DOSSIER ENERGIE DU MAGAZINE POLYRAMA
Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne
No 111, juin 1999
Ouverture des marchés de l'électricité: aubaine ou cadeau empoisonné?

Le grand marché de l’électricité se libéralise sur le continent européen: on se presse aux portillons des prix cassés. Mais faut-il vraiment se réjouir de cette sous-enchère en voie de généralisation?

L'ouverture très large des marchés de l’électricité est un thème dont tout le monde parle aujourd’hui. Consommateurs et distributeurs de nos pays industrialisés y voient une aubaine: la possibilité de s’alimenter à un prix très inférieur par rapport à ceux proposés ou imposés actuellement. Mais la perspective de voir baisser sensiblement le prix du Kilowattheure consommé réjouit-elle vraiment tous les acteurs, qu’ils soient producteurs, transporteurs, distributeurs, consommateurs, ou est-ce seulement une «fleur» offerte à ces derniers? N’y a-t-il pas quelque part des perdants que l’on oublie, des dangers qui rôdent? Ne risquons-nous pas de voir apparaître des déséquilibres socio-économiques dont on sous-estime la portée? Qu’en est-il du danger lié à l’accroissement des atteintes exercées sur l’environnement par des sites de production d’énergie électrique éloignés dont on sait qu’ils ne disposent pas toujours de la technologie permettant de réduire considérablement les impacts? Les réflexions qui suivent n’ont pas pour ambition de résoudre le problème complexe lié à l’ouverture des marchés de l’électricité. Elles ne sont qu’une invitation à considérer un phénomène à un niveau qui, pour les pays industrialisés, dépasse la seule attractivité d’un prix du Kilowattheure réduit peut-être de moitié.

Les pays de l’Est dans une impasse
L’ouverture des marchés de l’électricité au plan européen concerne un grand nombre d’acteurs. Ceux-ci se situent dans des pays très différents du point de vue de leurs systèmes socio-économiques, de leurs degrés de développement technico-industriel et de l’importance de leurs ressources en énergies primaires convertibles en énergie électrique (gaz, charbon, uranium). Ces disparités sont particulièrement évidentes entre l’Est et l’Ouest européens. Elles conduisent à considérer les conséquences qu’implique une ouverture libéralisée des marchés de l’électricité caractérisée par la consommation à l’ouest, et à très bas prix, de quantités énormes d’énergie  électrique  produite dans les pays de l’Est. Des conséquences certainement dommageables à terme pour tous les partenaires si cette ouverture se réalise sans respecter des critères ou des règles du jeu de nature à la fois économiques, sociales et environnementales pour chacun des acteurs.

L'examen de la situation des pays de l’Est européen amène les remarques suivantes: ces pays disposent d’importantes réserves d’énergies  primaires  fossiles qu’ils souhaitent légitimement convertir en énergie électrique et vendre à des conditions équitables. Leur but est de générer ainsi des revenus capables de maintenir et de développer les équipements de production, ce qui induit une amélioration progressive de leur niveau économique et social. Mais cette ambition est irréalisable dans un marché de l’électricité entièrement ouvert au libre jeu de la concurrence. Pourquoi? Parce que cette dernière impose à de tels pays des niveaux de prix si faibles qu’ils ne peuvent plus atteindre leurs objectifs et demeurent contraints de poursuivre leur production avec des équipements souvent obsolètes, peu performants et surtout peu respectueux de l'environnement.

Plaidoyer pour Je maintien d'un prix équitabJe
Les pays industrialisés peuvent être a priori séduits par la perspective de couvrir leur importante consommation d'énergie électrique à un prix très diminué. Ces pays sont néanmoins aussi producteurs, ils exploitent des sites performants ayant nécessité des investissements importants qu'il devient difficile d'amortir dès lors que le prix du kilowattheure s'écroule. Par ailleurs, et en comparaison avec les coûts des autres produits, biens ou services, le prix actuel de l'énergie électrique reste tolérable pour la quasi-totalité des secteurs de notre système socio-économique.

Il apparaît ainsi que le maintien du prix de l'énergie électrique à un niveau  équitable,  c'est-à-dire supérieur à celui qui résulterait d'une ouverture des marchés à une libre concurrence, comporte dans la durée des avantages précieux pour tous les acteurs. Cette attitude de retenue face à une libéralisation totale reviendrait àouvrir les marchés de l'électricité en contribuant simultanément au développement durable de nos sociétés, dans le respect de critères économiques, sociaux et environnementaux. Les revenus qui résulteraient du maintien du prix du Kilowattheure à un niveau équitable ouvriraient, pour les pays de l'Est européen, des perspectives réelles de développement en corrigeant aussi une consommation en énerqies primaires fossiles peu performante et les impacts sur l'environnement. Une partie de ces mêmes revenus pourraient également être investis dans le développement des énergies renouvelables et dans celui des techniques modernes de transport et de stockage de l'énergie.

Jean- Jacques Simond
Professeur EPFL
Laboratoire d'élecrromécanique et de machines électriques


La société à 2000 watts ne tournera pas au ralenti
2000 watts, c’est la puissance que consommait (24h/24) le Suisse moyen dans les années 60. Alors quand on m’a parlé pour la première fois de cette société à 2000 watts, je me suis revu enfant, les pieds enroulés dans une couverture, écoutant la radio sur mon poste à galène. Et vous voulez que je remette ça?!?Ah non!
Eh bien non! La nouvelle société à 2000 watts ce n’est pas le retour mais le futur. Bien sûr, comme son nom l’indique, il s’agit bien d’une nouvelle «société». Il faudra corriger un peu notre façon de voir le monde, notre manière de gaspiller mais surtout il va falloir stimuler notre créativité! En effet, si nous voulons garder notre confort tout en consommant moins d’énergie, la création de cette nouvelle société peut s’effectuer en agissant simultanément sur deux paramètres complémentaires:
- il s’agit d’abord de réduire les pertes énormes d’énergie (57% actuellement) lors de la transformation de l’énergie primaire en énergie utile, y compris lors de son transport et de sa distribution;
- puis de développer des technologies nouvelles fournissant les mêmes services que celles d’aujourd’hui et consommant la moitié d’énergie. Utopique? Que non! Pensez à la pompe à chaleur, aux systèmes cogénérateurs, à l’utilisation de l’énergie solaire... Vous voyez, la technologie existe déjà. Les idées ne manquent pas et plus il yen aura, plus vite nous atteindrons le but: diminuer la consommation énergétique du Suisse moyen d’un facteur trois sans même qu’il s’en aperçoive!
Enfin pas tout à fait, il va s’en rendre compte. Parce que pour arriver à nos fins, il va falloir en mettre un coup: remplacer les anciens systèmes par des nouveaux, plus performants, plus intelligents, plus conviviaux, plus... Alors vous croyez vraiment que la Société à 2000 watts tournera au ralenti? Pas moi!
Claude Friedli
Professeur EPFL
Stratégie Durabilité du CEPF