DOSSIER ENERGIE DU MAGAZINE POLYRAMA
Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne
No 111, juin 1999
Quand les utopies prennent leurs quartiers
    Il n'y a pas si longtemps encore les énergies renouvelables faisaient doucement sourire. Jusqu'au jour où l'Occident dut affronter les chocs pétroliers et commencer à réaliser que l'or noir menaçait d'assombrir sérieusement l'avenir de la planète sur le plan climatique.

Prédire l'avenir est un exercice difficile et périlleux: aucune science n'est à même de nous fournir une méthode infaillible pour connaître notre destinée.

C'est pourtant l'une des tâches à laquelle se consacrent bien des chercheurs et des inventeurs, lorsqu'ils tentent d'anticiper les retombées futures de leurs découvertes. Cette nécessité de «voir», tant bien que mal, dans le futur fait partie intégrante de la quête permanente de nouveaux savoirs et de nouvelles connaissances: elle permet non seulement d'évaluer, par précaution, la portée prévisible de certains développements technologiques, mais également d'orienter les recherches scientifiques en fonction d'objectifs, parfois qualifiés d'utopiques.

La voiture? Une puanteur grasse!
Bien qu'indispensable, cette nécessaire projection du scientifique vers l'avenir se heurte bien souvent à la réalité du moment, à laquelle sont toujours confrontées les visions utopiques des chercheurs et des inventeurs.

Même l'automobile, qui fait partie en 1999 de notre indispensable quotidien, n'échappe pas à cette règle: les lecteurs du «Journal de New York» laissaient ainsi peu de chances en 1899 à «tant de puanteur grasse, de pollution et de vacarme métallique», face à la plus noble conquête de l'homme. La luxueuse invention de la fin du siècle dernier devait pourtant l'emporter sur le cheval, grâce en particulier à la vision utopique d'Henry Ford et d'autres inventeurs passionnés.

Un siècle plus tard, face aux conséquences désastreuses du développement mondial de l'automobile, basé uniquement sur l'utilisation de combustibles pétroliers, les sentiments réprobateurs des lecteurs du «Journal de New York» nous paraissent beaucoup plus justifiés: d'autres innovations  technologiques  sont nécessaires pour donner à ce développement un caractère plus «durable».

Dans ce domaine, comme dans celui du bâtiment, les énergies renouvelables offrent, depuis quelques années, une réelle alternative aux énergies traditionnelles: cela est compréhensible dans la mesure où elles représentent 99% du bilan énergétique(*) du globe terrestre. Vision utopique de la fin des années 70, au moment des chocs pétroliers, cette innovation en matière d'énergie a fait régulièrement son chemin en Suisse, en particulier, passant de l'ère des pionniers à celle de l'application progressive à plus grande échelle.

Le temps donne raison aux pionniers
Plus de 200'000 mètres carrés de capteurs solaires actifs sont ainsi en fonction aujourd'hui dans notre pays, produisant annuellement plus de 70 millions de kilowatt-heures thermiques. On dénombre, d'autre part, plus de 10'000 installations photovoltaïques en îlot et près de 750 installations de puissance raccordées  au  réseau,  produisant chaque année à elles seules plus de 4 millions de kilowatt-heures d'énergie électrique. En ce qui concerne le secteur du bâtiment, l'utilisation de l'énergie solaire passive associée à des mesures d'isolation thermique, a permis de réduire de quatre à cinq fois la consommation énergétique spécifique des constructions nouvelles, par rapport à celles de 1979 (5 litres de mazout par mètre carré et par année au lieu de 25), et de près de moitié celles des bâtiments rénovés.

La vision utopique des premiers pionniers des énergies renouvelables, caractéristique des années 70, a ainsi cédé la place aux projections économiques des industriels de la branche et aux programmes politiques des parlementaires nationaux, débattant de la future taxe d'incitation à l'utilisation des énergies renouvelables. La diffusion à plus grande échelle de ces nouvelles technologies énergétiques, corollaire à la mise en oeuvre du développement durable pour notre société, reste toutefois un passage obligé pour ces dernières.

Nul doute que les décisions de caractère politique, émanant du parlement ou du gouvernement, seront amenées à jouer un rôle crucial en ce qui concerne ce développement. Seule la lecture du Polyrama, à paraître en 2099, pourrait nous indiquer l'évolution exacte du développement de ces technologies énergétiques nouvelles, qui ne manqueront pas de marquer le XXIe siècle, à l'image de l'automobile, sujet de l'article du «Journal de New York» de 1899, qui a marqué le XXe siècle.

Jean-Louis Scartezzini
Professeur EPFL
Laboratoire d''énergie solaire
et de physique du bâtiment
(*) commercialisable: voir l'article "Energies non commerciales: parlons-en!"