Un tiers de la planète vit grâce a des énergies absentes des statistiques et qui représente pourtant 10% de la consommation mondiale. Flash sur un phénomène dont la discrétion est proportionnelle à l'importance.
Lorsque les physiciens parlent d'énergie, ils savent de quoi ils parlent. Lorsque les politiciens, les stratèges, les économistes ou les statisticiens parlent d'énergie, ils parlent en fait d'agents énergétiques. Pour mettre un peu d'ordre dans les idées, ils distinguent plusieurs catégories. Le charbon, le pétrole, le gaz naturel, l'uranium, les chutes d'eau, etc. constituent l'énergie primaire, c'est-à-dire celle que nous trouvons dans la nature. Par un réseau complexe d'opérations de transformation et de transport, on aboutit à l'énergie finale qui est celle qu'achète le consommateur final. Il s'agit d'essence, d'huile de chauffage, d'électricité, etc. Le consommateur final, enfin, procède à une dernière transformation pour obtenir celle des quatre formes d'énergie utile qu'il désire: de la chaleur, du travail mécanique, de l'énergie de liaison chimique ou de la lumière. Les ressources d'énergie finale font l'objet de transactions commerciales, elles sont comptabilisées, à l'image du compteur électrique ou de celui de la pompe à essence. Elles sont - en principe- saisies par la statistique. Ce sont les énergies commerciales.
Les données chiffrées sont un élément essentiel pour prendre des décisions dans tous les domaines et en particulier dans le domaine multiforme de l'énergie. Or les chiffres et les bilans ne disent rien, ou presque, sur une part importante des ressources énergétiques utilisées dans de vastes régions du monde (Afrique, Asie, Amérique latine, excusez du peu!): les énergies non commerciales - bois de chauffage pris dans les forêts, excréments d'animaux domestiques, tourbe, etc., échappent à la statistique.
Deux milliards d'individus concernés
A première vue, les énergies non commerciales paraissent
négligeables, notamment dans l'évaluation de leur impact
écologique, parce qu'elles sont considérées comme
des formes d'énergie renouvelable. Le sont-elles vraiment? Il y
a une vingtaine d'années déjà, le ministre indonésien
de l'Energie m'avait expliqué qu'il était relativement facile,
grâce aux clairières, de repérer les villages des peuplades
primitives en survolant la jungle. Or les clairières ne cessaient
de s'élargir d'année en année. La déforestation
est en marche. La croissance naturelle ne suffit plus, et de loin, à
compenser les coupes que les indigènes font de plus en plus loin
de leur habitat. Les énergies non commerciales ne sont pas nécessairement
douces à l'environnement.
Les sources non commerciales ne sont pas non plus négligeables en termes quantitatifs. On estime qu'elles représentent près de 10% de la consommation énergétique mondiale. Leur importance se situe néanmoins surtout dans le fait qu'elles alimentent une population de quelques deux milliards d'individus - un peu plus du tiers de la population mondiale - qui n'ont pas d'accès aux énergies commerciales. Faute d'énergies plus élaborées, ces populations n'ont aucune chance de sortir de la pauvreté. La rupture de ce cercle vicieux devrait figurer parmi les priorités de toute politique énergétique globale.
Ne pas perdre espoir
Le monde compte maintenant un peu moins de 6 milliards d'habitants.
Dans vingt ans, ils seront 8 milliards. Et c'est dans les pays pauvres
que la démographie est la plus forte. Combien seront alors confinés
à des énergies non commerciales? L'objectif commun de toutes
les considérations sur les perspectives énergétiques
à long terme et à l'échelle globale est d'identifier
une voie praticable vers le développement durable. Les débats
sur la priorité à l'écologie en lieu et place du "triangle
magique" de la Commission Bruntland, de l'équilibre entre les trois
pôles que sont l'écologie, l'économie et le social,
en particulier chez les nantis que nous sommes, rappellent un peu les débats
d'antan sur le "sexe des anges". La réalité est ailleurs:
la pression démographique, avec la légitime aspiration des
pauvres à sortir de la misère, amènera inévitablement
une forte augmentattion de la consommation mondiale d'énergie. On
parle de 50 % dans vingt ans. Le développement durable suppose la
mise en oeuvre d'un approvisionnement suffisant pour tous. Il implique
également des solutions réalistes pour l'ensemble des questions
socio-économiques et environnementales liées à un
tel objectif.
C'est peu dire qu'il n'y a pas de solution simple. La quête du développement durable est un processus long, complexe et dynamique avec des conditions sans cesse changeantes. La voie pour y parvenir, pour autant qu'elle existe, est à la fois difficile et incertaine. Il n'est pas surprenant qu'elle soit controversée. Ce n'est pas une raison de perdre l'espoir.
Le développement et la dissémination de technologies nouvelles pour une production et une utilisation plus efficace de l'énergie, la promotion de procédés plus propres pour l'utilisation des énergies fossiles qui resteront incontournables encore longtemps, le développement de méthodes de séquestration du CO2 et la promotion des énergies exemptes de carbone, sans oublier le nucléaire, contribueront à baliser la voie vers un développement durable. C'est là qu'il faut concentrer nos efforts, plutôt que de continuer à se donner des objectifs irréalistes dans le seul domaine de l'effet de serre et à prôner des mesures coûteuses qui ne permettront de toute manière pas de les atteindre.