Le grand marché de l’électricité se libéralise sur le continent européen: on se presse aux portillons des prix cassés. Mais faut-il vraiment se réjouir de cette sous-enchère en voie de généralisation?
L'ouverture très large des marchés de l’électricité est un thème dont tout le monde parle aujourd’hui. Consommateurs et distributeurs de nos pays industrialisés y voient une aubaine: la possibilité de s’alimenter à un prix très inférieur par rapport à ceux proposés ou imposés actuellement. Mais la perspective de voir baisser sensiblement le prix du Kilowattheure consommé réjouit-elle vraiment tous les acteurs, qu’ils soient producteurs, transporteurs, distributeurs, consommateurs, ou est-ce seulement une «fleur» offerte à ces derniers? N’y a-t-il pas quelque part des perdants que l’on oublie, des dangers qui rôdent? Ne risquons-nous pas de voir apparaître des déséquilibres socio-économiques dont on sous-estime la portée? Qu’en est-il du danger lié à l’accroissement des atteintes exercées sur l’environnement par des sites de production d’énergie électrique éloignés dont on sait qu’ils ne disposent pas toujours de la technologie permettant de réduire considérablement les impacts? Les réflexions qui suivent n’ont pas pour ambition de résoudre le problème complexe lié à l’ouverture des marchés de l’électricité. Elles ne sont qu’une invitation à considérer un phénomène à un niveau qui, pour les pays industrialisés, dépasse la seule attractivité d’un prix du Kilowattheure réduit peut-être de moitié.
Les pays de l’Est dans une impasse
L’ouverture des marchés de l’électricité au plan
européen concerne un grand nombre d’acteurs. Ceux-ci se situent
dans des pays très différents du point de vue de leurs systèmes
socio-économiques, de leurs degrés de développement
technico-industriel et de l’importance de leurs ressources en énergies
primaires convertibles en énergie électrique (gaz, charbon,
uranium). Ces disparités sont particulièrement évidentes
entre l’Est et l’Ouest européens. Elles conduisent à considérer
les conséquences qu’implique une ouverture libéralisée
des marchés de l’électricité caractérisée
par la consommation à l’ouest, et à très bas prix,
de quantités énormes d’énergie électrique
produite dans les pays de l’Est. Des conséquences certainement dommageables
à terme pour tous les partenaires si cette ouverture se réalise
sans respecter des critères ou des règles du jeu de nature
à la fois économiques, sociales et environnementales pour
chacun des acteurs.
L'examen de la situation des pays de l’Est européen amène les remarques suivantes: ces pays disposent d’importantes réserves d’énergies primaires fossiles qu’ils souhaitent légitimement convertir en énergie électrique et vendre à des conditions équitables. Leur but est de générer ainsi des revenus capables de maintenir et de développer les équipements de production, ce qui induit une amélioration progressive de leur niveau économique et social. Mais cette ambition est irréalisable dans un marché de l’électricité entièrement ouvert au libre jeu de la concurrence. Pourquoi? Parce que cette dernière impose à de tels pays des niveaux de prix si faibles qu’ils ne peuvent plus atteindre leurs objectifs et demeurent contraints de poursuivre leur production avec des équipements souvent obsolètes, peu performants et surtout peu respectueux de l'environnement.
Plaidoyer pour Je maintien d'un prix équitabJe
Les pays industrialisés peuvent être a priori séduits
par la perspective de couvrir leur importante consommation d'énergie
électrique à un prix très diminué. Ces pays
sont néanmoins aussi producteurs, ils exploitent des sites performants
ayant nécessité des investissements importants qu'il devient
difficile d'amortir dès lors que le prix du kilowattheure s'écroule.
Par ailleurs, et en comparaison avec les coûts des autres produits,
biens ou services, le prix actuel de l'énergie électrique
reste tolérable pour la quasi-totalité des secteurs de notre
système socio-économique.
Il apparaît ainsi que le maintien du prix de l'énergie électrique à un niveau équitable, c'est-à-dire supérieur à celui qui résulterait d'une ouverture des marchés à une libre concurrence, comporte dans la durée des avantages précieux pour tous les acteurs. Cette attitude de retenue face à une libéralisation totale reviendrait àouvrir les marchés de l'électricité en contribuant simultanément au développement durable de nos sociétés, dans le respect de critères économiques, sociaux et environnementaux. Les revenus qui résulteraient du maintien du prix du Kilowattheure à un niveau équitable ouvriraient, pour les pays de l'Est européen, des perspectives réelles de développement en corrigeant aussi une consommation en énerqies primaires fossiles peu performante et les impacts sur l'environnement. Une partie de ces mêmes revenus pourraient également être investis dans le développement des énergies renouvelables et dans celui des techniques modernes de transport et de stockage de l'énergie.