Le microcosme énergétique a une particularité, il est presque exclusivement masculin. Chef d'entreprise, représentante en Suisse romande des secteurs Collectivités publiques et Carburants d'Energie 2000 et cheville ouvrière du programme de labellisation «Cité de l'énergie» - issu de «L'énergie dans la cité» -Brigitte Dufour-Fallot fait un peu figure d'exception. Rencontre avec une personnalité qui s'attache à catalyser les énergies humaines dans le but de faire avancer concrètement l'idée d'un monde meilleur pour demain.
«Je n'aime pas trop le monde dans lequel nous vivons. Notre culture chrétienne nous a appris à concevoir la nature inféodée à l'homme. Que 20% des individus consomment 80 % de l'énergie et des ressources de cette planète ne nous émeut guère du moment que nous y sommes dans ces 20 %! Pourtant, nous nous devrions d'être plus humbles devant une réalité toute simple: l'environnement peut se passer de nous demain. Nous, nous n'existerions pas une seule seconde sans lui.» La conscience écologique de Brigitte Dufour-Fallot ne prend pas racine dans le terreau galvaudé des petites fleurs, mais dans une réflexion de fond sur la place que l'homme occupe dans la communauté humaine et dans son environnement.
Pour un monde moins dur et un peu plus solidaire
Brigitte, fille d'un Jurassien et d'une Franco-Polonaise, a souvent
bouclé ses valises. Ses pérégrinations ont ancré
chez elle la conviction d'être pleinement une «citoyenne du
monde»: «Quand j'étais adolescente, explique-t-elle,
j'ai vécu en Nouvelle Calédonie. L'expérience du colonialisme
a forgé en moi un autre regard: très tôt dans ma vie,
j'ai compris que les hommes, dès le départ, n'avaient pas
les mêmes chances, que de part et d'autre de la barrière,
les positions n'étaient pas les mêmes.» Elle poursuit:
«Plus le temps passe, plus notre planète se rétrécit.
Dans l'exiguïté de cet espace, six milliards de personnes ne
savent pas se partager les richesses qui s'y trouvent; les nantis se lovent
dans le confort de l'argent sans esprit de solidarité avec les autres.
Cet état de fait, je ne m'y résigne pas. En tant que femme,
en tant que mère de trois enfants, de 21, l9 et l5ans, je me sens
une responsabilité. J'aimerais dans la mesure de mes humbles moyens
contribuer à leur léguer un monde un peu moins dur un peu
plus solidaire, un peu plus durable.»
On ne s'en étonnera pas, biologiste de formation, Brigitte Dufour-Fallot dit être arrivée à l'exercice professionnel de l'écologie par amour. Avec son mari, Bernard Anthony Dufour, docteur ès sciences, elle fonde une PME Bio-Eco Conseils, qui apporte «une aide professionnelle à la diminution des impacts des activités humaines sur l'environnement». Il s'agit entre autres d'offrir des conseils ciblés aux collectivités publiques chargées de mettre en oeuvre les nouveaux impératifs de la législation environnementale.
C'est donc par cette filière écologique que Brigitte Dufour-Fallot va s'intéresser de près à l'énergie, cette «marque puissante de l'humanisation d'une société d'individus qui découvrent le feu aux premiers balbutiements de leur histoire pour se nourrir et se chauffer» et qui deviendra à la fin de ce XXe siècle, cette «valeur précieuse qu'il s'agit d'apprendre à respecter pour ne pas la galvauder».
C'est dans cet esprit que la Confédération trace, avec Energie 2000, les lignes d'un programme que Brigitte Dufour-Fallot juge à la fois «ambitieux et raisonnable»: stabiliser puis réduire la consommation d'énergies fossiles et les rejets de CO2, atténuer puis stabiliser la demande d'électricité aux valeurs de 1990 et accroître l'apport des énergies renouvelables. «Ambitieux, explique-t-elle, parce qu'un des piliers du programme se fonde sur des actions volontaires! Au prix - faible - de l'énergie, il faut des trésors d'imagination et de créativité pour déclencher des mesures d'utilisation rationnelle de l'énergie et la production d'énergies indigènes renouvelables, les choix se rapportant au prix avant toute autre considération! Et la qualité de la vie, de l'air, et l'avenir de nos enfants sans parler de celui de la Planète? Notre société, basée sur l'économie, découvre qu'un réel développement ne pourrait se faire sans un juste équilibre entre économie, société et environnement. C'est heureusement le concept du XXIe siècle que les nations ont proposé lors du Sommet de la Terre à Rio en 1992. Il faudra plusieurs générations pour intégrer les bénéfices du développement durable. Avant de devenir parent, posons-nous une question: comment vais-je devenir l'acteur de ce futur pour que mes enfants soient fiers de moi?»
Mettre en route la machine
Parmi les partenaires engagés dans la mise en oeuvre d'un tel
programme, les communes, à la fois principales consommatrices et
distributrices de l'énergie, jouent naturellement un rôle
essentiel. Pour valoriser leurs efforts en matière de gestion énergétique
rationnelle et s'octroyer en quelque sorte un outil d'évaluation,
les communes ont la possibilité d'obtenir le label «Cité
de l'énergie» au terme d'une procédure fondée
sur des objectifs qu'elles s'engagent à atteindre selon un calendrier
précis. Le label décerné par la Confédération
est en fait la reconnaissance d'une politique qui devance les prescriptions
actuelles, une sorte de module de développement durable. En Suisse
romande, quatre communes ont déjà obtenu ce label: Neuchâtel,
Lausanne, la Chaux-de-Fonds et Chézard-St-Martin, et sept autres
sont engagées dans le processus: Delémont, Fribourg, Sion,
Montreux, Morges, Crissier et Vevey.
Brigitte Dufour-Fallot et son équipe coordonnent cette action en Suisse romande; un travail basé avant tout sur la communication, l'écoute, le dialogue et la mise en réseaux de gens qui n'avaient pas forcément songé ou souhaité travailler ensemble. «Sur cette question de la rationalisation énergétique et partant sur la diminution des coûts d'exploitation, rien n'est techniquement impossible. Vous pouvez toujours améliorer quelque chose, que ce soit par exemple au niveau de l'aménagement du territoire, des bâtiments, des réseaux d'énergie et d'eau, des déplacements ou de l'information. L'argumentaire est ailleurs. L'envie de faire et le besoin sont souvent là, mais il faut compter aussi avec un phénomène paradoxal propre à la nature humaine: son pouvoir d'inertie. Pour «mettre en route la machine», il faut convaincre, jeter des ponts, faire se rencontrer des compétences qui s'ignorent. C'est la tâche à laquelle nous nous sommes principalement attelés, en amont de la mise en oeuvre qui sera entreprise par les bureaux d'ingénieurs.»
Pas de message extrémiste de la part de la consultante scientifique - «je ne suis pas une écolo-baba-cool», dit-elle en riant - mais une approche fondée sur la philosophie humaniste qui l'anime depuis toujours. «ll s'agit d'opérer aujourd'hui les choix qui préservent et maintiennent une qualité de la vie qui ne se ferait pas sur le dos de nos enfants et de nos petits-enfants. Afin de leur garantir des chances qui soient au moins équivalentes à celles dont nous bénéficions nous-mêmes. L'énergie est un thème qui nous fait réfléchir sur notre manière de vivre et de fonctionner ensemble. Un des grands bénéfices tiré du type de réflexion engagée aujourd'hui au niveau des communes est sans doute à trouver dans cette catalyse des énergies humaines qui permet à des gens de se mettre au travail ensemble.»
S'il n'y avait qu'une vérité à retirer de cet exercice,
Brigitte Dufour-Fallot retiendrait sans hésitation celle-là