? L’objectif
de l’arrêté n’est pas de protéger la Cogéma
des terroristes mais des questions et actions dérangeantes des associations!
Démocratie “ou” nucléaire?
La démocratie et le nucléaire
sont-ils compatibles ? L’arrêté de juillet 2003 répond
clairement “non”. De ce point de vue, il constitue une rupture avec la
politique mise en place ces dernières années autour du concept
de “ transparence nucléaire”. D’une certaine façon, on sort
de l’hypocrisie. En effet, si les organismes de contrôle s’efforcent
d’obtenir des associations leur participation à différentes
commissions de travail et d’information, c’est avant tout pour débloquer
des situations (notamment les problèmes d’acceptabilité des
déchets radioactifs). Les décisions qui conditionnent le
développement du nucléaire, sont prises par l’Etat et l’exploitant
sans interférence de la société civile (ainsi pour
la durée de vie des centrales, le taux d’irradiation des combustible,
le Mox, l’EPR, ITER, etc).
Dans une démocratie, les autorités doivent assurer un
juste équilibre entre le droit à l’information et les restrictions
qui lui sont apportées au nom de sûreté ou de l’ordre
public. Lorsque des limitations exorbitantes et injustifiées sont
introduites, lorsqu’elles répondent non pas à l’intérêt
général mais aux intérêts particuliers de tel
ou tel exploitant, on bascule dans l’arbitraire et la société
policière commence à se dessiner sous les habits de la démocratie.
Cette question essentielle doit être placée au cœur des discussions
sur la prochaine loi d’orientation énergétique. |
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