GAZETTE NUCLEAIRE
COMMENTAIRES sur le dossier radioécologie du Nord Cotentin
I - André Guillemette

Ce commentaire a été adressé le 23 octobre à Annie Sugier et il est actuellement à l'étude

 
1- Scénario particulier "pêcheurs des Huquets"

     Ce scénario est écarté, minimisé par la phrase suivante :
"La consommation d'un crabe pêché dans le "champ proche" (à proximité de l'émissaire de rejets en mer COGEMA) en 1985 conduit à une dose efficace de plusieurs centaines de µSv mais ce scénario est très peu fréquent du fait de l'interdiction de mouillage et de dragage en "champ proche" et de la très faible présence de faune marine à cause des forts courants locaux."

1.1 Une première remarque de détail, telle qu'elle est formulée, cette phrase laisse supposer que le crabe est pêché à la "drague" et que le fait d'avoir interdit le dragage supprime la pêche aux crabe dans le champ proche.
 La drague est utilisée pour pêcher les coquillages (coquilles St Jacques, praires, moules, palourdes,...), quelques crabes peuvent être pêchés accidentellement de cette manière, mais ils sont le plus souvent dans un drôle d'état. Le moyen orthodoxe connu de la pêche aux crustacés est la pêche au casier.

1.2 Si l'arrêté du Préfet Maritime de la première région, en date du 11 février 1983, interdit le mouillage, le dragage et le chalutage, il n'interdit nullement les autres moyens de pêche :  casiers, filets, lignes de fond, pêche à la traîne, pêche sous-marine.
La pêche par tout autre moyen que la "drague" est donc pratiquée dans cette zone s'étendant des Moulinets aux Huquets.

suite:
La fréquentation de cette zone est facilement vérifiable, son accessibilité par de petites embarcations est possibles à partir des points suivants :
-Port de Goury, 3 embarcations professionnelles et une vingtaine de plaisanciers,
-Port du Houguet (sous Herquemoulin), une dizaine de plaisanciers,
-plage de Vauville, (mises à l'eau par tracteurs et remorques), une dizaine de plaisanciers,
-les pêcheurs sous-marins accèdent à cette zone en embarcations pneumatiques à partir de Goury, de Vauville ou Dièlette.

1.3 Les forts courants n'impliquent pas "absence de faune", les courants de la Hague ne sont guère plus impétueux que ceux du raz de Barfleur et ces 2 zones sont connues par les pêcheurs amateurs et professionnels pour les plus belles prises, de lieus ou de bars. Les hauts fonds et les forts courants sont les lieux de prédilection des gros poissons. S'ils n'y trouvaient aucune nourriture, que viendraient-ils faire dans cette absence de faune ?
     Nier l'influence du champ proche dans le cas de la pêche sur les Huquets me semble donc aberrant, le groupe de pêcheurs exposés est certes restreint, mais l'activité pêche sur cette zone existe bel et bien. On néglige peut-être une pratique courante dans la plupart des foyers depuis une vingtaine d'années : la congélation pour les conserver de produits frais quand ils sont abondants.

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2 Rupture de la conduite de rejets en mer, 1979/1980, cas du strontium 90 dans les coquilles Saint Jacques.

Contrairement à la formulation retenue dans le rapport de synthèse selon laquelle la mesure de strontium 90 "n'avait pas été effectuée à l'époque" de l'accident, cette mesure a bien été effectuée par la CFDT sur les algues et les coquilles St Jacques ainsi que par la COGEMA sur les coquilles St Jacques et les patelles. Ces mesures ont été effectuées sur des prélèvement de 1979 et 1980 par les 2 protagonistes. Cet "oubli sur un sujet qui a pourtant fait l'objet de 2 ans de polémiques à l'époque mérite que j'en retrace les grandes lignes.

2.1 Rappel chronologique succinct

-4/09/79 prélèvement d'algues, résultats d'analyses normaux
-4/12/79 prélèvements d'algues,
-31/12/79 résultats des prélèvement du 4/12 : significatifs
-2ème quinzaine de janvier 1980 (après la 2ème constatation de fuites du 17/01/80)
     La section syndicale CFDT de l'usine de retraitement demande aux pêcheurs locaux de lui donner des produits pêchés dans la zone des Moulinets, entre 300 et 1000 m du rivage (poissons, crustacés, mollusques et algues)
-3 mars 1980 Mrs Prévôt et Zerbib, au nom du SNPEA CFDT, exposent les résultats des analyses devant le Conseil de l'Information sur l'Énergie présidé par Madame Simone Veil.
-octobre 1980 le mensuel Science et Vie n° 757 publie un article de Madame Jacqueline Denis-Lempereur sur la conduite de rejets reprenant les analyses de la CFDT
-14 avril 1981 M Jean Teillac, haut Commissaire adresse à Madame Simone Veil une lettre récusant les analyses CFDT.

2.2 Résultats comparés des analyses effectuées par la CFDT et la COGEMA (coquilles St Jacques en Bq/kg)
radioélément CFDT COGEMA Rapport
Co 60 1,4 3,2 0,43
Sr 90 407 2 203
Ru 106 244 à 370 1050 0,23 à 0,35
Ag 110m 19,6 à 23 26 0,75 à 0,88
Cs 137 6,3 à 8,1 9,6 0,65 à 0,84
Les mesures sont en accord sauf pour le strontium 90 où la CFDT a mesuré des valeurs 200 fois supérieures à celles de la COGEMA.

2.3 Rappel des caractéristiques du strontium 90

groupe radiotoxicité : 2; émetteur bêta, période : 28,2 ans; dose efficace (adulte, CIPR 60) : ingestion (2,8 10-8 Sv/Bq), inhalation (3,8 10-8 Sv/Bq).
 
 
 

 (suite)
suite:
Aspect réglementaire actuel :
1Bq ->2,8 10-8 Sv. Comme la Dose Maximum Admissible ou DMA public sera en 2000 10-3 Sv/an, cela entraîne une LAI de 10-3/2,8 10-8 = 35700 Bq
A partir d'une consommation moyenne pour un adulte de 1000 l/an, il ne faut pas dépasser 36 Bq/l .
Les recommandations au moment de l'incident étaient :
Sr 90 < 100 Bq/l sur la base des 5 mSv/an (OMS et France).

2.4 Discussion

S'il est recevable que la COGEMA ait pu à l'époque retrouver des analyses à partir de prélèvements de patelles effectués dans la même période (4-12-79) que la pêche de coquilles St Jacques effectuée par la CFDT (8-01-80) (les patelles sont accessibles à l'estran 2 fois par jour et font partie du protocole de surveillance du SPR-COGEMA, il est, par contre, improbable que la COGEMA ait fait pêcher, le même jour que la CFDT, des coquilles St Jacques au même endroit. Cette pêche ne peut être pratiquée que par des pêcheurs professionnels ou des plongeurs et ces mollusques ne faisaient pas partie du protocole de surveillance. Il est donc vraisemblable que COGEMA a fait pêcher des coquilles après la polémique engagée par la CFDT (soit après mars 80). Cette hypothèse "pratique" est corroborée par les propres analyses strontium de COGEMA sur les patelles. Le 4-12-79 le SPR mesure 81,4 Bq/kg, le 21-08-80 il ne mesure plus que 2,6 (réduction d'un facteur 31). Si on admet ce facteur de réduction et le fait que les pêches CFDT et COGEMA soient espacées de 1 an alors le facteur 200 n'est plus incohérent.
     En ce qui concerne l'argumentaire de Mr Teillac, basé sur le rapport Ru106/Sr90 voisin de 500 dans les coquilles CEA et de 1 dans les coquilles CFDT, on peut faire les remarques suivantes :
-Les analyses CEA (4-12-79) montrent un rapport Ru106/Sr90 de 80. Le 21-08-80 ce rapport est de 460. Il y a donc une concentration + élevée en Sr lors de l'incident.
-les analyses récentes du tartre de la conduite (septembre 97) effectuées par le SPR donnent un rapport Ru/Sr de 0,03. Greenpeace (28-09-87) donne un rapport de 2,7. Ce rapport est donc sujet à de fortes variations pour le même compartiment.
-le Ru 106 étant un rejet habituel, la teneur en Ru des différents compartiments peut être considérée comme saturée, contrairement à la teneur en strontium qui s'est élevée à cause de la non-dilution à l'extrémité de l'émissaire.
-Les rapports Ru 106/Sr 90 sont très variables selon l'endroit de prélèvement et le compartiment considéré, on peut avoir un phénomène ponctuel et limité dans le temps selon la concentration de Sr90 dans le milieu.
-Les coquilles St Jacques sont des mollusques filtreurs alors que les patelles sont des mollusques herbivores
     En conclusion , pour le strontium 90, les valeurs données par la CFDT sont 200 fois plus élevées que celles annoncées par COGEMA. Les valeurs retenues par le groupe radioécologie du Nord Cotentin sont celles "estimées" par COGEMA.
     Tout ceci prouve que les marges d'incertitudes ne sont pas seules à poser question.

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II - C.R.I.L.A.N.
RAPPORT de la COMMISSION SUGIER : TOUJOURS " LE GRAND DOUTE "
La secrétaire: Paulette ANGER
10 route d' Étang-Val 50340-Les Pieux Tel: 02 33 52 45 59 Fax: 02 33 52 53 26
13 octobre 1999
     Les conclusions de la commission SUGIER dont la mission principale était d'évaluer le nombre théorique de leucémies radio-induites chez les jeunes de 0 à 24 ans, attribuables aux installations nucléaires du Nord-Cotentin ne sont pas de nature à lever le doute et à donner une explication à l'existence de l'excès de leucémies constaté par Jean François Viel, de 1978 à 1992, dans le canton de Beaumont-Hague ( 4 cas observés pour 1,4 attendu).
Les incertitudes liées notamment:
- à la controverse de l'effet des faibles doses, de la notion de seuil,
- au choix des modèles de transfert - ( relation dose-effet largement déduite des études des survivants de Hiroshima et Nagasaki et depuis longtemps remise en cause),
- à leur manque de pertinence avoué en ce qui concerne les embruns, la dilution des effluents liquides en champ proche, la dispersion des rejets gazeux pas toujours validée par des mesures,
-au fait que ces dernières ne proviennent que pour 0,25 % de laboratoires associatifs,
- au fait que l'activité d'un partie des radionucléides relâchés dans l'atmosphère, notamment au moment des accidents ( 1970-1981...) ait été reconstituée à posteriori,
montrent les limites de la méthodologie retenue et incitent à la plus grande prudence.
     En aucun cas, on ne peut réduire cette étude à un chiffre rassurant et dire: " circulez, tout va bien ! " ou comme la COGEMA en faire un argument d'un encart publicitaire et affirmer: " cette expérience (les travaux pluralistes de la Commission) aura permis de replacer le sujet hors des polémiques, dans un cadre méthodologique et scientifique et de montrer clairement que l'établissement ne nuit ni à la santé ni à l'environnement", sauf à tomber dans la malhonnêteté intellectuelle.
     Le CRILAN, après avoir pris connaissance des documents de synthèse de la Commission, des réserves et remarques émises par l'ACRO et le G.S.I.E.N., pris acte du refus de valider les travaux de la part de la CRII-Rad, constate que si le travail réalisé n'a pas permis de mettre en évidence une corrélation entre un excès de leucémie et les rejets des installations nucléaires, à l'inverse, compte-tenu des questions en suspens et des hypothèses retenues, qu'il n'a pas été possible de démontrer que ces installations ne sont pas responsables des leucémies en excès.
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