DOSSIER ENERGIE DU MAGAZINE POLYRAMA
Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne
No 111, juin 1999
Politique énergétique: la parole est au citoyen!
    En 1998, le Conseil Suisse de la Science organisait un Publiforum sur le thème: «Electricité et société: une nouvelle vision des choses». A cette occasion, une trentaine de citoyens ont pu exprimer leurs préoccupations et leurs attentes. Une prise de température qui devrait influer sur la future politique énergétique. Luis Marcos, 27 ans, architecte EPFL, faisait partie du panel. Coïncidence de la vie, il coordonne depuis quelques mois, pour le Canton de Vaud, le programme Minergie (voir encadré) au Service de l'environnement et de l'énergie.

Luis Marcos, expliquez-nous comment vous vous retrouvez un beau jour dans un fauteuil du Conseil national, en simple citoyen, à débattre d'énergie?
C'est un petit encart dans le journal qui a attiré mon attention. Le Conseil suisse de la science voulait demander l'avis d'une brochette de citoyens prêts à s'engager dans une réflexion sur le futur de l'électricité. Ayant suivi à l'EPFL le post-grade européen en architecture et développement durable, j'étais déjà sensibilisé par la problématique énergétique. C'est donc sans hésitation que j'ai répondu à l'annonce et que j'ai été sélectionné avec 26 autres personnes. Echantillonnage représentatif de la société helvétique en terme d'àge, de langue, de profession et de sexe, le groupe s'est retrouvé durant deux week-ends pour se familiariser avec les enjeux énergétiques et préparer les questions que nous voulions soumettre lors du Publiforum à plusieurs experts. Issus de tous les horizons - scientifique, politique, économique, administratif ou représentant un groupe d'intérêt- ces experts ont été choisis par nous sur la base d'une liste dûment documentée. Nous avons retenus 9 thèmes que nous voulions approfondir avec eux.

Des tendances générales se dégagent-elles des préoccupations de 27 citoyens qui n'ont d'autres liens entre eux que leur citoyenneté et leur intérêt pour le sujet ou le débat part-il dans tous les sens?
Non, en fait, il ressort des discussions que nous avons eu une sensibilité écologique assez largement partagée, une capacité à se projeter dans le long terme qui nous a fait souvent nous interroger de la même façon: «Si nous ne réagissons pas maintenant, que se passera-t-il demain?» Je dirais que ce groupe a manifesté une prise de conscience «verte», une volonté de préservation de la vie et de ses ressources. Le nucléaire, par exemple, n'avait pas beaucoup d'adeptes dans cet échantillon. Dans ce contexte, un des problèmes majeurs sur lequel nous nous sommes focalisés touchait, bien sûr, la question de l'approvisionnement en électricité suite au démantèlement progressif des centrales nucléaires. Nos échanges et les questions précises que nous avons posées aux experts ont aussi permis, dans la foulée, de clarifier certains concepts, de balayer certains clichés sur des sujets précis comme les déchets nucléaires, les énergies propres.

Quelles réflexions personnelles vous inspire ce dialogue entre des citoyens et des experts?
Ce que l'on constate, évidemment, c'est que les experts issus des lobbies industriels défendent d'abord les intérêts de ceux qu'ils représentent. Du côté des politiciens, les prises de position sont plus neutres, bien que le clivage gauche-droite reste apparent, les uns développant un argumentaire plus écologique et les autres un argumentaire plus économique. Et puis, évidemment, on sent que le souci d'une partie importante des politiques vise plutôt le court terme des échéances électorales que l'avenir lointain de la collectivité. Ce Publiforum - le premier du genre en Suisse et qui s'inspire des «conférences de consensus» mises en place dans quelques pays du nord de l'Europe - était sans aucun doute utile dans la mesure où il a permis de débloquer ce débat énergétique qui s'était peu à peu «grippé». Les questions et les préoccupations de quelques citoyens ont sans doute permis de dégager de nouvelles pistes de réflexion. Le seul problème que je vois dans ce type de démarche, c'est le suivi. Nous n'en avons pas. Nous ne savons pas dans quelle mesure notre intervention aura une répercussion concrète sur les décisions futures.

Tout de même, après l'expérience particulière de l'an dernier et à la lumière du poste que vous occupez aujourd'hui au Service vaudois de l'environnement et de l'énergie, avez-vous le sentiment que les citoyens et consommateurs que nous sommes tous ont des moyens d'action sur leur «destinée énergétique»?
Des moyens de pression existent. Outre une entrée directe en politique, le citoyen peut rejoindre des associations, des groupements, qui, par leur action et leur influence, contraignent les décideurs à relever le niveau des exigences écologiques. On l'a vu encore récemment avec le cas du dossier de candidature de Sion pour les JO 2006. Pour le consommateur, la marge de manoeuvre implique d'abord une bonne information - elle existe, mais il faut la chercher et «l'intégrer». Elle implique aussi, en amont, une «éducation» à la sensibilité écologique et dépend aussi des capacités de son porte-monnaie. Il est clair que pour un certain nombre de personnes, la question de savoir si elles vont acheter le congélateur qui coûte le moins cher ou celui qui consomme le moins ne se pose même pas. Pour ceux qui font un choix écologique à l'achat, il s'agira encore de bien utiliser l'appareil qu'ils auront acquis: inutile de jeter son dévolu sur une télévision à faible consommation s'ils la laissent toute la journée en position «stand by».

Mais en matière de courant électrique, difficile d'imaginer le consommateur faire ses courses avec son caddie et s'arrêter à l'étalage le plus cher?
Evidemment, théoriquement, il faut savoir que l'on peut se dire: «je veux du courant propre provenant de ce champ d'éoliennes!» C'est possible, mais le choix énergétique n'est pas celui du super-marché, il demeure restreint. Même s'il y a possibilité pour le consommateur d'électricité de faire un choix plus vert, il ne faut pas se leurrer. Ce ne sera pas la ruée sur les énergies renouvelables plus chères au moment où le marché se libéralise et où l'on assistera à une cascade de prix cassés. C'est pourquoi, une taxe énergétique  permettrait  en quelque sorte de tenir compte des coûts externes d'énergies bon marché mais non «durables» comme le mazout par exemple. Elle corrigerait en quelque sorte la distorsion qui existe à l'heure actuelle en défaveur des énergies renouvelables.

Entretien:
Barbara Fournier
Presse & information EPFL
Les personnes intéressées par le rapport du panel de citoyens, «Publiforum Electricité et Société» peuvent l'obtenir auprès du Conseil suisse de la science, à Berne. Tél 031/322 99 63, fax: 031/323 36 59.

Minergie, un concept pour une action concrète
Minergie est un label pour des bâtiments qui allient une très faible consommation d'énergie et une augmentation du confort. Outre une meilleure isolation et de très bonnes fenêtres, la nouveauté par rapport aux constructions courantes se situe au niveau de la ventilation. En effet, les bâtiments actuels sont trop étanches et posent des problèmes de salubrité (moisissures) et de qualité de l'air (humidité, polluants). Le concept Minergie intègre une solution appelée aération douce, qui consiste en un système de ventilation avec récupération d'énergie. L'air ambiant est constamment renouvelé sans ouverture des fenêtres, ce qui permet d'homogénéiser le climat intérieur. Ainsi, non seulement on augmente le confort dans l'habitat, mais on réduit également les charges sur l'environnement. Les bâtiments conçus selon le concept Minergie consomment environ le tiers d'un bâtiment moyen, et cela avec un surcoût très faible (de l'ordre de quelques pour-cent).
Les services de l'énergie cantonaux donneront plus de renseignements aux personnes intéressées par ce sujet.

Luis Marcos
Service de l'environnement et de l'énergie, Etat de Vaud