L'opposition sur les sites choisis par EDF
Après le lancement en mars 1974 du
programme électronucléaire, le Directeur d'EDF a envoyé
ses agents à travers la France à la recherche de sites pour
l'implantation de 150 à 200 tranches qu'il était prévu
de construire d'ici à l'an 2000.
D'abord réservées, les populations
directement concernées sont devenues rapidement franchement hostiles
à l'installation de centrales. La direction d'EDF a subi des échecs
sévères:
- les Bretons ont, pour l'instant du
moins, obtenu satisfaction : les sites d'Erdeven et de Plogogg ont dû
être abandonnés;
- depuis deux ans EDF «promène»
une centrale dans les pays de Loire: les sites d'Ingrandes, Corsept, Liré,
Brétignolle ont dû successivement être abandonnés.
La direction d'EDF a pu lancer les constructions
du Contrat de programme no 1 sur les sites qui lui appartenaient déjà.
Mais il lui faut d'autres sites pour la suite du programme.
«De nouvelles causes de retard apparaissent
aujourd'hui pour les tranches du deuxième contrat pluriannuel; elles
tiennent an décalage des ordres d'exécution, décidé
pour des raisons financières elles tiennent aussi à l'allongement
des procédures d'obtention des sites, qui ne permettent plus d'engager
en temps utile les travaux préliminaires de terrassement des accès,
indispensables à l’ouverture à bonne date des chantiers de
construction»...
Faut-il se réjouir de cette possibilité
de voir le programme prendre un retard notable? Faut-il au contraire prendre
les mesures nécessaires pour que les objectifs énergétiques
du Conseil de Planification soient atteints? La décision relève
du gouvernement et des administrations chargées de la mettre en
oeuvre»
M. Boiteux,
conférence de presse du 22.3.77
M Boiteux s'est d'ailleurs récemment
fait rappeler à l'ordre par le préfet de la région
d'Alsace. M. Boiteux avait, juste avant les élections municipales
(quelle gaffe!), indiqué qu'un nouveau site devait être recherché
sur le Rhin pour y construire une nouvelle centrale après la mise
en marche de celle de Fessenheim. Le préfet lui a répondu
que «seule la puissance publique a le pouvoir de décider
la construction d'une centrale nucléaire sur le Rhin»;
on allait l'oublier(*)!
Les oppositions des populations locales préoccupaient
beaucoup les défenseurs du programme.
«Il n'en reste pas moins vrai que
la contestation est toujours très vive et nos opposants très
efficaces. Ainsi:
- la convocation en session extraordinaire
du Conseil général de l'Isère les 23 et 24 septembre
1976 est très préoccupante. En effet, il est prévisible,
d'après informations recueillies, que le voeu émis par les
conseillers fera état d'une demande de moratoire
- les manifestations prévues à
Grenoble et à Morestel les l7et 18 septembre prochain attestent
du regain d'activité de la contestation après la période
de vacances».
M. Boiteux le 10.9.76
information provenant de la Nersa
M. Boiteux n'a pas fini de se faire du souci.
La contestation nucléaire a un programme chargé d'ici les
vacances: après Flamanville à Pâques, le Pellerin (près
de Nantes), en mai des manifestations sont prévues à Graveline,
à Nogent-sur-Seine, à Creys-Malville en juillet sans
oublier bien sûr Brand Saint-Louis, Cruas, etc.
La contestation va repartir pour deux raisons:
- les périodes électorales sont
toujours favorables aux larges débats publics et la répression
est toujours dans ces périodes une maladresse. Le succès
des listes écologiques aux municipales va certainement faire réfléchir
plus d'un stratège politique: les grandes manoeuvres de «récupération»
sont d'ailleurs déjà en place
- le succès de la contestation à
l'étranger, notamment en Allemagne, va encourager la contestation
en France, notamment en Alsace.
Il n'est pas besoin d'être grand devin
pour prévoir que la contestation, qui a fait preuve déjà
d'une réelle efficacité en Alsace et dans la région
Rhône-Alpes, a de beaux jours devant elle!
* Nous avons appris, grâce à une interview de M. Boulin,
Directeur général de Creusot-Loire, à Inerpresse (15.3.77
no 1783) qu'«Après Superphénix, l'EDF aprévu
un programme d'au moins 4 surgénérateurs».
Chiche! on le dit au ministre de l'Industrie?
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suite:
Epilogue
Le regard critique que nous avons porté
dans ce numéro sur la situation de l’électronucléaire
dans le monde et en France concerne les aspects «classiques»d'un
système industriel:
- difficultés techniques
- crédibilité économique,
- situation internationale.
Déjà avec le problème
de la prolifération on voit que des critères politiques interviennent,
critères souvent masqués par un discours qui se veut technique,
rationnel, logique. Mais on ne peut en rester là et au terme de
cette Gazette, il est intéressant de dégager quelques réflexions
plus générales que le débat nucléaire amène
à poser sur la croissance, la signification de la consommation éneretique,
les conséquences sociales et politiques des choix effectués
et de s’interroger sur: qui décide de ces choix.
Quand on nous dit que seul le nucléaire
peut apporter l'énergie dont nous aurons besoin en 1985, en 2000,
sur quels critères se base-t-on? En fait, sur une extrapolation
des courbes actuelles du style «le doublement tous les dix ans
de la consommation électrique est inéluctable, voire souhaitable»,
«Prévoir 10 Tec par tête pour le Français
de l'an 2000 n'a rien d'extraordinaire; l'Américain moyen, noir
ou blanc, riche ou pauvre, consomme déjà 13 Tec par tête.».
Interview de M. Boiteux à l'Express
Qu'est-ce que c'est que cet Américain
moyen, mi-noir, mi-blanc, mi-riche, mi-pauvre? Où sont les «besoins»
là-dedans?
En fait, on ne sait pas très bien où
va être utilisée cette énergie et pour quoi faire -
en faible partie seulement, cela est sur en tout cas, pour les besoins
domestiques.
A ce niveau, le discours officiel amorce un
virage: il y aurait corrélation entre la croissance économique,
la qualité de la vie et la consommation énergétique,
et tout cela ne peut que croître ensemble. Est-il besoin de rappeler
les exemples flagrants de la toute «relativité» de ces
affirmations:
- pour un même produit intérieur
brut le Suédois consomme 8 Tec par habitant, l'Américain
le double.
- l'Allemand consomme moins d'énergie
par tête que l'Anglais, etc., etc.
La Fondation Ford a d'ailleurs montré
qu'il est possible d'obtenir la même croissance économique
avec trois taux de croissance énergétique, un de ces taux
étant d'ailleurs nul...!
En fait, ne faudrait-il pas mieux essayer
de partir des besoins énergétiques et des procédés
technologiques qui «utilisent» bien l'énergie: par exemple
les catalyseurs dans l'industrie chimique. Une bonne approche de cette
démarche de l'esprit peut être trouvée dans l'étude
de l'JESE Alternative au nucléaire.
Actuellement on manque de données en
France sur la façon dont est consommée l'énergie,
mais on dispose de chiffres étrangers et il est intéressant
de remarquer que, en Grande-Bretagne:
- 10 % de l'énergie est consommée
sous forme de chaleur supérieure à 100o C
- 55 % sous forme de chaleur inférieure
à 100o C
- 30 % sous forme mécanique,
- 5 % sous forme électrique spécifique
(éclairage, électronique, électrolyse...).
Cela laisse rêveur: 55 % de l'énergie
pour faire de la chaleur à moins de 100o C...! Faut-il
pour cela utiliser des techniques sophistiquées telles que le nucléaire?
Rappelons que dans une centrale nucléaire on rejette deux fois plus
de chaleur que l'on ne produit d'électricité... La géothermie,
le solaire devraient pouvoir être utilisés facilement!
Les interrogations actuelles sur le nucléaire
montrent à l'évidence qu'il ne faut pas prendre en compte
les conséquences économiques et techniques d'une technologie,
mais aussi ses aspects sociaux et politiques. Et ceci doit se faire par
un débat le plus large possible.
Il faut donc faire exactement l'inverse de
ce qui a été fait depuis trois ans:
- décision dans le secret des états-majors
politico-industriels
- refus des débats publics et contradictoires
- propagande officielle, notamment dans les
écoles et lycées.
Le programme électro-nucléaire
aura sans doute permis d'amorcer un large débat sur la croissance,
ses finalités, sur le processus de prise de décision. Il
aura permis à beaucoup de prendre conscience que les choix politiques
sont l'affaire de tous et non de quelques technocrates penchés sur
leur ordinateur.
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