Projet mondial, la fusion est aux yeux de certains une belle qui coûte cher et qui se fait attendre. Pourtant, la science avance, les promesses d'une énergie respectant l'écosystème ne tiennent plus de la fiction. A une condition seulement, c'est que les politiques - impatients par nature - ne se découragent pas en route et continuent de soutenir l'effort d'une recherche internationale à laquelle la Suisse participe activement.
La fusion thermonucléaire contrôlée consiste à «reproduire» le processus énergétique qui donne vie aux étoiles. Mais si dans le Soleil, un milieu très dense, les réactions de fusion de l'hydrogène ont lieu à 15 millions de degrés, sur Terre, pour des raisons de probabilité de réaction, nous cherchons à fusionner les isotopes de l'hydrogène (deutérium et tritium) à des températures 10 fois supérieures, dans un milieu très ténu en densité. Alors que le Soleil, par sa masse, confine le plasma (seul état de la matière existant à ces températures) par gravitation, sur Terre l'approche retenue pour réaliser un réacteur de fusion est basée sur le confinement magnétique.
Une impatience contrariée
Le but de la recherche en fusion est de construire vers le milieu du
siècle prochain des centrales électriques dont le coeur sera
un réacteur à fusion. En 1958, à la conférence
de Genève sur l'utilisation de l'atome à des fins pacifiques,
on pensait que la fusion serait pour la fin de ce siècle! Cet optimisme
retombe comme un but non atteint sur les chercheurs d'aujourd'hui, pourtant
même si, sur un chemin long et semé d'embûches, les
scientifiques ont franchi de nombreux obstacles et commencent à
maîtriser le plasma, à comprendre ce quatrième état
de la matière. La physique des plasmas est encore une science jeune,
que l'on étudie depuis quelques décennies, et on désirerait
déjà en être à la construction d'un réacteur
qui fournirait de l'électricité! Quelle impatience
contrariée! Pas uniquement celle des physiciens, mais également
celle des politiciens, revendiquant le résultat immédiat
qui cautionnerait les décisions et supports! Normal!
Depuis quarante ans, les recherches ont montré des progrès continus dans la recherche en fusion en vue de son utilisation comme une source d'énergie électrique sûre, aux ressources illimitées, respectueuse de l'environnement, et donc dans la droite ligne du développement durable. Dans cette quête, les derniers résultats obtenus par des installations du type tokamak comme le projet européen JET (Joint European Torus) un parangon de collaboration internationale, font apparaitre que nous approchons du seuil du «breakeven» (facteur d'amplification - puissance de fusion/puissance de chauffage nécessaire pour maintenir la température du plasma - égal à 1). Bien sûr pour qu'un réacteur soit profitable, il faut encore aller plus loin, mais les résultats sont prometteurs et le saut obtenu dans les performances, un facteur d'environ 25'000, en ces 30 dernières années nous laissent envisager le futur scientifique et technologique avec confiance et enthousiasme, dans la mesure où le cap et la stratégie sont maintenus!
Une construction encore en attente
Pour en arriver là, il a fallu avancer les limites de nos connaissances
physiques et techniques dans tous les domaines, de la physique des plasmas
à haute température aux méthodes de chauffage, des
diagnostics aux supraconducteurs, de la construction et de l'opération
de grandes installations aux simulations numériques faisant appel
à la dernière génération d'ordinateurs massivement
parallèles... Le long terme n'a pas non plus été négligé:
d'autres configurations que le tokamak sont à l'étude, des
matériaux à faible activation développés et
testés, des études de sécurité entreprises...
Reconnaissant l'importance de la perception du public dans le domaine énergétique,
un programme de recherches socio-économiques européen sur
la fusion est également en cours.
Les connaissances scientifiques et techniques acquises grâce au programme de recherche mondial permettent aujourd'hui d'envisager la construction d'une installation expérimentale avec un facteur d'amplification beaucoup plus grand que 10, même infini, correspondant à l'«ignition». Ce projet, c'est le réacteur expérimental ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor), basé sur le modèle tokamak et présenté fin juillet 1998. C'est la première fois que les aspects technologiques et physiques sont intégrés dans un même projet. Afin de cristalliser leur volonté de trouver une réponse à la sempiternelle question de l'énergie, ce grand défi des temps modernes, l'Union Européenne (y compris la Suisse), le Japon, la Fédération de Russie et les USA se sont associés dans cette démarche.
Des études, réalisées en partie sur des modèles grandeur nature, ont confirmé la validité des options techniques retenues pour ITER. Mais, aucun des partenaires n'étant prêt à s'engager immédiatement dans sa construction et certains tests importants de validation dans le domaine des aimants supraconducteurs devant encore être menés à terme, les partenaires ont décidé de prolonger la phase d'ingénierie de 3 ans. L'Union Européenne, le Japon et la Russie ont prolongé l'accord sur ITER jusqu'en juillet 2001, les Etats-Unis n'ayant pour le moment signé que pour un terme menant à juillet 1999, tout en réexprimant leur souhait de voir ITER construit.
«Vous ne serez pas prêts à temps!»
Lors des négociations pour cette extension, au vu des hésitations
des Américains et de certains milieux européens, l'équipe
d'ITER est retournée à la planche à dessin afin d'examiner
la possibilité, en réduisant les objectifs scientifiques,
de diminuer le coût de construction de la machine, de ses auxiliaires
et de tous les bâtiments et de ramener le coût du projet de
6 milliards d'euros, valeur originale du projet et considérée
alors comme acceptable par les autorités politiques signataires
des accords initiant le projet à environ 3,5 milliards. Ce projet
modifié, appelé Reduced Technical Objective/Reduced Cost
ITER, est actuellement en cours d'étude. On constate que la décision
de ne pas procéder à la construction d'ITER, première
version, est de nature politique. Certains milieux aimeraient bien se prévaloir
d'arguments scientifiques basés sur des études partielles
et incomplètes pour critiquer le projet et faire porter la responsabilité
d'un choix politique aux scientifiques eux-mêmes! Au risque de se
répéter il faut rappeler que la communauté scientifique
est prête à entreprendre l'étape suivante à
savoir ITER. La retarder d'une manière substantielle contribuerait
à la validation de l'axiome énoncé par les détracteurs
de la fusion. «De toute façon, vous ne serez jamais prêts
à temps!».
Malgré ce contretemps, le but stratégique de faire suivre ITER par un réacteur fusion de démonstration sans introduire une machine additionnelle intermédiaire, serait pour autant maintenu.
Aujourd'hui nous ne pouvons prédire quels seront les coûts de l'énergie au milieu du XXI« siècle, sans doute plus élevés qu'aujourd'hui. Dans cinquante ans, cent ans, la compétition et donc le portfolio entre les différentes formes d'énergie ne ressemblera peut-être en rien à ceux que nous connaissons. Ce que l'on peut projeter, c'est la réduction inéluctable des ressources fossiles et les dangers de bouleversements climatiques inhérents à leur emploi massif. Ainsi suivant les types de scénarios énergétiques proposés pour l'aurore du troisième millénaire, il faudra trouver et proposer aux générations futures des solutions viables qui répondront à leurs besoins selon les modèles de sociétés qu'elles adopteront. C'est donc un devoir politique et scientifique de préparer cet éventail de propositions parmi lesquelles elles choisiront. Aujourd'hui proche de montrer les conditions physiques du plasma dans une centrale à fusion, demain capable de proposer les solutions technologiques nécessaires, la fusion ouvre la voie à une énergie au potentiel illimité, propre et sûre, en accord avec la vision d'un développement durable pour l'humanité.